u côté français, la levée des 300.000 hommes décrétée le 24 février est à peine commencée. On n'en peut attendre des recrues axant quelques jours, des soldats avant quelques semaines. Elle s'organise laborieusement
à Pau.
En attendant, le commandant en chef de l'armée des Pyrénées, Servan, devant le vide militaire de ces frontières, heureusement protégées par les neiges des cols, voyant le zèle montré par les Hauts Pyrénéens, à la suite d'alertes fortuites ou provoquées pour éprouver l’esprit public, comme la grande peur de 89, emploie les Gardes Nationaux des départements de seconde ligne, dont le principal mérite, aux yeux du général, est sans doute d'être constitués et habillés et surtout d’avoir des fusils, objets rarissimes à cette époque. Un bataillon des Gardes Nationaux du Gers a été dirigé sur Oloron. Son équipée, narrée par un témoin, montre la qualité de ces curieux défenseurs de la patrie et les difficultés de toutes sortes qui attendaient les autorités civiles et militaires obligées de les employer.
Chacun des districts du département du Gers, avait reçu l'ordre d'envoyer une compagnie de soixante hommes pris dans la Garde Nationale sédentaire à Oloron. Comme la mise en route traîne, le Conventionnel Ichon, en mission à Auch, menace de dénoncer à l'Assemblée les administrateurs des districts si, sous deux jours, les compagnies n'étaient pas en route. On savait que ces menaces n’étaient pas vaines. L'effet fut immédiat.
Le 3 mai, la compagnie recrutée au chef-lieu se met en marche et arrive le 9 à Oloron. Nous savons par les lettres de Joseph Ladrix qu' elle est accueillie « avec la plus grande affection ». Les gardes logent chez les habitants à cinq « dans un appartement de trois pièces fermées à clef » «et un traiteur pour 80 livres par mois, grâce nous faisant, leur donne un bouilli et une petite entrée le matin et un rôti le soir ». « C’est le meilleur marché que nous avons trouvé, quoique cette cherté soit exhorbitante. Quatre ou cinq de nos camarades payent plus de cent livres, pour n’être presque pas mieux que nous. Le papier national n’y a presque pas de cours. Le pain noir est à 7 sous, 6 deniers la livre, le vin que l’on vend 15 sous en argent, se paye 40 sous le pot en papier (18 mai). Les officiers et sous-officiers ne sont payés
que comme soldats à quinze sous par jour (21 Mai) ».
Ces soldats improvisés et vivant en partie à leurs frais ne sont pas très dociles : « Notre compagnie a obéi à l 'ordre qu'elle a reçu de partir dans la vallée d 'Aspe. Elle est la seule de celles du département du Gers qui se soit
passablement conduite dans cette circonstance et tandis que les autres Compagnies ont fait un refus formel de partir, la nôtre a seulement demandé un délai d’un jour, qui a été accordé. Les suspects de notre Compagnie ont proposé de faire une mission à Servan (le général en chef) pour lui faire des observations, mais cette proposition qui avait été arrêtée, n’a pas eu lieu.
Les soldats des autres compagnies, ayant secoué le joug de leurs officiers qui, eux-mêmes n'étaient pas portés de la meilleure intention, se sont empressés de remettre leurs armes au district et prenaient par troupes, le chemin de Pau ». Là les premiers furent arrêtés par les gendarmes, sur l’ordre des autorités civiles alertées. A cette nouvelle, les derniers rebroussent chemin, viennent redemander leurs armes et « tout d’une haleine, pendant la nuit et sous une pluie très abondante, il se sont jetés sur le chemin de la vallée où ils sont arrivés pêle-mêle. Ils se sont rassemblés dans le premier village et ont été occuper les différents postes qui leur avaient été désignés. Le bataillon du Lot-et-Garonne (volontaires) qui avait été remplacé par notre Compagnie et qui est arrivé à Oloron pour aller à Saint-Jean-Pied-de-Port, a beaucoup contribué à accélérer le départ de ceux qui restaient dans la ville ; quelques volontaires se sont mis à la poursuite d’une vingtaine en les menaçant du sabre, et les ayant régalés de quelques toups de pied et de poignée de sabre, ils leur ont incrusté la peur dans le
corps, ce qui a produit sur eux l’effet du courage, de sorte que le jour n’a trouvé dans Oloron aucun de ces héros. ».
Déjà les Romains professaient que le légionnaire doit craindre davantage le cep de vigne du centurion que l’épée de l’ennemi. Il est bon de ramener certains rêveurs échauffés au sentiment du réel. Les soldats de la vieille armée passaient les lâches à la savate. Les représentants devront user d’arguments plus persuasifs encore. L'accoutumance à la discipline sera dure affaire pour tant de recrues où les volontaires coudoyaient les désignés choisis assez souvent parce que les communautés les jugent mauvais
sujets ou un peu trop vifs, ou simplement parce qu’ils sont étrangers à la commune, ces recrues sont plus turbulentes sinon plus raisonneuses encore que de graves gardes nationaux sédentaires.
