HINE n'est pas un roman à clef.
J'en préviens, dès la première ligne, le lecteur afin d'éviter toute méprise. Qu'il ne s'avise point d'aller klaxonner au-delà de Gabas sur la route du Portalet, au point d'où se voit le Pic-du-Midi d'Ossau ; il n'aurait aucune chance de voir l'Ossaloise sortir de sa maisonnette pour la bonne et péremptoire raison qu'il n'y a, en cet endroit, ni aubergiste, ni auberge.
Les paysages qui servent de toile de fond aux épisodes de « Phine » sont d'Ossau parce qu'il faut bien qu'une action se situe dans l'espace comme dans le temps, mais l'auberge de Phine pourrait tout aussi bien être à Leye, à Gripp, à Payolle ou au Riou Majou.
Phine, elle-même, n'est pas telle paysanne d'Ossau que l'on puisse désigner du doigt ; c'est la somme des Phine que j'ai rencontrées au cours de près de quarante années de vie pyrénéenne, notamment au cours des quinze premières, où j'ai vécu dans un village de montagne, au milieu de paysans, en relations avec tous et à toute heure du jour, connaissant toutes leurs histoires, leurs querelles, leurs potins et ayant à ma disposition ce merveilleux poste d'observation psychologique
— le premier après le confessionnal — qu'est un bureau fiscal où une Phine et son mari doivent avouer leurs secrets d'argent, ce qui leur est parfois plus dur que confier les secrets de leur cœur. Phine, c'est la femme de haute vallée pyrénéenne entre Aspe et Comminges.
— Hérésie ! diront sans doute, diront certainement les Félibres orthodoxes depuis la Révérende Mère Supérieure jusqu'au dernier moinillon.
Une Béarnaise n'est pas plus une Bigourdane qu'une Bigourdane n'est une Auroise. Votre Phine, personnage hybride, est un personnage conventionnel qui ne correspond à aucune réalité...
— Voudriez-vous, pour une fois, Félibres, mes amis, essayer de vous évader de la prison du verbalisme qui trop souvent limite votre pensée et ne donner à un mot — au mot région par exemple — que sa valeur réelle.
Ne croyez-vous pas que les Béarnais bergers à Pombie ou à Gourette sont plus près des Bigourdans bergers à Ossoue ou à Caderolles que des Béarnais viticulteurs de Lembeye ou de Monein ?
Ne croyez-vous pas que des hommes qui passent les mois d'été à garder des troupeaux dans la montagne et l'hiver dans des villages fréquemment enneigés, se nourrissant en grande partie de farine de maïs et de lait, ont plus d'affinités entre eux, bien que l'un soit d'Ossau, l'autre d'Aucun, le troisième de Campan et le dernier d'Aure, qu'avec les Béarnais ou Bigourdans de la plaine, viticulteurs et laboureurs, buvant le vin de leurs vignes, se nourrissant des produits de leurs fermes et du blé de leurs champs ?
Dans notre pays pyrénéen comme en tout pays de montagne, le facteur essentiel de la civilisation, ce n'est pas la langue, c'est le climat, qui régit en souverain maître la végétation du sol et, par voie de conséquence, la nourriture de l'être humain et du bétail, la production agricole et l'élevage, l'habitat et le costume : tout l'essentiel d'une civilisation.
Pour connaître psychologiquement le paysan pyrénéen, il ne faut pas l'étudier par vallées, mais par étages. Le facteur ethnique essentiel est moins la latitude ou la longitude que l'altitude.
— Soit, me dira-t-on. Votre Phine est peut-être un type possible, mais le tableau que vous en avez fait est trop poussé au noir. L'établissement de Phine tient plus du bar de la zone que de l'auberge de campagne ; vos préposés de l'État en prennent vraiment trop à leur aise et ferment les yeux trop facilement. Phine elle-même est plus une caricature qu'un dessin.
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Sources
- L.Le Bondidier, de l'Académie de Béarn, édition de l'Échauguette, Château fort de Lourdes, 1939
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