La VALLÉE D'OSSAU et son IMAGE
es Pyrénées de la vallée d'Ossau, du Béarn et de l'Aragon, n'ont jamais
cessé d'être à l'horizon de mon parcours.
Les villes dans lesquelles j'ai vécu plus tard, notamment Toulouse, Paris et Bordeaux, ne m'ont jamais
vraiment éloigné des montagnes.
Mes racines étaient trop profondément enfoncées dans le terroir ossalois pour que j'imagine jamais me "transplanter" ailleurs.
L' affection familiale me fait toujours revenir à ce point de départ.
J'ai donc, pour le 200eme numéro de la revue "Pyrénées", pensé pouvoir
répondre à l'invitation de la rédaction, en évoquant mon parcours "pyrénéen" de l'expérience de l'enfant à la méditation de l'"ancien", du bain primordial des premières années à l'étude et à la comparaison plus tardives. J'en suis convaincu :
les Pyrénées vivent d'abord chez elles et chez ceux qui y habitent toute l'année.
Mais mille réseaux de curiosité, de culture, d'amitié, et même de nostalgie aiguisant l'analyse, les Pyrénées vivent aussi partout où leurs fils se rencontrent, réfléchissent ou rêvent tout simplement... Quand je parle avec mes compagnons d'école ou de collège, à Laruns ou à Oloron, je mesure quel prix s'attache à leur présence au Pays, à la présence de leur famille, à la permanence de leur travail sur place. En même temps, je me convaincs, concernant précisément les Pyrénées, de ce que l'éloignement précoce et continu de mon sol natal a suscité en moi une mémoire et une réflexion intenses.
Peut-être mon intérêt pour la recherche "savante" en ce domaine n'aurait pas existé dans d'autres
conditions. En effet, la présence spirituelle des Pyrénées n'a pas un seul jour fait défaut à ma pensée et à mon imagination. Le vaste monde et ses ouvertures, si tant est que je les ai pratiqués, ne peuvent épuiser la richesse de l'enclos des premières expériences. Celui-ci est paradoxalement toujours ouvert et d'abord par en haut. Il faut tout une vie, et je le crois, l'éternité, pour parcourir en des sens infiniment renouvelés la grâce indépassable du premier contact avec la terre, la famille, la société... et sans doute Quelqu'un de plus grand encore.
Activités agropastorales et "grands travaux"
Les activités agropastorales (cultures céréalières et élevage, principalement brebis, vaches,juments, mules...) étaient fort représentées à Laruns au sortir de la deuxième guerre mondiale.
J'en connaissais directement le détail même si notre famille n'y était pas impliquée. sur ma famille, mon enfance et ma jeunesse, voir "Cardinal Pierre Eyt, entretien avec Paul Meunier", Bordeaux, Mollat, 1997, 100 pages. Mes camarades d'école venaient pour moitié des familles d'éleveurs. Des liens serrés de cousinage paternel à Laruns et à Béost
me mettaient en contact presque quotidien avec ces activités. Surtout ma famille maternelle, les Gabastou, de Lay Lamidou, venait chaque été avec son troupeau de brebis (ils étaient quatre frères bergers) aux estives de Soques en amont de Gabas et près du col du Pourtalet.
Je me rendais également très souvent dans la maison de mes grands-parents maternels dans le village de Lay, près de Navarrenx. sur la vie agropastorale en Béarn, J.-J. Cazaurang, "Pasteurs et Paysans béarnais", Pau, Marrimpouey, 1968, deux volumes, 298,359 pages.
J'avais donc expérimenté, dès 1944, lorsque fut rétablie la liberté de circuler, les nuits incommodes des cabanes et une participation épisodique à la garde du troupeau. J'étais le témoin immédiat de la charge des adultes, tous hommes, dans cette rude profession traite des brebis, fabrication du fromage, transport a dos d'homme ou de bête du fromage et du ravitaillement en vivres sur de difficiles sentiers, cuisine sommaire, alimentation sans aucune variante, absence de moyens pour la toilette ou tout simplement manque de literie, précautions nocturnes contre les menaces des animaux prédateurs...
Je suis de plus en plus frappé de constater que la mémoire collective dans notre vallée a surtout valorisé les activités agropastorales en les transfigurant d'une façon idyllique, au fur et à mesure d'ailleurs que ces activités diminuaient en importance relative, au regard de la vie de la vallée dans son ensemble. Par contre, nous avons perdu la mémoire de notre passé minier, artisanal et industriel, scieries et menuiseries, filatures et chaussures, mégisseries, ateliers de cardeuses, carrières d'ardoise, de pierre et de marbre, moulins, forges et laminages... passé qui a cependant très fortement marqué la vallée d'Ossau et qui la marque encore.
Dans chaque commune, il y a des traces et des vestiges de ces formes d'activités, notamment près des petits canaux ou près du Gave et de ses affluents. Certaines de ces constructions remontent à l'Ancien régime. Il y a en Ossau
au moins trois siècles d'activités qui ne sont pas directement agricoles ou Pastorales. Il y a donc une tradition ouvrière qui s'est renouvelée à plusieurs reprises par des apports extérieurs de personnes ou de familles. Ce fait est bien plus repérable dans le bas de la vallée que dans les villages d'altitude mais cette différence entre les villages s'estompe depuis les grands travaux d'équipement hydroélectrique du Haut-Ossau et la disparition, les transformations, l'affaiblissement de plusieurs usines, notamment à Arudy.
