La vallée d'Ossau :
Culture et Mémoire
LA VALLÉE D'OSSAU
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ntre les dents aigues du Pic du Midi d'Ossau et le vallum morainique d'Arudy la vallée d'Ossau se déploie perpendiculairement à la chaîne pyrénéenne. De toutes les grandes vallées béarnaises elle est la plus large, la plus accessible, elle est aussi celle que le tourisme et le thermalisme élitistes du XIXe siècle ont le mieux contribué à faire connaître et les œuvres qui lui furent consacrées sont légions, œuvres des plus obscurs comme des plus grands, Delacroix par exemple.
Mais aussi séduisants soient-ils, les témoignages du siècle dernier méritent quelques critiques ; ils s'inscrivent dans un processus général de folklorisation et révèlent moins la réalité ossaloise qu'une reconstruction passéiste. Ils ont entre autre voulu faire de l'Ossau un sanctuaire des traditions et des comportements, un monde clos à l'abri des rumeurs du temps. Rien n'est plus inexact ; ne serait-ce que par nécessité économique, la vallée ayant très tôt adopté une économie de marché, l'Ossau est une vallée ouverte au monde et aux influences extérieures.
Si elle a su préserver jusqu'à nos jours une réelle et profonde originalité, ce n'est pas dans la solitude mais au contraire dans l'échange et la rencontre qu'elle l'a fait. La préservation de son identité n'est pas en contradiction avec son ouverture, pas plus qu'une structure encore fréquemment communautaire ne l'est avec un individualisme vigoureux. Ce sont ces contrastes puissants qui mieux que quelques archaïsmes complaisamment exagérés constituent l'esprit de cette large et souriante vallée.
Les vicissitudes de l'Histoire.
Avant l'histoire, la vallée connut une occupation marginale mais dense et de nombreuses grottes et abris préhistoriques se répartissent sur les hauteurs qui dominent au Sud le vallum d'Arudy : Malarode, Espalungue, l'Escargotière, Saint-Michel.
Ces sites ont donné un matériel lithique abondant et de nombreuses pièces gravées, parfois de très belle qualité.
L'installation humaine dans la vallée proprement dite s'intensifia au cours de la protohistoire et les cromlechs du Bénou en portent le témoignage toujours visible : Couraus de Houndas (24 enceintes), Courège de Caus (13) et les six de l'Arriü Beig aujourd'hui disparus. Avec le dolmen de Buzy (Calhau de Teberne), ces cromlechs sont les témoins des invasions ibères et celtes, Ces nouveaux venus ont laissé quelques traces dans la toponymie locale également ; les Ibères à Laruns et Aste, les Celtes à Izeste, Isabe, Buzy, Arudy.
Si elle s'exerça théoriquement à partir de la campagne de Publius Crassus en 51 av. J.C. l'influence romaine se manifesta en fait tardivement en Ossau. Rome se préoccupait évidemment peu de cette vallée dont le rôle transpyrénéen était très inférieur à celui de l'Aspe. Toutefois une installation permanente et importante s'établit dans la basse vallée et cette "villa" donna ultérieurement son nom au village de Bielle qui demeura le "capdeulh" de la vallée, son chef lieu.
Entre le 1er et le VIIIe siècles peu d'événements marquants troublent la vie d'une vallée qui a ses activités pastorales traditionnelles joignit la culture des céréales, celle du millet entre autres. Plus que la fureur des envahisseurs qui ne laissèrent comme trace que des étymologies douteuses, celle de l'oustau, et de traditions d'exclusion, les "cagots", le grand évènement fut l'évangélisation définitive de la vallée.
Elle ne commença pas semble-t-il avant l'épiscopat de l'évêque Saint Grat d'Oloron (507-510 ?) ; jusqu'à la Révolution la vallée fit partie intégrante de l'évêché d'Oloron.
Sans être oubliée de l'histoire, la vallée d'Ossau ne connut jamais de désastres dignes des annales et les exploits prêtés aux Normands et aux Arabes sont bien incertains. Des origines au XIIème siècle, la principale caractéristique de la vie politique ossaloise fut son autonomie à peu près complète.
Celle-ci ne cessa pas lorsqu'à partir du XIIème siècle les vicomtes de Béarn implantèrent un viguier (vicarius) dans la vallée ; la présence de ce représentant de l'autorité centrale demeura toujours discrète et la modeste forteresse vicomtale, le château de Castet, prouve assez le degré élevé d'autonomie dont jouissaient les Ossalois.
