La vallée d'Ossau :
Culture et Mémoire
La Transhumance du Bétail
Montagne - Plaine
|
la Saint-Michel de septembre, les troupeaux se rassemblaient près d'Arudy, au Pont Germé, pour franchir le Gave d'Ossau. Ils gagnaient les bords du Gave de Pau selon un itinéraire bien connu, le «Cami ossales», qui était jalonné par les points de repère du Calhau de Taberne, un gros bloc erratique à proximité du dolmen de Buzy, la Croutz de Buzy au sommet du vallum morainique d'Arudy, avant de suivre les crêtes dominant la rive gauche du Neez. Une fois le Gave de Pau traversé grâce à, une passerelle, puis, à partir du XIIIe siècle, à un pont en bois, les troupeaux débouchaient sur les terrains de parcours du piémont pyrénéen, et poussaient parfois jusqu'aux limites extrêmes des possessions de la famille des Foix-Béarn dans le bassin aquitain : d'Aire-sur-l'Adour à Villeneuve-de-Marsan, à Roquefort-de-Marsan, à Captieux et aux confins du Bazadais.
Ces déplacements pouvaient causer de graves dégâts aux cultures du bas pays et occasionner des désordres de toute sorte. Aussi les vicomtes de Béarn cherchèrent-ils à imposer des règles précises. Tout d'abord ils faisaient percevoir une taxe sur les bêtes participant à ce mouvement de transhumance, le «guiit», le guidonage, par les «guidoers» qui en obtenaient le droit grâce à un système de fermage. Il existait également un office de «mayorau» sur lequel les renseignements manquent (cartulaire A, n° 13). Il s'agissait en quelque sorte d'un berger-chef du vicomte (mayorau deu senhor major) chargé de surveiller toute la vie pastorale du pays, qu'il s'agisse des troupeaux sédentaires ou des troupeaux transhumants. La famille vicomtale affirmait ainsi de façon détournée son droit de contrôle, et en quelque sorte son droit éminent de propriété sur tous les pâturages, sur tous les terrains de parcours en Béarn. Il y avait là l'ébauche d'un système comparable à celui de la Mestà en Castille, ou de la Cabana de Saragosse en Aragon. Mais dès la fin du XIIIe siècle, cette institution de la mayoralie était tombée en désuétude, et il semble bien que l'arbitrage de 1356 ait confirmé sa disparition. Les violentes réactions ossaloises avaient empêché le contrôle des déplacements pastoraux par le pouvoir central
.
La majorité des bêtes restait pour hiverner dans les landes marécageuses qui s'étendaient entre la plaine alluviale du gave de Pau et le Luy de France, dans le bassin du Luy de Béarn, zone connue sous le nom de Pont-Long. Les Ossalois affirmaient qu'ils étaient propriétaires de ce Pont-Long dont une partie au nord de Pau était boisée, le bois de la Ront, par déformation du latin «frons», la forêt «depuis temps de temps qu'il n'est mémoire du contraire». Prendre à la lettre de telles affirmations serait contraire à la réalité. Une telle attitude conduisit J. de Passy à supposer que les Ossalois étaient les habitants de l'ancienne cité gallo-romaine de Beneharnum (Lescar), aux portes du Pont-Long, et qu'ils avaient été obligés de battre en retraite dans la montagne après les raids normands tout en gardant la pleine propriété de leur terroir d'origine.
La lecture, même superficielle, des actes des cartulaires d'Ossau, si nombreux à propos du Pont-Long, suffi à démontrer qu'il n'en fut rien. Certes depuis longtemps les Ossalois devaient avoir l'habitude de venir hiverner avec leurs bêtes dans la zone du Pont-Long la légende selon laquelle le château de Pau aurait été bâti sur un emplacement appartenant à des Ossalois a peut-être quelque fondement historique qui ne fut que très médiocrement peuplée jusqu'au XIIe siècle, à une époque où le centre de gravité de la vicomté était le Vic-Bilh, entre la capitale Morlaàs et la frontière avec la Bigorre et le Marsan. Mais ils se contentaient d'utiliser «de facto» des terrains qui ne leur appartenaient pas.
