Salut, Ossau, la montagnarde La Béarnaise que Dieu garde ; Avec bonheur je te regarde,
Douce vallée, et, sur ma foi ! Parmi tes sœurs que je défie, De Leucate à Fontarabie, Je te dis que la plus jolie
Ne peut se comparer à toi ! »
'est par de tels accents lyriques qu'une vieille ballade chante la vallée d'Ossau.
Cette vallée est située à l'extrémité sud-ouest de notre département, confrontant au midi avec l'Espagne, et, à l'est, avec le Lavedan. Orientée du sud au nord, composée d'anses successives qui s'étalent à l'abri d'un rempart naturel, elle débouche sur Buzy par une goule qui rompt la ceinture de ses hauteurs.
Les premières pentes sont étagées en prairies, puis grimpent jusqu'aux cimes d'épaisses forêts de hêtres et de sapins, coupées de vastes solitudes où siègent les masses informes de roches géantes.
Les lignes des monts sont admirables d'harmonie, d'un aspect très varié, grandiose, pittoresque au possible et très reposant.
Région charmante ! Elle est occupée par une race qui, dès l'origine jusqu'aux temps modernes, a su garder une quasi indépendance et les marques d'une originalité distinctive. Ce sont les Ossalois, population de pasteurs à la haute stature, vantée par la chanson « Aquets Aùssalès soun de gran lhebade ».
C'est mon pays, voilà pourquoi j'en parle. Nous nous attachons au coin qui nous a vus naître, fut-il exigu et déshérité ; à plus forte raison lorsqu'il s'illustre amplement de toutes les splendeurs de nos montagnes.
Il y a échange d'impressions profondes avec le milieu où l'on vit. La terre, le ciel projettent sur nous des effluves mystérieuses qui nous tiennent sous leur emprise. Ne sommes-nous pas un peu de limon animé par le souffle d'En-Haut ? Cette terre enjôleuse, qui nous lie, de ses embrassements comme une mère son enfant, nous reprendra un jour, et là matière périssable qui nous compose se dissoudra dans son sein.
C'est l'œuvre capitale du félibrige de nous insuffler par la prose et les vers, l'amour de ce sol natal, de sa langue, de ses traditions, parce que la « Tasque mayriane » nous relie à la théorie de nos ancêtres, et gardera notre empreinte pour la postérité ! C'est ainsi que se forme l'esprit et le cœur d'une race.
Eh bien, Messieurs, étudions cette terre, et cherchons-y la trace de nos aïeux à vol d'oiseau, si vous voulez, en historien, en moraliste. Cette recherche sera rapide, et, je l'espère, intéressante. Si elle vous était à charge, n'en accusez que la maladresse ou l'inexpérience de votre guide.
L'homme primitif a laissé des traces dans la vallée d'Ossau, ce qui nous permet de jeter un coup d’œil rapide sur le temps nébuleux de la préhistoire en notre région.
Des fouilles exécutées au dolmen de Buzy et dans la caverne d'lzeste ont amené au jour des fossiles intéressants et révélateurs : des os de grand ours, de renne, de pachyderme, d'auroch, de cerf, des débris de poterie, un moulin à pilon, des silex taillés, des haches de pierre, des pointes de flèche et des poinçons en os. Plusieurs de ces fossiles sont travaillés : on distingue, par exemple, une tête de cheval burinée sur un os avec un art admirable.
Quand vous passerez par Pau, visitez le musée Béarnais, installé au château. Henri IV, vous y verrez ces choses très anciennes.
De, ces âges obscurs, il nous reste encore des monuments mégalithiques : le dolmen de Buzy, , dont le bloc de superstructure pèse 15.000 kil ; deux trilithes à Arudy au quartier Lamazou, et trois cromlechs, composés de quarante-trois menhirs, dans la commune de Bilhères ; les indigènes les appellent « lous courraùs de Houndas », les parcs des fontaines.
En outre, je signalerai au pied du pic du Midi, sur le versant est, un cromlech qui encercle environ dix ares de terrain. Les bergers l'ont dénommé : « lou casaù de Poumbie », le jardin de Poumbie.
Il y a eu des controverses sur ce monument primitif ; on lui a dénié tout caractère préhistorique, alléguant que c'était un simple « courraù », un bercail de berger. J'ai parcouru toutes les montagnes d'Ossau, j'ai vécu parmi les pasteurs ; je puis affirmer que nulle part je n'ai rencontré un bercail de ce style. En montagne, le bercail est clôturé d'un petit mur en pierre sèche, dont les moellons sont très portatifs. « Lou casaù de Poumbie », au contraire, est entouré d'une rangée de blocs monolithes, lourds, massifs, véritables menhirs figés en terre, l'un à côté de l'autre, dans un rite intentionnel, et dont la plupart atteignent à ceinture d'homme.
