La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




A TRAVERS LES PYRÉNÉES
LES VALLÉES D'OSSAU ET D'ASPE.



es vallées d'Ossau et d'Aspe ont une direction à peu près semblable, du sud au nord, et elles communiquent entre elles par le col de Marie-Blanque. Dans leur partie septentrionale, elles se rapprochent et viennent aboutir à Oloron-Sainte-Marie où leurs gaves s'unissent et forment le gave d'Oloron, le grand tributaire et presque le rival du gave de Pau.
Ces deux vallées ont des caractères différents. La vallée d'Aspe est moins montueuse que la vallée d'Ossau ; elle s'étage lentement jusqu'aux portes de l'Espagne, et ses eaux ont moins d'impétuosité. La vallée d'Ossau est plus accidentée et son gave plus torrentueux. Ses eaux descendent en cascades bouillonnantes sous le nom de gave de Bious, des hauteurs du Pic du Midi d'Ossau et des massifs environnants, et elles sont loin d'être calmées quand, après une course de 40 kilomètres, elles arrivent à Oloron. Le gave d'Ossau a dû primitivement venir tomber dans le gave de Pau, en face de cette ville, tandis qu'aujourd'hui, parvenu à la hauteur d'Arudy, il tourne brusquement à gauche pour se joindre au gave d'Aspe,

     Les voyageurs qui passent par Sévignac peuvent juger qu'à cet endroit même le gave d'Ossau s'est détourné de son lit primitif à la suite de quelque bouleversement de la nature. Un peu plus bas, au-dessus de Rébenacq, on trouve la source de Néez qui paraît être une infiltration du gave d'Ossau. Le Néez a un parcours de 14 kilomètres et il se jette dans le gave de Pau à Jurançon.
     La vallée d'Ossau s'étend sur une longueur de 20 kilomètres, de Sévignac jusqu'au-delà de Laruns. La largeur de son bassin est de 2 kilomètres en moyenne. Des chaînons la séparent des vallées d'Aspe, d'Azun et d'Asson. Elle est limitée, au sud, par la base du Pic du Midi d'Ossau ; dix-sept villages se groupent à travers les montagnes ou sur les bords du gave. Nous citerons, en dehors des Eaux-Bonnes et des Eaux-Chaudes,
Buzy, curieuse par son dolmen et ses blocs erratiques ;
Arudy, chef-lieu de canton de 1.800 habitants, avec une église du xve siècle ;
Izeste, qui a une grotte très importante, foyer de l'âge du renne ;
Bielle, ancienne capitale de l'Ossau, qui possède le coffre à trois serrures où sont déposées les anciennes archives du pays d'Ossau ;
Béon, avec son château, sa forge et ses superbes rochers ;
Louvie, qui a des carrières de marbre et d'ardoise, et
Laruns qui mérite d'attirer l'attention comme tête de ligne de chemin de fer pour les Eaux-Bonnes, à cause de sa population relativement très nombreuse (2.500 habitants), qui en fait la vraie capitale de l'Ossalois.
    Elle a supplanté Bielle depuis longtemps par son activité, son industrie, ses scieries de marbre et de bois. Laruns a des rues longues et étroites ; une grande et belle place, une fontaine en marbre blanc et une église neuve qui remplace un vieux sanctuaire avec porte Renaissance et bénitier de marbre du xve siècle, où l'on a sculpté une sirène tenant un poisson et un sagittaire lançant une flèche.
     Laruns célèbre une grande fête au 15 août où paraissent les anciens et curieux costumes des Ossalois.
     La population de la vallée d'Ossau est estimée à 7.000 individus environ, généralement agriculteurs et éleveurs.
     Comme presque tous les habitants des stations thermales, les Ossalois sont quémandeurs. S'il faut en croire Taine, ils vivent de l'étranger qu'ils exploitent, quand ils ne le dévorent pas. Le voyageur philosophe, très fin observateur, se plaît à remarquer « avec quelle dextérité et quelle passion les Ossalois tondent un œuf ». Ce qui est surtout remarquable, c'est avec quel esprit il nous peint cet amour du lucre ; car, si les habitants profitent de la bonne aubaine pour s’enrichir aux dépens du voyageur, de son côté, l'écrivain n'a pas voulu demeurer en reste avec eux, et il a saisi avec empressement l'occasion de parler de leur rapacité, pour ajouter une page charmante, — dût-elle être inexacte, — à son Voyage aux Pyrénées.
     La vallée d'Ossau, intéressante par ses stations thermales des Eaux-Bonnes et des Eaux-Chaudes, ne s'enrichit pas seulement par le séjour des voyageurs que lui attirent ses eaux sulfureuses, mais elle trouve aussi une source de richesse dans l'exploitation de ses marbres statuaires trop peu connus (à Louvie), de ses forêts et de ses prairies. Les Ossalois ont même certains droits de jouissance sur les pâturages du versant espagnol, ces droits, reconnus par les traités internationaux les plus récents, sont garantis par des chartes précieusement conservées dans le « coffre d'Ossau », à Bielle, l'ancienne capitale du territoire. Les ancêtres de cette curieuse population sont très probablement les Osquidates montani dont parle Pline.
     Dès cette époque, ils se distinguaient parmi les populations béarnaises par leur amour de l'indépendance, et les souverains de Pau durent, au moyen âge, respecter les privilèges de cette petite région.

