DUCHESSE DE BERRY
(l8 JUILLET–31 SEPTEMBRE 1828)
De Gironde en Béarn.
e 13 juillet Madame était arrivée à Blaye pour y passer la nuit.
L'allégresse était à son comble et si quelque prophète de malheur avait prédit les événements qui, quatre années plus tard, devaient rappeler Marie-Caroline en cette ville toute à sa dévotion, sans nul doute, il aurait reçu un mauvais parti !
Le 14 au matin, la Princesse et sa suite s'embarquent sur une flottille abondamment décorée de guirlandes et de drapeaux, et par la voie des eaux, gagnent Bordeaux.
Au bas du Cours du Chapeau Rouge, le vicomte du Hamel, maire de cette ville, entouré des notabilités civiles et militaires du département, attend la Princesse qui, dans la « ville de son fils », doit pendant quatre jours recevoir le plus chaleureux des accueils. On consultera au sujet de ce séjour à Bordeaux et pour le voyage dans les Landes et en Béarn la série d'articles parfaitement documentés, publiés par M . Pierre de Laffitte dans la Liberté du Sud-Ouest des 16-20 juillet 1928. Ces articles ont d'ailleurs été réunis ensuite en brochure : Le Voyage de Madame Duchesse de Berry au berceau d'Henri IV et le « Pont de Madame ». R. Caslay, Aire-surAdour, 1929,
Le 18 juillet, à six heures du matin, Son Altesse quitte Bordeaux, saluée à son départ par le 48e régiment de ligne réuni place d'Aquitaine. Le général baron Janin, maréchal de camps commandant la division de Bordeaux, escorte à cheval sa voiture qui prend la route des Landes. La rencontre de bergers perchés sur leurs hautes échasses est pour la Princesse un spectacle nouveau qui semble fort l'intéresser.
A Roquefort, on relaye et vers quatre heures du soir on atteint les portes de Mont-de-Marsan, où, sous un arc de triomphe le maire, le vicomte de Carrère, entouré du baron Chevalier de Caunan, préfet des Landes ; M. Taigny, secrétaire général ; M. de Pignot, sous-préfet de Dax, lui souhaite la bienvenue.
Accompagné d'une garde d'honneur de cinquante hommes à cheval sous le commandement de M. de Lobit, Son Altesse gagne la Préfecture où elle doit passer la nuit.
Au dîner de trente couverts qu'elle préside, on remarque les notabilités de la ville et du département, et parmi elles Mgr Savy, évêque d'Aire.
Au bal qui suit, Madame accorde une contre-danse à MM . de Carrère et de Lobit, puis elle regagne la Préfecture « dont les jardins illuminés à la napolitaine offraient un aspect toutà fait féerique ».
Le lendemain, à neuf heures, Marie-Caroline reprend la route, escortée jusqu'à Grenade-sur-Adour par la garde d'honneur de Mont-de-Marsan. En arrivant devant Aire, elle doit franchir le fleuve. Jadis un beau pont de pierre de sept arches reliait les deux rives mais en février 179З une forte crue l'avait en partie emporté et depuis lors, malgré les fréquentes réclamations et suppliques des habitants, seul un bac l'avait remplacé.
C'est ce bac qu'avait utilisé cinq ans plus tôt la duchesse d'Angoulême lorsqu'elle était venue aux Pyrénées.
L'annonce du passage de la duchesse de Berry parut pouvoir être l'occasion favorable au rétablissement du pont. Une campagne est habilement menée, une souscription ouverte réunit en quelques heures une somme de dix mille francs.
La commune fournit le bois nécessaire et, chacun s'employant à l'œuvre, en quinze jours l'ouvrage est terminé.
Lorsque le 19 juillet, Madame se présente devant l'Adour elle peut lire, sur le petit obélisque qui se dresse à droite du parapet, cette inscription : CE PONT À ÉTÉ FAIT EN QUIZE JOURS POUR LE PASSAGE DE S. A. R. MADAME.
M. de Laffitte, maire d'Aire-sur-Adour, explique à l'auguste visiteuse ce que vient d'accomplir le loyalisme de ses concitoyens. L'œuvre est méritoire, mais provisoire. Madame assure que le pont depuis si longtemps réclamé sera enfin exécuté, et de fait l'année suivante cette promesse recevra sa réalisation. Il s'agit du pont actuel sur l'Adour. Commencé en 1839, d'après les plans de l'ingénieur en chef Silguy, sous la direction de l'ingénieur départemental Goury, ce pont de pierre fut achevé et inauguré en 1834.
Escortée de la garde d'honneur que commande le baron de Capdeville, Marie-Caroline se rend à l'antique cathédrale où Mgr Savy, entouré de son Chapitre, lui offre l'hommage de son clergé. Sous un dais, dans le chœur, elle assiste à un service d'actions de grâce, puis, dans les salons de l'évêché, accepte une collation.
Bien vite
cependant il faut repartir vers Pau, dans une randonnée dont le souvenir ne s'effacera pas sitôt de son cœur.
« La population des champs se réunit à celle des bourgs et des hameaux pour venir la saluer et l'acclamer. Même les habitants des vallées pyrénéennes étaient descendus dans la plaine et se portaient avec leurs bannières au- devant du cortège.
Dans chaque village des paysans se formaient en garde d'honneur et spontanément, sans attendre même l'appel des autorités, l'accompagnaient jusqu'au village voisin où une escorte semblable s'organisait et lui prodiguait les mêmes manifestations... Ceux d'entre ces rustiques chevaliers qui savaient parler français, s'approchaient de la voiture quand elle allait au pas, à la montée des côtes, et conversaient avec S. A. R., la divertissant par des anecdotes dont ils étaient abondamment pourvus.
L'adjoint de la commune de Sauvagnon, à douze kilomètres de Pau, se tenait à côté de la calèche qui portait Madame et ses dames d'honneur, et lui demanda naïvement : « Est-ce vous Madame qui êtes la Princesse ? — C'est moi, mon ami », répondit-elle en remettant son chapeau qu'elle avait enlevé à cause de la chaleur. »
Suite ../...
Sources
- Gorsse (de) Pierre. Deux mois dans les Pyrénées avec Marie-Caroline de Naples, duchesse de Berry (18 juillet - 21 septembre
1828)
|