epuis nombre d'années déjà, la Compagnie des Chemins de fer du Midi travaille à électrifier son réseau.
Désireuse de s'affranchir du lourd fardeau financier que représentait et que représente pour elle l’achat d'énormes quantités de charbon, elle a demandé aux chutes d'eau pyrénéennes l'énergie nécessaire à la traction des trains qui circulent sur ses voies.
Sa politique d'électrification, que tous les techniciens s'accordent à déclarer admirable, l'a amenée à réaliser des aménagements d'une rare perfection : il n'en est sans doute pas de plus beau que celui de la vallée d'Ossau.
Il nous a semblé que l'utilisation industrielle de cette vallée méritait d'être étudiée ici, d'autant plus qu'elle paraît bien avoir été l'une des œuvres de prédilection de la Compagnie du Midi en ce domaine.
3 - Les résultats de ces Travaux
Les résultats obtenus répondent-ils aux efforts déployés et à la lourde dépense engagée ?
Oui, puisque les rendement respectifs des trois usines sont bien ceux que l'on attendait. Pour nous en rendre mieux compte, ne laissons pas d'examiner de plus près l'ensemble réalisé
L'usine d'Artouste utilise uniquement les eaux du lac du même nom. Ce lac n'a que 43 hectares de superficie, mais il a plus de 70 mètres de profondeur et sa capacité d'emmagasinement est de 23 millions de mètres cubes.
Avant l'aménagement, elle n'était que de 14 millions, et le niveau normal n'était qu'à la cote 1968.60 mètres.
Un puissant barrage, haut d'environ 25 mètres, a relevé ce niveau à 1989 mètres et augmenté la capacité d'emmagasinement dans la proportion que nous venons d'indiquer, la prise d'eau sous le lac permettant d'utiliser une tranche d'eau de 71.50 mètres et la cote de cette prise étant 1918.
Le canal de prise, entièrement souterrain, mesure 8.060 mètres ; sa section est de 1.60 mètres, sur 1.80 mètres sa pente de 1 mm.2 par mètre.
De la chambre de mise en charge sise à 1906 mètres, partent trois conduites forcées dont chacune peut débiter 1080 litres, soit, au total, 3 m3 24 à la seconde. Franchissant 773 mètres en une chute verticale, cette eau arrive aux turbines Pelton de l'usine d'Artouste.
On avait voulu, pour celle-ci, un équipement comprenant 3 groupes turbine-alternateur de 7.000 kw chacun, soit une puissance installée de 21.000 kw ; elle est actuellement aux aubes de 30.000 chevaux. En fait, comme la très justement remarqué M. Fischer, « quant à la puissance moyenne de cette usine, il n'y aurait guère de sens à fixer un chiffre, le fonctionnement devant être très irrégulier selon les saisons et même les années, par suite du rôle de régulateur qui lui est assigné dans le programme de la Compagnie du Midi. »
A côté de cette usine, à la cote 1130, il est deux réservoirs constitués par deux barrages de retenue hauts chacun d'une quinzaine de mètres et disposés en cascade. Leur capacité totale, d'environ 95.000 m3, est extrêmement précieuse à l'usine de Miégebat.
Le réservoir d'amont, outre les eaux déjà turbinées du lac d'Artouste, reçoit celles du gave de Brousset : le réservoir d'aval celles du gave de Bious qui ont été dérivées vers lui au moyen d'un barrage et d'un canal souterrain long de 2 kilomètres.
C'est au barrage de retenue aval qu'est accolée la prise d'eau de l'usine de Miégebat.
Souterrain lui aussi, le canal d'amenée de cette dernière est long de 7.900 mètres et s'étire sur la rive droite du gave d'Ossau. Sa section 3 mètres sur 3 a été calculée telle qu'il puisse supporter une charge d'eau d'une vingtaine de mètres cubes. De fait, un peu plus en aval, il reçoit « les eaux du gave de Soussouéou par une prise latérale avec barrage suivi d'une descente en cascade rejoignant le canal.
Les eaux peuvent ainsi alimenter directement le canal ou refluer vers le réservoir amont, et contribuer, la nuit, à son remplissage. »
Taillée en plein roc, la cheminée d'équilibre à laquelle aboutit ce canal se complète par une chambre d'épanouissement : ouvrages d'une puissance que seuls les techniciens peuvent apprécier à sa valeur.
