AUX BÉARNAIS
’est pour vos enfants que j’écris ce résumé de notre histoire. Ils ne
dédaigneront pas peut-être de lire des pages rapides, substantielles, où j’ai voulu condenser à leur usage beaucoup de choses en peu de mots. Ils verront que j’ai essayé, pour tout dire, de tout abréger. Ài-je réussi ? Je ne le sais point. En tout cas, j’ai cru que ce livre leur manquait, et ils me pari donneront si je prends la liberté de leur demander, comme dédommagement de mon travail, la grâce de beaucoup aimer le Béarn où ils sont nés. Qu’ils soient Béarnais jusqu’aux plus intimes profondeurs de leur être, c’est le meilleur vœu que je puisse former dans leur intérêt et pour leur gloire : ils sont sûrs alors d’être d’excellents chrétiens et de bons Français.
Presbytère de Féas, ce 10 septembre 1875.
CHAPITRE I
Coup d’œil géograpfique — Temps primitifs
e BÉARN occupe peu de place sur une carte géographique. Il n'est pas seul à former, depuis 1790, le département des Basses-Pyrénées.
Il y contribue simplement pour sa part avec la Soûle, la Navarre , le Labourd , la Chalosse
et l’Élection des Landes. Sa configuration est petite : il ne mesure pas au delà de vingt-cinq lieues du nord au sud, ni de quinze lieues de l’est à l'ouest Le Béarn était borné au nord par le Bas-Armagnac, le Tursan et la Chalosse ; à l’est, par le Comté de Bigorre ; à l'ouest, par une partie de la Soûle, de la Basse-Navarre et par la prévôté de Dax ; au
sud, par les Pyrénées, c’est-à-dire par les montagnes d’Aragon d’un côté et par celles de Roncal en Haute-Navarre d’un autre côté. mais il est couché au soleil sur des terres charmantes, fertiles, accidentées ; il y a en ce monde peu de pays où une plus suave lumière s’allie à un climat plus tempéré, plus délicieux, et son histoire est pleine de souvenirs ineffaçables dont s’enorgueillissent ses habitants.
Que nous soyons nés dans les austères solitudes de nos montagnes ou parmi les fleurs embaumées de nos plaines, est-ce qu’il y a vraiment lieu de s’en préoccuper ? La patrie est toujours belle à nos yeux. Encore ornée des parfums et des harmonies que la nature lui prodigua à son origine, elle a reçu de la main des siècles une couronne de pierreries étincelantes, de joyaux merveilleux que nous remarquerons avec amour sur son front maternel, et nous sommes fiers, à bon droit, d’être Béarnais.
Au début de la seconde guerre Punique (218 ans avant J.-C.) Annibal traversa la vallée d’Aspe pour se rendre à Rome ; c’est le plus ancien fait que nos annales particulières puissent enregistrer. On assure même que les Carthaginois auraient forgé à Urdos leurs armes les plus redoutables.
Après la conquête des Gaules par César et de l'Aquitaine par Crassus (59 ans avant J.-C.) les Romains ont laissé, dans des médailles et des mosaïques, des traces irrécusables de leur domination. Il faut noter toutefois que Crassus ne réussit point, pour sa part, à dompter les peuplades béarnaises ; César, contraint de se présenter lui-même à la tête de forces considérables, finit, seul, par soumettre ces nouveaux Vercingétorix, dont le plus grand plaisir était de tenir en échec des légions jusqu'alors invincibles.
Sous Auguste, à peu près vers le temps où Jésus-Christ vint au monde dans une obscure bourgade de la Judée, eut lieu une révolte qui fut étouffée par le proconsul Messala. Au premier siècle de l'ère chrétienne, sous Vespasien et sous Tite, Pline le Naturaliste est le premier des anciens auteurs qui ait mentionné les Béarnais. Il les nomme Venarni ; ce qui, par le changement très usité de la première lettre, équivaut à Benarni. Sous Adrien (117 ans après J.-C.) le Béarn faisait partie de la
Novempopulanie. Enfin, l’itinéraire d’Antonin relate, parmi les villes qui existaient à cette époque, Iluro qui est devenu Oloron, et Benearnum qui donnait à tout le pays le nom de Béarn.