A l'intérieur, ce statut privilégié était garanti par une coutume le For d'Ossau, et un système administratif propre à la vallée. Les habitants étaient réunis en une confédération syndicale, "l'Universitat de la terre d'Ossau". Elle rassemblait les villages du Vic d'en Bas (Arudy) et ceux du Vic d'en Haut (Laruns) ; le centre politique de la vallée, son capdeulh, se trouvait à Bielle, paroisse détachée des deux vies et en quelque sorte neutre.
Les villages ossalois élisaient des représentants, "lous jurats", qui tenaient leurs assises à l'église Saint-Vivien de Bielle ; le conseil des jurats désignait en son sein deux syndics chargés de la présidence et de la convocation des assemblées.
Le servage n'ayant jamais existé en Ossau et tous les hommes libres assistant avec des droits identiques aux assemblées, quelques auteurs ont parlé de "république montagnarde" à propos de la vallée. Rien n'est moins exact ; le pouvoir local était exercé dans la réalité par l'oligarchie des familles "casalères, " c'est à dire les plus grands propriétaires, la "pars sanida".
Jusqu'en 1789, cette organisation ne connut aucun changement dans son principe ; certes, à la fin du XVIIème siècle l'instauration d'une intendance en Béarn renforça les possibilités d'intervention du pouvoir royal. Mais les agissements de l'Intendant ou de ses subdélégués en Ossau demeurèrent discrets face à une Universitat bien vivante.
Pour que le centralisme triomphe véritablement en Ossau, il fallut attendre la Révolution et ses suites impériales et républicaines.
A l'extérieur également la vallée jouit longtemps d'une souveraineté très large. Ici encore seuls les Etats du début du XIXème siècle et leurs conflits firent des Pyrénées une véritable frontière.
Pendant des siècles, troupeaux et pèlerins transitèrent librement par le col du Pourtalet. Entre Ossalois et Aragonais de la haute vallée du Gallego (Sallent), les conflits concernaient avant tout les pâturages. Sans autrement se préoccuper des autorités royales ou vicomtales, les Ossalois et les Aragonais de Tena avaient conclu des accords verbaux qui semblent avoir été transcrits pour la première fois au milieu du XIIIème siècle.
Si les traités originaux sont à jamais perdus, on conserve en revanche le texte qui les renouvela en 1328.
Cette charte de paix consacrait la communauté d'intérêts, de culture et de sentiments qui unissait les pasteurs des deux versants. Plus que des alliés, les contractants étaient des "pazeros," de véritables amis. La charte garantissait les personnes, les troupeaux et réglait le montant des indemnités et les procédures à suivre en cas de transgression.
Deux fois chaque année les vallées envoyaient aux sources du Gallego, à Formiguère des délégations pour se voir (biste) et se réunir (junte) en vue de régler les litiges. Jusqu'au XVème siècle cette compétence diplomatique ne fut pas remise en question.
Lorsque les vicomtes de Béarn devinrent roi de Navarre au XVIème siècle, les vallées se trouvèrent impliquées dans un conflit international entre les héritiers de la Navarre et les souverains de la Castille et d'Aragon. Entre la fidélité à leur souverain et une amitié pluriséculaire, les montagnards n'hésitèrent pas ; ils renouvelèrent au XVIème leur charte d'une manière qui montre combien leurs étaient étrangères les idées de nation et de frontières.
Les pazeros décidèrent de se prévenir mutuellement des mouvements de troupes ; ils s'interdirent de porter les armes les uns contre les autres. Si l'une des parties négligeait ses devoirs elle verserait à l'autre des dommages de guerre. Jusqu'en 1620 ces accords furent scrupuleusement respectés.
Louis XIV d'abord, ses successeurs ensuite entreprirent de réduire progressivement ce privilège diplomatique. Surveillées par des représentants de l'État, leur compétence réduite aux seules affaires pastorales, les juntes perdirent bientôt leur raison d'être.
L'autonomie de la vallée la mit ainsi longtemps à l'abri des tribulations guerrières de la vicomté et du royaume ; elle ne prit aucune part aux entreprises d'Henri d'Albret dans ses efforts pour conserver la Navarre. Lorsque Jeanne d'Albret entreprit d'imposer le calvinisme à tout le béarn, les jurats réagirent vigoureusement et en 1567 les catholiques de la vallée auraient même fomenté un complot pour enlever la reine et ses enfants.
En 1569, mesurant le danger d'une résistance armée aux troupes protestantes de Montgomery, ces mêmes jurats lui offrirent une conversion collective et spontanée. Si le monastère de Bielle fut incendié, du moins les belles églises gothiques de Ste Colome et de Bielle furent sauvées par cette conversion politique. De la fin des guerres de religion à la Révolution, la vallée ne connut plus aucun trouble d'envergure ; mais ses habitants manifestaient toujours une grande vigilance à l'égard des entreprises du pouvoir central ; encore au milieu du XVIIIème siècle, les femmes de Bielle, Louvie-Juzon et Arudy lapidèrent à mort un officier royal soupçonné d'avoir voulu introduire la gabelle dans le pays.
