La vallée d'Ossau :
Culture et Mémoire
Origine et débuts obscurs du Béarn
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Époque Gauloise et Romaine - Les Invasions
Époque Normande et Franque - Vicomté de Béarn
Le Béarn indépendant - Moyen-âge
Époque Féodale - La Chevalerie - Les croisades
Maison ou dynastie de Moncade (1173 - 1290)
Législation Béarnaise - Les Fors
Maison de Foix - Guerre de Cent ans
De Mathieu de Castelbon à François-Phébus 1391 1483
Annexion du Béarn à la france (1620)
Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret (1555 1572)
Lou Nouste Henric (1572-1610)
Louis XIII (1610-1620)
Conclusion
Époque Gauloise et Romaine - Les Invasions
' Histoire du Béarn ne commence, à vrai dire, que dans les premières années du Xe siècle. Depuis 905 seulement, en effet, le Béarn eut des souverains propres, qu'on appela des vicomtes : ils se succédèrent presque sans interruption jusqu'à son annexion à la France en 1620 ; ils firent reconnaître son indépendance durant la deuxième moitié du XIe siècle, avec le vicomte Centulle IV, et ils surent toujours le maintenir libre de tout vasselage étranger.
L'origine du Béarn remonte bien loin cependant dans notre histoire nationale, car le nom de Beneharnum (Lescar) se révèle déjà dans les débuts obscurs de l'ancienne Gaule.
Les Celtes l'ont habité jusque dans ses parties les plus reculées ; les pierres mégalithiques* de la vallée d' Ossau le prouvent d'une manière irréfutable. Les Phocéens et Phéniciens de Marseille l'ont exploré bien avant la conquête romaine : ils ont signalé leur passage par des traces d'exploitation de mines et de carrières, par de nombreux mots grecs introduits dans la langue de nos pères et surtout par des noms de villages, comme Bizanos, Gelos, Morlaas, Arthez, Asasp, Goès, etc., dont la terminaison indique assez l'origine.
A l'époque de la conquête des Gaules par les Romains, le Béarn était très peu étendu ; il faisait Partie de l'Aquitaine, qui était limitée par la Garonne, les Pyrénées et l'Océan ; ses habitants formaient une espèce de petite confédération avec les peuples d'Aspe, d'Oloron, d'Ossau, de Monein et de Taron. Comme tous les peuples voisins des Pyrénées, les Béarnais étaient hostiles aux Romains : déjà, en effet, ils avaient secouru le fameux général carthaginois, Annibal, dans son expédition en Italie; ils résistèrent avec toute l'Aquitaine à Crassus, lieutenant de César. Celui-ci se rendit en personne dans les Pyrénées et soumit tous ses habitants, à l'exception des Vascons, qui reculèrent au-delà des montagnes, pour rester indépendants.
Les traces du passage de César dans notre pays sont marquées par une inscription de son nom sur le rocher du pont d'Escot (Vallée d'Aspe) et par la construction de la route d'Espagne, taillée par endroits dans le roc et aboutissant à Somport (sommet du port ou défilé).
Vainqueur, l'habile général romain se montra généreux envers les Aquitains, tandis qu'il était implacable et féroce pour les Gaulois : il respecta leurs lois et leurs coutumes et accorda des places ou des honneurs aux plus influents d'entre eux. Il avait compris combien ces peuples étaient naturellement fiers et il chercha à adoucir pour eux les rigueurs de sa domination.
Après lui, Auguste usa des mêmes ménagements pour leur religion : il diminua le nombre des monuments consacrés aux sacrifices humains mais n'osa point les abolir. Il recula les limites de l'Aquitaine jusqu'à la Loire ; l'ancienne s'appellera bientôt la Novempopulanie*, puis plus tard la Vasconie ou Gascogne.
