La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




Le Dernier Berger
Transhumant d’Ossau.



our faire ce métier, il faut l'aimer. Le travail de berger n'est pas celui d'un éleveur classique. Lorsqu'il est en montagne, loin de tout, isolé, il doit être parfaitement autonome et assurer le suivi du troupeau : la traite matin et soir, les soins aux bêtes et la fabrication du fromage.

    Jusqu'aux premiers jours du mois d'octobre, les bergers vivaient dans une unique pièce, qui servait à la fois de lieu d’habitation et de fabrication du fromage. Elles présentaient généralement une forme grossièrement carrée, de 3 mètres de côté. L’aménagement était sommaire : elles étaient équipées d’un banc occupant toute la largeur de la cabane, placé face au foyer, d’un lit composé de branches de hêtre, de branchettes de sapin. Les capes servaient de couverture
  Les murs de pierres sèches disjointes, et au toit recouvert d'ardoises grossières (lapasses) pour les plus prêts de la route, ou de tôles ondulées parfois de vieilles bâches tendues sur des rondins de sapins, où viennent s'écraser avec force et bruit les gros grêlons des orages de la fin du mois d'août. Le plus souvent, un trou dans le mur fait office de cheminée, ou plutôt évacuateur de fumée au feu de branches sèches ramassées par ci par là, qui atténue la fraîcheur des petits matins, et qui chauffe pendant d'interminables heures la grande chaudière en cuivre remplie de ce lait qui donnera le fromage d'Ossau.

    Devant cette cabane à la petite porte, unique ouverture, sèchent sur le banc de pierre, les ustensiles qui servent à la fabrication des boules qui seront entreposées dans les saloirs plus bas dans la vallée. Tout près de cette habitation de fortune, un petit parc clôturé, avec une barrière de pierres ou de piquets en bois qui soutiennent le grillage, c'est là, que passera le troupeau pour la nuit. Plus loin deux cochons se vautrent dans la boue, qui se nourrissent principalement de petit lait.
    Dans ces cabanes perdues au milieu des montagnes d'Ossau, pas de lit douillet : de la paille, avec quelques couvertures et des peaux de moutons. Pas de lumière juste les flammes vacillantes du feu, et la lueur blafarde d'une bougie. Pas de richesse superflue la cuillère et la fourchette coincées entre deux pierres, plus loin sur le rebord d'une pierre le sel, un quignon de pain, un morceau de lard, dans un recoin la bonbonne de vin...

     C'est dans ce cadre rustique, que le berger ossalois passe ses longues journées de solitude à traire tôt le matin, à faire ses fromages, à surveiller son troupeau toute la journée, à traire encore au crépuscule, à penser au temps qui passe...
    Aujourd'hui les bergers ossalois disparaissent au fil des ans. La vallée d'Ossau n'échappe pas à l'exode des vallées montagnardes.
   Certes, il est vrai que le berger d'aujourd'hui, a sa voiture devant la porte de sa cabane flambant neuve, la bougie a été remplacée par l'éclairage moderne, les flammes du feu qui léchaient le chaudron sont celles des bouteilles de gaz.