Représentée aux Etats de Béarn par un député, la vallée fit le 21 octobre 1789 le sacrifice de ses dernières libertés à la Nation.
Une société de pasteurs
On a vu ce qu'il fallait penser d'une "république ossaloise" ; l'absence d'égalité au politique se retrouve au social. Toute entière construite autour de l'ostau (la maison) et de la transmission du patrimoine, la famille ossaloise se caractérise par une application rigoureuse du droit successoral pyrénéen celui de l'aînesse intégrale jusqu'au XVIème siècle : masculine ensuite.
Fille ou garçon, le premier né était "héritier universel" et les cadets ne pouvaient même pas exiger une "légitimité" qui ne dépendait que du bon vouloir de l'héritier.
Aussi les "hereteres" ossaloises passaient pour les plus fières de la province et leur époux n'était jamais qu'un "senhor adventici "... ! Elles soulignaient leur prééminence par le port de somptueuses et distinctives parures. Il ne faudrait cependant pas voir dans ce système une tentative de "capitalisation agraire" au contraire. En effet les combinaisons matrimoniales entièrement mises au service de la conservation de l'ostau, interdisaient les mariages entre héritiers. Tel quel, le régime ossalois avait des conséquences économiques, sociales et culturelles importantes.
S'il empêchait la constitution de grands domaines et de grandes fortunes, il garantissait la persistance des structures communautaires prévenant le morcellement de la propriété ; en condamnant au célibat un certain nombre de cadets, il assurait l'existence de la famille élargie en même temps qu'il alimentait des courants migratoires traditionnels outre Pyrénées.
Officiellement aboli par le Code Civil napoléonien, ce système survécut et s'impose encore aujourd'hui sous des formes déguisées.
Inégalitaire, l'ordre social ossalois interdisait ainsi la constitution d'une société très diversifiée, avec des très riches et des très pauvres.
La structure et les modes d'appropriation du sol contribuaient à cette uniformité relative du corps social. Exceptées les terres arables du fond de la vallée, la plus grande partie du terroir et spécialement les "estibes", les pâturages d'été, était une propriété collective, les jurats la répartissaient proportionnellement à l'importance des "baccades", les troupeaux, de chaque famille et de chaque village.
Ces biens collectifs se sont conservés jusqu'à nos jours et l'individualisme agraire n'a pas encore tout à fait triomphé en Ossau. La liberté individuelle des habitants, l'autonomie politique et les structures communautaires fermèrent la vallée à la féodalité. En l'absence de terres nobles (qui seules déterminent l'entrée dans le Grand Corps aux Etats de Béarn et donc la mobilité), quelques familles s'arrogèrent le titre seigneurial à partir du XIVèrne siècle dans la basse vallée (Ste Colome), au XVIème siècle près de Laruns.
Au total on ne comptait que huit domenjadures ou seigneuries en Ossau, plus quelques abbayes laïques, c'est à dire des revenus ecclésiastiques usurpés par des laïques comme à Bilhères. La seule lignée seigneuriale qui ait réussi à s'imposer durablement fut celle des d'Espalungue dont, la modeste demeure subsiste près de Laruns.
Aussi loin que remonte leur histoire, les Ossalois se considèrent avant tout comme des pasteurs semi-nomades. L'économie pastorale de l'Ossau n'est pas le résultat d'un quelconque déterminisme naturel, mais celui d'un choix : choix d'une économie de marché, choix d'une longue transhumance annuelle hivernale.
En effet, la céréaliculture sacrifiée ne fut jamais en mesure d'assurer la subsistance des habitants ; aux XVIIème et XVIIIème siècles malgré l'introduction du maïs, la vallée subvenait à peine à la moitié de ses besoins alimentaires.
L'autre moitié devait être achetée, sur les marchés aragonais en général, avec le bénéfice des ventes de bétail.
Rassemblés à Arudy pour la St Michel d'automne les troupeaux ossalois passaient le Gave et suivaient le "cami ossalés" jusqu'à Pau (Pont-Germé, Calhau de Teberne, Croutz de Buzy, Camp Batalher). Arrivés à Pau une partie des troupeaux hivernait dans les landes du Pont-Long, une autre poursuivait son chemin jusque dans les vignobles du Bordelais.