La vie économique de la vallée dépend de plus en plus du développement des stations de sports d'hiver à
Gourette et à Artouste.
La fréquentation touristique estivale est aussi en hausse régulière. Les sites les plus visités sont Artouste, Bious-Artigues, le col du Pourtalet, la "falaise aux vautours " à Aste Béon, le col d'Aubisque. pour l'histoire de Gourette, on se reportera avec intérêt à l'album de R. Arripe, "Gourette, d'hier à aujourd'hui 1996.
Les chantiers visant à l'équipement hydroélectrique du Haut-Ossau se sont déroulés de 1920 à 1962. Dès 1920, l'entreprise François Thévenot, devenue Société des Grandes Entreprises Méridionales, met en œuvre l'agrandissement du lac d'Artouste et construit des conduites forcées vers la vallée. Ainsi sont créées trois centrales (on disait alors "usines") à Laruns, le Hourat (1924), à Miègebat (1927), à deux kilomètres en amont des Eaux-Chaudes, et à Artouste (1929) à deux kilomètres en amont de Gabas. Une autre centrale s'élèvera à
Pont-de-Camps (1955) sur le Gave du Brousset et un autre barrage sera terminé à Arremoulit en 1962.
Le barrage de Fabrèges commence à être édifié à partir de 1940. Le suit de très près dans le temps la retenue de Bious-Artigues (achevée en 1950).
"L'aménagement intégral et rationnel de cette vallée constitue... le plus beau fleuron du parc énergétique du Midi... (cette Compagnie ferroviaire a effectué en 1898 la première application au chemin de fer de la traction électrique dans les Pyrénées et le Sud-Ouest) : il s'agit de trois centrales disposées en cascade et conjuguées, régularisées par le réservoir saisonnier du lac
d'Artouste et des réservoirs journaliers... Cette réalisation de la Compagnie du Midi, application systématique de la "solution pyrénéenne", représente au tournant des années 1920 et 1930 l'exemple le plus complet d'aménagement hydroélectrique intégral d'une vallée en France et même en Europe.
La presse technique, comme La houille blanche, en fait un modèle achevé d'équipement de hautes chutes, à tel point que de nombreux ingénieurs américains viennent visiter les installations de la vallée d'Ossau. Ce voyage d'étude est inscrit au programme de la plupart des congrès professionnels nationaux et internationaux qui se tiennent alors en France Christophe Bouneau, L'électrification du grand Sud-Ouest de la fin du XIXe siècle à 1946, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1997, p. 423-424.
Un programme aussi dense amena dans la vallée d'Ossau près de deux mille ouvriers des Français, mais surtout des Espagnols et des Italiens.
Pour le barrage de Fabrèges, il y eut plusieurs centaines de travailleurs. L'afflux de ces hommes
venus quelquefois avec leur famille constitua un élément inattendu dans le contexte de la vallée, à Laruns tout particulièrement. C'était, disait-on, "les travaux" ? Dans les années 20, on travaillait dans le Haut-Ossau, dix heures
Par jour et vingt-sept jours par mois. L'habitat des ouvriers se réduisait à des baraquements sommaires qui servaient de dortoirs et de réfectoires. L'hygiène Y était plus que rudimentaire.
Laruns, où continuait de se dérouler l'existence agropastorale traditionnelle, n'en vivait pas moins désormais au rythme de ces grands chantiers : franchissement d'étapes dans le programme de construction, accidents, souvent mortels, dus notamment au maniement d'explosifs, visites de hauts responsables, grève de l' été 1924..., le rite de la "paye" et de la descente de la haute montagne fêtés chaque mois dans les cafés de Laruns.
Le Parti Communiste était, dès les années 20, particulièrement présent à ces travailleurs et à leurs familles. Il le sera plus
tard encore, après 1944. Je le percevais alors dans les propos des enfants, mes compagnons à l'école ou dans les jeux.
Précisément, hormis certains enfants et quelques "cadres" de l'entreprise, j'observais que ces hommes et leurs épouses ne venaient pas à l'église. Je m' approchais plus tard un peu mieux de ce groupe, lorsque, adolescent, je voulus réaliser pendant deux mois d'été l'expérience à mes yeux royalement rétribué de "porteur" et d'aide topographe. Nous effectuions l'acrobatique relevé des gorges du Bitet, un affluent du Gave d'Ossau en amont des Eaux-Chaudes, à hauteur de "l'usine" de Miègebat. Mais, en 1953, date de ce travail, la grande campagne de l'équipement de la vallée d'Ossau paraissait se survivre, au moins a cette altitude, en s'y prolongeant dans quelques activités terminales. Mes observations d'enfant, notamment sur le plan religieux, se confirmaient dans ce contact plus prolongé. Par exemple, ce fut la seule période de ma vie au cours de laquelle, le dimanche, je ne pus aller à la messe.../...
Deux "mondes"
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