Né à Bagés-Béost dans la vallée d'Ossau, en Béarn, le 20 mai 1797, P. Gaston-Sacaze appartient à une ancienne et honorable famille de pasteurs.
En signe d'affection, on lui donna le nom du Pierrine (petit Pierre), qu'il conserve encore, et sous lequel on le connaît dans le canton.
Son éducation, au point de vue de l'enseignement, fut bien simple, car il ne fréquenta que pendant l'hiver l'école du village, depuis cinq ans jusqu'à douze. Les premiers éléments de la lecture, de l'écriture et du calcul, voilà tout son bagage littéraire et scientifique, au moment où il entra définitivement dans la vie pastorale.
Mais l'étincelle que Dieu a déposée dans son intelligence d'élite ne tarda pas à jaillir. Le génie demande qu'une occasion pour éclater et se révéler sous toutes les formes.
Sensible aux accords de la musique, sans maître, Gaston devient bientôt supérieur à ses frères qui, dans les moments de loisir ou en gardant les troupeaux, cherchent un délassement dans les sons du flageolet ou du tambourin.
Animé du feu sacré, au spectacle de la belle et puissante nature au milieu de laquelle il vit heureux et exempt d'ambition, il chante dans le langage des dieux, et il parvient à noter lui-même les airs qu'il adapte à ses chants.
Ses frères, dans une chasse dangereuse, se sont trouvés en face de l'hôte terrible des bois de Béost, devant un de ces ours qui souvent exercent d'affreux ravages. Intrépides, ils ont triomphé dans la lutte; et Pierrine ne craint pas d'essayer ses forces en peinture.
Avec le jus des plantes, il compose des couleurs ; le combat est représenté d'une manière saisissante ; et, à Bagès, on s'empresse pour visiter l'œuvre originale du nouveau peintre. Bientôt son talent se perfectionne, et, de ses pinceaux intelligents, il sort de délicieuses aquarelles.
Et comment notre jeune pâtre pourrait-il s'ennuyer dans son paisible et pittoresque hameau, au sein d'une famille dont il est l'ornement ? Ne sait-il pas d'ailleurs, après les travaux du jour, trouver un agréable délassement dans la lecture de quelques vieux livres qui lui tombent sous la main et qu'il dévore, sans en embrasser les erreurs ?
En 1825, une épizootie affreuse sévissant dans la vallée, les secours ordinaires deviennent inefficaces. Que fera Gaston sous la double influence de la philanthropie et d l'esprit investigateur ?
Tout-à-coup, par l'étude du manuel du Maréchal-expert, il se transforme en vétérinaire il devine les vertus de plusieurs plantes qu'il a sous la main ; et ses succès l'encouragent. Que faut-il de plus pour lui ? Sa vocation pour les plantes se déclare irrésistible, et le voilà botaniste.
Pour que, dans ses courses à travers les montagnes, ses observations commencent à être fructueuses, il lui suffira d'un petit herbier d'environ 150 plantes, qui lui sera communiqué par un honorable praticien d'Arudy, ami et allié de sa famille.
Vers 1834, il a le bonheur de s'attirer l'estime et l'affection de M. Bernard Cazaux, dont le nom mériterait d'être inscrit sur le marbre à côté ; de ceux de Darralde et de Moreau , M. Adolphe Moreau ; auteur d'un élégant et précieux ouvrage sur ossau, intitulé : Itinéraire d'un touriste, refondu en 1859 , avec la collaboration de son digne fils, sous le titre de « Pau, Eaux-Bonnes, Eaux-Chaudes. »
parmi les bienfaiteurs à qui la vallée doit la célébrité de ses eaux thermales. Ce pharmacien intelligent encourage notre pâtre-botaniste ; lui prête quelques ouvrages qui commencent à le familiariser avec la nomenclature ; l'aide de ses conseils dans ses explorations et le fait entrer en relations avec toutes les célébrités qui se rendent aux Eaux-Bonnes.
