i comme on peut le penser, le travail de Flamichon est exact, il est dillicile de préciser en l 'absence d'autres documents, si la limite des bois était en 1793 très différente de ce quelle est aujourd'hui et en particulier, comment il faut entendre cette phrase du rapport de Raynaud cité plus loin, relative au poste espagnol :
« l'éloignement des bois ».
Lorsqu'à la fin de 1792, le général Servan est désigné pour commander sur cette frontière, « une longue alliance entre nous et
les Espagnols avait depuis longtemps éloigné de ces contrées tout appareil militaire. Les forteresses étaient négligées, leurs approvisionnements presque nuls et le peu de forces actives qu’on y entretenait prouve qu’on ne s’y occupait guère d une invasion que tous les calculs moraux rendaient invraisemblable », écrivent les Conventionnels Carnot, Garrau et Lamarque chargés d'inspecter la frontière.
Mais, dès la fin de l’année, les deux parties commençaient à pousser leurs armements.
Les efforts du comte d’Aranda et de Bourgouin ne parviendront pas à éviter la guerre. Au témoignage de Servan : « L’année 1793
était commencée et l'armée des Pyrénées avait à peine quelques fantassins mal vêtus, mal équipés et très mal armés ; elle n’avait encore aucune cavalerie, et l’on s'occupait lentement à lui procurer de l’artillerie et à lui assurer des subsistances. Malgré ce dénuement, la Convention commit, le 17 Mars 1793, l'imprudence de déclarer la guerre à l’Espagne » 2I.
L’armée régulière espagnole facilement complétée, augmentée de nombreuses formations de volontaires, s’est concentrée au prix des habituelles dillicultés matérielles, au milieu d’un grand élan exaltant les sentiments traditionnels nationaux, monarchiques, religieux, voire les particularismes provinciaux, mais sans sortir du cadre des institutions anciennes et des hiérarchies établies. Les communautés frontalières forment dans chaque Cabeza de Partido, à peu près nos chefs lieux de canton, des juntes actives de défense et d’armement.
A Esterri, au Plan, à Lescun, des paysans armés combattront courageusement à côté des milices et des troupes de ligne. Les dons patriotiques atteignirent en Espagne 73 millions de livres, en 1793, contre 45 en Angleterre la même année, et 5 en France en 1790.
Ceux même qui déplorent cette guerre impolitique contribuent de tout leur pouvoir à assurer son heureuse issue. Les quelques notes discordantes signalées par Godoy dans ses Mémoires, la Conspiration de Picornel, ou quelques signes de découragement apparus en 1795, ne doivent pas faire illusion. Certains contacts, certaines déclarations échangées aux avants-postes entre officiers, non plus. Car cette lutte, dont on veut faire des deux côtés une croisade, ne fait pas oublier les anciennes liaisons.
La première concentration amena d’abord en ligne 32000 hommes en Catalogne, 18000 en Navarre et 5000 en Aragon.
En France, il y a depuis qu'on a rappelé quelques forces, à la fin de 92, cinq bataillons de troupes de ligne entre Toulouse et Bayonne, et encore en tout, moins de 11000 hommes.
Les premiers bataillons de volontaires formés par les départements pyrénéens, ont reçu des destinations lointaines, ceux qui
restent sont en pleine organisation.
Tout est à créer, même les armes et ceci dans l ’ambiance difficile des grandes luttes extérieures et intérieures, au plus fort du dramatique déchirement de l’Assemblée entre Girondins et Montagnards, des insurrections fédéralistes et vendéennes, tandis que partout dans le pays, les cadres révolutionnaires constitutionnels de la première période de la Convention, encore en place dans beaucoup d 'endroits, toujours puissants d'ailleurs, s’opposent aux nouveaux cléments plus radicaux qui, dès les premiers mois de 1793, préludent à la Terreur.
Ces deux tendances s’affrontent même dans l’armée privée d ’une partie notable de ses cadres par l’émigration et presque toute engagée sur les frontières du nord et de l'est. La levée et l'organisation des nouveaux bataillons se heurtent à de graves difficultés.
Le patriotisme de tous, l’énergie surhumaine de l’Assemblée permettront pourtant de dominer la crise, mais au prix de la proclamation de la levée en masse et de la réquisition renversant d'un trait l’appareil juridique lentement édifié des défenses de l’individu contre l’Etat, en donnant à celui-ci un pouvoir théorique absolu sur les personnes et sur les biens. Certes, il y aura des accomodements, car il y a des contingences et des faiblesses, des appétits, des égoïsmes, mais au printemps de 93, l’heure de Barras n’avait pas encore sonné.
Au moment où la guerre va fondre sur eux, les Ossalois forment dans « la Ruche des vallées pyrénéennes », une communauté très ancienne et très forte. Son originalité, soulignée par le costume local, tient d’une part à la vocation pastorale de la plupart des habitants, d’autre part à la forte organisation de la famille et des institutions véritablement démocratiques : « Ces peuples étaient Républicains avant nous », écriront Carnot et ses collègues en mission sur la frontière.
Les Ossalois, libres propriétaires, n’ont jamais délégué le soin de leurs affaires à d’autres que leurs jurats, à l’exclusion de tout intermédiaire féodal entre eux et le souverain.
Les mœurs patriarchales de ces pasteurs, la grâce de leurs diligentes compagnes, leur vie simple et rude, s’accomodent de
beaucoup de finesse, de tenue, de dignité naturelle ; d’indépendance aussi et d’une grande spontanéité et liberté dans l'exposé et la défense des opinions relatives aux affaires communes, toujours librement et souvent publiquement débattues. Ces affaires, c’est essentiellement les relations avec les voisins, la gestion et la défense des pâturages et bois communaux, source
essentielle de richesse, possédée en commun et défendue contre tout empiètement, ou par les armes, ou par le droit.
