La vallée d'Ossau :              
                 Culture et Mémoire



SOUVENIRS DES PYRÉNÉES
En Vallée d'Ossau


Eaux-Bonnes, le 15 juillet 1838.

      MON CHER AMI,

    Après le plaisir de voir de nouveaux pays, il n'en est pas de plus vif, pour un voyageur, que celui de retracer les impressions qu'il a éprouvées, que de redire les émotions qui l'ont agité à la vue de ces beautés naturelles que la main de Dieu a semées avec tant de prodigalité. Je comprends l'enthousiasme, j'excuse la prolixité souvent fatigante d'un narrateur de voyages, car raconter, c'est voir une seconde fois les objets ; et quel est celui qui n'aime pas à fouiller dans ses souvenirs ?

    Que ce début ne vous effraie pas, mon ami ; je ne suis ni, un touriste anglais, ni un écrivain romantique ; je n'abuserai donc point de votre imprudente demande. Vous avez voulu des détails sur mon excursion dans les Basses Pyrénées ; j'ai promis de vous les donner sans trop savoir à quoi je m'engageais. Je pourrais maintenant vous écrire de quoi composer un fort beau volume in octavo ; mais, par amitié pour vous, par intérêt pour moi, je retiendrai mon imagination vagabonde, et je me bornerai à vous envoyer une esquisse, au lieu du grand tableau que tout autre, moins scrupuleux, vous eût adressé..

     Mon but, vous le savez, était les Eaux Bonnes. Or, pour arriver à cet endroit, que je ne sauvais vraiment qualifier, car ce n'est à proprement parler ni un hameau, ni un village, encore moins un bourg ou une petite ville, il a fallu franchir 255 lieues. C'est aller chercher bien loin la santé, n'est ce pas ? Mais d'autres vont encore bien plus loin courir après la fortune, et ces derniers ne sont certes pas les plus raisonnables. . . . . De Paris aux Eaux Bonnes, la route est agréablement coupée par Orléans, Blois, Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux, Mont de Marsan et Pau. Chacune de ces villes mérite un repos de quelques jours, car, dans toutes il y a de vieux débris des anciens âgés qu'il est aussi curieux qu'instructif d'explorer. Les uns sont en vélin, les autres en pierre, et ces derniers ne sont ni les moins nombreux, ni les moins intéressants.

    Ce qui m'a le plus vivement impressionné, c'est le château d'Henri IV à Pau. Cet antique et pittoresque édifice qui domine la basse ville, n'est qu'une masse irrégulière, flanquée de tours et de pavillons inégaux ; mais sa position au dessus de la plaine du Gave et en face de l'amphithéâtre de coteaux et de montagnes servant de contre forts aux masses gigantesques des Pyrénées qui ferment l'horizon, mais les souvenirs qu'il réveille, en font un monument des plus imposants. Ce n'est pas sans une émotion profonde que j'ai parcouru les salles nues et délabrées où les anciens rois de Navarre tenaient jadis leur cour ; que j'ai vu la grande tour carrée où est né Henri IV. Ce vieux castel me semblait encore retentir de ce chant de douleur que la courageuse Jeanne adressait au ciel

Nouste Dame deou cap deou poun,
Ajudat me ad, aquest'hore !
Prégats aou Diou deou ceou
Quern bouillé bié déslioura leou,
Du mainat qui'm hassi lou doun !
Tout din qu' aou haout del mouns l'implore ;
Nouste Dame deou cap deou poun,
Ajudat me ad, aquest' hore!