De cette chambre d'eau (dont le niveau est à 1.130 mètres) partent trois conduites forcées de 1.20 mètres de diamètre : chacune d'elles est capable de débiter 4 m3 par seconde, soit au maximum 12.000 litres par seconde pour l'ensemble. C'est sous une chute brute de 380 mètres que l'eau arrive aux 5 turbines Pelton de l'usine de Miégebat. Celle-ci a été dotée de 5 groupes générateurs de 7.000 kw chacun. La puissance totale peut être évaluée à 50.000 chevaux.
Les techniciens attachent ici un prix tout particulier au dispositif de défeuillage destiné à arrêter les corps flottants, ainsi qu'à la manœuvre automatique des vannes des barrages du réservoir. En effet, à peine plus bas que l'usine, se trouve un réservoir journalier de 75.000 mètres cubes.
Il est constitué d'abord par un réservoir à ciel ouvert de 25.000 mètres cubes résultant lui-même de la construction d'un barrage en travers du gave d'Ossau : « le réservoir, écrit M. l'ingénieur en chef Godard, reçoit ainsi, outre les eaux sorties de l'usine de Miégebat, tous les écoulements supérieurs de la vallée, et notamment le gave de Bitet. »
Ensuite, par le canal d'amenée de l'usine du Hourat lui-même, dont la section a été prévue à dessein plus grande que ce qui eût été strictement nécessaire pour le débit à fournir aux turbines. »
Elle est, en effet, de 12 m2 ; plus que dans le canal de Miégebat, presque autant que pour un tunnel de chemin de fer d'intérêt local.
Il est à remarquer qu'au voisinage de la chambre d'eau, la largeur augmente progressivement « de manière, dit encore M. Godard, à constituer aux abords immédiats des conduites forcées une réserve d'eau suffisante pour assurer les pointes immédiates.
C'est là une disposition que l'on retrouve dans toutes les usines créées pour les chemins de fer... On la retrouve, bien entendu, à Miégebat et à Artouste. » Ce canal d'amenée en charge, creusé dans le roc, mesure 5.725 mètres de long et descend d'environ 6 mètres pendant ce parcours, avec une pente uniforme de 1 mm.5 par mètre. Tout à fait analogue à celle de Miégebat est la cheminée d'équilibre avec chambre d'épanouissement à laquelle il aboutit, et où le niveau de l'eau est à 729 m.50.
De là partent deux conduites forcées seulement ; mais chacune d'elles a un diamètre de 1 m.60 et peut
débiter près de 9 m3 à la seconde. Sous une chute brute de 204 mètres 14, l'eau arrive aux turbines de l'usine du Hourat.
Celle-ci possède 5 groupes générateurs et sa puissance est de 40.000 chevaux. On a employé le même type d'alternateurs qu'à
Miégebat, et l'équipement est absolument comparable à celui de cette dernière usine à ceci près que, la hauteur de chute étant environ deux fois moindre, on a préféré ici les turbines Francis aux turbines Pelton.
Au total, le Hourat et Miégebat sont à peu près identiques quant au style et à la puissance.
Réunies, les trois usines produisent annuellement 335 millions de kwh :
140 millions pour le Hourat,
100 pour Miégebat,
35 pour Artouste.
Artouste, bien entendu, est loin de fonctionner à plein toute l'année ; son rôle est de parer, en période d'étiage, aux défaillances de Miégebat et du Hourat.
Quant à Miégebat, sa puissance moyenne est d'environ 14.500 kw celle du Hourat de 11.500 kw.
On évalue à 37.000 kw. la puissance disponible toute l'année, mais il pourra lui arriver d'atteindre jour et nuit 60.000 kw.
Il y a lieu de souligner à ce propos l'heureux effet des réservoirs installés à Artouste et à Miégebat.
Sans eux, remarque M. Godard, même si les trois usines avaient été équipées comme elles le sont, il faudrait s’accommoder d'un régime allant de 9.000 kw en période d'étiage à 90.000 en période de hautes eaux.