L'homme de cette période, qui est l'époque néolithique, jouit d'une civilisation bien imparfaite, mais déjà supérieure à celle des temps paléolithiques. Les savants assurent qu'il domestique les animaux, cultive le blé, le seigle, l'orge, et broie les grains pour faire un pain grossier cuit entre deux pierres. Il connait l'art de la poterie, enfin il n'est plus seulement vêtu de peaux de bêtes, mais il sait cultiver et filer le lin pour en faire des étoffes grossières
Cet homme-là n'est pas notre ancêtre.
L'aurore de l'histoire trouve les libères installés dans notre Sud-Ouest. Ils s'y cramponnent d'une manière définitive, nulle invasion ne les en chassera. Ils étaient venus de l'autre versant des Pyrénées, de la grande Ibéride. Mais auparavant ils avaient traversé le détroit de Gadès et côtoie, par l'Afrique, le littoral Méditerranéen, semant sur leur passage des peuplades de même sang. De race essentiellement pastorale, ils étaient partis de l'Asie, source de tous les grands fleuves humains, des plateaux de l'Arabie, des plaines de la Chaldée, le pays des patriarches.
En sorte que, Gascons, Basques, Béarnais, nous sommes tous Ibères, saturés de romanisme, tous sémites, du même sang qu'Abraham, Isaac et Jacob.
Messieurs, ce n'est pas de l'humour.
Que diriez-vous si je reprenais la thèse de Théophile de Bordeu qui fait descendre les Ossalois des bergers de la plaine de Sennaar ? Je ne me passerai pas cette fantaisie. Mais les conclusions que je pose ont déjà été avancées par des géographes très sérieux.
Les Ibères ont laissé leurs traces sur leur chemin d'émigration. Élisée Reclus a noté chez les Bedja du Soudan Ethiopien, chez les pasteurs chameliers du Sahara, chez les Touaregs, les anciens Berbères, Ces peuples ont dû occuper primitivement le littoral méditerranéen, selon la loi de l'histoire, les invasions ultérieures les refoulèrent vers l'intérieur et vers les sommets de l'Atlas
des mœurs, des usages, une législation fort apparentés à ceux des Ibères, et, entr'autres, un droit matriarcal, un état privilégié de la femme plein d'honneur et de dignité.
Strabon raconte « que, chez les Cantabres, ce sont les maris qui portent une dot à leurs femmes, et ce sont les filles qui héritent de leurs parents et qui se chargent d'établir leurs frères ». (Strabon, livre III, 4).
N'était-elle pas un dérivé de ce droit la coutume qui prévalut en Ossau jusqu'à la publication du For réformé d'Henri II, et par laquelle la fille aînée héritait de préférence au garçon, ne laissant aux cadets qu'un droit, de créance sur l'héritage ? Et je crois bien que les Basques gardent encore cette coutume.
Ces Occupants, les Ibères, bâtissent, des villes et des villages, cultivent la terre, font surtout de l'élevage, savent travailler les métaux et exploiter les mines.
Leur vie sociale se manifeste sous forme de clans dont la famille, est la cellule. La femme marche égale à l'homme. Un chef, assisté des anciens, gouverne la tribu. Ces tribus n'ont entre elles qu'un lien confédératif, qui agit, seulement dans le danger commun. En attendant, elles vivent indépendantes les unes des autres, font des alliances, se querellent, se battent, se pillent, s'exterminent comme les tribus montagnardes du Maroc.
Parmi les peuplades de l'Aquitaine, Pline mentionne les Osquidates Ptolemée (140 ap. J Ch.) nomme, parmi les peuples aquitains, les « Ausquioi » et les « Datioi ». Sont-ce les Osquidates de Pline ? Ne peut-on pas croire aussi que le nom d'Osquidates désignait un agglomérat de tribus, tout comme, par Cantabres, on entendait les tribus ibériennes qui occupaient, vers l'Occident, les Pyrénées espagnoles , qu'il divise en deux groupes : Osquidates montani, Osquidates campestres. Les géographes les mieux accrédités regardent les Ossalois comme les descendants directs des Osquidates de Pline.
Ce qu'il y a de positif, c'est qu'aujourd'hui encore, on distingue l'Ossalois de la montagne qui occupe le canton de Laruns, le Haut-Ossau ; et l'Ossalois de la plaine qui détient le canton d'Arudy, le Bas-Ossau.
