La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.






SonAltesse Royale MADAME,
DUCHESSE D'ANGOULÊME



En Vallée d'OSSAU Juillet 1823

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'orsqu'on part de Pau pour se rendre dans cette Vallée, on traverse la plaine du Gave et l'on s'engage bientôt dans un étroit vallon, au milieu duquel la petite rivière du Nés promène lentement de limpides eaux, qui, par d'obliques détours, augmentent l'agréable fraîcheur des vertes prairies dont ses rives fertiles sont couvertes : des coteaux, ornés de belles habitations, enrichis de vignobles, où l'on recueille un vin généreux, connu sous le nom de vin de Jurançon, recréent, en même temps, la vue du voyageur.
    On distingue, en outre, sur un de ces coteaux la maison de campagne, qu'on nomme Bergeret, située dans une position magnifique au-dessus et près du pont d'Oli ; elle faisait anciennement partie des domaines nobles de la famille de Gassion.
     La fertilité du vallon du Nés est un bienfait de cette rivière, dont les nouveaux dépôts exhaussent insensiblement le sol humide qu'elle a formé, comme l'atteste un pavé fait de petites pierres de différentes couleurs et qu'on trouve sous terre dans un pré qui borde cette rivière du Nés.
    Bientôt après, on arrive à Gan, lieu devenu célèbre par la naissance de Marca, président au parlement de Navarre, puis évêque de Couserans, archevêque de Toulouse, et nommé à l'archevêché de Paris. Il doit être considéré comme un des plus grands génies du 17e siècle ! Son mérite, ses ouvrages, son érudition profonde, ses grands services rendus à l'église et à nos lettres, l'ont élevé à ces éminentes dignités. Il naquit en 1594 d'une famille illustre.
    Le vallon que nous suivons n'a plus la même largeur après le bourg de Gan ; il est resserré par des roches blanches, calcaires, qui s'élèvent sur les deux rives du Nès et qui forment les belles carrières d'où fut extraite une partie des matériaux des murailles du château de Pau.
    En avançant vers le sud, on continue de remonter la rivière du Nés, que des rochers escarpés traversent et qui semblent vouloir arrêter son cours, en s'élevant dans plusieurs endroits, au-dessus de ses ondes qui, dans cette partie du vallon, sont bruyantes, écumeuses et rapides ; mais elles se jouent de tous les obstacles ; on les voit fuir et se précipiter avec fracas au milieu des rochers dont le lit du Nés est hérissé. Cette rivière, qui devient paisible au-dessous e Gan, tombe ici par cascades et se montre fougueux torrent on dirait, en considérant l'impétuosité de son cours, qu'elle est pressée de s'éloigner des routes obscures et souterraines, qui la conduisent au pied du pic de Rébenac, d'où semblable à la fontaine de Vaucluse, à 4 lieues d'Avignon, on la voit sortir avec un grand volume d'eau. Les limpides ondes du Nés vont se confondre avec celles du Gave Béarnais au-dessous de Jurançon : ainsi nait et s'enfuit cette rivière.
    MADAME fut accueillie à Rébenac par toute la population aux cris de vive le Roi ! vive MADAME vivent les Bourbons ! Sous l'arc de triomphe placé à l'entrée de la ville, on lisait l'inscription suivante :
       Ventre Saint Gris , toujours pour les Bourbons.
    Après Rébenac, ancienne propriété de la maison de Gontaut, ainsi que la terre de Sévignac, qui en est voisine, s'élève un pic calcaire très-remarquable quoique situé dans les collines, qu'il faut regarder comme un des premiers échelons de cette partie des Pyrénées.
     Le belle source du Nés n'est pas la seule singularité remarquable des environs de Rébenac ; on en trouve une autre à un quart de lieue au sud du pic de ce nom : elle contribue à donner l'eau nécessaire pour faire tourner un petit moulin. On ne peut douter qu'elle ne vienne directement du Gave d'Oloron, par un conduit souterrain ; il est facile de démontrer cette vérité. Il y a dans le canal du moulin de M. Bordeu, bâti dans la commune d'Izeste, sur la rive gauche de cette rivière, deux ou trois ouvertures où se perd, à travers des rochers de marbre, une certaine quantité d'eau ; mais comme la vase qui s'accumule quelquefois, à leur entrée, s'oppose à son, cours, le meûnier a soin de se transporter dans l'agréable propriété de M. Bordeu et de faire enlever à l'extrémité de son jardin, les matières qui en obstruent le passage, précaution indispensable pour fournir l'eau nécessaire à sou moulin.
    En pénétrant plus au midi, dans l'étroit vallon du Nés, les yeux sont attristés par l'aspect des ruines éparses que les eaux des torrens ont anciennement entrainées du haut des montagnes. On remarque, non sans une surprise extrème, des blocs énormes de granit, de marbre au milieu des prés et des pâturages, dont cette gorge est bordée jusqu'à Sèvignac, et qui forment un singulier contraste avec ces affreux débris.
     A côté de ce désordre, on rencontre une carrière de pierre à plâtre, dans laquelle on distingue des fragmens d'albâtre gypseux, comme dans presque toutes les nombreuses plâtrières qu'on trouve dans les départemens des Basses-Pyrénées et des Landes.