        Auguste CASASSUS
   1933 - 2012
fUNE VIE DE BERGER TRANSHUMANT :
Propos de Jean-Claude DUFFAU, maire d’Ayzieu (Gers), lors de la messe en l’église paroissiale du village de Gère-Belesten, le 17 mars 2012.
   Il y a un mois, le destin inexorable, souvent injuste à nos yeux et toujours cruel, venait frapper nos communes de Gère-Bélesten et d’Ayzieu, en ravissant à notre amitié Auguste, « Le Berger » l’homme au béret, trait d’union entre deux régions.
   Il y a peu de temps, j’avais eu le plaisir de lui souhaiter un anniversaire particulier : les 60 ans de transhumance à Ayzieu.
   Aujourd’hui, il m’appartient de lui adresser un ultime adieu au nom de tous les Aciliennes et Aciliens.
   Né le 7 février 1933, dernier d’une fratrie, tu embrassais la profession de berger, exercée sans arrêt, depuis cette date là.
    Arrivée très jeune à Ayzieu, tu trouvais à « Halabert » une deuxième famille : Constant et Madelon, Marie, Titi et Joël.
    Enfant de la montagne que tu chérissais, en était pour preuve ton impatience, comme celle de ton troupeau d’ailleurs, au mois de mai, de rejoindre les estives « Ibech, Bious, Gaziès » , plus généralement la vallée d’Ossau, ton chemin de pèlerinage, répondant à l’appel de la montagne comme d’autres répondent à l’appel du grand large.
   Tu ne la quittais que pour rejoindre à l’automne venu ta seconde patrie, aux reliefs moins accentués. A l’heure où les palombes migraient vers le sud, pour des lieux plus cléments, tu remontais vers le nord, vers ton havre hivernal, content de retrouver tous tes amis armagnacais.
   On attendait Auguste, l’ami de retour de ses terres béarnaises. Tu manquais à beaucoup de monde. On attendait ton passage et celui de tes brebis sur les chemins. « Ah ! que tournat l’Auguste ! » Avec une pointe de soulagement.
   Je ne vais pas faire la liste de tes qualités, exercice inutile car chacun, chacune a pu mesurer et apprécier mille fois ta personnalité, ta façon d’être et la présence qui était la tienne, malgré un travail de berger contraignant et harassant.
   Je vais simplement exprimer la pensée de tous. Tu nous manqueras, comme nous manqueront tes expressions célèbres telle « qu’abi tribailh » et ton « « Beth cèu de Pau » que tu ne manquais pas de chanter à l’occasion de repas associatifs, et même pour certains d’entre nous en montant au col d’Ayous, rappelant fièrement tes origines béarnaises. Tu étais aussi et surtout un homme à l’écoute des autres.
   Toujours prêt à sillonner les routes pour rendre service et à faciliter la vie d’autrui. Le social, certains en parlent, d’autres comme toi le pratiquaient au quotidien. Tu étais un homme rare, précieux, un véritable ami !
   Et ton fromage que tu étais fier de nous offrir, et notamment lors de cet anniversaire où tu m’as appris la façon de le découper, j’avais voulu t’aider mais je n’avais pas ton savoir, Même ce jour-là ou nous voulions te remercier de tout ce que tu nous avais apporté, tu trouvais le moyen de nous faire plaisir : c’était un besoin pour toi.
   Tu resteras dans nos souvenirs, et quand le vent viendra de la montagne, nous essaierons d’être attentifs, des fois que tu voudrais nous faire passer un message « je ne suis pas là, mais venez visiter mes montagnes, elles sont belles ! (tu me l’as eu dit), je vous accompagnerai ».
   Si je ne devais retenir qu’une image de toi, qui résume ta vie, ta personnalité, c’était lors de notre première visite à Bious Artigues, où tout en laissant planer ton regard sur l’horizon, sur tes brebis surveillées par le « Patou », quel fidèle compagnon, et en répondant aux randonneurs, tu me montrais tout ce qui faisait ta vie de tous les jours.
   En cet instant très pénible, tous tes proches, tes amis et tous ceux qui t’ont apprécié, te pleurent… tous par ma voix t’adressent leur adieu fraternel. Et une dernière fois nous te disons Adieu mon Ami, Adieu Auguste, Adíou Auguste.


La transhumance et l’estivage, ou estive des animaux en montagne constituent des pratiques pastorales ancestrales et sont la base de l’élevage en montagne. La signification de ces deux termes est parfois un peu ambiguë :
   La transhumance correspond, au sens strict, au déplacement d’un troupeau vers une zone où il pourra se nourrir ; il s’agit des zones de plaine en hiver et de pâturages de montagne en été, ceci obligeant les animaux à une migration de la plaine vers la montagne et inversement.
   Lors de la transhumance hivernale, ou hivernage, les animaux quittent leur exploitation en début d’hiver pour fréquenter les pâturages de plaine. Les troupeaux passent alors l’hiver au pâturage en plaine où le climat est clément plutôt qu’à l’étable en montagne, où les hivers ne permettent pas au troupeaux de rester à l’extérieur et le manque de terre de récolter suffisamment de fourrage pendant l’été.