M. Raymond, ancien archiviste du département, qui s'est occupé de ces matières avec une compétence indiscutable, situe les Osquidates dans les vallées d'Ossau, d'Aspe, et de Barétous, et d'aucuns pensent qu'lluro était leur capitale. Peut-être même débordaient-ils plus avant dans les plaines, et la possession par Ossau de la lande du Pont-Long, un tènement de 56.000 arpens, et son ancien droit de pâture dans la plaine du Bazadais n'en seraient que la conséquence. Quoiqu'il en soit, il est certain que le plus de tous, les Ossalois ont gardé le caractère et, les traditions ethniques.
L'heure est venue où Rome va porter ses enseignes victorieuses jusqu'au fond des forêts ossaloises.
En 56 av J-Ch., le jeune Crassus traverse la Garonne dans la région des Sotiates, bousculant les tribus riveraines. L'alerte est donnée dans toute l'Aquitaine qui se met en appareil de guerre. Même on requiert le secours des tribus qui sont de l'autre versant des Pyrénées, que César appelle Cantabres, et qui n'étaient autres que les Vardules, les Autrigons, les Bérons, les Vascons, cantonnés dans le Guipuscoa, l'Alava et la Navarre.
Ceux-ci amènent des contingents aguerris, des chefs formés à l'école de Sertorius. Le mauvais destin est plus fort. L'armée combinée, subit une écrasante défaite dans les environs d'Aire, et 40.000 hommes restent sur le champ de bataille. Toutes les tribus se soumirent, excepté un petit nombre qui sont reculées et que l'éloignement et la venue de l'hiver mettent à l'abri.
Il est permis de croire que les Osquidates, les Béarnais, les Sibyllates formèrent le gros de ces indépendants. Mais cinq plus tard, César vint en Aquitaine avec deux légions et tous ces petits peuples firent leur soumission.
Rome qui était une admirable colonisatrice, implanta chez nous son esprit d'ordre, son administration hiérarchisée et sa langue.
Nous ne doutons pas. que les Ossalois n'aient été constitués en un pagus dépendant de la cité d'lluro Illuro, nom ancien d'Oloron. avec les franchises d'un municipe. Les coutumes du clan ibérien s'amalgamèrent avec ces franchises, et c'est à cette origine qu'il convient de rapporter les libertés essentielles dont on jouit si longtemps en Ossau.
Bielle, résidence du magistrat romain aura été le chef-lieu du municipe, et c'est pour cela que jusqu'à la Révolution, ce bourg fut toujours considéré comme le « Capdulh », c'est-à-dire le Capitolium de la Vallée.
Des vestiges de la résidence des Romains à Bielle subsistent encore : une mosaïque remarquable, des sarcophages gallo-romains, des colonnes monolithes en marbre rose aux chapiteaux corinthiens, qui ont servi à la construction de l'église actuelle. On rapporte qu'Henri IV, visitant cette église, trouva ces colonnes fort à son goût, et il eut voulu les expédier au Louvre. Incontinent il en fit la demande aux Jurats de Bielle. Ceux-ci, qui n'étaient pas Ossalois à demi, répondirent avec force révérences : « Sire le roè, noustes côs, noustes bés soun bostes, més aquets pièlas soun dèu boun Diu ; dab éth que-b a-t beyat. — Sire le roi, nos corps, nos biens sont à vous ; mais ces piliers sont du bon Dieu ; voyez avec lui-même. » — Henri IV sourit dans sa barbe et n'insista pas.
L’événement capital pour la Vallée, durant l'époque roumaine ou le VI em siècle tout au moins, c'est sa conversion au christianisme. Force nous est de rapporter cet évènement à cette période, car les siècles qui suivent ne sont nullement favorables à la propagation de la doctrine catholique. Les Goths surviennent qui occupent le pays pendant plus d'un siècle : or ils sont Ariens, et un de leurs rois, Euric, est un violent persécuteur des catholiques. Un siècle après se succèdent les invasions des Arabes, des Normands qui répandent le trouble et la désolation dans notre Sud-Ouest. L’Église d'Aquitaine est tombée en langueur ; il n'y aura eu, pour toute la Gascogne, qu'un évêque qui résidera à Bazas. Par ailleurs, la tradition signale des établissements catholiques dans la vallée dès le IX em siècle.
Il n'est point téméraire de faire remonter l'évêché de Beneharnum au IV em siècle. Saint Grat d'Oloron apparût à la fin du V em siècle ; mais il est probable qu'il ne fut pas le premier évêque de cette cité. C'est donc de ce centre de juridiction que partirent les missionnaires qui portèrent la bonne nouvelle dans le Pagus Ossalois, y établirent d'abord des postes d'évangélisation et puis des paroisses. Depuis lors, ce peuple s'est montré croyant fidèle. La religion catholique s'y implanta avec tant de vigueur; que jamais l'hérésie n'y fut accueillie avec faveur, et même, sous la pression violente et tyrannique de Jeanne d'Albret, les communautés protestantes ne purent y prendre racine. A Laruns, en 1603, le ministre protestant, Pourrat, devenu infirme, ne put être remplacé faute d'adhérents à la réforme.
