CHAPITRE XIV
Henri IV — Rétablissement de la religion
catholique en Béarn — Louis XIII.
ENRI IV fait maintenant son apparition dans l’histoire du Béarn dont il est le plus radieux sommet.
Devant ce nom si populaire qui rappelle à la fois tant de grâce naïve, de piquante Bonhomie, de bravoure incontestable, de finesse intellectuelle, il ne nous reste que d’applaudir et de nous incliner. Marié à Marguerite de Valois, à cette frivole princesse qui le sauva du massacre de la Saint-Barthélemy ; obligé de confier la régence du Béarn à son excellente sœur Catherine, tandis qu’il bataillait sans repos ni trêve pour conquérir la couronne de France, Henri IV abandonna volontairement les traditions de sa mère qui auraient pu lui nuire beaucoup plus que le servir.
Il protégea les catholiques ; plus tard, si la Ligue lutta contre lui en France parce qu’il était protestant et qu’un roi de France ne doit pas l’être, on put néanmoins comprendre sans peine que le loyal Henri se ferait instruire, et qu’une fois éclairé il n’hésiterait pas à embraser cette foi de l’Eglise romaine qu’une hérésie, aussi déraisonnable que sauvage, avait essayé d’étouffer dans le sang et dans la boue du mépris.
Henri IV prononça son abjuration le 15 juillet 1593. S’il abandonnait la religion de sa mère, n’était-ce pas pour revenir à la religion de saint Louis dont sa mère descendait ?
Le vainqueur de Coutras, d'Arques et d’Ivry, le héros de soixante batailles où son panache blanc avait toujours flotté sur le chemin de la victoire et de l'honneur, eut une manière toute béarnaise de mettre fin aux guerres de religion. Il donna au catholicisme et au protestantisme pleine et entière liberté d‘agir comme il leur plairait dans leur sphère distincte, se bornant à user de toute son influence en faveur du catholicisme. D’un coté, que les évêques, que les prêtres, que le clergé séculier ou régulier donnent aux peuples l'exemple de toutes les vertus ; et, d'un autre côté, le roi très-chrétien qui hélas ! n’est
point sans faiblesses privées, sera cependant doué d’un esprit assez catholique pour ramener à l’unité, par la voie de la persuasion, ceux qui l'ont abandonnée.
Tel fut le plan de Henri ; nous ne le trouvons pas aussi mauvais pour notre pays que le fut pour la France l’édit de Nantes, trop favorable aux protestants. En Béarn surtout, la situation était particulièrement difficile, tant il est vrai qu’en ce monde les intérêts prétendent être aussi ménagés que les principes eux-mêmes. Sans doute le nombre des réformés était insignifiant parmi nous, malgré les cruelles années de persécution que le catholicisme avait endurées ; mais les calvinistes étaient maîtres de tous les emplois, de toutes les charges, de tous les biens ; on ne trouvait que des calvinistes aux Etats de Béarn d’où une saine interprétation du for les aurait tous bannis ; et ainsi la représentation nationale, infidèle image du pays, n’était qu’un embarras de plus pour un roi qui ne voulait brusquer aucun dénouement.
Henri prêcha la patience aux catholiques ; il leur disait que le temps qui remédie à tout, remédierait
avec efficacité, quoique avec lenteur, à l’état d’injuste infériorité dont ils pâtissaient, et corrigerait les iniquités du présent sans compromettre la paix d l'avenir.
Par ce trait de modération, l’on voit assez comment Henri IV, roi berger comme il s’intitulait quelquefois, cherchait le bien de ses sujets.
Il voulait d’abord donner la paix intérieure à ce peuple que tant de commotions violentes avaient réduit à la misère, et avec la paix viendrait cette poule au pot que chaque famille de paysans devait manger, tous les dimanches, après avoir assisté à la messe de son curé.
Mais les Béarnais avaient encore à examiner avec leur bon Henri un point scabreux. Henri, en devenant roi de France, avait-il cessé d’être vicomte de Béarn ? ou en, d’autres termes, le Béarn était-il désormais rayé du nombre des nations indépendantes pour n’être plus qu’une chétive portion du royaume français ?
Les Béarnais désiraient une réponse à ces questions, et Henri IV, qui était toujours prêt à riposter par une alerte improvisation, ne se trouvait pas homme à s’embarrasser longtemps dans ces mesquines difficultés. Plus béarnais que les Béarnais eux-mêmes, puisqu’il était un peu gascon, Henri leur répondit : « Ventre-saint-gris, mes chers compatriotes, quelle mouche vous pique ? au lieu de donner le Béarn à la France, je donne la France au Béarn ; n’êtes-vous pas contents ? »
Les Béarnais accueillirent cette explication, un peu hasardée, avec un malin sourire qui simulait la satisfaction ; mais ils se doutèrent bien et avec raison que l’histoire du Béarn était terminée.
Elle l'était en effet de toutes les façons.