   Cette pratique, encore très usité avant les années 1970 est en nette régression ; elle concernait essentiellement les éleveurs des vallées qui possédaient une SAU (surface agricole utile) trop faible pour permettre de nourrir un troupeau durant tout l’hiver. Mais de nos jours, les vallées se dépeuplent et les exploitations s’y raréfient.
   C’est pour cette raison que l’hivernage tend à disparaître.

    LE MÉTIER DE BERGER TRANSHUMANT DANS LES PYRÉNÉES OCCIDENTALES :
          Une vieille histoire qui se termine avec : Auguste Casassus.

   A l’image des cadets d’autrefois, Auguste Casassus a passé sa vie à garder les troupeaux de la famille. Cinquante-neuf ans de symbiose avec ses brebis et sa montagne.
    Et aucun regret. Bien au contraire.
   Il est vraisemblable que la transhumance d’été qui voit la venue des troupeaux sur les pâturages appelés pour cette raison estives, a été pratiquée en Ossau depuis environ 4.500 ans.

   Le dos voûté par des années de traite, le visage rougi par l’air montagnard, Auguste arpente la rude estive de Gaziès. Béret vissé sur la tête, ses éternelles bottes (lous régums) en caoutchouc aux pieds, il garde sur ses brebis et la montagne le même regard complice et malicieux de ses jeunes années.
    « J’ai débuté à 14 ans. Après mon certificat d’études, je suis parti berger en montagne. Je suis toujours dans la même maison depuis », explique Auguste Casassus qui est à 78 ans, le dernier bergers transhumants en activité.
   « Ma vie, c’est la liberté de la montagne »
    Cadet d’une fratrie de quatre garçons, Auguste est né le 7 février 1933 à Gère-Bélesten où sa famille est agricultrice « depuis toujours ».
    Suite à un arrangement familial, son père lui laisse un troupeau pour se lancer. « Le troupeau partait dans le Gers puis revenait pour la transhumance d'été en Ossau. Mais je restais huit mois dans le Gers et la règle communale voulait que l’on reste six mois au village pour profiter des estives.     On m’a interdit d’estive, j’étais exclu de la commune », assure Auguste. « Ma vie, c’est la liberté et la tranquillité de la montagne ».
   Aussi, plutôt que de se passer de cette vie, il vend son troupeau à son frère et continue à aller en montagne comme berger pour son père, son frère et aujourd’hui son neveu.