     Ces carrières de gypse ne sont guère éloignées des ruines du château de Sainte-Colome qui fut brûlé en 1569 par l'armée de Montgomery, qui marchait vers Navarrenx, pour secourir cette place occupée par les protestans.
     Quand on arrive presqu'au sommet d'un côteau formé de bancs de marbre gris horizonteaux, sur lesquels ce village est assis, le paysage change entièrement et s'embellit ; l'oeil agréablement surpris suit les riches campagnes de la vallée d'Ossau, dans presque toute leur étendue, parcourt les nombreux villages bâtis sur les bords rians du Gave, voit au loin les principaux réservoirs d'où cette impétueuse rivière tire ses intarissables sources : il considère enfin le Pic du Midi, qui s'élève jusqu'à la région des neiges perpétuelles, comme une espèce de pyramide, et qui placé presque sur les limites de la France, est visible pour une grande partie des peuples de l'Aragon et de l'ancienne Aquitaine. Soit qu'on le considère du côté du nord ou du côté du midi, sa position isolée, sa grande élévation et sa forme très escarpée, excitent autant d'admiration que de surprise ; son front orgueilleux domine les montagnes qui l'entourent, et appelle la curiosité du voyageur.
     De Sévignac, on descend dans le bassin d'Arudy, plaine charmante, située Précisément au débouché des montagnes, et formée par les eaux vagabondes du Gave d'Oloron, qui, sous le pont Germe, se sont ouvert un passage à travers des masses calcaires qu'elles ont profondément creusées ; on voit les eaux se précipiter à gros bouillons dans cet horrible lieu, se briser contre les rochers avec un bruit, tellement effroyable, qu'elles semblent s'irriter d'être trop resserrées entre les digues naturelles qui les tiennent dans un lit étroit, profond et ténébreux.
     La belle grotte d'Espalunque (Spelunca) , ornée de nombreuses stalactites, s'ouvre au milieu de ce marbre caverneux elle est située sur le territoire d'Yzeste, lieu remarquable par la naissance du célèbre Théophile de Bordeu qui, frappé d'appoplexie le 23 décembre 1776 à Paris, fut trouvé mort dans son lit ; ce qui donna occasion de dire que la mort craignait si fort cet habile médecin, qu'elle l'avait surpris en donnant.
     La grotte d'Espalungue doit être comprise parmi les plus remarquables qui s'ouvrent au sein des Pyrénées ; je crois devoir dire ici que M. Théophile de Bordeu en a publié une intéressante description dans ses lettres à Madame de Sorberio, où je renvois le lecteur. Mais je ne m'éloignerai point de cette grotte sans faire remarquer que non loin de son entrée on a trouvé quelques médailles ; celles qui ne sont connues paraissent avoir été frappées du temps de Gallien et de Tetricus.
     La Princesse, en arrivant au pont de Louvie, y reçut de la part des habitans de l'arrondissement d'Oloron, le témoignage le plus éclatant de dévoument, d'amour et de respect qu'ils offrirent à S. A. à cet effet, des arcs triomphe avaient été dressés à chaque extrémité du pont et auprès desquels on avait construit des amphitéatres, qui furent occuepés par un nombre prodigieux de dames, élégament parées ; à ce spectacle, se joignait un groupe de jeunes filles vétues de blanc, avec des ceintures vertes. On y voyait la plupart des fonctionnaires publics et des ecclésiastiques de l'arrondissement autour d'eux se réunirent, en outre, six ou sept cents jeunes gens, vêtus en costume du pays. Enfin plus de huit mille personnes s'étaient rendues au même lieu. Des cris mille et mille fois répétés, vive MADAME ! vivent les Bourbons ! ne cessaient de se faire entendre. L'enthousiasme fut général et à son comble.  (Mémorial Béarnais)
     Au reste, le village d'Izeste n'est séparé que par le Gave, de celui de Louvie au-delà duquel et bientôt après, on voit Castets où l'on remarque les mines du Castel-Jaloux, qu'on dit avoir été bâti par Gaston-Phoebus et dans lequel séjournaient quelque fois les anciens vicomtes de Béarn , qui étaient obligés de s'y rendre pour recevoir l'hommage des Ossalais et pour administrer la justice en personne car quiconque s'était réfugié dans la vallée, vivait tranquille, sans pouvoir être arrêté. C'était une espèce d'asile, mais ce privilège cessait à l'arrivée du prince.
    Au S. S.-O. de Castets et non loin de ce lieu, on trouve le beau village de Bielle, où l'on avait élevé un temple de verdure et un arc de triomphe avec des inscriptions. L'Eglise de cette commune est ornée de quatre belles colonnes de marbre.
     On rapporte qu'Henri IV, étant devenu Roi de France, demanda ces colonnes à la communauté de Bielle, qui lui adressa la réponse suivante en idiôme Béarnais « Sire, bous quets meste de noustes coos et de noustes bes mei per ço qui es deus pialas deu temple, aquets que son de Diu, d'ab eig quep at bejats.»
     Ce qui signifie « Sire, vous êtes le maître de nos cœurs et de nos biens ; mais quant à ce qui regarde les colonnes du temple, elles appartiennent à Dieu arrangez-vous avec lui.»