L'exploitation du Pont-Long par les Ossalois suscita pendant des siècles de violentes querelles avec les agriculteurs sédentaires voisins et d'innombrables procès. Ce qu'ils n'avaient pu obtenir des Vicomtes et des rois, les Ossalois l'obtinrent enfin en 1829 : Une partie du Pont-Long fut alors reconnue propriété réelle des dix huit communes du syndicat.
En 1853 un conflit entre le Vic d'en Haut et le Vic d'en Bas aboutit au partage des landes du Pont-Long. Le syndicat du Bas-Ossau vendit ses biens à la ville de Pau en 1865 ; en revanche celui du Haut-Ossau possède toujours de vastes terrains loués pour la plupart à l'aviation civile et militaire et à l'armée.
A partir du XVIIème et XVIIIème siècles de nouvelles ressources vinrent s'ajouter à l'activité pastorale, elles constituent la réponse à de nouveaux facteurs économiques. Des épizooties meurtrières remirent en question l'élevage traditionnel, l'ouverture de routes, les encouragements de l’État à l'individualisme agraire représentent l'essentiel de ces facteurs.
Très anciennement connues, les sources thermales avaient eu quelques succès au temps de la splendeur des princes de Navarre. Le thermalisme prit sa véritable importance, tant médical qu'économique, l'ossalois Théophile de Bordeu médecin de Louis XV, entreprit l'étude scientifique des "Aygues".
De nouvelles sources furent découvertes, des chemins aménagés et un commerçant avisé obtint même un monopole pour la vente de l'eau en bouteille.
L'exploitation thermale restait toutefois paralysée par la médiocrité, sinon la nullité, des installations hôtelières et par les structures communautaires de la propriété des sources.
Les besoins de la marine royale déterminèrent au XVIII ème siècle une exploitation accrue des forêts et la Mâture entreprit celle des massifs de montagne jusque là épargnés. Quoique le flottage fut très difficile sur le Gave d'Ossau, on établit plusieurs chantiers dans la haute vallée ; la route de Gabas et plusieurs chemins conservent le souvenir de ces travaux.
La Marine établit une Maison de la Mâture à Laruns où il existe une rue du Port. Plus que par la Mâture les forêts ossaloises furent menacées par les entreprises d'un maître de forge, J-J d'Augerot.
Les forges de Béon traitaient le minerai des mines d'Aste ; destinée à un usage local la production était orientée vers la quincaillerie et la ferblanterie. L'activité minière se développa ensuite au XIXème siècle avec les mines d'Aspeich (cuivre), d'Anglas (blende)...
A la veille de la Révolution on trouvait également dans la vallée quelques moulins à foulon et à papier.
Très modestes, toutes ces entreprises manifestaient cependant les difficultés que traversait l'activité pastorale. Ces difficultés n'ont cessé de croître jusqu'à nos jours ; quelques-unes des solutions proposées par le passé, comme le thermalisme, ont survécu. Celles du tourisme tendent aujourd'hui à s'imposer, parfois anarchiquement.
L'importance de la propriété collective, le sentiment de son originalité joints aux aspirations générales de nos contemporains. Pour la sauvegarde des milieux naturels et humains devraient épargner à la vallée les expériences fâcheuses.
L'Aussalès sus d'aütes gens Qu'ey coum l'aur suber l'argen...
(L'Ossalois tranche sur les autres comme l'or sur l'argent...)
Cette bonne opinion d'eux mêmes que professaient les Ossalois, leurs compatriotes béarnais n'étaient pas loin de la partager. Réduits à la broye de maïs ou au pain de millet, les habitants des plaines et des coteaux n'évoquaient pas sans quelque envie ces montagnards qui se nourrissaient de bonnes galettes chaudes et de beurre.
Mieux nourris, habitués à l'exercice de la liberté, plus mobiles, les Ossalois passaient pour les plus délurés des Béarnais. A la veille de la Révolution les taux d'alphabétisation de la vallée étaient les plus élevés de la province et pour les hommes au moins dépassaient fréquemment 80 %. La vivacité et l'ouverture de leur esprit n'a jamais empêché les hommes de l'Ossau de rester fidèle à leur héritage culturel.
Les grands rites de passage de la vie, ceux du mariage en particulier, sont restés très longtemps vigoureux dans la vallée (coutume de la sègue). Les chants funèbres (aurosts) y étaient encore attestés à la fin du XVIIIème siècle. Chants et danses, récits, vivent encore lors des grandes réjouissances collectives.
Comme tous les milieux montagnards la vallée est aujourd'hui menacée et pas seulement sur le plan économique.
L'aptitude qu'elle a montré pendant des siècles à associer harmonieusement le passé et le présent lui épargnera, souhaitons le, les excès de notre temps.
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Sources
- CHRISTIAN DESPLAT - PNP Laruns
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