Mais choisir au mieux l'emplacement des usines et les équiper de même n'était pas suffisant; encore fallait-il qu'elles fussent reliées autrement que par les eaux du gave. Deux lignes de transport d'énergie à 60.000 volts les ont réunies et leur « permettent de répartir entre elles la fourniture d'énergie selon les besoins de l'exploitation. »
L'aménagement hydroélectrique de la vallée n'a pas été sans influer sérieusement sur le débit du gave : le lac d'Artouste, depuis sa percée, joue le rôle de régulateur annuel ; les réservoirs d'Artouste et de Miégebat, celui de régulateurs journaliers en prévision des heures creuses de la nuit et des heures surchargés du jour.
Au vrai, le régime du Soussouéou n'a guère été altéré par la percée du lac, le bassin versant d'Artouste représentant à peine un sixième du bassin total de ce torrent ; quant au Bious et au Brousset, ils demeurent ce qu'ils étaient et pour cause.
Par contre, le gave d'Ossau, en période de basses eaux, reçoit du lac d'Artouste un sérieux appoint : on ouvre les robinets du réservoir et l'émissaire du lac apporte au gave une moyenne de 500 litres par seconde, au minimum 80.
Au contraire, quand le gave se gonfle naturellement, les robinets du lac se ferment et les réserves d'eau se reconstituent. De ce jeu saisonnier résultent la réduction dans l'ordre de 2 à 1 du rapport entre les débits extrêmes et l'augmentation considérable du volume moyen du gave.
A Gabas, il roule, en étiage, 1150 litres ; à Miégebat, 2450 litres en étiage, 7800 litres en moyenne : aux Eaux-Chaudes, son débit d'étiage est presque doublé. Il est certain qu'entre Gabas et Laruns, pendant les mois d'été, le niveau du gave baisse très fortement, la majeure partie de ses eaux s'en allant dans les galeries de dérivation ou dans les réservoirs.
Mais divers petits affluents dont le plus important est le Valentin viennent à la rescousse, et, une fois dépassé le Hourat, le gave d'Ossau retrouve son débit normal.
En aval de Laruns, ce débit soutire plus ou moins de perturbations résultant du remplissage ou de la vidange des réservoirs journaliers, ainsi que des variations dans la puissance instantanée que les consommateurs exigent de l'ensemble des usines, mais elles s'amortissent assez vite, et à partir d'Arudy soit à 14 kilomètres de Laruns elles sont à peine sensibles. Par ailleurs, il est évident que l'influence régulatrice de la vidange du lac d'Artouste apparaîtra surtout en aval de Laruns, puisque en amont de cette localité, la quantité d'eau prélevée sur le lac sera plus souvent dans les réservoirs et dans les conduites forcées que dans le lit du torrent.
Dans l'ensemble, le « capital beauté » de la vallée d'Ossau ne semble pas avoir beaucoup souffert des initiatives de la Compagnie du Midi. Sans doute, le grave appauvrissement du gave, de juillet à septembre, est regrettable, mais il ne va pas jusqu'à l'assèchement. Traitant de « l'utilisation industrielle de la vallée d'Aspe », M. R. Plandé devait déplorer la mutilation par les ingénieurs d'un admirable paysage pyrénéen : « Le grand désastre, écrivait-il, est la disparition des eaux... L'eau était la vie de la montagne et sa parure...
Aujourd'hui, 45 kilomètres de canalisations la reçoivent, la dirigent sur les usines, la rendent à la liberté quelques secondes pour la ravir à nouveau. »
En Ossau, fort heureusement, il n'en a pas été de même.
En pleine période d'étiage, il y subsiste un gave dont les tourbillons mugissants gardent, dans le silence de la vallée, leur émouvante puissance et, par ailleurs, le bleu-vert intense des réservoirs accolés aux usines met dans le paysage brûlant des mois d'été une note de fraîcheur particulièrement savoureuse et reposante.
On avait pu souvent regretter que cette région si belle ne fût pas plus connue et fréquentée du grand public. Une conséquence assez peu attendue de son aménagement hydroélectrique a été l'élargissement des facilités offertes au tourisme en Ossau.