Comme épanouissement de la foi, la paroisse de Buzy détenait sept prébendes fondées, sous le vocable de St-Blaise, par Monseigneur Jean de la Salle, évêque de Couserans, originaire de Buzy, Bescat, Izeste, Gère, Louvie-Soubiron, Béost, Gèthre (quartier de Laruns) avaient des abbayes laïques, dont l'origine du moins était religieuse, puisque biens d'église.
A Gabas, en pleine montagne, un hospice fut bâti en 1127 par Guillaume, prieur de Ste-Christine d'Aragon et parent de Gaston IV, vicomte de Béarn. Cet hôpital était destiné à héberger les pèlerins de St Jacques, et était desservi par les moines espagnols de Ste-Christine. L'oratoire, en style roman, est encore debout, à l'entrée de Galas, sur le côté gauche de la route.
Une autre maison hospitalière aurait été fondée à Bielle, au IX em siècle, par les moines de St-Jean de la Pena, en Aragon. Le monastère pillé et brûlé par les Normands fut reconstruit au XI em> siècle, à la demande d’Étienne, évêque d'Oloron, par ces mêmes moines de St-Jean de la Pena, qui étaient alors des bénédictins.
Aujourd'hui il ne reste rien de cet asile pieux si ce n'est le nom de la Badiolle (petite abbaye), donné à la place du village, et les armes bénédictines gravées sur le portail de l'église paroissiale : d'azur à deux agneaux d'argent, au chef couronné de la mitre et de la crosse abbatiale, avec cette légende : Unum ovile et unus paslor.
Aux portes de Bielle s'élève, au bord du gave, qui, en cet endroit, étend ses eaux au large, un petit oratoire dédié à N-Dame de l'Ayguelade (aqualata). Une jolie légende, qui a trait aux invasions Normandes et qui circulait dans la vallée par les longues veillées d'hiver, est venue s'accrocher, comme une guirlande d'honneur, aux murs de cette chapelle.
Le château de Bielle était assiégé par les Normands, et le siège traînait en longueur. Un jour, le chef des Barbares s'avance jusqu'au pied des murailles, et, nouveau Goliath, insulte les assiégés et les défie en combat singulier. Personne n'ose répondre à cet homme terrible par sa force et sa haute stature. Alors le Normand tirant de sa ceinture un collier auquel est suspendue une croix d'or : « Ceci sera l'enjeu du combat » s'écria-t-il.
Le seigneur de Béon reconnait le collier de son épouse, la belle Margalide. L'imprudente avait quitté une retraite sûre dans la montagne, et s'était laissée surprendre par l'ennemi.
Fou de douleur, le sire de Béon répliqua aussitôt : « C'est moi qui me mesurerai avec toi pourvu que l'enjeu du combat soit la femme qui portait ce collier. » Ainsi est-il conclu. On amène Margalide sur le tertre proche, et le combat commence.
L'Ossalois agile évite la massue de son pesant adversaire, et, par contre, le harcèle de toutes parts. Le Normand furieux, écumant de rage, recule pas à pas jusqu'au tertre pour mieux protéger ses derrières. Pour le dernier assaut, le vaillant époux invoque la Ste Vierge, se ramasse.... et voilà, que subitement, l'avisée Margalide détache son châle et, d'un geste rapide enserre la tète du géant que Béon abat aussitôt d'un coup de hache.
C'est, en reconnaissance de cette victoire, que l'imagination populaire a attribué au seigneur de Béon la fondation de N-Dame de l'Ayguelade, bien que cette
fondation soit postérieure de plusieurs siècles à la venue des Normands dans notre pays. Et ce qui a donné plus de crédit à cette suggestion, c'est que, jusqu'en 1793, le premier Jurat de Béon recevait, avant tous, à la chapelle de l'Ayguelade, le cierge et le pain bénit, bien que l'oratoire soit dépendant de la paroisse de Bielle et distant de Béon de plus de deux kilomètres.