Initié aux premiers éléments de la langue latine par son frère aîné,Dans un admirable poème inédit, en deux chants, consacré par M. Fabien de Laborde à la description complète des montagnes d' Ossau, nous lisons les vers suivants :
« A dus pas de Listo, en baxan la couline, Sus l'aute tucoulet Bagez que se-p dessine, Bagez, petit hamèu, oun Sacaze Gastou Herboriste xarman analyse la flou, Obsèrbe tout, escriu, counsulte u baromètre Y deus montz deu besiau counex lou perimetre, Homi qui soul sé'struit, et que lous grans sapiens Ban bésita l'estiu, Anglès y Parisiens. Recebét dounc, Gastou, en passan ma bésite ; Qu'èy toustem gran plasé d'hoünoura lou mérite : En pe saludan bous, que saludi dap gay Deus d'Aste lou pastou, lou bénérable ray, Qui maugrat sous tribailhs cauque cop e s'amuse Deus poètes d'Ossau a cultiba la muse, Dens u petit brespé lauda sap a prépaus Las bertutz deus amics y de la houn s'Ixaus »
A deux pas de Listo en descendant la colline, Sur un autre mamelon se présente à vous Bagès Bagès, petit hameau où Sacaze Gaston, Herboriste charmant analyse les fleurs, Observe tout, écrit, consulte un baromètre, Et des monts du voisinage connaît le périmètre Homme qui seul s'est instruit, et que les grands savants Anglais et Parisiens, viennent visiter l'été. Recevez donc, en passant, ma visite, Gaston, J'ai toujours grand plaisir à honorer le mérite ; En vous saluant, je salue aussi avec joie Le pasteur d'Aste votre vénérable frère, Qui, malgré ses travaux, quelquefois se distrait A cultiver la muse des poètes d'Ossau ; Sait à propos louer, dans un simple goûter, Les vertus des amis et de la fontaine d'Ichaux. Le poète fait allusion, dans le dernier vers, à un chant gracieux inédit, dans lequel le frère de Gaston, ami comme lui de la musique et de la poésie, a décrit un repas champêtre avec quelques honorables Ossalois, à la source d'une délicieuse Fontaine du Bénou, de Bilhères.
curé d'une paroisse voisine,Aste-Béon. La famille de Béon si célèbre dans la Bigorre, tire son origine du village de Béon en Ossau. « On a en Guienne, dit l'abbé de Seguenville histoire de Faudoas, une idée si avantageuse de la maison de Béon qu'on lui donne pour souche un puiné des vicomte de Béarn, qui, ayant eu et la vallée de Béon, en prit le nom et en conserva les armes.» Il est surprennent que M. de Marca ait ignoré ce trait. Raymond Roger, comte de Foix, prit la qualité d'oncle d'Arnaud-Guilhem, seigneur de la vallée Béon, dans un titre écrit à Mazères, le 19 novembre. 1204, et établit Philippe de Béon capitaine gouverneur du pays de Foix. qui sait unir l'aimable et utile étude des lettres et des sciences aux œuvres du zèle ecclésiastique, Gaston parvient à lire bientôt Linnée et les autres traités de botanique.
Depuis ce temps, à l'époque de la station thermale, il se fait le cicérone de tous les botanistes, qu'il accompagne dans les
divers quartiers d'Ossau. Sous la conduite des maîtres de la science, ses connaissances devinrent sûres, nettes et fécondes ; et déjà, en 1840, il possédait un admirable herbier renfermant trois mille plantes, parfaitement disposées dans d'énormes in folio, peintes et coloriées par lui même ; et sa collection de lichens, commencée à cette époque, se composa bientôt de 600.
En 1843, il publia un remarquable travail sur la flore ossaloise, dans la Revue des lettres et des sciences de Pau, et parmi ces plantes, on en trouve une dont le nom perpétuera celui de Gaston ; car le célèbre botaniste anglais Bentham l'a nommée : Lithospermum Gastonis,Lithospermum-Gastonis
Le champ de la botanique étant exploré, il faut nécessairement un autre élément à cette intelligence vive et curieuse, à cet esprit scrutateur qui ne peut rien laisser d'inexploré, au milieu de la nature séduisante et grandiose qui veut se révéler à lui.
