La vallée d'Ossau :
Culture et Mémoire
La Fontaine de Laruns
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Texte : André Frotté
Cette belle fontaine de marbre blanc qui trône au beau milieu de la place de la Mairie de Laruns possède sa petite histoire.
Le ravalement subi à l'occasion du réaménagement de la place lui a donné un nouvel éclat.
Il nous faut remonter le temps pour raconter toutes les péripéties qui ont présidé à son érection avant son inauguration le 10 août 1845.
Le canal des Moulins
Pour la première fois, le 11 octobre 1838 ; lors d'une séance du conseil municipal, il est question de la fontaine. En effet, l'assemblée se plaint de la faiblesse de ses ressources financières ; or il faudrait arranger la place qui porte encore les stigmates des graves inondations de l'arriusec, les eaux ayant dévalé la rue du Bialé, envahi l'église et jonché de gravats la place.
Il faudrait en profiter pour planter des arbres et doter ce lieu d'une belle fontaine dont la nécessité se fait cruellement sentir, pour ravitailler en eau potable les habitants de la place et des rues avoisinantes.
En effet, la seule source d'eau pour ces gens est le canal des Moulins. C'est une dérivation, qui existe encore, issue de l'arriusec au niveau du quartier de Séris, traversant le village d'ouest en est. Elle est restée longtemps à ciel ouvert, alimentant sur son parcours plusieurs moulins à moudre et un moulin à foulon.
Ce dernier était utilisé pour fouler les étoffes grossières tissées à partir de la laine du pays sur des métiers (lous télés) que l'on trouvait dans certaines maisons. On obtenait du (cordeilhat) , ou bure, dans lequel on taillait les capes et pantalons des bergers. Et c'est cette eau que les riverains allaient puiser pour leur usage journalier.
Un généreux émigré Ossalois
...Le temps passe. Il y a nécessité, mais à l'époque, ni les subventions, ni les possibilités d'emprunt n'existent, ou très peu; le statu-quo demeure. Jusqu'au jour du 5 août 1842, où, lors d'une réunion du conseil, il est question d'un certain PIERRE COUDURAT, qui a émigré à Saint-Pétersbourg. Il est né à Laruns.
Par sa correspondance avec Pierrine Gaston-Sacaze, nous savons qu'il est marié, qu'il a une fille, et qu'il est à la tête d'une maison de commerce. La présence d'un Ossalois en Russie à cette époque peut paraître surprenante. Malgré l'invasion par Napoléon, il y a toujours eu un courant de relations, qu'il soit culturel ou commercial, et il a perduré malgré les hostilités.
Lors de cette même séance, il est rappelé les différents dons faits à plusieurs reprises par Monsieur Coudurat à l'église de Laruns du temps du curé Loustau : un ostensoir, un encensoir, une navette, une croix, un lustre de cristal, une chasuble complète, un tableau représentant la Sainte Vierge Marie enrichi d'un joli cadre doré.
En 1842, il vient de faire preuve à nouveau de sa générosité en faveur de l'église, offrant deux plats à quêter et une guirlande de fleurs artificielles pour orner le cadre de la Vierge. Il est décidé que le conseil municipal «doit se faire un devoir d'exprimer sa juste reconnaissance à cet ancien et généreux compatriote. En conséquence il vote à l'unanimité et avec le sentiment d'une vive gratitude des remerciements à Monsieur Pierre Coudurat, de Saint-Pétersbourg pour les dons susmentionnés».
1843 : un don ; 1844 : plans et devis
Le 2 août 1842, lors de la séance du conseil municipal, il est signalé qu'il y a quelques temps, Monsieur Coudurat, de Saint-Pétersbourg, a manifesté l'intention de faire un don en faveur de la commune de Laruns pour subvenir aux dépenses nécessaires à l'établissement d'une fontaine sur la place.
Au mois de mai 1843, il a offert 2000 francs qui ont été accepté et porté au budget de 1843. Monsieur le Maire est chargé de diligenter les travaux.
Le 9 mai 1844, Monsieur le Maire de Laruns présente les plans et devis d'amenée d'eau. Monsieur Latapie est l'architecte qui a réalisé les plans du projet. La fontaine sera implantée au centre de la place, à gauche de la route royale desservant les Eaux-Bonnes et les Eaux-Chaudes.
Le canal d'amenée de l'eau partira de l’arriussec, longera la rive gauche du torrent, puis la prairie dite « du Roi », traversera sous le canal « dous Moulîs » au niveau de la « riu de Soum ». Les travaux devront être terminés le 15 août 1845.
Ils sont divisé en trois tranches :
- Prise d'eau sur l'arriussec, plus cuvette réservoir, plus canal de conduite. Mise en place de tuyaux en grès ; et mise en place de soubassement en pierre de taille.
- Pose des tuyaux en plomb, robinets, mufles etc...
- Marbrerie avec le marbre de Gabas pour le monument. « carrière de Fabrèges »
Tous les hommes adjudicataires devront être munis d'un certificat d'aptitude délivré par un homme compétent. Néanmoins, les adjudicataires seront tenus de faire toutes modifications jugées convenable par la commission nommée en accord avec Monsieur Latapie, architecte. Les entrepreneurs ne se conformant pas aux prescriptions devront dédommager la commune.
