u point de vue de la défense, du côté français, le Directoire du
département des Basses-Pyrénées expose, le 30 janvier, au ministre « Nous n’avons pour nos places fortes et pour tenir la campagne qu’environ 3000 hommes, le département des Hautes-Pyrénées que 4 ou 500 hommes... Il y a 24000 hommes, tant de cavalerie que d'infanterie, entre St Sébastien et Pampelune ». L’effectif espagnol est grossi, mais la disproportion est réellement inquiétante. Il en est de même sur les autres frontières.
Sous l ’action de Dubois-Grancé, inspiré par Grinioard, la Convention décrète, le 24 février 1793, la levée de 300000 hommes. Les Hautes-Pyrénées fourniront 2433 hommes, les Basses 2691, le Gers 4418, les Landes 2924. Le 4eme bataillon des Hautes-Pyrénées, le 2eme d ’Argelès, le 5eme des Basses-Pyrénées (compagnies franches dans la vallée
d’Aspe), celui de Bayonne, les Chasseurs Basques, les 4eme, 5eme, 6eme des Landes, les 4eme, 5eme, 6eme, 7eme du Gers, furent formés avec ces appelés et quelques levées ultérieures. Mais on ne pouvait espérer réunir les recrues avant quelques semaines et disposer des bataillons avant deux
ou trois mois.
Pau va devenir un centre actif de formation des nouvelles unités de divers départements.
Le 9 mars 1793, pour surveiller et activer le levée des 300000 hommes, la Convention envoie 82 représentants dans les départements. Neveu et Isabeau vinrent dans les Hautes et les Basses-Pyrénées mais le Comité de Salut Public, créé le jour même de la trahison de Dumouriez (5 avril), envoya à l'armée des Pyrénées trois autres représentants puis, ceux-ci ayant été rappelés, quatre autres furent désignés le 30 avril. Ce sont : Féraud, Isabeau, Garrau et Chaudron-Rousseau.
L’Aurois Féraud, âgé alors d’une trentaine d ’années, future victime de son dévouement aux libertés de l’Assemblée, se chargea
plus particulièrement des levées dans les Hautes-Pyrénées et à Pau et s'occupa activement des opérations militaires. Il avait voté par patriotisme la mort du roi. Sa présence aux armées lui évita le sort des Girondins avec lesquels ce montagnard avait bien des affinités. Son patriotisme irréprochable, sa haute conception de la démocratie, son intransigeante intégrité, son activité et son mépris du danger, en font un modèle de ces représentants venus aux armées pour combattre et non de ces émules de Fouché ou du misérable Carrier cinglé par Marceau de l’indélébile stigmate : « Il tuera après la bataille. » Féraud animera l’opinion et l’administration à Pau jusqu’à l’arrivée de Monestier, fin juin 1793.
Féraud surveille pratiquement seul au nom de l 'Assemblée, la défense du secteur des vallées de la Neste à la Soule.
Il surveille, il ne commande pas. Servan a pris le commandement de l’armée des Pyrénées-Orientales et porté son quartier général de Toulouse à Bayonne (22 avril) : « Les généraux français, a-t-il écrit, étaient obligés, sous peine de passer pour traîtres à la patrie, de disposer leurs troupes afin de s'occuper spécialement de l’intérêt individuel des habitants des frontières et de garder chaque village, chaque bourg, chaque hameau, et même chaque maison isolée. Ils avaient été forcés de disséminer le peu de troupes à leurs ordres, au lieu de les réunir sur les principaux points de défense, et avaient mis, par là, dans un péril imminent, l 'armée et le pays »
Pourtant chacune des vallées menacées, n’est défendue que par les Gardes nationales locales, quelques compagnies franches et, pour certaines vallées plus ouvertes, comme celles d 'Aure et d 'Aspe, par quelques bataillons de volontaires qui vont y achever leur formation.
A la fin d’avril, pour assembler autour de Bayonne huit mille soldats de ligne et volontaires face aux vingt-deux mille Espagnols du général Don Ventura Saro, Servan abandonne « au zèle patriotique des habitants, la sûreté des vallées de Barèges, de Cauterets, d'Azun, d’Ossau, d’Aspe, de Baretous, de Mauléon. »
Ce zèle a heureusement une alliée précieuse : la neige. Cette année là, des bourrasques tardives sévirent jusqu'au début de mai.
