CHAPITRE XV
L'intendance en Béarn — Le Béarn se donne à la France pour jamais.
ES descendants de Henri IV n’eurent qu’un but dont la France doit leur tenir compte : ce fut d’achever l’œuvre des siècles et d’imprimer à la monarchie française ce cachet d’unité merveilleuse qui fait notre grandeur.
Pour atteindre ce but qui s’imposait à leur patriotisme et à leur ambition tout à la fois, les rois de France furent admirablement servis par la création d’un personnage qu’on nomme l'intendant. L’intendant était tout dans les provinces où il était envoyé. Représentant direct de l’autorité souveraine, il touchait à toutes les affaires par la raison du plus fort, et
il faisait comprendre aux pays d’Etats les plus enracinés dans leurs vieilles idées d’indépendance et de liberté que désormais en France l’Etat, c’était le roi. Il s'arrogeait le haut domaine sur toutes choses : impôts, armées, justice, administration, police, tout ressortait de monsieur l’Intendant, qui tranchait du maître avec le rare dédain du despotisme leplus absolu.
Sans doute, on pouvait adresser des remontrances au roi sur la conduite du gouvernement en général et de l’intendant en particulier ; on pouvait représenter à Sa Majesté que l’intendant n’avait pas le droit, en Béarn par exemple, de se substituer, de la tête aux pieds, au lieu des fors, à la place des coutumes ; tout cela était un passe-temps délicieux ; le roi écrivait au bas des remontrances qu’il aviserait ; mais quatre générations avaient le temps de mourir avant que les intendants devinssent meilleurs et que le roi eût avisé. Le roi n’aimait pas à blâmer les abus de pouvoir ou les excès de zèle de monsieur l’Intendant.
Peu à peu, par la seule influence de cette autocratie excessive, les Béarnais ne purent que dégénérer au point de devenir méconnaissables. Les dents et les griffes étant inutiles, ils les émoussèrent pour se courber mollement sous la patte du royal lionceau qui les administrait. De temps en temps, quelques plaintes s’échappaient des cœurs fidèles aux souvenirs du passé : autant en emportait le vent ; du pic du Midi jusqu’à Versailles la distance était trop grande pour que les lamentations les plus énergiques arrivassent à réveiller un écho dans le palais de nos rois.
Au reste, il faut le dire à la décharge de la plus glorieuse dynastie qui ait régné sur nous, les doléances béarnaises ne méritaient pas toujours d’être prises au sérieux. A cette époque, le Béarnais avait le tempérament assez frondeur : c’était le Parisien de la France méridionale ; rien ne pouvait lui sourire autant que de lancer sur la tête d'un personnage auguste quelque malice désagréable, et nos monarques le savaient capable de pousser de grands cris pour des griefs insignifiants. Puis qui ne le sait ? A l’encontre de nos jours qui sont si tristes pour la France, de quoi pouvaient se plaindre nos pères ? D’être trop heureux sous l’égide bienfaisante de leurs souverains.
Néanmoins, comme si ce n’eût pas été assez de subir le joug des intendants, les Béarnais avaient encore à endurer le persifflage de leurs railleuses appréciations. Je n'imagine pas de pire supplice pour des gens spirituels qui se sentaient bernés. Ecoutez avec quelle irrévérence parlaient ces marauds d’intendants. Le ferme Pinon trouvait les Béarnais un peu versatiles ; l'invariable Foucault, après s’être permis de convertir les protestants par des dragonnades en miniature, opinait, s’il vous plaît, dans son langage dévergondé, que les Béarnais changéraient de religion comme de chemise ; l’austère Lebret, brochant sur le tout, était d’avis que les Béarnais étaient, si l’on veut, remplis d’esprit, pétris de vanité, mais surtout avides d argent, et tenant beaucoup moins, malgré les apparences, à leurs fors qu’à, leurs caisses.
Serait-ce vrai ? Faut-il croire que nos plus proches ancêtres, ne pouvant plus vivre avec la rigidité de leurs aïeux, s’efforcaient de se créer une fortune quelconque pour s’accommoder aux malheurs de la situation aussi doucement que possible ? Le fait est exact ; nous en avons des preuves authentiques.