Au point de vue militaire, les Ossalois vivent sous la double tradition de l'autodéfense et des Lies et Passeries.
Comme beaucoup d’autres valléens aux Pyrénées, ils sont hommes libres, donc soldats nés. De très anciens privilèges leur ont
reconnu le droit de port d ’armes et l'exemption du logement des gens de guerre en échange du devoir de défendre eux-mêmes leur
vallée et de services jadis étroitement limités à la garde du vicomte.
Louis XIII en cassant les Parsans militaires les ramène au droit commun et ils fournissent deux compagnies de milices au régiment des Bandes Béarnaises.
Mais une longue paix avait fait tomber depuis longtemps en désuétude les exercices prévus pour les milices et si beaucoup de
chasseurs et de bergers ont des armes de chasse, ils n'y a pas de fusils de guerre dans la vallée.
Les Lies et Passeries ont d’abord réglé l’usage des pâturages mitoyens, des eaux et des bois, puis codifié les rapports frontaliers. Changeantes comme la vie, adaptées aux circonstances avec un grand souci de justice et de paix, beaucoup de bon sens et de bonne foi, elles ont fini par créer un droit public. Leur ensemble est le code de cette Pax Pyrenaica, substituée par nos pères à la Pax Romana dans l’effritement féodal de l’autorité impériale de Rome, et l’unité préservée du monde chrétien.
Paul de Casteran, Henri Cavaillès, Henri Beraldi furent les historiens enthousiastes de ces traités. Manuel Lucas et Maria Rosario Miralbés nous ont donnés dans Pirinéos la Carta de Paz de 1646 entre les deux vallées de Thène et d’Ossau. Pendant la guerre de Succession d’Espagne, les lies et passeries avaient joué à plein. Stharemberg même, de 1709 à 1711 avait ordonné de veiller à leur maintien et dans la courte guerre de 1719 à 1720, Berwick et le vice roi d’Aragon avaient conservé aux populations frontalières le bénéfice du vieux droit.
Les relations d’Ossau avec la vallée de Thène sont bonnes. Les anciens magistrats ont veillé à éviter que des querelles de pâtres dégénèrent en bagarres de vallées. Les jeunes gens du Béarn vont se louer pour faire la récolte en Aragon. Un petit trafic frontalier surtout de bétail et de mules, relaie souvent à la Caze de Broussette, tandis que le principal courant passe par Urdos et le Somport. La tradition des lies et passeries est si forte que le capitaine du Génie Bordenave, en rédigeant sa première reconnaissance des frontières des Pyrénées, est frappé de son importance :
« Il existe des traités
entre les habitants espagnols et français de la vallée d’Aran par lesquels ils sont obligés de vivre en paix comme voisins (en bona) malgré les guerres que feraient les couronnes dont ils dépendent. Ces traités furent observés, même quand la partie espagnole de la vallée d’Aran devint un moment le théâtre de la guerre. Les Français y faisaient le siège de Castel-Léon, les sujets des deux nations de la même vallée continuèrent leur commerce. Le maintien de ces traités est le véritable moyen de défense de St Béat et la vallée adjacente contre les Espagnols de la vallée d'Aran ».
On pourrait reprendre dans l'exposé historique qui précède la dernière affirmation, mais c’est surtout celle-ci qui est caractéristique et témoigne de la force conservée en 1792 par la vieille tradition. Elle tait toujours vivace en Ossau et en 1794, le capitaine, dans un deuxième rapport explique à propos de la situation après un an de guerre, qu’il a dû renoncer à ses premières espérances par ce que contrairement à tous les précédents, les forces espagnoles occupent de façon permanente des postes fortifiés voisins de la crête frontière, même au cœur du massif.
Dans les hautes vallées, on suivait avec réserve la marche des événements. La mauvaise saison de 1792, les perspectives sombres
pour 93 inquiétaient tous ceux qui tiraient leurs ressources du thermalisme à Eaux-Bonnes et Eaux-Chaudes, et la gêne s’étendait des saisonniers aux paysans. La crise économique, la dépréciation des assignats, les ventes de biens nationaux, s'ajoutaient pour troubler les esprits aux conséquences des graves oppositions, des véritables luttes entre prêtres, constitutionnels et réfractaires. Dès le mois de mai 1792, on signale au Directoire du département, le danger de troubles provoqués par les appels des évêques émigrés de Dax et de Bayonne, la présence à proximité des frontières de prêtres insermentés et des menaces adressées aux prêtres constitutionnels. Mais c'est surtout en Pays Basque que cette crise devient grave. L’évêque constititionnel d’Oloron Sanadon a été élu, le 3 septembre 1792, député à la Convention, par 276 voix sur 468. Si l'influence de la noblesse, toujours faible dans la montagne, a totalement disparu, celle du clergé, on le voit, demeure. Sanadon refusa de voter la mort du roi,
ne fut point compromis dans la chute de la Gironde, mais démissionna, le 13 août 1793.
Le 21 juillet, malgré le mécontentement provoqué par l’application du 1er maximum qu’il fallut suspendre le 4 août, les électeurs du département ratifient la nouvelle constitution par 3565 voix pour et une seule contre. On le voit, la reprise en main de l’opinion par les Montagnards a été efficace. L’Assemblée a fait plébisciter son œuvre.
Suite... 3/11
Sources
- Colonel Bernard DRUENE, Les débuts de la campagne de 1793 aux Pyrénées centrales, et le combat de la Caze de Broussette
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