     Croiriez vous que le souvenir du grand homme n'a pu préserver ces murs de la rage des Vandales de 93 ? Partout, sur tout, ils ont laissé des traces profondes de leur passage ; et ce n'est que par miracle que quelques jolies arabesques ont seules échappé à leur marteau destructeur. Je ne comprends pas comment Napoléon, qui s'est toujours plu à honorer la mémoire des illustres enfants de la France, n'a pas restauré cette antique demeure des princes de Navarre, ce berceau d'un brave guerrier qui sut si bien mériter le nom de Roi du peuple. Pendant plus de vingt ans, le château fut converti en une ignoble prison et en un dépôt pour les troupes. La Restauration ne se montra pas plus soigneuse que l'Empire de la conservation de ces nobles débris ; elle en éloigna seulement les soldats, et Louis XVIII y envoya la statue en marbre d'Henri IV, faite durant la vie de ce prince, et que par bonheur on avait conservée aux Petits Augustins pendant la révolution. Notre roi actuel s'est chargé de réparer les fautes de ses prédécesseurs, et bientôt le château sera rétabli tel qu'il était du temps du Béarnais. Déjà un pont est construit par ses soins pour unir le château avec ce qui reste du parc où le jeune Henri prenait le plaisir de la chasse, et où actuellement les bons bourgeois de Pau vont faire jouer leurs enfants. Dans la seule pièce qui soit en bon état, dans cette immense demeure, on conserve avec respect, sous un trophée chargé d'or et d'azur, la grande écaille de tortue qui servit, dit on, de berceau au bon Henri, et le couvert, maintenant dédoré, dont il fit usage dans sa jeunesse. De méchants esprits voulurent me persuader que ces reliques n'avaient jamais servi qu'à l'habile royaliste qui, aux premiers jours de la restauration, assura les avoir conservées dans son castel ; l'hommage qu'il en fit à la famille royale lui valut les bonnes grâces de la Cour. Je repoussai ces perfides insinuations, car pourquoi perdre, de gaîté de cœur, les innocentes illusions qui poétisent ce qui nous entoure ? Le scepticisme gâte tout et dessèche le cœur ; la crédulité et la foi ne valent elles pas mieux, pour notre bonheur, que la triste et désespérante réalité ?

    Si je m'amuse ainsi en chemin, vous devez craindre, ami que je n'atteigne jamais les Eaux Bonnes. Rassurez vous je me mets en route et je ne bavarderai plus. Cependant, le chemin qui conduit de Pau à l'établissement thermal où la santé m'attend, est si beau et si pittoresque, que je ne puis résister au désir de vous en dire quelques mots. Après avoir traversé la petite rivière de Nés et abandonné le charmant vallon que bordent les riches coteaux de Jurançon, si connus des gourmets, on entre dans une gorge où la route plus rétrécie et plus sinueuse est rafraîchie par un cours d'eau qui murmure à l'un de ses bords. Déjà les montagnes sont plus hautes et plus abruptes, les aspects plus sauvages, et à chaque coude que fait la route on aperçoit la masse imposante du Pic du Midi dont le sommet, couronné de neige, semble s'élancer dans les airs et vouloir frapper de sa tête orgueilleuse les nuages qui se balancent mollement à peu de distance de ses crêtes dentelées. Au dessus de Rebenac, et dans une situation délicieuse, on aperçoit le château de Bitaubé, le traducteur d'Homère, à peu de distance, on traverse le village de Sevignac, et bientôt on se trouve sur un plateau d'où la vue plonge sur la délicieuse vallée d'Ossau, dont le nom Ursi saltus, "bois de l'ours", indique quels furent autrefois ses premiers habitants. Cette vallée, de quatre lieues d'étendue, est parsemée de villages, les uns assis au bord du Gave qui la parcourt, les autres plantés sur le penchant des monts qui la bordent tous, d'ailleurs, dans une position si pittoresque, qu'il semblerait qu'un peintre a présidé à leur distribution. Les principaux sont : Louvie, où les voyageurs s'arrêtent pour manger d'excellentes truites pêchées dans le Gave d'Oloron ; Iseste, patrie du célèbre médecin Théophile Bordeu, qui, dans le cours du dernier siècle, mit en réputation les eaux sulfureuses des Pyrénées, et surtout les Eaux Bonnes ; Castets, où l'on voit encore des restes du château de Castel Jaloux que Gaston Phœbus fit bâtir, et où se tenaient jadis les assemblées d'Ossau ; Bielle, dont l'église est ornée de trois belles colonnes ; Louvie Soubiron , qui possède de belles carrières de marbre blanc exploité pour la décoration et la sculpture ; enfin Laruns, dernière cure française, où finit la vallée.