Au début du Vem siècle, l'autorité de Rome tombant en carence, Ossau, écarté des voies de passage, protégé par l'enceinte de ses montagnes aux retraites profondes, soutiendra plus facilement le choc des invasions, et posera les bases d'une indépendance à peu près complète. Il laissera couler le flot des Vandales, il supportera les Goths pendant plus d'un siècle, il se battra avec acharnement contre les Sarrazins et les Normands, et avec une efficacité telle que, d'après la tradition, il donnera un asile sûr aux reliques de St-Grat ; oui, toutes ces forces hostiles ne parviendront pas à le dissoudre et il gardera jalousement le moule démocratique de ses institutions.
L'esprit de clan survit et persiste dans la vallée. Cela tenait pour beaucoup à ses coutumes séculaires et à sa manière de vivre. Alors, comme aujourd'hui, les Ossalois s'occupaient essentiellement de l'élevage du bétail Le travail pastoral amène par voie de conséquence directe, l'absence de classe dirigeante. Les pasteurs ne peuvent être que de petites gens. Aussi, dès le principe, les chefs de famille, suffisent-ils à la gestion de leurs intérêts, et la vallée d'Ossau offre-t-elle le spectacle de petits groupes, spontanément constitués en communautés, s'administrant eux-mêmes, et dont les habitants, dans les vieux parchemins, se qualifient pompeusement de « senhors ».
Ainsi est organisée la Vallée lorsque le vicomté de Béarn prend forme vers 840.
La race, la parenté de sang, des occupations similaires, des intérêts communs, une propriété indivise : le Pont-Long et la haute montagne, ont créé ces liens, cet esprit de corps, cet état social. A cet agglomérat de forme particulière il faudra une direction, un ordre, une autorité qui seront confiés à des chefs agréés et consentis par la communauté ; mais le pouvoir public n'aura d'étendue et d'efficacité que dans la mesure où il aura été constitué.
Le régime féodal lui-même ne pourra entamer que superficiellement cet état de choses. Cette institution, qui prend ailleurs la forme d'un pouvoir absolu et discrétionnaire, y est mitigée, subordonnée qu'elle est au forum, à la coutume, au droit établi qui conditionnent et règlent son exercice et sa puissance.
C'est un contrat social, passé sous la foi du serment le plus solennel, qui engendre, pour les uns et pour les autres, des obligations réciproques. Ce serment se prêtait dans l'église ou sous le porches genoux à terre, la main droite sur le Te Igitur de la messe, la croix posée sur le missel. Le seigneur jurait d'abord, puis les soumis.
Le 1er septembre 1534, Johan, seigneur de Louvie-Soubiron prête le serment du seigneur à ses soumis et jure que « lui, leur sera bon et loyal seigneur, qu'il les « tiendra en leurs fors, coutumes, usages et libertés dans lesquels ses prédécesseurs les ont tenus et entre tenus, qu'il les gardera de tort et de violence envers et contre touts personnages, et qu'il leur administrera ou fera administrer également la justice sans acception de personnes. »
A leur tour, les soumis «jurent qu'ils seront bons, loyaux et fidèles soumis audit noble Johan, qu'ils le secourront envers et contre tous, et contre tous personnages qu'ils sauront vouloir porter préjudice à sa personne, honneur, biens et choses, excepté la personne du seigneur souverain de Béarn ; qu'ils-lui feront et porteront honneur et révérence, qu'ils seront obéissants à son commandement et à celui de son baile toutes heures et fois qu'ils seront mandés. »
Ce n'est point aveuglement et sans réserve que l'Ossalois supportera le joug d'un pouvoir étranger ou local. Sans doute il reconnaîtra l'autorité des Goths, des Francs ; souffrira-t-il une certaine vassalité envers le vicomte de Béarn, mais il gardera une sorte d'autonomie réelle qu'il défendra avec une orgueilleuse fierté.
Le véritable caractère, de la féodalité en cette région fut celui d'une défense militaire plutôt que d'un servie foncier. Du reste la propriété y est exiguë aujourd'hui encore, tout le bien du berger étant dans la montagne ; à plus forte raison en ces premiers temps où les défrichements étaient à peine élaborés. S'il y eut des serfs attachés au sol sous la forme de «questaùs », c'est à dire de colons soumis à la « queste », ce fut par rares exceptions.
Nous pourrions nous faire une idée de l'état social de ces questaùs en disant que c'étaient des métayers par destination. Attachés à un fonds de terre, ils étaient obligés de le cultiver et de payer au seigneur certaines redevances. S'ils s'en allaient, le seigneur avait le droit de les rechercher, de les réclamer, d'où le mot « questaù » de quœsitus, de le ramener par la violence. Par ailleurs, le questaù vivait en liberté, se constituait une famille et pouvait amasser un pécule avec lequel il lui était loisible d'acheter son affranchissement. Gaston-Phébus avait publié un édit accordant l'affranchissement à tous les questaùs de ses domaines moyennant certaines redevances. Avec l'affranchissement, le questaù acquérait aussi le fonds de terre qu'il cultivait.Le 22 novembre 1402, Raymond Dabbadie de Louvie-Soubiron fut affranchi par son seigneur moyennant 25 florins et un cens annuel de 19 sols bons de Morlaàs ; les droits de lods, ventes, prélations étant réservés.
