CHAPITRE II
Invasion des Normands
Maison mérovingienne ou de France jusqu’à Gaston le Croisé
PEINE appelé aux honneurs et aux périls de l’autonomie, le Béarn est victime de la plus horrible invasion qu’il eût jusqu’alors essuyée.
Types de férocité cynique et odieuse, les Normands accourent du nord de l’Europe sur leurs barques d’osier, mettent tout à feu et à sang, pillent Bordeaux, Bayonne, Tartas, Aire, Dax, et le Béarn put pressentir, même avant leur arrivée, le triste sort qui l’attendait.
Benearnum disparut si complètement qu’il faut recourir à de simples vraisemblances pour démontrer que Lescar est bâti sur ses décombres, et Iluro fut incendié. L’évêque Gérauld s’enfuit avec les reliques de saint Grat ; chargé de ce fardeau sacré, debout sur les hauteurs voisines, il regardait en pleurant les flammes qui consumaient son église ; vers l’azur du ciel s’élevaient des tourbillons de fumée rougeâtre dont le spectacle était navrant. Du moins, après la destruction totale de Benearnum, les cendres oloronaises conservèrent la douloureuse gloire de donner naissance à la plus vieille cité du Béarn, et encore aujourd’hui Oloron dresse ses pittoresques murailles sur les cimes où la piété filiale des âges l’a reconstruit.
Qu’était devenu pendant cette tourmente Centulle Ier ? On l’ignore.
Tout ce que l’on sait, c’est qu’il faut aller à l’année (905) pour retrouver son petit-fils à la tête du Béarn. Afin de faciliter sans doute une chronologie interrompue pendant près d’un siècle, on lui donna encore le nom de Centulle Ier ; au reste, tous ses successeurs portèrent également le nom de Centulle, et ils s’appliquèrent à le faire bénir par la sagesse de leur administration.
Après les désastres de l’invasion normande, le pays n’était qu’une inculte solitude ; ils mirent tous leurs soins à le défricher et à le repeupler. Ils songèrent aussi à l’agrandir. Déjà, pour avoir vaillamment combattu contre les Maures sous la bannière du roi de Navarre, Centulle Ier avait obtenu la jouissance de plusieurs fiefs en Aragon.
Centulle III enleva au vicomte d’Acqs plusieurs hameaux ; il obtint même en partie l’émancipation de la vicomté béarnaise qui relevait des ducs de Gascogne ; aussi, dans une charte, est-il emphatiquement surnommé le grand dominateur de la terre : Magnus dominator terræ. Il attacha son nom à la fondation du monastère de Larreule, et il prit aussi l’abbaye de Luc sous sa protection. Il mourut assassiné par les Souletains qu’il avait voulu adjoindre à ses domaines.
Centulle IV eut un rare bonheur. Quoique vicomté de royale institution, le Béarn continuait à relever plus ou moins des ducs de Gascogne. La race de ces ducs s’éteignit. Centulle IV, n’ignorant pas que ses ancêtres avaient régné sur la Gascogne, fit valoir ses droits à leur héritage. Débouté de ses prétentions, tout ne fut pas perdu : par voie amiable, il obtint de Gui-Geoffroy la remise des modiques charges qu’une vassalité presque illusoire lui imposait encore. Ainsi le Béarn, à la fin du XIe siècle, forma une terre de franc-alleu, ayant ses lois, sa justice, son armée, sa monnaie, sa liberté. Après cet immense succès dans sa politique extérieure, Centulle IV ne pouvait rester indifférent au lamentable état de son pays.
Lui, qui aurait pu s’attribuer le titre de comte, de duc ou de roi, mais qui aima mieux garder, avec une orgueilleuse modestie, celui de vicomte, que ses prédécesseurs avaient porté, il ne pouvait se contenter d’avoir donné l’indépendance à des ruines. Il fonda à Morlàas l’église de Sainte-Foy, veilla à l’agrandissement de Pau, de Navarrenx, de Sainte-Marie, de toutes ces villes jusqu’alors innommées ou insignifiantes, releva surtout le vieil Oloron, et rebâtit, de concert avec l’évêque Amat, cette vénérable église de Sainte-Croix que les Normands avaient brûlée. Ce n’était point toutefois par tant de services rendus à la prospérité du Béarn que la grande âme de Gentulle IV allait le mieux se révéler.
Il avait épousé Gisla, sa proche parente.
Saint Grégoire VII, qui gouvernait alors avec une si apostolique fermeté l’église de Jésus-Christ, lui écrivit une lettre pressante pour le rappeler à l’observation de la discipline chrétienne. Malgré les déchirements de leur tendresse, Centulle et Gisla se séparèrent aussitôt.
Gisla fut conduite par Amat au monastère de Marciniac, en Picardie, où elle mourut en odeur de sainteté, et Centulle épousa en secondes noces Béatrix, héritière du comté de Bigorre. Ce fut pourtant le fils de Gisla qui régna sur les Béarnais, lorsque Centulle mourut en 1088, assassiné dans la vallée de Téna, à côté de celle d’Ossau, au moment où il allait au secours du roi d’Aragon. Le fils de Gisla est Gaston IV, ce prince si connu en Béarn sous le nom de Gaston le Croisé.
Maison mérovingienne — Gaston le Croisé, sa vie, ses fondations, sa mort
Sources
- L’Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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