     On n'apprendra pas sans intérêt, que cette commune s'honore d'avoir produit une famille de laquelle fut issu M. Laborde, banquier de la cour, et qui devint un des plus riches capitalistes de l'Europe.
     Le noble usage qu'il fit de sa grande fortune, le rendit digne des trésors qu'il possédait : les Etats généraux de Béarn lui donnèrent un témoignage d'estime et de reconnaissance pour les services rendus à ce pays ; lui accordant, ainsi qu'a ses descendans le droit de siéger parmi les membres de la noblesse. Plusieurs de ses parens furent comblés de ses bienfaits.
     Au-delà de Bielle, on voit plusieurs villages épars, situés dans des campagnes très-fertiles et parmi lesquels on remarque la commune de Louvie-Dessus. Des bancs de marbre blanc, à grandes et petites écailles, s'offrent aux regards de l'observateur. Ils renferment de belles carrières d'où l'on extrait, quelque fois, des blocs que la sculpture ne dédaigne pas d'employer, malgré la nuance grisâtre qui, malheuresement, en altère la blancheur ; mais par son grain et sa texture il mérite d'être placé parmi les marbres de Carrare et de Paros : c'est du moins la manière de penser d'un sculpteur de la capitale, qui maniait le ciseau avec une adresse, qui semblait donner à ses ouvrages le mouvement et la vie. Non loin de Louvie-Dessus, et à l'extrémité de la
    Non loin de Louvie-Dessus, et à l'extrémité de la vallée d'Ossau, on parvient à Laruns, où M. de Livron-Saint-Abit, maire de cette commune , eut l'honneur de mettre aux pieds de S. A. R., l'hommage de dévoûment et de la profonde vénération de ses administrés : cet hommage fut suivi d'une ronde Ossaloise, qui parut amuser l'auguste Princesse.
     On quitte à Laruns le chemin des Eaux-Chaudes pour monter aux Eaux-Bonnes, qui n'en sont éloignées que d'environ 2,000 toises. Le cours du Valentin, torrent que l'on cotoye, ses nombreuses et belles cascades, les villages d'Assouste et d'Aas pittoresquement placés en amphithéatre sur les flancs d'une montagne, qui domine la rive droite ; tous ces objets, dis-je, étonnent, frappent, récréent tour à-tour la vue du voyageur.
     MADAME duchesse d'Angoulème, arriva aux Eaux-Bonnes vers les neuf heures du matin. Elle y fut reçue par MM. le Préfet, le Sous-préfet de l'arrondissement et le Secrétaire-général de la Préfecture.
     S. A. R. voulut bien accepter un déjeùner que M. le Préfet avait eu le soin de faire préparer.
     MADAME s'entretint avec M. Daralde, médecin-inspecteur des Eaux-Bonnes, des vertus de ces eaux, et prouva par les questions qu'Elle lui adressa, ainsi qu'au Sous-préfet, qu'Elle portait le plus grand intérêt à cet établissement. Elle parcourut, malgré la châleur, toutes les promenades, et descendit jusqu'à la belle cascade du Valentin, qu'on peut compter parmi les plus remarquables des Pyrénées.
     Au moment de quitter les Eaux-Bonnes, Madame voulût bien témoigner sa satisfaction à M. le Sous-préfet.
     M. le maréchal de Biron, qui avait fait glorieusement la guerre en Flandres pendant le règne de Louis XV ! fut un des premiers illustres personnages qui firent usage des Eaux-Bonues, et comme ce lieu ne renfermait que quelques logemens connus, ainsi que les bains de Cauterets et des Eaux-Chaudes sous la dénomination de Cabanes, ce valeureux guerrier alla loger, avec Madame la duchesse son épouse, au château de Beost, appartenant à M. d'Espalungue-Casaux, et qu'un espace d'environ 2,000 toises sépare des Eaux-Bonnes ; ainsi ces eaux minérales, comme celles de Saint-Sauveur, sont en partie redevables de leur réputation, savoir les premières à M. le maréchal de Biron, les secondes à Madame la marquise de Gontaut.
     Pendant que M. le Duc séjourna dans la vallée d'Ossau, elle ne cessa de retentir de bravantes acclamations et de chansons Béarnaises, dans lesquelles les sentimens que sa présence faisait naitre étaient exprimés. Voici quelques couplets de celle qu'on atribue au bisayeul de M. d'Espalungue-Casaux, chevalier de l'Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis, et membre distingué du conseil-général du département des Basses-Pyrénées.