Le questau Barthélémy de Fondeyre-Dessus de Louvie-Soubiron fut affranchi, en 1414, par son seigneur Ramon, moyennant 40 florins et un cens annuel de 12 sols bons de Morlaàs ; les droits de lods, ventes, prélations réservés.
Les Ossalois étaient hommes libres. Leurs chefs paraissent les protecteurs de la commune plutôt que des seigneurs féodaux. A côté du gentilhomme qui habite son château ordinairement des plus modestes, la communauté vit, se gouverne, nomme ses magistrats, perçoit ses impôts, en un mot fait office d'autonomie.
Nous avons une lettre de Jeanne d'Artois, mère de Gaston II de Foix (1319) - une de Jean de Béarn, comte de Foix (1426) - une de Jeanne d'Albret, la vicomtesse, mère de Gaston IV de Foix (1463) - une d'Henri IV (1583), — toutes adressées à la communauté d'Ossau pour traiter des questions en litige, ou même solliciter des faveurs. Ainsi Jean de Béarn demande aux Ossalois d'autoriser les Jurançonnais à laisser leur bétail gîter dans le Pont-Long, parce que les allées et venues de chaque jour lui salissent et lui troublent « lou camp Batalhè » (quartier de la Basse-Ville de Pau qui servait de champ de manœuvres).
Henri IV prie les Ossalois de permettre à sa chère cousine d'Artiguelouve d'envoyer ses vaches dans le pâturage du Pont-Long.
Ces hauts personnages vont-ils s'adresser aux seigneuries d'Ossau ? Nullement. Ils écrivent à la «Juranne» « à nos bonnes gens et amés d'Ossau.»
Lorsque les seigneurs feront des usurpations, essaieront d'introduire des usages abusifs, ils seront rappelés à l'ordre comme le prouvent la protestation faite le 27 juillet 1538 par les vérificateurs du Parlement de Navarre contre le seigneur de Louvie-Soubiron, Johan, lequel prétendait aux droits de servitudes, de corvée, de tributs et subsides, des fers et prisons, etc... ; Pour comprendre ces protestations, il faut savoir qu'Henri II, roi de Navarre, avait ordonné que tout seigneur eut à produire le dénombrement de ses droits seigneuriaux par devant "Mgr Jacques de Foix, évêque de Lescar, sénéchal du Béarn. C'est ainsi que Johan, seigneur de Louvie-Soubiron, fut amené à établir les siens, le 27 janvier 1538. Il avait droit sur neuf maisons questales du village d'Aas, appelées par dérision « Lous Bragaris de Loubie ». D'après un dénombrement du 24 mars 1702, ces maisons étaient : Sens, Forgue-Dessus, Casamayour, Orteig, Casenave, Forgue-Débat, Puyou, Court, Soulé.
Par vente, les droits seigneuriaux sur ces familles étaient passés à la commune de Louvie-Soubiron, qui, en 1766, les exerçait encore, ce qui est piquant de la part d'une commune. et aussi la déclaration de la commune d'Aste, le 5 mai 1681, affirmant que la commune, comme du reste toutes celles de la vallée, était exempte du droit de chasse, de carnal, de mouture, de dépiquage, etc... partout ailleurs réservés aux gentil-hommes.
S'il est un droit considéré comme l'apanage ordinaire des seigneurs fonciers, c'est le droit de justice. Or, d'une manière générale, les cavers et domengers d'Ossau ne le possédaient même pas sur leurs terres (excepté pour leurs questaùs). L'Ossalois ne relevait que du vicomte souverain. Pour les causes minimes il était justiciable du tribunal de la communauté, prud'hommes ou jurais, magistrats élus par leurs pairs A Aàs, les Jurats étaient nommés par ceux qui sortaient de charge.
A Assouste, chaque habitant était tenu de remplir cette fonction à tour de rôle ;
A Aste, c'était par suffrage universel.
Les Jurats s'occupaient des affaires communes, percevaient les impôts, faisaient la police, rendaient la justice, surveillaient les biens communaux. .
Il arrivait même que ces dignitaires avaient la préséance sur le seigneur local, comme, par exemple, à Louvie-Soubiron.
A l'assemblée de la Cour Majour, les Jurats d'Ossau avaient le droit de siéger dans une place privilégiée, au haut bout de la salle « en lo sobiran cap de la sala » (Art. 26 For d'Ossau).