Les provinces pyrénéennes furent donc sagement administrées, avec prudence et modération, par les Romains : elles ne connurent guère les rigueurs de la conquête et de l'assujettissement : aussi ne prirent elles aucune part aux soulèvements dont la Gaule fut le théâtre. Elles prospérèrent et s'embellirent rapidement leurs principales villes furent reliées entre elles par des routes importantes appelées voies romaines. (Il y en eut une, par exemple, allant de Lescar par Tarbes à St-Bertrand-de-Comminges, Haute-Garonne.) Quelques-unes furent honorées du titre de Cités romaines, réservé en général à de véritables États ou tout au moins à de vastes agglomérations : de ce nombre furent Beneharnum (Lescar) et Illuro (Oloron), dès le IIIe siècle. Les arts y brillèrent d'un vif éclat à l'époque des Antonins*, durant le IIe siècle ; malheureusement presque tous les beaux ouvrages furent mutilés et disparurent complètement plus tard avec les Barbares, les Sarrasins, et surtout avec les pirates Normands, destructeurs féroces. Quelques traces et débris en ont été heureusement retrouvés sous terre, en divers lieux, particulièrement sous la forme de mosaïques. (Dans notre Béarn : à Bielle, Jurançon, Lescar, Taron.)
La religion chrétienne ne pénétra que très tard et insensiblement dans ces pays éloignés ; aussi les odieuses persécutions y furent-elles longtemps inconnues. Vers l'année 407 cependant, St-Julien fut nommé premier évêque de Beneharnum par l'évêque de Trèves, qui était alors la métropole* des Gaules.
Au commencement du ve siècle, les Vandales, les Alains et les Suèves, ravagèrent l'Aquitaine et la Novempopulanie ; les Wisigoths les dévastèrent après eux, puis s'y établirent et s'étendirent même en Espagne et en Septimanie *, sous Ataulf, successeur d'Alaric Ier. Leur domination dura de 408 à 507 ; elle fut signalée par de cruelles persécutions, surtout sous Eurick, prince arien, très ardent contre les chrétiens orthodoxes *, déjà fort nombreux dans ces contrées.
Alaric II, son successeur, se montra prince sage et tolérant. Sous son règne les catholiques jouirent d'une tranquillité relative. Il autorisa le concile* d'Agde (Hérault) auquel assistèrent tous les évêques de son royaume, à l'exclusion de ceux d'Espagne ; on cite parmi eux, Galatoire, évêque de Béarn et Grat, évêque d'Oloron. Marie publia à Aire (Landes) un bréviaire des lois romaines, réunies en code sous l'empereur Théodore II, au V e siècle, et applicables aux Gallo-Romains, tandis que les Wisigoths étaient gouvernés d'après les lois gothiques.
En résumé, les Wisigoths administrèrent les contrées du midi de la Gaule avec une certaine modération : ils respectèrent et adoptèrent leurs mœurs et les coutumes de leurs habitants : as et livrèrent à l'agriculture et ramenèrent bientôt l'aisance dans ces pays désolés par les ravages successifs des Barbares et par l'abandon en friches de leurs terres.
Le Béarn était particulièrement sauvage et inculte à cette époque. Ses habitants portèrent longtemps le nom de Vaccéens, sans doute à cause du grand nombre de vaches qu'ils élevaient dans leurs montagnes. Peut-être prirent-ils plus tard deux vaches pour leurs armes, afin de symboliser leur vie de prédilection, la vie pastorale.
Époque Normande et Franque - Vicomté de Béarn
urant cette première période de notre histoire nationale les limites du Béarn sont mal définies ; son rôle est vague et obscur. « Membre illustre de l'Aquitaine », quoique tout petit, son histoire va rester quelque temps encore intimement liée à celle de cette vaste province, qui lutte énergiquement pour son indépendance pendant la domination franque. Après la victoire de Vouillé (507), dans laquelle il tua Alaric II de sa propre main, Clovis s'empara de Bordeaux et de la Novempopulanie. L'Aquitaine entière fut saccagée par les Francs, mais elle devint cependant une province indépendante pendant près d'un siècle, après la mort de Clovis. En effet, ses fils et ses petits-fils passèrent leur vie à guerroyer les uns contre les autres, à se dévorer. Occupés par leurs luttes dans le Nord, ils abandonnèrent à eux-mêmes les pays du Sud de la Gaule ; ceux-ci en profitèrent pour se rendre indépendants, sous la conduite de leurs chefs propres.