   Parcours immuable cadencé par les saisons et le pas des bêtes. « J’ai fait la transhumance à pieds, de 8 à 10 jours entre le Gers et l’Ossau. Puis par le train et enfin par camion après 1968. « On était reçus dans des maisons où nous avions nos habitudes.
    A l’automne, on ne donnait rien, mais au printemps, on laissait des fromages pour payer le gîte et le couvert », se souvient-il. « En estive, les conditions étaient rudes. On était dans de toutes petites cabanes. Il fallait plier le lit pour faire le fromage, chercher le bois à l’épaule, trois fois par semaine, l’âne descendait les fromages.
    On n’était pas aux normes d’aujourd’hui, mais le fromage était bio et on n’a jamais empoisonné personne », sourit-il. Aujourd’hui dans la cabane encore sommaire de Gaziès, il apprécie les progrès accomplis. « Il y a eu des améliorations, on vit comme des humains, plus comme des sauvages », note-t-il en rappelant les nuits difficiles sous une toile quand il fallait chasser les vipères avant de se coucher et se relever la nuit pour rattraper la bâche enlevée par un coup de vent. Les brebis, la montagne, voilà sa vie : « Ce sont mes filles qui me motivent, ce sont mes amies », explique cet éternel célibataire « par choix ». « Ici, elles mangent quelque chose de bon et elles ont de quoi. Avant, on était neuf ici. Maintenant, je suis seul avec un stagiaire pour me tenir compagnie. »
   Pourtant l’estive est dure, escarpée, il faut savoir y mener les chiens pour éviter la casse, mais Auguste, pour la 59eme année justifie cet inconfort : « C’est mon plaisir. Avec les bêtes je ne me suis jamais ennuyé depuis ma jeunesse. C’est mon plaisir de les garder, il y en a 300 et je les connais toutes, il n’y en a aucune pareille ».
    Il se souvient de mille anecdotes. Comment plus jeune, il descendait au village après la traite du soir, se changeait et partait en fête avant de remonter à marche forcée pour la traite du matin. Ou ses rencontres avec l’ours. « En 1969, je l’ai croisé dans la nuit à deux mètres près de la cabane. J’en ai perdu la parole pendant 14 heures ».
   « Je n’ai jamais été dégoûté. Je n’ai pas de problème de solitude, je n’ai jamais regardé la télé ou écouté la radio, je regarde mes brebis, je m’occupe de ma vie et pas de celle des autres. La vérité n’a qu’une face avec moi », insiste-t-il. Amoureux d’une vie qu’il ne changerait pour rien au monde, il est désormais en estive avec de jeunes stagiaires. « Je montre le métier comme je l’ai fait tous les jours de ma vie. Après, ils feront ce qu’ils veulent ». Et l’avenir ? « En octobre je serai dans le Gers, c’est l’herbe qui décide où je vais.
    Si on me sort des bêtes et de la montagne, c’est ma mort. C’est pourquoi je continue »

Pour les parcours de longue distance, ou transhumance hivernale, pratiqués presqu’exclusivement par les bergers béarnais (Ossau, Aspe et Barétous), en raison de l’insuffisance en fourrage d’hiver propre à ces 3 vallées, les documents d’archives nous enseignent qu’ils sont connus au moins depuis le Moyen-Age.
    Les cadets de famille occupaient, la plupart du temps, la fonction de bergers de ces troupeaux, avec dévouement, « sachant les soins à donner aux bêtes, la manière de traiter le lait et de fabriquer le fromage… ».
   Par le Pont-Long, ils gagnaient les landes du Béarn et de la Gascogne, jusqu’au Bazadais et l’Entre-deux-Mers.

Dès les années 1930, Henri Cavaillès ne peut que constater la disparition quasi complète de cette transhumance pour les bovins (La transhumance pyrénéennes et la circulation des troupeaux dans les plaines de Gascogne).
    Près de 80 ans après, le même constat peut être fait pour les ovins, et le témoignage de la vie de berger d’Auguste Casassus marque, pour la vallée d’Ossau, la fin d’une pratique millénaire.

      Itinéraire DES SAISONS DE L’ ANNÉE.

   A AYZIEU.
Dans le Gers, en automne et hiver, « Halabert »,j maison et bergerie

   EN VALLÉE D’OSSAU.
    Dès le mois de mai, et jusqu’au début juillet : séjour à IBECH. fp

   Homme de terrain, connaissant parfaitement ses estives et les parcours de ses brebis, Auguste conservait la mémoire des limites de pâturages, gravées dans la pierre, qui faisait de lui un informateur remarquable pour les enquêteurs actuels travaillant sur la localisation exacte des bornages en montagne.
    En témoignent ce cliché pris par J.P. Dugène, lorsqu’Auguste lui communique les bornes entre Ibech et Aspeigh. eh
   Juillet. Séjour au pâturage de BIOUS.fh
    Par Laruns, Gabas, Bious-Artigues, les troupeaux du Haut-Ossau rejoignent les estives de haute montagne.
   Août- début septembre. Séjour au pâturage de GAZIÈS.fd
    Les brebis ont le lait tari, le berger n’a plus de fromage à fabriquer. Il suit, la plupart du temps, ses bêtes dans leur parcours journalier.

4    Sources

  • Texte de Laurent Vissuzaine
  • Photos : Michel Casassus, Bernadette et Jean Pierre Dugène, G. Marsan
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