Les Béarnais restèrent plus de cinq cents ans sous le joug des aigles romaines. Lorsque arriva l’invasion des Barbares, les Alains, les Suèves, les Vandales, ne firent que promener en Béarn leurs sanguinaires dévastations ; les Wisigoths s'y établirent, au contraire, sous la conduite d’Evaric, avec l'arianisme dont ils étaient infectés. Néanmoins, la Providence
veilla à ce que le Béarn ne fût pas hérétique avant même d’être définitivement constitué. Saint Julien, évêque de Bénéarnum, enseigna sans relâche aux Béarnais la foi catholique, et, pendant que saint Galactoire succédait à ce zélé pontife, saint Grat, né à Lichos, siégeait à Iluro.
On trouve la signature de ces deux derniers évêques au concile d’Agde, tenu en 506. Plus tard, saint Grat alla mourir à Jaca ; mais ses reliques sont revenues à Oloron où elles sont l’objet de la vénération la plus populaire et saint Galactoire fut martyrisé par les Ariens, qui lui tranchèrent la tête en haine de son ardent apostolat. Rien pourtant, au fond des Pyrénées, n’était aussi nécessaire que les consolations de la foi en Jésus-Christ. Partout régnait une confusion affreuse.
Les Wisigoths, en se rendant maîtres du Béarn, l’avaient détaché de l’empire romain ; à son tour, Clovis l’enlève aux Wisigoths, en tuant de sa main Alaric, premier fils d’Evaric (507) ; mais, sous les successeurs
efféminés de Clovis, les Wascons viennent l’occuper. Cette usurpation, ainsi que celle de la Gascogne, entraîne une guerre de deux siècles entre les Wascons et les Francs.
Témoin consterné de collisions sanglantes, notre pays ne respirait pas, lorsque, au milieu du VIIIe siècle, pour comble de misère, les Sarrasins entrèrent en France par le Béarn. Ces exécrables Maures donnèrent naissance parmi nous à la race actuellement éteinte des Cagots.
Ce fut un soulagement de courte durée quand ces féroces ravageurs succombèrent à Tours devant la bravoure de Charles-Martel. Ligués ensemble, les Bigourdans et les Béarnais achevèrent de les mettre en déroute à Ossun, et les refoulèrent au delà des Pyrénées d’où ils ne sont pas revenus.
Ici se placent des événements importants.
Tandis que les rois fainéants laissaient occuper leur trône par Pépin le Bref sans le lui disputer, les ducs de Gascogne se montraient plus dignes de Clovis dont ils étaient issus. Batailleurs terribles, toujours prêts à se soulever contre la nouvelle dynastie qui supplantait leur race en France, ils ne virent point sans déplaisir Charlemagne traverser le Béarn pour se rendre sur les bords de l’Èbre, et ils applaudirent à la défaite de Roland au val de Roncevaux, à cette immortelle épopée du courage malheureux que les romanceros nous ont transmis avec ravissement. N’est-ce pas par son insoumission que le duc Loup-Centulle s'attira toutes les rigueurs de Louis le Débonnaire ? Il fut dépossédé de ses États et banni. Mais, loin de confondre le fils innocent avec le père coupable, Louis le Débonnaire institua pour le second fils de Loup-Gentulle la vicomté de Béarn.
Ce fut Centulle Ier. Le Béarn naissait ainsi officiellement, et, par un singulier hasard de la fortune, son premier souverain était un rejeton de Mérovée. On dirait un sourire de la Providence sur le berceau de nos aïeux, comme si tout devait être illustre dans leurs destinées depuis le commencement jusqu’à la fin de leur histoire (820).
Une charte du monastère d’Àlaon, longtemps ignorée, nous a conservé ces précieux détails, et nous croyons que l'authenticité de ce document n’a rien à craindre des controverses passionnées qu’elle suscita, il y a quelques années, dans la phalange méfiante et irascible des érudits.
Invasion des Normands
Maison mérovingienne ou de France jusqu’à Gaston le Croisé
Sources
- L'Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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