Dans les partages entre les petits-fils de Clovis, le Béarn échut à Chilpéric, roi de Soissons, qui l'assigna, ainsi que la Bigorre à sa femme Galsuinte, comme dot du matin, selon la coutume des Goths.
Dagobert voulut soumettre à sa loi les populations du Midi et du Sud-Ouest de la Gaule, mais les Vascons lui résistèrent. Rentrés d'Espagne, où ils s'étaient réfugiés pour fuir la domination romaine, ils avaient petit à petit formé un État, qui comprenait les cités d 'Acqs (Dax), Ayre, Bayonne, Oloron et Beneharnum, et qui s'appelait la Vasconie française. Ils résistèrent jusqu'au moment du mariage de Caribert, frère de Dagobert, avec la fille de leur duc, Amandus.
Après la mort de Caribert, la Vasconie voulut reprendre son indépendance. Les ducs envoyés par le roi des Francs furent mal accueillis et maltraités Dagobert dut se contenter d'un simple serment de fidélité.
Mais Eudes ou Eudon, petit-fils de Caribert, devint bientôt roi d'Aquitaine et duc de Gascogne, dès 681 : il fut probablement la souche des vicomtes béarnais. Il osa entrer en lutte avec Charles Martel, défendit seul son pays contre les Sarrasins, remporta sur eux une brillante victoire à Toulouse, vers 713, et les obligea à repasser en Espagne. Mais en 732 il ne put les arrêter : ils étaient rentrés par Roncevaux, les vallées de la Bidouze et d'Aspe; ils saccagèrent Oloron et Beneharnum,
pillèrent et incendièrent Bordeaux, après la défaite d'Eudes. Celui-ci appela alors à son secours Charles Martel qui accourut, les Arabes furent vaincus et massacrés en grand nombre, à Poitiers, grâce à une ruse d'Eudes, qui tourna leur camp et menaça leurs trésors.
Eudes prêta serment de fidélité à Charles Martel et rentra dans ses États : il mourut en 735. Son fils Hunald lui succéda.
Les Infidèles reprirent lentement le chemin de l'Espagne, ravageant tout sur leur passage : mais, traqués par les rois Francs et décimés par les populations vasconnes ils se réfugièrent dans les profondes vallées pyrénéennes. Ils furent complètement exterminés à la bataille de Lannes Maurines, près d'Ossun (Hautes-Pyrénées) par les Bigourdans et les Béarnais, commandés par le guerrier Missolin.
Les populations pyrénéennes, composées de divers peuples, particulièrement de Cantabres, de Navarrais et de Vascons ou Gascons cherchèrent de nouveau à se rendre indépendantes : Hunald et Vaïfre résistèrent longtemps à Pépin le Bref, mais Charlemagne obligea les ducs de Vasconie à lui prêter serment de fidélité et il fit étrangler le duc d'Aquitaine Loup, qui avait contribué à la défaite de Roland à Roncevaux ; il donna son royaume à Louis. son 3e fils, qui fut élevé à la mode gasconne à Toulouse.
Louis le Débonnaire fit déposséder et bannir du royaume en 819, Loup-Centulle, duc de Gascogne, mais il investit les fils du rebelle vaincu, Donat-Loup et Centulle du comté de Bigorre et de la vicomté de Béarn (Charte d'Alaon*, publiée en 845). Le Béarn se trouvait ainsi officiellement reconnu comme un État distinct dès 820, mais son histoire ne commencera cependant que vers 905.