Les Jurats des dix-huit communes se réunissaient à Bielle, Capdulh de la Vallée, pour former un corps politique appelé Jurade. Là se discutaient les affaires communes, les plans généraux, l'intérêt public ; c'était un petit parlement qui avait aussi ses pots-de-vin.
On ne se séparait jamais sans voter un plantureux festin qui, naturellement, se payait sûr les fonds de la communauté. Ces dépenses étaient mentionnées sous la rubrique fallacieuse : Collation offerte aux chasseurs d'ours. Selon que la collation avait été plus ou moins copieuse, on inscrivait qu'elle avait été donnée pour la destruction d'un loup, d'un ours ou d'une ourse. D'où l'expression : « tua lou loup », faire ripaille ; « tua l'ous », faire grande ripaille ; « tua l'ousse », faire ripaille pantagruélique. Que dût être la frairie de 1742, où l'on avait pris quatre loups, quatre ours et une louve !!!
Pierre de Marca consigne dans son Histoire du Béarn que jusqu'à l'an 1100, les Ossalois avaient à leur tête des vicomtes particuliers et héréditaires. C'était la dynastie de Galin-Loup, venue des ducs de Gascogne, La vicomté d'Oloron avait été créée en faveur d'Aznar-Sanche, fils de Sanche IV Garcie (926) duc de Gascogne. Dans la descendance d'Aznar se trouve Aner-Loup qui eut une fille légitime, Angèle, et un fils naturel, Loup Aner. Angèle se maria, vers 1005, avec le vicomte de Béarn, Centulle IV, et lui porta sa vicomté d'Oloron. Loup-Aner, qui avait reçu en viager la région de Sauveterre eut deux fils : Galin-Loup qui devint vicomte d'Ossau, et Dat-Loup, vicomte d'Aspe de Galin-Forton. On a cru que ces vicomtes étaient indépendants ; il est certain qu'un lien de vasselage les unissaient au Béarn, puisque déjà Centulle IV oblige cent Ossalois à jurer la sauveté d'Oloron.
En 1100, soit que la lignée des vicomtes d'Ossau fut éteinte, soit pour d'autres raisons, la vallée passa sous le gouvernement direct du vicomte du Béarn. Mais en se donnant politiquement au Béarn, les Ossalois stipulèrent le respect absolu de toutes leurs coutumes et libertés.
Cela n'alla point sans heurts ni contestations. Sans doute, voulait-on réduire leurs privilèges et les ramener à la loi commune. Sans doute aussi que la lande du Pont-Long, qu'ils détenaient de temps immémorial et leur était d'une si grande utilité pour l'hivernage de leur bétail, leur valut alors plus d'une agression, comme plus tard de longs procès, de la part de voisins cupides et envieux.
Ce fut un temps de luttes et de combats, où les le terribles montagnards soutinrent leurs droits sans faiblir
Dès qu'ils apprenaient qu'on empiétait sur leur bien, on les voyait, constate le vieux for, descendre en armes et se faire justice eux-mêmes. « Las gents de la terra d'Ossaù, senhes desplégats ». — ils avaient leur bannière armoiriée ; sur champ d'azur, un hêtre au cœur, à dextre et à senestre un ours et une vache d'argent luttant ensemble, avec la légende : Aussaù ! Bibe la baque ! — « las gents de la terra d'Ossaù, senhes desplégats en Pount-Loung, é aqui coumetut trop exces, « coum son morts, plagas, arsies.» (For général). « Les gens de la terre d'Ossau, enseignes déployées dans le Pont-Long, ont commis là des méfaits excessifs comme homicides, blessures, incendies ».
A tort ou à raison, ces incursions leur valurent la réputation d'un peuple batailleur et quelque peu pillard. Marca écrit à leur sujet : « Avec une certaine liberté des peuples des montagnes, lesquels se confient en leurs fortifications naturelles, ils devenaient aussi élevés, aussi sourcilleux que les rochers de leur pays, et ils croyaient en quelque sorte qu'il leur était permis de ravager et de butiner la campagne. »
Messieurs, à ma grande confusion, je dois confesser que ce reproche ne parait pas manquer de fondement, et je crains que mes aïeux n'aient été de francs coureurs de routes.
