'ÉVÈNEMENT de l'hiver, au village, fut l'inauguration du monument aux morts, sur la place. La cérémonie rappela celle de l'enterrement de Peyrot, mais en plus grandiose.
Il y avait, cette fois, le Préfet, lui-même, la poitrine ruisselante de croix et de médailles, le Général de division, en tenue de campagne, dont les décorations n'étaient figurées que par des rubans et qui ressemblait à un adjudant du Trésor et des Postes, des fonctionnaires, des délégations de tout le canton. Il y avait le Conseiller général, devenu député, et un Sénateur qui avait été Sous-Secrétaire d'Etat à l'enseignement technique dans un ministère qui n'avait duré que huit jours.
En face de la tribune où avaient pris place les autorités, un emplacement près du monument avait été réservé aux veuves, orphelins et ascendants des victimes de la
guerre.
De l'autre côté, il y avait une musique qui joua la Marche Funèbre, de Chopin, et un orphéon qui chanta la Marseillaise.
Un clairon sonna aux champs.
Alors, tomba le voile qui dissimulait jusqu'à cette minute la statue et malgré l'émotion du moment, il y eut un murmure d'admiration. L'artiste avait représenté, en bronze, un soldat, aux traits énergiques, avec une forte moustache roulée en pointes à chaque extrémité ; il portait l'uniforme de 1914, la capote relevée par devant, le pantalon enserré dans les jambières, le sac bien carré surmonté des godillots, les cartouchières, le képi avec la jugulaire au menton : rien n'avait été oublié. Il tenait son Lebel à la main en regardant fièrement devant lui. A ses pieds, une femme qui était la gloire, lui tendait une couronne de laurier.
Le tambour roula funèbrement, puis on fit l'appel des morts, le plus proche parent répondant quand venait le nom de son défunt.
Phine répondit deux fois : pour Casadebat et pour Vénat. Ceci fut remarqué à la tribune officielle et le Préfet se pencha vers le Maire pour lui demander des explications.
Au moment des discours, le Maire lut d'une voix chevrotante quelques pages écrites par l'instituteur ; ce fut ensuite le tour d'un ancien combattant, puis celui du Conseiller général élu député, quelques semaines plus tôt.
Il parla, à nouveau, des mérites civiques et militaires des victimes, des femmes de Sparte et de l'admirable veuve refoulant les larmes d'un deuil récent pour recueillir et soigner le compagnon d'armes du premier mort, de la Guerre et de la Paix, de la République et de la Démocratie, de la Science et de l'Obscurantisme.
Enfin le Préfet parla, et sans lire, ce qui fut fort remarqué ; de mémoire, il refit la harangue déjà prononcée dix fois en semblable occasion, et qu'il devait redire une centaine de fois encore. Pour la rendre un peu personnelle, il surenchérit sur les éloges du député, en parlant de Phine, type de la femme française.
Tout cela fut fort prisé, sauf le discours du député. On lui sut mauvais gré de n'avoir pas préparé quelque chose de spécial pour la solennité et d'avoir resservi un plat qui avait un goût de réchauffé. Les réactionnaires se promirent de le lui reprocher à la prochaine campagne électorale.
Quand ce fut fini, le Préfet s'avança vers le groupe des parents des victimes de la guerre, se fit présenter à Phine et lui exprima ses condoléances. Le Général, à son tour, lui dit quelques mots. Puis, les autorités défilèrent devant elle, la saluant avec respect.
Après leur départ, ce fut une bousculade pour approcher du monument, le voir en détail et y lire les noms des morts inscrits sur le marbre en lettres dorées.
Phine, lentement, épela la liste et y trouva les noms de deux maris et de sept amants.
Suite../..
Sources
- L.Le Bondidier, de l'Académie de Béarn, édition de l'Échauguette, Château fort de Lourdes, 1939
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