Le curé d’Ogenne, l'abbé d’Arripe, sa servante et un autre prêtre, furent assaillis le 8 mai par une violente tempête comme ils
essayaient de franchir le col des Moines pour se réfugier en Espagne, en continuant leur route malgré leur guide qui les abandonna. La servante mourut près du lac de Casteraoü, l'abbé revint vers Gabas et fut enseveli à son tour près de Bious-Houmet.
À Pau, six autorités s'occupent à la fois des levées et de l 'organisation : les représentants en mission, le Directoire du département et la municipalité requis d’assurer le logement, les vivres et certaines fournitures, l'ordonnateur représentant l’administration de la guerre, l’officier représentant le commandant de l’armée, et enfin le bureau de la Société populaire de Pau. Il travaille à plein avec les représentants, s’arroge un rôle d'animateur patriotique et civique et de surveillant du moral et de l’orthodoxie républicaine de tous. Il suit et contrôle le détail des opérations diverses souvent évoquées dans ses
assemblées. On conçoit les heurts et les conflits d’attributions provoqués par une pareille situation.
A toutes ces causes habituelles de frictions entre autorités diverses aux pouvoirs mal définis et associés à une même tâche, s’ajoute une plus grave raison de disputes. C’est la conception même de la base morale de la formation des troupes. Elle va semble-t-il dominer la situation.
Discipline d’abord pensent les autorités traditionnalistes et surtout les militaires professionnels formés à la rude école de Saint-Germain, dominés par le souci d ’obtenir l’automatisme « à la prussienne » suivant les durs canons du vieux Dessauer mis à la mode par les succès du Grand Frédéric.
Doctrine d’abord pensent les révolutionnaires. Le soldat doit être animé de l’esprit nouveau « coléré » comme dira Robespierre. Ils acceptent certes la nécessaire formation technique mais lui préfèrent l’enthousiasme inconditionnel pour les idées nouvelles, « La liberté ou la mort. » Pour l'attaque en masse permise par la levée en masse il n’est pas besoin de finesses techniques mais d’élan.
Au sens monarchique et religieux, autrefois si puissant sur les Français et à présent aboli, les Montagnards veulent substituer le culte de la République porté au paroxisme.
Tous, chefs militaires, représentants, élus municipaux ou départementaux, clubistes modèlent leur conception du devoir sur les plus hauts exemples du plus beau temps de Rome : ils ont même patriotisme, même implacable énergie.
Ils vivent dans une atmosphère d’exaltation mutuelle, peut-être factice, mais si violente et entraînante que les faibles, les tièdes et même simplement les gens raisonnables suivant les vieilles normes sont impitoyablement éliminés.
A l’armée l’autorité s’exerce dans des conditions extrêmement difficiles. Seules les caractères les mieux trempés réussissent à
s'imposer, et ceci donne d’abord quelques mécomptes mais, à la longue, une sélection excellente épurant et renforçant grandement
les cadres.
La situation de ceux-ci est, au printemps de 93, exceptionnellement dure. A l’époque de Jemmapes le général Egalité ex-duc de
Chartres et futur Louis-Philippe, rentrait en larmes, chez ses hôtes belges, navré de l’insolence et de l'attitude de ses dragons. Il n’était ni le seul, ni le plus malheureux dans ce cas.
Le tutoiement imposé au milieu de 93 aggrave encore la crise. Les chefs qui résistent ou mieux dominent la tourmente seront les
lieutenants de Napoléon, les officiers de la Grande Armée.
Celle-ci réalisera une extraordinaire synthèse des deux tendances traditionnaliste et révolutionnaire, dominée par la fierté des conquêtes de la Révolution, certaines rémanences monarchiques, le sentiment de l’honneur national et celui très fort de l'honneur militaire.
Ce sera d’ailleurs sous le signe de la plus stricte tradition militaire, dans un renouveau draconien d’autorité et de discipline
que s’accomplira le redressement.
« La charge » criait déjà le chef de bataillon Bonaparte aux musiques, attaquant la Marseillaise lors d’un assaut devant Toulon.
Les sous-officiers et les jeunes officiers de Louis XVI honorés par Carnot de leurs premières grosses épaulettes, deviendront généraux, maréchaux, princes, rois. Ils rencontreront au Sénat et dans les Cohortes de la Légion d’honneur les robins et les défroqués des six assemblées échappés à la guillotine et aux déportations et devenus ministres, conseillers d'Etat, préfets, maires de bonnes villes ou membres de l’Institut, ducs, comtes ou barons de l’Empire.
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Sources
- Colonel Bernard DRUENE, Les débuts de la campagne de 1793 aux Pyrénées centrales, et le combat de la Caze de Broussette
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