     C'est dans cet âpre défilé, à travers cette haute région montagneuse, par ce couloir étroit, hérissé à droite et à gauche d'une multitude de pics, que s'engagent chaque année les dix mille étrangers qui fréquentent les Eaux-Bonnes et les Eaux-Chaudes.
     A l'entrée de la gorge de la Sourde, un peu au-dessus de son confluent avec le Valentin, dont les eaux sont maintenues naturellement par trois cascades, la station des Eaux-Bonnes acquiert chaque jour plus d'importance. Ce bourg du département des Pyrénées est situé à 6 kilomètres environ de Laruns, à 748 mètres d'altitude.
     Alors qu'au début du siècle on y trouvait seulement quelques maisons de bois, aujourd'hui, de chaque côté d'une grande rue en pente qui est l'artère principale de la ville, s'élèvent des quartiers neufs, et une rangée de beaux hôtels borde le jardin anglais ou Darralde, rendez-vous principal des promeneurs et des guides.
     On s'attendrait peut-être à trouver un village à demi perdu au fond des Pyrénées, des maisons bâties avec peu de soin, des hôtels qui tiennent plutôt de l'auberge, des campagnards qui, devant leurs maisons et dans leurs ruelles, sont de moitié avec leurs poules, leurs porcs, leurs canards : il n'en est rien ; cette station est une agréable oasis créée par la main de l'homme ; on croirait volontiers qu'un coin de grande ville a été tout d'un coup transporté en pleine montagne.
     Trois établissements hydrothérapiques distribuent, surtout sous forme de boisson et d'eau pulvérisée, les eaux des quatre sources sulfureuses qui jaillissent du calcaire à une température de 20 à 30°. Ces eaux étaient dites autrefois d' arquebusade, depuis la guérison d'Henri IV de Navarre et d'un certain nombre de soldats blessés à Pavie. Aujourd'hui, on ne les emploie guère à la guérison des blessures ; elles sont seulement appliquées au traitement des voies respiratoires.

     Dans cent ans, elles guériront peut-être autre chose ; chaque siècle, la médecine fait un progrès. Autrefois, disait Sganarelle, le foie était à droite et le coeur à gauche; nous avons réformé tout cela. Un médecin célèbre disait un jour à ses élèves : « Employez vite ce remède pendant qu'il guérit encore. Les médicaments ont leurs modes, comme les chapeaux ».
    Cette boutade de Taine a plus d'esprit que de raison.