De graves événements vont se dérouler dans notre pays jusqu'à cette date. Les ducs de Gascogne profitent des querelles de Louis le Débonnaire avec ses fils pour se rendre indépendants : ils refusent, ainsi que les Bretons et les Septimaniens, de prendre part à la bataille de Fontanet. Charles le Chauve veut soumettre et punir les rebelles : un affreux désordre règne alors en Aquitaine et dans toute la France.
Pendant ce temps, les Normands dévastent à leur aise les côtes de l'ancienne Gaule : ils remontent le cours de ses fleuves et saccagent les villes, semant partout la ruine et la désolation. Leurs brigandages avaient surtout pour objectif les richesses des grandes cités épiscopales, les églises et les monastères.
En 841, Bordeaux leur résiste, mais elle est prise et pillée en 843, de même que Saintes, Limoges, Périgueux, Bazas. Aire, Lectoure, Acqs, Tarbes, Oloron et Beneharnum. Cette dernière fut entièrement anéantie (845) il ne resta de l'ancienne cité béarnaise nul vestige, nulle trace, nul indice (sinon une petite chapelle dans un bois), qui pût en marquer la véritable position géographique. On croit que Lescar a été bâtie sur son emplacement. Morlaas devint alors la capitale du Béarn.
Les Normands continuèrent leurs incursions dans les pays du Sud-Ouest. jusqu'au Xe siècle. mais ils ne purent jamais s'y établir. Ils en furent définitivement chassés par les ducs de Gascogne, aidés de leurs vassaux, principalement des vicomtes de Béarn, que nous trouverons, à dater de cette époque, à l'avant-garde de toute entreprise chevaleresque, de toute idée d'humanité de justice et de liberté.
Le Béarn indépendant - Moyen-âge
e premier vicomte de Béarn, dont l'histoire soit bien connue, Centulle Ier (905-940) n'est évidemment pas le Centulle déjà cité et nommé vicomte par Louis le Débonnaire. D'après Marca, il serait le 4me de ce nom, mais on ne sait rien de ses prédécesseurs, durant une période d'environ 80 ans, et l'histoire suivie des souverains du Béarn commence en réalité vers 905 avec un Centulle, que nous appellerons Ier comme la plupart des historiens.
Ce prince aida le roi de Navarre et d'Aragon. Sanche Ier contre les Maures et reçut, en récompense de ses services, la vallée de Tène touchant à la vallée d'Ossau, avec quelques revenus sur la ville de Jaca ei,
Gaston Ier ou Gaston Centulle combattit les Normands avec son père et consacra ensuite son règne à réparer les maux des invasions ou à fortifier ses États contre les incursions dont ils étaient sans cesse l'objet.
Son frère, vassal de Guillaume-Sanche, duc de Gascogne, fut assassiné à Morlaas sur l'ordre de ce dernier. L'assassin Loup Fort on (gentilhomme de Serres-Morlaas), absous par le pape, s'enferma dans la chapelle de St-Jean-Baptiste (cachée au milieu d'une forêt), seul reste du cieux Beneharnum.
Guillaume repentant fit construire non loin de là, vers l'an 1000, après la dernière invasion normande, une magnifique église dédiée à St-Julien; rétablit
l'évêché et le dota très largement. Une ville nouvelle surgit rapidement autour de cette église : c'est Lescar. Le fils de Guillaume sera enterré plus tard dans l'église de Lescar : sa statue équestre, plaquée en relief au mur de la sacristie, a été détruite à l'époque des guerres de religion.
Centulle II, dit le Vieux (984-1004), qui prit une grande part à l'expulsion définitive des Normands, pendant la terrible invasion de l'an 1000, Gaston II (1004-1012) et Centulle III dit le Jeune (1012-1058) couvrirent le pays de Béarn de fondations pieuses (églises et monastères), qu'ils comblaient de libéralités.