Malgré les travaux consciencieux et les savantes recherches Palassou, la géologie, d'Ossau est encore for défectueuse, elle réclame un interprète fidèle. Eh bien, elle le trouvera dans Gaston.
Pendant plusieurs années, le marteau à la main, muni de tous les instruments nécessaires, il parcourt nos belles montagnes, seul ou avec des savants, à l'époque de la station thermale. Là, il se livre avec autant d'intelligence que d’obstination à l'étude des terrains et des fossiles qu'ils recèlent dans leur sein. Et ce ne fut pas sans un sentiment de légitime orgueil pour Ossau que nous pûmes lire, dans le numéro du 30 décembre 1843 du Mémorial des Pyrénées une intéressante communication relative aux premiers résultats des études géologiques de notre compatriote.
« Nous pouvons assurer qu'avant les recherches de M. Sacaze, la paléontologie de la vallée d'Ossau était nulle. » (Observateur des Basses-Pyrénées, . n° du 15 janvier 1844.)
Et ailleurs, on lit dans un autre numéro du 25 février 1844 : « M. Sacaze a adressé à M. Mermet, chargé du cours public de géologie, une collection à peu près complète des roches qui constituent les grands massifs de la vallée d'Ossau.. Cet infatigable naturaliste a joint à son envoi un échantillon de chacun des fossiles que, le premier, il a découverts dans nos montagnes.
Depuis 1835, pas un savant ne vient à Bonnes sans faire l'ascension de Bagès, et visiter le cabinet scientifique du pâtre naturaliste. Les dames, mêmes sont heureuses de pouvoir être introduites dans le laboratoire de ce modeste savant. Rien de plus poli, de plus franc et de plus cordial que son accueil. Sa conversation est des plus aimables, et au lieu des obscurs aperçus d'une science rebutante, on est toujours sûr de trouver, dans la bouche du spirituel Ossalois, les explications les plus simples et les plus claires.
Les familiers sont même initiés quelquefois à sa correspondance, qui contient les noms de presque toutes les célébrités scientifiques. Rien de plus curieux et de plus instructif à la fois que cette collection d'autographes.
A l'encontre de beaucoup de savants, il ne fait ni mystères ni parade de ce qu'il a appris. Il ouvre tous ses trésors ; et, en le quittant, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer de sa modestie, de son esprit ou de son instruction.
Quant à nous, ce qui nous a le plus frappé, c'est la franchise avec laquelle Gaston-Sacaze se montre tel qu'il est, sans la moindre affectation, sans prétention au langage recherché. Esprit fin et délicat, il sait rester simple ; apprêté, visant à l'effet, il perdrait tout son prestige : c'est le savant de la nature !
Ceux qui n'ont pas eu le bonheur de le voir trouveront une exacte reproduction de sa belle et fine physionomie dans le portrait dessine, en 1842, par M.A.G. Houbigant.
Il est de la race des Ossalois primitifs Voici une curieuse lettre inédite du duc de Gramont aux Jurats de la vallée d'Ossau, en date du 22 avril 1667. Nous l'avons découverte en 1858, en faisant le dépouillement des archives :
Messieurs, faisant recherche de quelques hommes bien faits et propres servir le Roy dans le régiment d'infanterie de M. le duc de Chevreuse, gendre de M. Colbert, je vous ai voulu faire cette lettre pour vous prier de faire recherche en Vtre destroict de deux des mieux faicts, et qui volontairement veuillent aller au service et de me les envoyer au plus tost, vous ne sauriez me faire un plaisir plus considérable. Vre affectionné à vous servir, Messieurs, Le D. de Gramont. (Archives de la vallée d'Ossau)et tous les membres de sa famille se distinguent par la grandeur de la taille, la proportion des membres et la mâle beauté des traits.
