Autre synthèse non moins étonnante, ils se rencontreront encore dans la quiétude de la Chambre des Pairs de Louis XVIII ou l'amertume de l’exil, mais ceci est une autre histoire.
Le 25 mars 1793, à Tarbes, les représentants Isabeau et Neveu substituent par un arrêté le tirage au sort, à l’élection pour la désignation des recrues. Ils s’élèvent contre ceux qui « par esprit d 'incivisme et d’intérêt personnel » ont faussé l 'emploi de l’élection :
« La moitié des choix faits par la voix du scrutin sont le fruit de la passion et des haines personnelles, et ne produisent que des soldats incapables de servir la République par leurs défauts physiques ou par leur répugnance pour un service forcé ».
Enfin, les ressources se font de plus en plus minces. Déjà, le 25 novembre 1792, le procès verbal de formation du 4 eme bataillon des Basses-Pyrénées souligne cette extrême misère : « Ce bataillon est d’ailleurs dans le plus absolu dénuement, soit pour l ’habillement, soit pour l’armement, soit pour l’équipement. Un grand nombre de volontaires sont pieds nus et leurs vêtements sont dans un délabrement affreux ». Le temps aggravait la Crise économique, les assignats baissaient sans cesse, et ieur valeur s'amenuisait de plus en plus.
Le 24 avril, Servan et les représentants, à la suite des attaques espagnoles de la veille, insistent pour faire « hâter le plus possible le départ des recrues sans attendre qu’ils aient leurs uniformes ». « Les Américains ont fait la guerre sans habits, dans un climat froid et humide », mais aussi « de n’en faire partir aucun sans armes de guerre en exécutant, à la rigueur, les lois du désarmement ». Il demande au département du Gers « une compagnie de réquisition de 60 hommes pour chacun des districts de votre territoire, pour former la garnison de Navarrenx ».
Le conseil général du département des Basses-Pyrénées décide de prendre les hommes d’une taille inférieure à 5 pieds, mais
cependant aptes au service. Un ancien officier de carrière fut chargé, à la fin d’avril de mettre dans ce rassemblement. Mais il fut, semble t'il, débordé et envoyé au milieu de juin dans vallée d'Aure.
M. Servan nomme à sa place un autre ancien officier qui vient de se distinguer le 23 avril 1793 à Hendaye et le 1 mai à Jolimont à la tête des grenadiers du 20e et que les représentants nomment général ; d’Exea. Le 3 juin Servan lui ordonne de se
rendre à Pau pour diriger l’organisation des recrues et lui donne des instructions verbales pour « la surveillance sur la défense et la sûreté des différentes vallées depuis celle d’Oloron jusqu’au pays de Soule ».
Une instruction du 4 juin précise la mission du général.
Il doit « prendre un état très exact des recrues qui sont à Pau et aux environs, » renvoyer dans leurs communes ceux qui sont dénués d’habillement et d'équipement, inviter les municipalités à parfaire les dotations à peu près complètes, et former deux bataillons de 500 hommes à 9 compagnies, dont une de grenadiers, en employant les recrues les mieux pourvues. Il devait aussi diriger sur Bayonne les recrues en excédent, préparer le logement des recrues attendues à Pau et à Tarbes « dès que la légion des montagnes sera partie, » former en compagnies de 60 hommes les Gardes nationales en réquisition dans le district d’Oloron volontaires pour le service, renvoyer les autres en conservant leurs fusils.
D' Exea parait avoir mené avec activité cette lourde tâche. Le maire de Pau, Navailles, donne le 3 août 1793, au général qui vient d’être suspendu, une attestation qui n’en prend que plus de prix : le général « s’est conduit, écrit le maire, pendant tout le séjour dans la présente ville, avec le zèle et l'activité d 'un vrai républicain, aimant sa patrie. Il a porté la plus grande régularité dans le service. Il ne s’est point épargné et nous l'avons vu souvent faire des patrouilles lui-même pour s’assurer de l’exécution de ses ordres. L’indiscipline, l’insubordination régnaient dans les rassemblements de troupes. Souvent nous avons été obligés de faire des réquisitions, il les a toujours reçues avec l’empressement qu’inspire l’amour du service de la patrie... Nous avons vu de sa part, les preuves d’un civisme pur et le mieux prononcé ».