Tout étant devenu vénal en France, même les âmes, les Béarnais, grâce à leur souplesse naturelle, furent tout d’abord extrêmement entendus en ce genre de négoce, et ils surent se procurer à tout prix ce qui pouvait accroître leurs rentes de quelques beaux deniers. S’ils achetaient des charges municipales, c’était en caressant la perspective de pressurer ensuite
les communes sans miséricorde ; parfois un roturier acquérait pour une trentaine de livres un bien noble quelconque, un puits, un four, une margelle, et aussitôt ayant assez de quartiers pour figurer à côté des Navaille ou des Biron, ce nouveau gentilhomme se trouvait en possession des honneurs les plus considérables ; entre autres choses, avec son habit récemment brodé, il avait droit d’entrée aux Etats de Béarn pour y parader à son aise.
Pauvres Etats ! on y entrait si bien, on s’y trouvait si commodément qu’on ne voulait plus en sortir. Il fallut une ordonnance royale pour limiter la durée des sessions ; ces sessions ne finissaient jamais ; et savez-vous pourquoi ? parce que plus la session durait, plus grosse était la somme que palpait chaque membre à titre de gratification, et cette somme n’était jamais trop forte au gré des solides appétits qui étaient appelés à l’absorber. Allons ! il devient trop clair qu’il ne faut pas jeter
la pierre aux intendants ; ils n’avaient pas tort de trouver que tout en Béarn n’était pas parfait.
Au reste, quand il s’agissait de resserrer les nœuds de l' unité nationale, la cour de France n’oubliait pas les Béarnais. Nul ménagement sur ce point capital.
Il arrivait parfois de Versailles des lettres de cachet pour ceux qui, prenant la parole sur un ton trop élevé, donnaient à leurs revendications provinciales une hauteur inacceptable, et il y avait dans ces lettres redoutées un bout d’exil ou de prison à l’adresse de leur destinataire afin de lui apprendre la sagesse.
Décidément les Etats de Béarn achevaient de mourir. Leur œuvre était terminée. Le Béarn lui-même dévorait peu à peu ses derniers jours.
Né à Accous, d’Espourrins, notre poète national, na composé que des églogues sous forme de chansons ; il est fâcheux qu’il ne
nous ait pas légué un poème héroï-comique sur les lamentations du Béarn pendant les deux derniers siècles que la France a traversés.
Avait-il laissé à la muse oloronnaise de M. Navarrot, à cette muse si familière avec les strophes alertes et piquantes, le soin d’être le poète de notre agonie ?
Après tout il était temps que le Béarn appartînt à la grande nation. La Révolution de 1789 était commencée, l’Assemblée constituante avait voté la réunion du Béarn à la France, mais ce vote n’était pas du goût des Etats qui voulaient que le Béarn restât Béarn. Cette obstination de l’Assemblée dans ses idées étroites occasionna des troubles à Pau, le tocsin sonna, les vociférations populaires manifestèrent hautement les impatiences séditieuses de la foule, et les membres des Etats, peu déterminés à mourir pour la patrie sur leurs chaises curules, se séparèrent avant d’avoir pris la décision qu’on attendait. On sait ce qui arriva.
Une délibération, signée à l’Hôtel-de-Ville de Pau par les principaux habitants, décida de nos destinées ; elle donna le Béarn à la France, se souvenant que le grand homme, qui avait donné la France au Béarn, n’existait plus depuis
longtemps.
En octobre 1790, un an après la délibération de la ville de Pau, le Béarn fut enclavé dans le département des Basses-Pyrénées dont il fait partie ; il avait là sa place toute marquée, et il veut l’y garder avec un profond amour pour la France.
Parlerons-nous de Monestier qui, pendant la grande révolution, avait établi à Pau le civisme et la guillotine ? Nous nous bornerons à dire que ce scélérat, guillotiné lui-même, aimait le vin de Jurançon. Faut-il mentionner ce je ne sais quoi de schismatique et de méprisé qu’on avait fait, à Oloron, évêque constitutionnel des Basses-Pyrénées ? Cette nullité avait nom Sanadon, et sa mémoire, sifflée dans de joyeux couplets, ne mérite pas qu’on s’y arrête un seul instant. Le
Béarn répudie les Monestier, les Sanadon, les révolutionnaires de toute sorte, pour n’aimer de tout son cœur que la foi catholique et la France, double amour qui n’en fait qu’un seul.
Notons aussi que pas un de nos députés n’avait voté la mort de Louis XVI durant les jours néfastes de la Convention ; ce n’est pas en vain que cet infortuné monarque portait dans ses veines le sang du Bearnais, et qu’il comptait des Béarnais parmi ses juges.
Sources
- L’Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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