Centulle III aida le duc d'Aquitaine Gui-Geoffroy, comte de Poitiers, à recueillir la succession du duché de Gascogne, contre Bernard d'Armagnac et conquit ainsi sa puissante amitié. Il fut assassiné par un gentilhomme du Lavedan, en Bigorre, dans une vallée de la Soule, pendant une insurrection de ce pays.
Centulle IV (1058-1088), son petit-fils, sut conserver l'amitié reconnaissante de Gui-Geoffroy et gagner celle toute fraternelle de son successeur, Guillaume de Poitiers ; il les aida dans plusieurs guerres et reçut en récompense la vicomté d'Acqs, la presqu'île entre les deux gaves d'Oloron et de Pau, avec les pays d' Orthez et de Salies, le droit de suzeraineté sur la Vallée de Soule et enfin l'affranchissement de tout vasselage.
Le Béarn devint ainsi une terre libre et indépendante : il eut bientôt des lois spéciales, une justice propre et plus tard une monnaie, particulière; ses vicomtes furent des princes souverains, Centulle IV aurait pu prendre facilement le titre de comte, de duc ou de roi : il n'en fit rien, alliant ainsi la modestie à l'habileté.
Généreux et féal, ce prince possédait de grands talents politiques et législatifs. Il agrandit Pau, Navarrenx, Ste-Marie et releva Oloron détruite par les Normands ; il l'entoura de fortes murailles, la relia à Ste-Marie, par un pont et accorda à ses habitants de nombreux privilèges. Il fit construire l'église de Ste-Foi de Morlaas et rebâtit celle de Ste Croix d'Oloron, brûlée par les Normands.
Centulle IV avait épousé sa très proche parente, Gisla, dont il eut plusieurs enfants ; mais il s'en sépara sur les représentations du pape, Grégoire VII, qui déclara leur union illégitime. Il épousa plus tard la comtesse de la Bigorre, Béatrix, dont il eut un fils qui hérita de sa mère.
Vassal du roi d'Aragon pour la Bigorre et la vallée de Tène, le vaillant vicomte se rendit à un appel pressant de son suzerain. Il s'arrêta dans ses possessions aragonaises chez un de ses vassaux et fut tué par son hôte lui-même, qui s'enfuit parmi les Sarrasins (1088).
Comme son aïeul, le vrai premier souverain du Béarn, prince sage et courageux, périt sous les coups de l'astuce et de la trahison ; son souvenir mérite d'être précieusement conservé dans les annales de notre pays.
Époque Féodale - La Chevalerie - Les croisades
aston IV le Grand ou le Croisé (1088-1131), fils de Centulle IV et de sa première femme Gisla succéda à son père dans la seigneurie de Béarn tandis que Centulle-Bernard, fils de Béatrix, devenait comte de la Bigorre. Noble et célèbre guerrier, prince chevaleresque, loyal envers ses vaincus, législateur habile, il a marqué son règne par des lois et des institutions paternelles ; son nom est impérissable dans l'histoire du Béarn c'est une des plus belles figures de nos vicomtes. Durant les premières années de son règne, il s'adonna tout entier au sage gouvernement de ses États. Il fit réunir et mettre en ordre les lois particulières ou fors, consacrant les privilèges et coutumes des diverses parties de la vicomté. Le premier, il jura, avec sa femme Télésa et son fils, d'observer les fors, sur l'autel de l'église Ste- Foi de Morlaas. Ce serment sera publiquement prêté, après lui par tous les souverains du Béarn.
Gaston IV fonda la cité d'Orthez, où il construisit l'église de la Trinité et fit élever le fort de Mongiscard sur la rive gauche, pour protéger sa noble cité.
Sous son règne, la France était encore agitée par les guerres féodales, déjà moins nombreuses cependant, depuis l'institution de la Chevalerie ; l'Europe était émue par les prédications des pèlerins de Jérusalem, qui apportaient aux chrétiens d'Occident les lamentations de leurs coreligionnaires d'Orient, outragés dans leur foi et menacés dans leur vie.