Ce courageux témoignage ne sauvera pas le général, mais nous éclaire sur la vie du dépôt et les causes politiques de sa disgrâce. Le maire ne tardera pas comme le général et pour les mêmes raisons, a être, malgré son évident patriotisme lui aussi, arrêté comme suspect, à l’instigation de Monestier.
Nous avons un autre témoignage, technique celui-là, sur l’activité du général au dépôt, par une lettre du 6 juillet du lieutenant Ladavière, de la légion des Chasseurs des montagnes, commandant à Pau (sic), en l’absence du général d'Exea: « Vous ignorez peut-être, général, à quel point l'insubordination règne parmi ces recrues, et le mal qui est résulté de n'avoir point renvoyé les conducteurs dès qu’ils ont remis leur division au Dépôt. Cela est si vrai que, pour remplir les intentions du Général Servan, le général Exéa expédia des ordres, le 29 juin, à deux divisions de recrues de Montauban et de Sette cantonnées à Lons, de partir le lendemain pour Bayonne. Mais ce fut en vain ; les chefs ne purent pas être obéis. Ils furent, au contraire, menacés d’être fusillés. Les mêmes ordres furent réitérés le surlendemain ; ils ne produisirent pas un meilleur effet. Ces deux
divisions ont été incorporées dans le bataillon du Lot-et-Garonne.
Vous savez sans doute. Général, l’évènement arrivé au citoyen Bayle, qui, d’après les ordres précis des représentants du peuple
et du Général Servan, est venu réclamer du Dépôt, un certain nombre d’hommes destinés à la formation de diverses compagnies franches. Ce malheureux accident, joint aux manoeuvres des conducteurs qui veulent être nommés à des places et ont des intérêts particuliers à conserver la masse de leurs divisions, acheva de désorganiser le dépôt. Cependant les choses ont changé de face. La subordination se rétablit peu à peu, les moyens déjà pris par le Générai d'Exéa, ceux dont je m’occupe sans cesse et surtout le parti auquel je me suis arrêté de renvoyer de suite les conducteurs, contribueront à l’ordre et la discipline.
J’ai l’honneur de vous prévenir, Général, que les recrues des Divisions des Landes réclament fortement leur organisation. Elle est aussi vivement sollicitée par la Société Républicaine qui ne cesse de m’envoyer des députés afin de procéder à cette opération. Vous jugez quel doit être mon embarras. D’un côté, je me vois pressé par les instances réitérées des recrues que le club étaye, de l ’autre je voudrais obtempérer aux désirs et aux vues que le Général Servan a manifestés.
Le 2e Bataillon de la légion des chasseurs de Montagne est parti de Navarrenx pour Orthez, le 2 juillet ; celui du Lot est parti le 6 de Pau pour Navarrenx.
Aussi, le 10 juin, Féraud rend compte à la Convention qu’il a organisé et dirigé sur Bayonne un bataillon de 650 hommes, envoyé
750 hommes à Navarrenx « conformément à ce qui était concerté entre le Général et nous », ce qui joint aux 1200 hommes que je vous avais annoncés être partis pour St Jean Pied de Port, donnent à l'armée un premier renfort de 2600 hommes ». Il organise deux autres bataillons à 650 hommes, six compagnies franches à 150 hommes chacune, il envoie 200 hommes au 6e de la Haute-Garonne, dans le district d’Argelès et 400 Bordelais au bataillon de la Gironde.
« Il nous arrive tous les jours de nouvelles recrues et d ’une belle espèce... mais, je vous le répète, Citoyens mes collègues, nous n’avons ni chef capable ni franc républicain, nonobstant leurs vaines protestations ». « L’esprit public est généralement bon. On est un peu inquiet de l’arrestation de 32 membres de la Convention. Hâtez vous pour la tranquillité générale de mettre au jour les motifs de cette grande mesure. »
Le 13, il réclame des armes et des généraux dignes de la confiance publique, se plaint « de l’horrible état des hôpitaux. Nous serons obligés de suspendre beaucoup de ces charlatans que les Comités de Santé nous ont envoyés en guise de chirurgiens ».
Tandis que la levée se poursuit au milieu de ces difficultés, de ces luttes politiques et de ces méfiances, la menace ennemie s’est fait sentir.
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Sources
- Colonel Bernard DRUENE, Les débuts de la campagne de 1793 aux Pyrénées centrales, et le combat de la Caze de Broussette
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