Une plaisanterie forcée dont tout le monde riait, à commencer par son auteur, avait sonné le glas funèbre de nos annales pour toute la série des âges à venir.
Il n’y a plus pour nous désormais de faits historiques ; il n'y a que les incidents plus ou moins variés de la route qui doit conduire le Béarn entre les bras de la France et l’y laisser à perpétuité.
Cependant Henri conservait des attentions délicates pour ses chers Béarnais. Non content de leur assurer par édit une administration séparée, il déclare aussi la ville de Pau exempte de toutes les tailles, tant ordinaires qu’extraordinaires. A la naissance de son fils aîné, il écrit une lettre toute de sa main à ses chers Béarnais pour leur annoncer ce joyeux événement ; quand naît son second fils, il lui donne le nom de Gaston, ce nom si aimé en Béarn où il rappelle des vicomtes si nombreux et de si grandes vertus.
A l'occasion de chaque baptême, Henri agrée avec une aimable reconnaissance de modestes présents ; il reçoit de la vallée d’Aspe du linge, de la vallée d'Ossau des fromages qui lui font beaucoup de plaisir : ce sont des dons que la plus pure affection lui a réservés. Sur ces entrefaites arrive un grand deuil au monde : l'illustre soldat, le généreux monarque que le Béarn avait donné à la France succombe sous le poignard d’un assassin ; le
Béarn pleure, la France s’attriste, l’Eglise se reconnaît, avec une douleur sincère, privée du meilleur de ses fils, et l’Europe perd peut-être le seul homme qui fût de force à exécuter les salutaires projets qu’il avait conçus dans un intérêt vraiment universel (1610).
Assurément Louis XIII aimait les Béarnais ; mais il n’avait pas tort de détester les calvinistes qui cherchaient à troubler le repos du Béarn. Déjà, sous Henri IV, ils avaient conçu le dessein de former au milieu de la France une république calviniste, libre, absolue, indépendante du souverain français ; le Béarn était considéré d’avance comme un des cercles de cette république fédérative.
Bien que cette entreprise eût échoué sous le grand Henri, on essayait de la reprendre sous son successeur, et l'audace des sectaires, portée à des degrés inouïs à cause de la faiblesse qu’on supposait dans le roi, obligea Louis XIII à des mesures où l'énergie ne cache néanmoins aucun désir de brutalité ni de vengeance. Il ne se contenta point de favoriser en Béarn le culte catholique.
Sauf à leur payer l’équivalent sur le revenu de ses domaines privés, le roi contraignit les dissidents, par un édit de main-levée, à restituer aux établissements religieux les biens qu’ils avaient usurpés à la suite des décrets illégaux de la reine Jeanne. Il voulut même, en 1620, faire à Pau acte de maître. A ses yeux, c’était une sorte de croisade religieuse qu’il
entreprenait. Selon l’expression de Marguerite de Valois, il regardait le Béarn comme un second pays de Genève au fond du royaume de France ; le catholicisme y était à peine toléré comme par faveur, et le roi ne pouvait souffrir davantage cet avilissement de la véritable religion.
A Arzacq où il passa la nuit, on le consulta, avant de se coucher, sur le cérémonial à suivre lors de son entrée dans la capitale du Béarn. « S’il y a, dit le roi, une église, j'y entrerai comme souverain ; s’il n’y en a pas, je ne veux point d’honneur ; il me siérait mal d’en recevoir dans un endroit où n’est pas honoré le Dieu de qui je tiens cet héritage ».
A Pau, on reçut Louis XIII avec froideur. Qu’importe ? le roi n’en accomplit pas moins son œuvre capitale. Il rétablit les évêchés et les abbayes, et, avant même d’avoir rendu à nos saints mystères l’église Saint-Martin de Pau, il partit pour Navarrenx où l’on n'avait vu aucune cérémonie depuis un demi-siècle : le roi y fit chanter une messe solennelle. Il publia aussi un édit qui incorporait la Navarre et le Béarn à la France, sans que cet édit voulut déroger aux fors, franchises, libertés, privilèges et droits de leurs habitants : cette clause est expresse dans l’acte royal. Enfin il ordonna la réunion des deux, cours souveraines de Pau et de Saint-Palais en un seul corps de parlement dont le siège serait à Pau.
C’en était fait à jamais de l’ancien Béarn, et les calvinistes, en attendant leurs défaites de France sous le ministère de Richelieu, pouvaient se tenir pour satisfaits des coups que le roi leur avait portés. Un ancien membre du conseil souverain de Béarn, Paul de Lescun, voulut, il est vrai, soutenir l’agitation calviniste ; mais ses efforts fureut inutiles.
Il eut même le malheur de tomber entre les mains des armées royales, et le parlement de Bordeaux le condamna, comme criminel de lèse-Majesté, à avoir la tête tranchée.
Il fut conduit au supplice sur une claie. En outre, sa postérité fut déclarée ignoble, ses biens
L'intendance en Béarn — Le Béarn se donne à la France pour jamais.
Sources
- L’Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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