La nervosité est grande, tant chez les soldats improvisés que parmi les populations : « On chante une infinité de bourdes d'une grossièreté abominable ; la lâcheté des habitants du pays peut seule en entamer de pareilles. A quatre ou cinq lieues de la vallée d Aspe, des bergers de dessus les montagnes ont aperçu cinq Espagnols chassant sur leur territoire. Ils ont eu
peur et ont communique la même peur aux bergers des montagnes voisines qui, quittant troupeaux et cabanes, ont semé sur leur route la terreur panique qui les dévorait, notre pauvre jeunesse a pris les armes, s’est emparée de rochers presque inaccessibles, s'est beaucoup mouillée et fatiguée et en a retiré le profit d’avoir beaucoup de faim (sic), qu’a apaisé le beurre et le fromage de ces animaux qu’ils ont pourtant payé. Notez que la vallée d'Aspe est défendue par trois ou quatre lieues de montagnes que jamais mortel n’a essayé de passer et qu'une fourmi porterait plutôt une fève dans un verre que mille Espagnols une pièce de quatre dans la vallée, en passant par ce chemin. »
Cette pittoresque et peut-être véridique narration, souligne l’instabilité du moral de ces mêmes paysans qui, l'année suivante, arrêteront avec les braves du 5eme bataillon des Basses-Pyrénées et du 6eme bataillon du Lot-et-Garonne les Espagnols du prince de Castel Franco venus avec des canons de montagne, il est vrai, par ces crêtes abruptes « que jamais mortel n’a essayé de passer ».
Mais l’esprit public n’est pas encore affermi et la guerre, oubliée depuis 1556 dans ces pays traditionnellement préservés par les Lies et Passeries est chose par trop inhabituelle.
Ceci explique aussi comment ce bataillon de gardes nationaux va réagir à l’ordre de secourir les postes d’Ossau attaqués : « Nous requimes le Général d’Exea (sic) d’avoir à faire mettre sous les armes toutes les gardes nationales de réquisition lors à Oloron ; que nous fumes fort étonnés de trouver le plus grand nombre de ces compagnies, les unes réduites à huit ou dix hommes et leurs officiers, les autres à quinze, vingt et trente, et pas une au complet ; que les ayant faites former en cercle et ayant demandé 150 hommes de bonne volonté pour marcher sur le champ à Osso (sic) nous eûmes la douleur de ne trouver, sur onze compagnies, qu’une vingtaine d’hommes qui se présentèrent d’abord que leurs officiers indignés de cette
conduite sortirent de leur rang, ôtèrent leurs épaulettes et demandèrent à servir comme simples fusiliers ; que cet exemple entraîna à peu près quatre vingts hommes, qu’une compagnie franche fut alors organisée. Nous déclarons à l’honneur des officiers, qu’il fut presque impossible d’arrêter leur dévouement et que ce ne fut qu’à notre vive réclamation et pour la conservation du reste du dépôt, que ceux d’entre eux qui ne devaient pas être employés comme officiers, consentirent à rester à Oloron.
Nous déclarons, en outre, que le restant du dépôt qui pouvait être tout au plus en ce moment, de 150 à 200 hommes, était composé en partie ou d’hommes infirmes, sans armes, sans habits, ou de laboureurs et de pères de famille qui avaient été tenus d’obéir à la réquisition forcée qui leur avait été faite précédemment par le Général Servan, et qu’ils étaient tous les jours l’objet des réclamations des autorités constituées et de leurs familles. »
On voit par ces tableaux quelle est la tâche des cadres, des Généraux et des Représentants et ceci explique la dureté de certaines mesures prises par les Féraud, Dartigoeyte et autres. Cela met aussi à sa vraie place le mérite de tous les éducateurs de la Nation, qui contribuèrent à donner à l’armée de 1914 l’admirable force morale qui lui permit d'arrêter et de vaincre la puissante armée allemande, plus nombreuse et mieux armée.
On avait formé dans la Vallée d’Ossau et réorganisé en 1792 deux bataillons de Gardes Nationales, chacun de dix compagnies de cent hommes, l’un à Arudy, l'autre à Bielle. Ces deux mille hommes représentaient la quasi totalité des hommes valides et encore jeunes des deux cantons, dont la population totale était d'environ seize mille âmes un siècle plus tard.
Le 8 mars 1793, le Conseil Général du département arrête la création d’une compagnie franche de 150 hommes dans la vallée. Les intéressés espèrent que cela leur sera compté comme leur contingent pour la levée des 300.000 hommes et le Conseil soutient d’abord ce point de vue. La compagnie se recrute aisément, toutes les autorités, toutes les influences ont été mises en oeuvre pour obtenir ce résultat qui concilie au mieux les anciennes traditions, l’intérêt des appelés et celui de la défense locale.
Mais ces gardes ne disposaient, au début d’avril 1793, que de 50 fusils et de 300 cartouches. Une alerte, le 10 de ce même mois, amena les officiers municipaux des deux cantons à former un piquet de cent hommes (dix par compagnie) tirés du bataillon de Bielle.
Cette troupe fut établie à Laruns et à Gabas.
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Sources
- Colonel Bernard DRUENE, Les débuts de la campagne de 1793 aux Pyrénées centrales, et le combat de la Caze de Broussette
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