    J'ai oublié de vous dire qu'auprès d'Iseste, il y a une fort belle grotte, ornée de nombreuses stalactites ; mais déjà les amateurs ont défiguré cette jolie caverne, en brisant les longues aiguilles qui pendaient de sa voûte humide. Les amateurs, voyez vous, c'est pire que la fameuse bande noire qui a fait jadis une guerre si acharnée à nos vieux châteaux !

    De Laruns aux Eaux Bonnes il y a à peu près une lieue, mais il faut plus d'une heure pour parcourir ce trajet, car la route s'élève toujours. Grâce à M. de Castellane, ancien préfet des Basses Pyrénées, c'est une promenade charmante, dont M. Nisard a donné une si jolie description, que je ne puis résister au désir de substituer sa prose à la mienne : vous m'en remercierez. Voici comment en parle cet écrivain distingué :

     "Le chemin qui conduit aux Eaux Bonnes passe à travers des prés et d'autres cultures. Il monte doucement, avec précaution, éludant les difficultés que lui présente la montagne ; il tourne ce qu'il ne peut pas franchir ; il serpente, il fait des zigzags, et revient sur lui même ; quelquefois même il descend pour pouvoir remonter à un meilleur moment. Ce chemin, c'est la pensée de l'ingénieur qui a consulté tous les mouvements du sol. Ces mouvements sont infinis. De loin, ce revers de montagne présentait l'aspect d'une surface unie, formée de grandes lignes régulières ; de près, le sol change de face en un instant. Au lieu de grandes lignes, vous avez des brisures à l'infini. Rien de plus souple ni de plus capricieux que le dos de ce géant. La terre végétale recouvre des hauteurs que l'on croirait des rochers arides ; ailleurs, le rocher prend la place de la terre végétale, et vous voyez des surfaces planes sans un brin d'herbe, et des escarpemens revêtus de prairies. L'homme, dans son travail, fait avec la terre des angles de toute grandeur ; tantôt l'angle est si aigu, qu'il semble que la tête de l'homme soit aussi près de la terre que ses jambes ; tantôt si obtus, qu'on dirait qu'il va tomber à la renverse. Le centre de gravité se déplace tous les dix pas. Ici, l'homme est perpendiculaire au sol ; ailleurs, le sol fait un cercle dont l'homme est la corde. Pour couper les prés, le montagnard se sert tour à tour de deux instruments : la serpe et la faux. Là où le sol est courbe, il emploie la serpe ; là où le sol est droit, il emploie la faux. Les vieux se chargent des parties planes ou des pentes très douces ; les jeunes, des parties escarpées, des pics de terre, où l'on ne peut atteindre qu'en gravissant. Souvent l'herbe a la pointe en bas, et les arbres se projettent horizontalement sur la terre, au lieu de s'élancer vers le ciel.

     "Sur le revers de la montagne opposée, au delà du torrent, l'aspect n'est plus le même ; le sol est plus égal et la pente du mont moins coupée d'accidents. Des prairies montent et s'étendent librement sur cette montagne, qui paraît se baisser pour appeler les travaux des hommes. D'intervalle en intervalle, s'élèvent des granges pour recevoir les récoltes. Quelques unes sont à une hauteur où les nuages se traînent pesamment les trois quarts de l'année. Les montagnards ont pris sur le désert tout ce qu'ils pouvaient prendre ; plus haut, il n'y a que l'aigle qui puisse respirer. Quelques uns pourtant ont essayé de passer cette espèce de ligne au delà de laquelle l'herbe même ne pousse plus, et ont tracé, à grands frais de temps et de sueurs, les limites de leurs champs nouvellement conquis ; mais ces champs ne produisent rien. Les brouillards, noircissent les pierres péniblement apportées pour les enclore, mais ne fécondent pas un sol ingrat.

     "En bas coule le torrent, sous une voûte de hêtres et de buis. On ne le voit pas, mais on l'entend, et son bruit incessant vous accompagne jusqu'au village appelé les Eaux Bonnes.

     Nous voici au but du voyage. Il est juste de nous reposer. A demain la description du village, qui, de ce côté, est la dernière limite habitée par des compatriotes. L'Espagne est au delà !

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puce    Sources
  • Girardin, Souvenirs des Pyrénées, 1838
  • Photos, BMVR Toulouse, Collections particulières
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