Des opposants au projet se manifestent
Le 8 septembre 1844, une pétition est présentée au conseil municipal par Monsieur le Préfet, émanant d'une partie de la population, s'opposant à la dépense jugée exorbitante et estimant que le besoin d'une fontaine n'est pas justifié, vu qu'il y a un ruisseau qui traverse le village. Le conseil municipal rétorque que “ l'eau du ruisseau est trouble, sale et insalubre du fait de l'installation d'un moulin à foulon sur le cours d'eau, qui fonctionne continuellement, du fait des orages, de la fonte des neiges, et que les habitants des quartiers les plus populeux, qui résident autour de la place publique, ne peuvent profiter que de l'eau de ce ruisseau.
D'où l'installation de la fontaine ne peut être considérée comme un monument d'agrément par les réclamants, mais comme un objet d'absolue nécessité.
L'eau sera prise sur l'arriussec, et non plus sur le canal du moulin. Il faut savoir que la plupart des signataires de la pétition demeurent dans les quartiers de Pon, Espalungue, Géteu, Goust et Gabas et qu'ils se trouvent à portée de sources où l'eau est toujours propre et claire. Ils ont cédé aux sollicitations de quelques esprits turbulents ennemis des améliorations utiles.”
Le conseil municipal persiste et sollicite l'approbation du projet.
Nouvelle source, majorations et adjudication.
Le 8 décembre 1844, il est annoncé en conseil municipal la découverte d'une source dans le lit même de l'arriussec, à l'eau toujours limpide, abondante, salubre et propre, à l'abri de malveillance et de pollution.
Elle se situe en amont du pont de Barthèque... Mais son branchement demande des frais supplémentaires, d'où une augmentation du devis. Finalement, les travaux seront attribués à Messieurs Casassus de Louvie-Juzon, et Lanne-Péré de Castet, pour la somme de 8.801.01 francs (un rabais de 15% est consenti par huit voix contre une).
Le 3 août 1845, on s'aperçoit que le canal d'évacuation de la fontaine n'est pas compris dans le devis. Par voie de régie, des dispositions sont prises pour que le canal soit réalisé entre le 4 et le 9 août aux frais de la commune, la dépense s'élève à 286.50 francs. Le sieur Jean-Baptiste Médevielle était le régisseur.
Le 4 août 1845, le conseil municipal, pour remercier dignement Monsieur Pierre Coudurat de ses libéralités à l'encontre de la commune décide d'inaugurer avec éclat la fontaine et d'organiser une fête publique, dont la date est fixée au 10 août 1845.
Une somme de 300 francs est votée pour offrir un bouquet de fleurs à Monsieur Coudurat, pour organiser un bal et distribuer des secours aux indigents de la commune.
Inauguration de la fontaine .
L'inauguration de la fontaine a lieu le 10 août 1845, en présence de Monsieur Pierre Coudurat. Après le chant « La haut sus la mountanhe » , Monsieur Cazaux, maire de Laruns, fait un discours, remerciant le généreux donateur et les divers exécutants du projet...
Pendant l'inauguration, on s'entretient au sujet de l'arrestation d'un habitant de la commune, soupçonné d'avoir cherché à briser la canal d'arrivée d'eau. L'affaire n'aura pas de suite.
Dans le Mémorial des Pyrénées du 20 août 1845, Monsieur Pierrine Sacaze, ami de Pierre Coudurat, fait paraître un article pour rassurer les gens de Laruns et leur montrer le bien-fondé de cette fontaine et la qualité de l'eau qui, dit-il est une des meilleure du canton, puisque été comme hiver elle est à 10° Réaumur, elle sort d'une roche schisteuse, la meilleure des roches, et le versant d'où elle s'écoule, l'orient, est la position la plus favorable pour une source.
Par contre, les eaux de diverses sources et de divers torrents sont, selon Monsieur Bourmingault, éminent chimiste, de digestion difficile; leur usage contribue à produire le goitre. L'arriussec est au nombre de ces eaux.
On sait que les prairies arrosées par ce torrent gâtent et causent aux brebis la terrible phtisie pulmonaire dite dans le pays “gutter” ou “entec”.
“
Cet article est précédé de quelques vers à la gloire de cette fontaine :
Dab Carrare que rivalise
Lou beroy marme de Brousset
Saludad la bère maynade
Que l'estiu guarde la frescou
E qui quoan la bise ey glaçade
Counserve que douce calou.
Cette fontaine dont “ las beres gerbes de cristaü et la faïçou bien admirade ” seront, dit-il, l'ornement de Laruns
Il n'y a aucune traces quand à la réaction de Monsieur Coudurat à l'accueil et aux remerciements qui lui furent réservés. Pourtant dans une lettre expédiée de Saint-Pétersbourg à Pierrine Gaston-Sacaze en date du 10 décembre 1845, on relève le passage suivant :
« Avec quel plaisir je revois toujours les lieux qui m'ont vu naître, mais hélas, je dois y renoncer peut-être pour toujours ; les ingrats, les méchants m'ont abreuvés d'amertume, mais ma conscience qui n'a rien à se reprocher est au dessus de la calomnie (sic)».
Il reviendra quand même en août 1847.
Le 15 novembre 1852, Monsieur Dumoulin, ami de Pierre Coudurat, demande qu'une inscription soit gravée sur la fontaine, qui rappelle le don en faveur de la commune de Laruns. L'autorisation est accordée à Monsieur le Maire par le Conseil municipal.
La Fontaine attend toujours... à l'occasion de l'inauguration de la fontaine de Laruns, Gaston Sacaze avait demandé à Xavier Navarrot de composer une chanson.
Sources
- André Frotté, publié dans le Cahiers de l'Académie des Vallées de 2008.
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