e 6 avril le maire d’Eygun annonce au conseil général des Basses-Pyrénées que les Espagnols ont 15000 hommes entre Jaca et Sainte-Christine.
Il demande « la réparation du petit fort appelé le Portalet qui est tombé en ruines, des canons, une compagnie de canonniers, d'autres compagnies de troupes de ligne ou de volontaires, pour renforcer trois compagnies de volontaires du Lot-et-Garonne qui se trouvent dans cette partie, enfin des armes pour la Garde Nationale ». Le conseil général répond par de bonnes paroles et l’annonce de l'arrivée prochaine à Oloron des représentants en mission.
Au conseil lui-même, le général Lacuée répète les assurances déjà prodiguées aux autorités civiles : « Je crois bien que les Espagnols auront envie d’entrer en France, mais, je vous le répète, je ne crois pas qu'ils l’osent et s’ils faisaient cette folie, je ne doute pas qu 'ils en fussent les mauvais marchands » il fondait son optimisme sur la nécessité pour l’ennemi de tirer ses vivres de Pampelune et de les faire venir à dos de mulet, en raison de la pauvreté du pays en cette saison où les réserves de vivres, surtout de grain, tiraient à leur fin et alors que les cols étaient encore encombrés de neige.
Lacuée signalait « le danger de faire lever trop vite les citoyens dans votre département et dans ceux qui vous environnent ».
Mais, dès le 8, le demi-bataillon du Lot-et-Garonne en position dans le district, est rappelé et quitte Oloron pour la droite de
l’armée.
Le 4 mai, une alerte, vraie ou provoquée, met en émoi le département voisin.
Le procureur Syndic des Hautes-Pyrénées, mandait à son collègue de Pau « la hauteur à laquelle l’esprit public des administrés est généralement monté. » Il ajoutait : « J’ai vu hier que nous aurions fait marcher 30000 hommes dans 24 heures. J’ai vu tous les habitants des campagnes se porter à Tarbes et à Lourdes sans aucune réquisition et à la seule nouvelle de l'alarme. Tout le pays de montagne était armé. La route de Barèges ne pouvait contenir tous les hommes qui se portaient à la frontière.
La Garde Nationale, au lieu de 200 hommes, nous en fournit 500. Il partit de Lourdes 2000 hommes. »
Cette démonstration de force et de bon esprit rassure tout le monde, mais les actions du 30 avril et du 1er mai à Sarre, montraient la fragilité des nouvelles levées. Le 6 juin, l’échec de Château-Pignon souligna encore notre faiblesse. Le 22 juin Servan reprend l’avantage. Les jeunes troupes acquièrent à leur tour l’aplomb et la solidité de leurs aînés. Mais on conçoit que le générai en chef, justement préoccupé du secteur de droite, appelle à lui toutes les forces disponibles.
Le 4 juin, l’adjudant-général Junker annonce aux administrateurs du district d’Oloron que les quatre compagnies qui étaient dans la vallée d’Aspe sont dirigées sur Saint-Jean-Pied-de-Port. Il les invite à organiser la défense de la vallée avec les troupes en réquisition qui sont à Oloron : « Je vous prie de m’indiquer un homme capable de les commander et qui ait la confiance du pays. Je lui ferai accorder le grade qui conviendra à son commandement et je donnerai de suite des ordres pour que les dites troupes soient payées sur le pied des autres troupes de la République. »
Cet officier paraît avoir été le citoyen Couture, capitaine de la légion des Montagnes. Nommé à ce commandement par Féraud, cet
ancien officier, redevenu le chevalier Couture, réclamera le poste de commandant de la vallée d 'Ossau à tous les régimes. Il se larguera plus tard d’avoir fait reconnaître Louis XVIII à la tête de la cohorte de Gardes nationales de la vallée d’Ossau qu’il semble avoir aussi commandée sous l’Empire, incarnant remarquablement le patriotisme local et la vieille tradition d 'auto-défense.
Les troupes de ligne espagnoles sont difficiles à suivre en l'absence d’ordres de bataille détaillés connus. Cependant, grâce aux historiques régimentaires de Clonard et d’Ordovas, on sait que le régiment de Saragosse resta sur cette frontière pendant toute la campagne, trois bataillons du régiment des gardes Wallonnes figurent à Lescun. Le 3e bataillon du régiment de la Princesse fut employé aux avant postes dans la vallée de Tenna. Il prit part à l’attaque de la Caze de Broussette.