Lou Duc et la Duchesse, (bis)
Deou grand noum de Birou (bis)
Ban remplit d'allegresse (bis)
Beost et l'embirou. (bis)

Rouchers de las mountagnes (bis)
Témoings de nouste amou, (bis)
Rembiat per las campagnes (bis)
Lous bers de ma cansou. (bis)

Aütes cops nou parlaben (bis)
Que guerres et coumbats (bis)
Adare que nou parlen, (bis)
Que danses et qu'esbats. (bis)

Tous dus Diou quep mentiengue, (bis)
Et quep gouerde de maou, (bis)
Quauque hore queb soubiengue, (bis)
De queste val d'Eoussaou. (bis)
Le Duc et la Duchesse,
Du grand nom de Biron
Ont rempli d'allégresse
Béost et les environs.

Rochers de ces montagnes
Témoins de notre amour,
Renvoyés par les campagnes
Les vers de ma chanson.

Autrefois on ne parlait
Que guerres et combats,
A présent on ne parle
Que danses et qu'ébats.

Que Dieu vous maintienne tous deux
Et vous garde de mal ;
Quelquefois qu'il vous souvienne
De la vallée d'Ossau.

    On peut bien croire que des danses fréquentes et des promenades champêtres se mêlèrent à ces divertissemens. (sic)

   Sources

  • Pireneas Bibliothèque nationale de France, IMPRIMERIE DE É. VIGNANCOUR. Juillet 1823.
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