Pour le percement des souterrains, de nombreux « sentiers de travaux » avaient dû être ouverts : la commune de Laruns et le Club Alpin se sont hâtés de les transformer en sentiers de tourisme.
Particulièrement intéressant est le cas du lac d'Artouste si peu accessible naguère, auquel conduit maintenant un large chemin pratiqué pour le service des chantiers.
Au reste, si la Compagnie du Midi a aidé à faire connaître les beautés de ce pays, elle a eu le souci de ne pas leur nuire. Parmi nos contemporains, certains ne se contentent pas de reconnaître une impressionnante grandeur au travail des turbines et des alternateurs, et veulent trouver à ces machines une valeur esthétique positive.
Sans aller jusqu'à dire que la vallée d'Ossau est embellie par leur présence, reconnaissons que l'architecture des usines a été très soignée. Celles de Miégebat et du Hourat sont tout entières en béton armé ; pour n'être pas construites dans un style très classique, elles n'en ont pas moins une élégance de bon aloi, et le voyageur leur sait gré d'assortir la couleur de leur béton à celle des roches voisines.
Mais Artouste est, à coup sûr, la mieux réussie : « construite en moellons granitiques d'appareil à bossages, elle constitue un véritable petit palais florentin de l'électricité et peut soutenir hardiment la comparaison avec ce que nos voisins italiens, soucieux, avec raison, de l'esthétique de leurs usines, ont produit de mieux. »
Enfin, pour atténuer l'effet si déplaisant des conduites forcées dans le paysage, on les a peintes de couleurs très foncées, Harmonisées autant que possible avec celles des sols auxquels elles s'appuient. Par ailleurs, la captation de l'énergie du torrent n'a pas enlaidi la vallée en y faisant surgir des légions d'usines vouées au traitement des matières premières ou à la fabrication de tel ou tel article.
L'électricité, en effet, que fournit le gave n'était guère destinée à doter le pays ossalois d'une activité industrielle : elle n'y a travaillé jusqu'à présent en aucune manière. Presque toute, elle se dirige vers le réservoir commun aux membres de l'U. P. E. P. O., le reste une assez faible part étant dérivé pour l'alimentation des sous-stations, et elle ne sert qu'à la traction des trains sur les réseaux du Midi.
Son aire d'emploi est d'ailleurs fort étendue, puisqu'elle est utilisée jusqu'à Bordeaux. Bien entendu, la tension de 60.000 volts sous laquelle le courant sort du défilé des Eaux-Chaudes est, dans bien des cas, très insuffisante, et il faut l'élever à 150.000 volts.
C'est le poste transformateur du Hourat qui s'en charge.
En résumé, l'aménagement hydroélectrique de la vallée d'Ossau répond parfaitement au type d'aménagement que M. Raoul Blanchard a appelé « la solution pyrénéenne ». Les emplacements de ces trois usines ont été choisis de façon à ce que tout le parti économique possible fût tiré de la force du gave ; disposées en cascades et dotées de puissances comparables sinon égales, elles assurent l'utilisation la plus complète et la plus judicieuse de l'énergie des torrents ossalois.
Et l'ensemble un simple coup d’œil sur les schémas qui illustrent cet article suffit à nous en convaincre s'impose par une solidité, par une rectitude nous allions écrire « par une évidence » véritablement impressionnantes.
Né d'une volonté, cet aménagement a été réalisé d'un seul jet ; de là son caractère si merveilleusement cohérent et rationnel. Certes, la nature s'y prêtait, mais des données qu'elle proposait à l'homme, il a tiré un parti incomparable, et la solution qu'il a donnée au problème est le triomphe de la simplicité et de la logique.
Naguère, la vallée d'Aspe était citée comme « l'exemple le plus complet d'utilisation par l'industrie hydroélectrique d'une vallée de montagne » ; actuellement, elle doit, en ce domaine, rendre les armes à la vallée d'Ossau.
Il n'est pas d'aménagement aussi intégral ni aussi rationnel dans toutes les Pyrénées, pas davantage dans les Alpes ni dans le Massif Central ; il n'en est peut-être pas dans le monde entier.
Sources
- Jorré Georges. L'aménagement hydroélectrique de la Vallée d'Ossau. Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest,
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