Mais, relevé ensuite, on le retrouve, en novembre 1793, devant Irun. Certaines de ces troupes ont eu un équipement spécial. En effet, le 1er bataillon du régiment de Guadalajara, affecté à l ’armée d’Aragon, reçut à Saragosse, où il déposa ses capotes, un habillement de campagne comprenant une veste courte, la demi-botte au lieu de guêtres, un pantalon de laine brune au lieu de la culotte, et un poncho aussi de laine brune, qu’il portait encore en Allemagne en 1807.
On note encore les régiments d ’infanterie d ’Aragon, de Murcie, Farnese et Provincial de Tolède, le régiment de cavalerie de Bourbon, des corps francs, comme les Mignons de Saragosse, les volontaires d’Aragon et ceux de Barbastro.
Les correspondants de Sobirats lui tracent un tableau pittoresque des opérations des gardes Wallonnes et de l'armée d'Aragon. C’est une ambiance de manœuvres plutôt que de guerre. La barrière neigeuse donne à tous une grande sécurité.
« On a enrôlé une innombrable multitude d’Aragonais pour le soutien de la monarchie et de la religion. Cette jeunesse volontaire
refuse d'être rangée sous les drapeaux des régiments de ligne, ne veut entrer que dans des compagnies franches, et sera bientôt plus propre à entraver les opérations qu’à les accélérer. On ne saurait mieux comparer cette troupe qu’aux gardes nationales de nos voisins, excepté le motif qui est différent »
.
« On nous a fait venir en poste dans ce maudit village où nous sommes depuis hier soir pour nous opposer aux entreprises
des Français. Ceux-ci venaient d’envahir le Val d’Aran. »
Comme la haute chaîne était couverte de neige, les passages étant impraticables de la vallée de Roncal à Venasque, le gros de
l’armée d’Aragon se concentrait naturellement vers la droite de son dispositif, la limite Aragon-Catalogne, pour les armées comme pour les provinces, étant la Noguera.
« Vaillamment, nous avons marché à leur rencontre avec le Généralissime et un pieux prélat à notre tête. Le second me paraît
plus nécessaire que le premier, car il nous fait avoir des vivres et nous prodigue maintes bénédictions. Nous n’avons vu ni ne verrons aucun ennemi. Nous irons prendre un quartier de printemps dans la ville de Huesca où l’on doit placer le futur quartier général. Notre armée est plus fertile en projets qu’en soldats. Il ne manque cependant pas de grands génies qui disposent une entrée triomphale à Toulouse etc. Il n’y a cependant pas quatre jours qu’on ne savait où trouver des munitions et des hommes pour se défendre. Ainsi vont les choses de ce monde. »
La crise d’effectifs était si grave, que le 9 avril 1793, le Roi fit savoir aux contrebandiers, euphémisme pour désigner des personnages beaucoup plus turbulents, qu’il les admettrait dans ses troupes pour six ans et pour huit, s’ils avaient été homicides pour défendre leurs personnes et leurs biens, à condition que les ayants droit des victimes n’aient pas porté plainte. Quelques « contrebandiers » de la Sierra Guadarrama répondirent à l’appel pour profiter de l’amnistie offerte. On trouve un détachement de « contrebandiers » à l’affaire de Broussette.
Une longue paix consacrée par le pacte de Famille si heureux pour les méditerranéens, avait amené les élites des deux pays à se
connaître, à s’estimer. Des Français servirent en Espagne l’ancien idéal monarchique commun.
Sur cette frontière, aucun des anciens alliés n'a rien préparé pour la guerre.
Malgré l’indignation populaire, facile à exciter, des centaines de prêtres réfractaires, bien reçus en Aragon, montrent que c’est bien la passion religieuse et politique qui anime les populations, bien établies, elles aussi, dans la paix traditionnelle. Le commandement est inquiet, du moins soupçonneux.
« Le Général de l’armée française est, dit-on, un Monsieur Martin marchand de mules qui, toute sa vie, a fait le commerce dans
ce pays et le connaît mieux que le sien. Il a nombre de partisans et on vient d’arrêter à l’instant des gens du pays que l’on soupçonne être d’intelligence avec lui. J’ignore si c’est avec quelque fondement, mais puis vous assurer que nous n’avons pas été accueillis ici aussi bien qu’aiîleurs où on nous regardait comme les sauveurs de l’Aragon.
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Sources
- Colonel Bernard DRUENE, Les débuts de la campagne de 1793 aux Pyrénées centrales, et le combat de la Caze de Broussette
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