Avec le développement des communautés rurales de la vallée moyenne du Gave de Pau qui trouvaient dans les évêques de Lescar leurs défenseurs naturels, alors que les Ossalois relevaient des évêques d'Oloron, les incidents commencèrent à se multiplier. Quelques textes des cartulaires démontrent même qu'au début du XIVe siècle les Palois, sur l'initiative de leur «Bayle» Bertrand Got, entreprirent de défricher le Pont-Long. Les Ossalois firent alors un effort décisif pendant les premières décennies du XIVe siècle pour mettre définitivement la main sur le Pont-Long. Cet effort eut lieu, au même moment, dans trois directions.
Tout d'abord ils utilisèrent la force contre les habitants de tous les villages riverains du Pont-Long d'une part au sud-ouest autour de Lescar, d'autre part au nord-est contre les villages de la «serrade», le rebord des coteaux de Morlaàs dominant la plaine du gave. Il y eut de véritables batailles rangées car les montagnards descendaient «ab armes et senhes desplegats», en armes avec les enseignes déployées. Un des épisodes les plus retentissants fut, en 1337, la destruction de l'antique village d'Ilhée, au cœur du Pont-Long, qui fut rayé de la carte. La vigueur et la cohésion des clans pastoraux leur permettaient d'avoir toujours le dessus dans ces violentes échauffourées.
En second lieu, comme Pau devenait le centre le plus important de la région, et que le château de cette bourgade contrôlait le lieu de franchissement du gave par les troupeaux transhumants, les Ossalois entreprirent peu à peu de coloniser le village. Des Ossalois s'y installèrent et réussirent à contrôler une part appréciable des charges de jurats. En quelques années il y eut un renversement dans l'attitude des Palois envers les Ossalois; une véritable alliance fut conclue et désormais les anciens adversaires furent solidaires face aux autres communautés. Tous les documents des cartulaires à propos du Pont-Long soulignent cette solidarité, réservent les droits des Palois, véritables associés des Ossalois.
Enfin, comprenant que la force ne suffit pas à tout et qu'il est utile d'avoir des titres de propriété en bonne et due forme, les Ossalois achetèrent, souvent très cher, la reconnaissance de leurs droits, ou prétendus droits, par les vicomtes. La première, Jeanne d'Artois, régente de Béarn qui en 1319 devait faire face à une violente opposition dans la vicomté où elle n'était qu'une étrangère après la mort de son mari, reconnut aux montagnards une situation privilégiée en contre-partie de leur appui qui lui permit de se maintenir à la tête du pays. Dès lors chaque procès, chaque régence ou minorité, chaque changement de vicomte fut l'occasion pour les Ossalois de faire renouveler leurs privilèges, sans obtenir toutefois la reconnaissance formelle de leur propriété. Ils n'étaient que les usufruitiers du Pont-Long dont le vicomte se réservait la propriété éminente.
L'usage de la force sur le terrain, la complicité des Palois, l'achat de la complaisance vicomtale permirent aux Ossalois de se conduire en maîtres à travers le Pont-Long. Le bornage minutieux de 1457, pour lequel le Livre rouge donne tous les détails nécessaires, consacre cette victoire juridique. Nul ne pouvait conduire sur le Pont-Long du bétail n'appartenant pas aux Ossalois ou aux Palois; nul ne pouvait défricher le sol même pour gagner quelques champs de millet. C'est ainsi que fut maintenue jusqu'en 1960 une importante zone de landes aux portes de la ville de Pau et de son agglomération qui peut maintenant disposer de toute la place nécessaire pour s'étendre en direction du Nord. Pendant des siècles les clôtures, les fossés établis par les cultivateurs désireux de mettre en valeur le Pont-Long furent impitoyablement démolis ou comblés; les maigres récoltes incendiées. A travers le Pont-Long la règle du «bédat» fut imposée: la mise en défens correspondait à la période estivale. Ainsi pendant 5 mois de l'année les troupeaux ossalois disposaient en montagne de pâturages laissés au repos durant le reste de temps; pendant les 7 autres mois le Pont-Long, à l'abri de tout défrichement et toute intrusion pastorale pendant l'été, les accueillait.
Sources
- P Tucoo Chala, Cartulaires de la vallée d'Ossau
| |
|