Pour ce qui regarde les qualités de son esprit et son cœur, on ne saurait mieux les peindre que ne l'a fait un illustre représentant du syndicat d'Ossau, M, le chevalier Pascal d'Espalungue, de Louvie-Juzon, dans la lettre suivante :
Mon très cher et trop modeste Ossalois,
« J'ai vivement regretté de ne pas m'être trouvé chez moi, lorsque vous prîtes la peine d'y venir. A mon retour, l'on m'a remis votre carte de visite, dont je ne puis accepter les expressions beaucoup trop flatteuses que comme témoignage d'une bienveillance que je sais trop apprécier pour qu'elle n'excite
pas ma vive reconnaissance. Toutefois, mon cœur joyeusement ému, reconnaît comme vrai ce que vous me dites de mon dévouement absolu aux intérêts de la vallée.
J'ai aussi à vous remercier du long travail dont vous avez bien voulu vous occuper pour moi. Au moyen de l'ingénieux et lucide panorama de nos chères montagnes et de la légende explicative que je dois à votre obligeance, je me trouve savamment documenté, et, mon âge ne me permettant plus l'action, je puis parcourir idéalement des localités que, dans ma jeunesse, j'abordais avec une délicieuse mais ignorante ardeur.
Je crois avoir lu tout ce qui, depuis Palassou jusqu'ici a été publié sur les Pyrénées : l'ouvrage dont la lecture m'a le plus satisfait, est celui dont M. Chausenque est l'auteur, parce qu'en lui se résument le compilateur éclectique et l'observateur éclairé.
Je remarquai, en examinant vos livres, que cet ouvrage vous manquait. C'est une lacune que je viens vous prier de me permettre de remplir, en vous suppliant d'agréer un exemplaire soigné de cet estimable ouvrage.
Je désire que ma trop faible offrande vous soit agréable. Continuez, mon cher compatriote, vos utiles et savantes observations, mais faites que, profitables au public et à la science, elles honorent aussi notre gracieuse vallée. Pour mon compte, je désirerais que tout ce que vous avez écrit sur nos belles montagnes, réuni à la flore Gatonia ossaloise, formât un ensemble à livrer à l'impression. Votre éditeur ferait une bonne spéculation : tant je suis convaincu que nombre d'éditions s'écouleraient rapidement. Tel est mon patriotique vœu, exempt de toute flatterie.
Je ne finirai point sans vous dire combien me sont précieux les liens qui m'attachent à la commune de Béost. Une vieille tombe, existant encore dans l'église témoigne de leur ancienneté ; je me plais aussi à rappeler les bons et ossalois rapports que j'ai eus avec votre spirituel et respectable père, que j'ai pu saluer, assis sur son banc de pierre, exposé au soleil dans sa belle, pure et extrême vieillesse.
Agréez, mon cher Gaston, avec la nouvelle expression de ma reconnaissance, celle de mes sentiments les plus dévoués.
D'ESPALUNGUE. « Louvie, le 16 juin 1845 »
Il s'avère être un personnage hors du commun, le Phénomène.
Il est intelligent, studieux, il écrit des chansons et joue de la flûte et du violon. Il est musicien et félibre, il a fait un recueil de chansons introuvable de nos jours, et écrit quelques carnets de notes manuscrits sur diverses statistiques de la commune de Béost tel que : Les forêts, les pacages, les rendements de bétail, les sols, les landes du Pont-Long, les maladies du bétail, les fossiles, la météorologie, la topographie, la botanique, et l'économie agricole de la vallée d'Ossau de 1852 à 1862.
Pierrine Sacaze Gaston est décédé à Bagès le 18 février 1893, à l'âge de 96 ans.
Les Ossalois perdaient alors, sans le savoir, l'homme sans doute le plus remarquable de leur pays et de leur histoire.
Sources
- Mr et MM HOUBIGANT, Journal de voyage de Paris aux Eaux-Bonnes, fait en 1841
- Photos, BM Pau, Collections particulières
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