     Chaque année, on expédie plus de 100.000 bouteilles de ces eaux ; mais il faut en user avec de grandes précautions, car elles sont très agissantes.
     Aux Eaux-Bonnes et dans les hameaux voisins subsistent des restes des anciennes mœurs. Là, par exemple, comme dans quelques autres vallées retirées au fond des Pyrénées, l'élégant costume des montagnards s'est maintenu jusqu'à nos jours. C'est ce vêtement traditionnel que portent les garçons baigneurs et les filles de service aux Eaux-Bonnes et aux Eaux-Chaudes.
     Les excursions qu'on peut faire autour des Eaux-Bonnes sont variées et ne manquent pas d'intérêt : visite aux trois cascades du Valentin (Eaux-Bonnes, Discoo, Gros-Hêtre), le long du gave au spectacle changeant à l'infini, car « le visage humain n'a pas d'expressions plus marquées et plus différentes » ; à la cascade de Larressec, dans une gorge glaciale et étroite ; aux lacs d'Anglas (2.069 m. d'altitude), d'Uzious (2.120 m.), de Louesque (2,272 m.), d'Artouste ; montée au col de Tortes ; ascension au Gourzy, d'où l'on aperçoit la plaine du Béarn, quand le brouillard le permet ; au pic de Goupey (2.209 m.), à celui de Gabizos (2.686 mètres), l'un des meilleurs sommets d'observation de toute la chaîne des Pyrénées ; au pic de Saint-Mont ; à celui de Ger (2.610 m. d'où l'on peut découvrir un admirable panorama.
     Un peu plus en amont, sur le gave d'Ossau même, nous sommes arrêtés, à 675 mètres d'altitude, par une gorge extrêmement resserrée, si étroite qu'elle suffit à peine aux maisons, des deux côtés de la route. Nous voici aux Eaux-Chaudes. La nature apparaît plus triste, plus sauvage encore qu'ailleurs, mais aussi plus grandiose.
     Au nord de la vallée d'Ossau est une fente ; c'est le chemin des Eaux-Chaudes. Pour l'ouvrir on a fait sauter tout un pan de montagne, le vent s'engouffre dans ce froid défilé ; l'entaille perpendiculaire, d'une noire couleur ferrugineuse, dresse sa masse formidable comme pour écraser le passant ; sur la muraille de roches qui fait face, des arbres tortueux se perchent en étages, et leurs panaches clairsemés flottent bizarrement entre les saillies rougeâtres. La route surplombe le gave qui tournoie à cinq cents pieds plus bas. C'est lui qui a creusé cette prodigieuse rainure ; il s'y est repris à plusieurs fois et pendant des siècles ; deux étages de niches énormes arrondies marquent l'abaissement de son lit et les âges de son labeur. Le jour paraît s'assombrir quand on entre ; on ne voit plus sur sa tête qu'une bande de ciel.
     Sur la droite, une file de cônes gigantesques monte en relief sur l'ardent azur ; leurs ventres s'écrasent les uns contre les autres, et débordent en bosselures ; mais leurs hautes aiguilles s'élancent d'un jet, avec un essor gigantesque, vers la coupole sublime d'où ruisselle le jour. La lumière d'août s'abat sur les escarpements de pierre, sur les parois crevées, où la roche scintille niellée et damasquinée comme une cuirasse d'Orient. Quelques mousses y ont incrusté leur lèpre ; des tiges de buis séchées pendillent misérablement dans les fentes ; mais elles disparaissent dans cette nudité héroïque : les colosses roux ou noirâtres s'étalent seuls triomphalement dans la splendeur du ciel.
     Entre deux tours cannelées de granit s'allonge le petit village des Eaux-Chaudes. Qui songe ici à ce village ? Toute pensée est prise par les montagnes. La chaîne orientale, subitement tranchée, descend à pic comme le mur d'une citadelle ; au sommet, à mille pieds de la route, des esplanades développent leurs forêts et leurs prairies, couronne verte et humide d'où, par centaines, suintent les cascades. Elles serpentent éparpillées, floconneuses comme des colliers de perles égrenées sur la poitrine de la montagne, baignant les pieds des chênes lustrés, noyant les blocs de leur tempête, puis viennent s'étendre dans les longues couches où le roc nu les endort. » (TAINE, Voyage aux Pyrénées.)
Si le nom d'Eaux-Bonnes ne répond pas toujours aux effets des eaux, celui d'Eaux-Chaudes n'est pas non plus très exact, car on trouve des températures de 24° et de 10°. L'établissement thermal, sur la rive droite du gave, est un des mieux installés des Pyrénées. On y traite certaines affections de la peau, des articulations et des voies respiratoires. Ces eaux sulfureuses sont excitantes et diurétiques.
     La station thermale se prolonge aux Eaux-Chaudes un peu plus que dans les stations voisines, car, malgré de brusques sauts de température pendant la journée, le froid s'y fait sentir plus tard que sur d'autres points. Ces eaux sont pourtant assez peu fréquentées ; il y vient rarement plus de 2.000 malades ou touristes.
     On peut faire dans les environs des promenades curieuses mais non sans danger quelquefois. C'est le petit hameau de Goust (70 habitants), jadis espèce de république, qui se trouve dans un cirque de pâturages nourrissant des boeufs de petite taille, mais vifs et forts, type par excellence de la race béarnaise et servant à la régénérer. C'est la visite à la grotte des Eaux-Chaudes, parcourue par un torrent, à plus de 1.000 mètres d'altitude. Ou bien, les marcheurs intrépides peuvent, munis d'un flacon d'acide phénique, à cause des piqûres de vipères, visiter le pic de la Gentiane, le lac gracieux et la cascade d'Isabe, haute de plus de 200 mètres, les lacs Romassot, d'Ayous, de Bersou, d'Aule, faire le tour du pic d'Ossau ou l'ascension difficile du Balaïtous. Mais le froid et la neige chassent bientôt le touriste de ces hauteurs gravies avec peine et l'on reprend vite le chemin de la vallée pour y retrouver les eaux salutaires et un climat plus doux.

     Tous les habitants des Pyrénées aiment leurs montagnes et ils les chantent avec enthousiasme :    
  • « Montagnes Pyrénées, objet de nos amours... »
  • Mais, les Ossalois aiment et admirent plus encore les leurs et ils les chantent sans cesse dans leur patois mélodieux et poétique :
  • 0 montagnes d'Ossau favorisées des dieux, qu'il me soit longtemps donné de vous voir reverdir ; artistes, princes et rois vous visitent. Au milieu de vous je veux vivre et mourir, ô montagnes d'Ossau.
  • Ainsi que le berger qui embellit sa fiancée de bagues, de rubans, de dentelles ; ainsi la nature t'a parée avec amour de ses plus brillants ornements, ô vallée d'Ossau.
  • Les grottes les bocages, les gaves impétueux coulant à flots argentés le long des roches, font accourir les riches étrangers de l'Orient pour venir boire à tes sources renommées, ô montagnes d'Ossau.

   Sources

  • E. LABROUE, A travers les Pyrénées, Librairie Charles Tallandier, Paris.
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