Et oui, ils aimaient à razzier comme les nomades du désert ; c'étaient les mœurs du temps, mœurs rudes, mœurs guerrières ; et puis, c'était bien porté ; et puis, c'était la faute des privilèges de la Vallée, car Ossau était une grande sauveté, de sorte que si, d'aventure les Ossalois picorant les terres voisines ou les terres lointaines, pouvaient atteindre les frontières de leur pays, nul n'avait le droit de les y poursuivre, ni de leur demander raison. Seul le Vicomte pouvait se rendre en Ossau pour tenir des assises criminelles, et je vous prie de croire que, lorsqu'il se présentait dans ce but, les délinquants avaient tôt fait de gagner la montagne comme les Corses le maquis, et, là, attendaient patiemment que la justice du Vicomte eut repassé la frontière du val.
En 1221, pour mettre un terme à ces conflits, un accord bilatéral intervint entre les gens d'Ossau et le vicomte de Béarn, Guillaume-Raymond de Moncade .
Raymond entre en Ossau pour « pacifier le différend qui depuis longtemps existait entre ses prédécesseurs et les Ossalois sur les Fors et Coutumes existant entre lui et les Ossalois ; et ils s'accordèrent en une chose ainsi que ci-dessous il est déclaré. (For d'Ossau. Préambule). Ce sont deux puissances qui s'affrontent, et l'on constate que cette convention, désignée dans l'histoire sous le titre de « For d'Ossau », est Moins une concession du Vicomte que la consécration du Forum ancien, et la sauvegarde codifiée pour l'avenir.
Les Ossalois promettent l'hommage au Vicomte, mais, c'est chez eux que celui-ci doit se transporter pour le recevoir. Le Vicomte jure le premier de leur être « bon seigneur et loyal » ; ensuite les Ossalois jurent à leur
tour de lui être « bons hommes et, fidèles. » Donnant, donnant.
Mais voici qui est plus typique. Nous avons vu que les seigneurs d'Ossau n'ont aucun droit de justice sur leurs terres : les Ossalois se jugent eux-mêmes par leurs Jurats, et pour les causes majeures ou les cas d'appel relèvent directement du Vicomte. Mais le Vicomte ne peut exercer cette justice qu'à la condition de venir en personne la rendre dans la Vallée : nos montagnards ne veulent être jugés que chez eux.
Voici encore d'autres clauses suggestives.
Les Ossalois ne paieront que le tiers environ des amendes de pénalité en usage en Béarn, mais par contre, ils consentent au Vicomte le service militaire deux fois par an. Toutefois le Vicomte devra exposer les motifs de guerre devant l'Assemblée générale en Ossau ; après quoi, il lui sera permis de choisir trois cents hommes qui formeront sa garde personnelle s'il marche hors des frontières de la Vicomté. Cependant à ce droit il y a une condition restrictive : « Après qu'ils seront en la terre de guerre, le Vicomte ne doit en rien s'emparer de ce qui est de la guerre sans leur volonté ». (For. art. 3, f, 5, 6). Voilà de singuliers sujets.
A partir de cette époque jusqu'au XVIe siècle, un béguer ou un Bailly, délégué administratif du Vicomte résidera en Ossau, mais dans le respect et les limites de la constitution.
Henri II, roi de Navarre, eut le souci d'unifier la législation du Béarn, et, tout en respectant les vieux Fors, il en modifia l'application suivant les besoins du temps. C'est ainsi que le For d'Ossau fut subordonné au Nouveau For ou For Réformé, publié en 1551, et approuvé par les Etats de Béarn, dont du reste faisaient partie les Jurats d'Ossau.
Au point de vue fiscal En 1727, la Vallée payait quatre-vingts écus de contribution au roi pour la propriété des montagnes, bois, forêts et territoire général. Aujourd'hui nous jugerions cette somme dérisoire. (Déclaration de la commune de Louvie-Soubiron, 15 décembre 1727) et dans une certaine mesure, au point, de vue administratif, la Vallée sera désormais dépendante de la sénéchaussée d'Oloron, et suivra la fortune du Béarn, lequel sera réuni bientôt à la France.
Mais dans celle évolution, les montagnards garderont de leurs coutumes et privilèges tout ce qui peut être sauvé de l'emprise de la centralisation.
A la veille de la Révolution française, alors que, dans les grands centres, ce n'était qu'aspirations vers un bouleversement général, les Ossalois donnèrent un remarquable exemple de leur attachement à la tradition des ancêtres. Les villes de Pau et d'Oloron ayant voulu entraîner la Vallée dans un mouvement de transformation de l'ancien système judiciaire, la Jurade en délibéra, et, le 2 avril 1789, protesta à l'unanimité contre cette prétention « contraire à la constitution béarnaise, aux fors, aux privilèges et libertés des habitants du pays, se déclarant résolue à maintenir l'ancien état
de choses, le tout en conformité de la coutume. »
Sources
- P Badiolle, Vallée Esquisse historique, coutumes, imprimerie Marrimpouey jeune, 1925
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