La vallée d’Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




PASTORALE ROMANTIQUE
ET "GRANDS TRAVAUX"


La VALLéE D’OSSAU et son IMAGE

       Livres et images.

lettrines
   Ce qui appela encore mon intérêt lorsque la lecture et l’accès aux livres familiaux ou extérieurs à notre petite bibliothèque me devinrent faciles, c’est la place de notre vallée, des Eaux-Bonnes, des Eaux-Chaudes, de Laruns, dans la littérature de voyage du XIXe siècle ou dans les images peintures, aquarelles, gravures, dessins, lithographies, etc. Dans les livres, je restais très impressionné par la description que font Hippolyte Taine et, par ailleurs, Frédéric Ozanam, bulleinfo Il faut visiter dans leurs jours de fêtes ces Béarnais, qui font gloire d’être restés « fins, féaux et courtois ». Pendant que les provinces environnantes subissent peu à peu l’ignominie de la blouse et du pantalon, les paysans de la vallée d’Ossau ont le bon esprit de garder le costume de leurs ancêtres : les femmes, le capulet qui voile si bien leurs têtes pudiques ; les hommes, le béret, la veste rouge, la ceinture éclatante, la culotte courte et la guêtre, qui donnent à toute la personne un tour vif et dégagé. Jamais on ne vit gens plus lestes à la danse, pendant que le ménétrier, trônant du haut de son tonneau, exécute un air mélancolique et monotone, sur une espèce de guitare à quatre cordes qu’il frappe d’un tampon, à peu près comme on se figure la cithare et le plectrum des anciens. Mais jamais aussi on ne vit gens plus recueillis à la procession, et je ne saurais oublier ces deux longues files de montagnards qui se déroulaient au chant des hymnes sur la place de Laruns le soir de la Notre-Dame d’août. J’admirais surtout de grands vieillards, droits comme les pins de leurs forêts, portant avec dignité des manteaux qu’on ne voit plus que dans les peintures du moyen âge. Derrière, venaient le maire et les adjoints en habits de paysans ; l’écharpe officielle se nouait sur leur pourpoint violet ; de longs cheveux encadraient leurs visages respectables et fins, types de cette race ingénieuse et polie, aussi habile, assure-t-on, à poursuivre une affaire en justice qu’une bête fauve dans la montagne. de la procession de la fête du 15 août à Laruns. De même les poèmes de Francis Jammes transfiguraient les fêtes, les promenades, les conversations auxquelles je prenais part, et conféraient à celles-ci une légitimation que je sentais bien fragile pour mes camarades autant que pour mes parents !
     Il m’a fallu du temps pour le reconnaître dans la clarté et la sérénité : il y a un abîme social entre les "figures" ossaloises telles que les avaient stylisées les artistes et les poètes et les personnes réelles dont ils ont cru exprimer la vie. Là était le motif de la réticence de mes proches à partager mon enthousiasme.
     Les peintures de Gavarni (1804-1866) et de Devéria (1800-1857), parmi bien d’autres, me confortaient excessivement sans doute dans l’idée déjà vivante en moi que la Providence m’avait fait naître dans un pays dont les merveilles ont enchanté de nombreux artistes, en particulier vers le milieu du XIXe siècle.
     Aujourd’hui nous pouvons, grâce à de belles publications, avoir accès aux principales œuvres de cette époque ayant trait soit aux paysages et à la nature soit aux costumes et aux scènes villageoises. Il faut bien reconnaître leur beauté sinon leur véracité.
     Marguerite Gaston et Hélène Saule-Sorbé se sont de nos jours particulièrement attachées à faire connaître cette riche production en y honorant la part qui revient à la vallée d’Ossau et en particulier aux costumes ossalois bulleinfo Marguerite Gaston, "Images romantiques des Pyrénées ", Les Amis du Musée Pyrénéen, Pau, Marrimpouey, 1975, 350 pages;
Hélène Saule-Sorbé, "Pyrénées, voyage par les images", éditions de Faucompret, Serres-Castet (Pyrénées Atlantiques), 1993, 331 pages ;
Hélène Saule-Sorbé sous la direction de "Franz Schrader (1844-1924), l’Homme des Paysages rares éditions du Pin à crochets, 1997, 2 volumes, 214 et 215 pages.

     De tout cela, dans mes années de jeunesse, je m’étonnais qu’on fasse si peu de cas autour de moi... Néanmoins, je percevais que deux de mes "intérêts" pouvaient s’appuyer réciproquement : celui des livres, des images, des chansons, des poèmes et, d’autre part, celui du terrain, des excursions, de l’observation, des engagements quotidiens et familiers. Lequel des deux inspira l’autre ? J’ai tendance à penser rétrospectivement que ce furent, à ce moment-là, la poésie et la peinture (celles des autres, bien sûr) qui m’apprirent le paysage et dévoilèrent la capacité pour les montagnes d’inspirer les émotions : "Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées". C’est pourquoi je ne regrette ni ne renie mon enthousiasme...
     Depuis ces années d’apprentissage, j’ai vu d’autres montagnes et les ai pratiquées : en Kabylie, en Bavière, en Autriche, en Suisse, dans le Piémont...
     Partout j’ai retrouvé le même "sentiment de la montagne", pour reprendre le titre de l’exposition présentée au musée de Grenoble en 1998. Toutefois les Pyrénées gardent toujours pour moi une prééminence. Celle-ci me paraît être magnifiquement exprimée par Franz Schrader, le peintre de Gavarnie et surtout du canyon d’Ordesa.
    à la question qu’il se pose "à quoi tient la beauté des montagnes", il trouve cette réponse merveilleuse :
    "La plus belle zone des montagnes est celle où on dépasse tout en étant surpassé ! "

       Questions pour aujourd’hui.

     L’expérience de la vallée d’Ossau dans les années 50 pour un jeune "intellectuel-en-recherche" ne peut s’abstraire des conflits plus ou moins conscients provoqués par la coexistence sur place de groupes sociaux profondément différents. La tentation est alors d’en choisir un, et pourquoi pas le plus proche de sa tradition propre, à savoir, pour moi, le groupe des familles attachées aux activités agropastorales.
    De la même façon, l’image de la vallée d’Ossau, uniquement disponible alors dans des œuvres littéraires et picturales de très grande valeur mais déjà très datées, pouvait facilement induire une tendance passéiste favorisant l’intérêt pour un monde déjà transformé presque en totalité et, en tout cas, désormais très peu sûr de lui-même.

     Pour le jeune catholique puis pour le séminariste (à partir de 1954), il s’avérait nécessaire de détacher la foi et la pratique chrétiennes du seul "lieu" dans lequel, de fait, il les voyait vivre et s’accomplir, c’est-à-dire encore la civilisation agropastorale.
    C’est pourquoi s’imposa très vite à moi l’attention à d’autres mondes et, en particulier, à celui du travail industriel ou encore à celui des institutions juridiques et politiques dépassant la famille et la simple communauté locale. J’étais bien placé aussi par ma famille pour voir les changements fondamentaux que pourrait bientôt apporter pour notre village et notre vallée le développement du tourisme.
    Avoir vingt ans en 1954, c’est découvrir qu’il n’y a pas de destinée personnelle sans rapport intérieur et constitutif avec les transformations sociales ou collectives dont on est le témoin et dont on va bientôt devenir peut-être l’acteur. Cinquante ans plus tard, je pense que mon expérience, parmi celles de beaucoup d’autres, peut apporter un éclairage.
     Jusqu’ici,en effet, il nous faut reconnaître que, sur notre vallée, des images unilatérales et contradictoires nous ont été suggérées voire imposées de l’extérieur, sans que nous puissions parvenir à une synthèse. C’est pourtant à un tel résultat qu’il faut tendre en évitant de nous laisser enfermer soit dans l’idylle romantique et le "folklore" soit dans une vision purement utilitaire et financière entraînant la transformation illimitée des ressources naturelles et donc la "banalisation" et le conformisme croissant des habitants.
     Mais, comme le fit le Romantisme il y a un siècle et demi, la conception extrême de l’écologie, qui aujourd’hui se donne libre cours, y compris dans les vallées pyrénéennes, cherche à imposer de l’extérieur, à la vallée d’Ossau une image immobile de "sanctuaire sauvage". Ceci concerne d’ailleurs tous les autres terroirs français qui ont gardé leur "caractère" bulleinfo cf. Luc Ferry, "L’écologie profonde, essai de critique philosophique", notes de la fondation Saint-Simon, 1992, 41 pages.
    Une telle image, si l’on n’en critiquait pas les conséquences excessives, interdirait aux "valléens" d’assumer pleinement et directement la vocation et l’avenir de leur pays. Or je suis convaincu de ce que cette vocation et cet avenir peuvent intégrer des facteurs inédits de transformation économique et de richesse culturelle nouvelle, comme ce fut le cas tout au long des deux siècles précédents.
    Nous ne sommes pas obligés de répéter exclusivement des activités pré-modernes. Il est mensonger de prétendre justifier l’immobilité à partir de l’histoire de notre vallée. La complexité de cette histoire est plus grande que les représentations unilatérales habituelles ne le laissent penser, représentations selon lesquelles il n’y aurait jamais eu qu’un immuable passé agropastoral en Ossau.
    De toute façon, la pratique agricole et l’élevage, depuis quelques années, se transforment eux aussi très profondément.
    En tout domaine, il est illusoire de préconiser des lois qui interdisent l’évolution. Les difficiles débats d’aujourd’hui s’expliquent par les contradictions vécues trop silencieusement hier.
    L’élucidation des conflits mal perçus et mal supportés il y a un demi-siècle peut aider à prendre pour demain des décisions respectueuses des attentes et des désirs du plus grand nombre, et tout d’abord de ceux qui habitent et travaillent sur place.

   Sources

  • Entretien avec : le  Cardinal Pierre EYT, et la Revue Pyrénées, Pau 1997
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