Les chevaliers français accoururent en masse à l'appel d'Urbain II à Clermont (1096). Gaston prit la croix et partit en Palestine avec Raymond, comte
de Toulouse. Il se fit remarquer plus qu'aucun autre chevalier dans cette première croisade, particulièrement à Nicée* et au siège d'Antioche*, où il commandait un des bataillons de l'armée des croisés, avec Tancrède de Sicile. A Jérusalem, il dirigeait les machines de guerre et décida la victoire par une ruse. Humain autant qu'habile et courageux, il préserva d'un massacre certain les Infidèles fugitifs ou enfermés dans le Temple, en leur envoyant ses étendards béarnais (15 juillet 1099). A Ascalon *, le 14 août, il causa la déroute complète des ennemis, avec son inséparable ami Tancrède ; les deux héros jurèrent de se retrouver en paradis.
De retour dans ses terres, il couvrit le Béarn d’œuvres pieuses, avec l'aide de sa femme Talèse. Il fonda les monastères et couvents de Ste-Christine au-delà de Somport d'Urdos, de Sauvelade et d'Aubertin, ainsi que les hôpitaux de Gabas et de Lescar, destinés à recevoir les voyageurs et pèlerins qui se rendaient en Espagne. Il autorisa l'ordre de chanoines réguliers de St-Augustin à s'établir à Lescar, et le dota de dîmes très importantes, entre autres celle du pont du gave ; il fit établir dans chaque commune des maisons de lépreux, placées sous la garde du clergé.
Il réunit définitivement au Béarn les vicomtés d'Acqs et de Soule, dont Centulle IV avait acquis la suzeraineté. En 1118, il alla secourir Alphonse Ier le Batailleur, roi de Navarre et d'Aragon, contre les Maures, qu'il chassa de Saragosse. Nommé seigneur de l'Église Notre-Darne-du-Pilier, il reçut aussi le titre de Ricombre, qui le rendait pair du roi et donnait à ses enfants le droit de prendre le titre d'Infants. Il aida encore Alphonse à s'emparer de Tarragone * et de Carthagène * puis à ravager les royaumes de Valence *, Murcie *, Grenade * et d'Andalousie * : onze rois Maures furent défaits à Aranjuel * par la vaillance de Gaston IV. En récompense, il obtint d'Alphonse quelques terres pour les gens de son armée dans le royaume de Pampelune, avec des fors, selon la coutume béarnaise.
En 1131. il fut traîtreusement tué par les Maures et enterré dans l'église de Notre-Dame-del-Pilar de Saragosse. Ses éperons et son cor de chasse ont été conservés comme de précieuses reliques ; ils sont encore montrés aux grands jours de fête.
Gaston IV a été surnommé l'Achille chrétien : c'est assurément l'un des types les plus beaux et les plus remarquables parmi les nobles chevaliers du XIIe siècle.
Centulle V (1131-1134) son fils, alla combattre aussi les Maures. Il fut tué près de Fraga* avec la plupart des chevaliers de son armée.
Pierre (1134-1154), était mineur à la mort de son père. Sa mère et sa sœur, veuve du comte de Gabarret, gouvernèrent à sa place. Dès sa majorité il passa en Aragon, prit part à la prise de Lérida* et de Fraga, puis mourut en 1154, laissant deux enfants en bas-âge, Gaston et Marie.
Gaston V (1154-1170) gouverna d'abord sous la tutelle de Raymond, comte de Barcelone et mourut sans enfants, après un règne sans éclat.
Marie, sa sœur, lui succéda, mais elle fut peu de temps vicomtesse. Elle mécontenta son peuple en faisant, pour elle et pour ses successeurs, hommage de ses terres à son cousin, Alphonse II d'Aragon, et en contractant l'engagement de ne pas se marier sans son consentement. Alphonse la maria bien vite, en effet, avec le ricombre Guillaume, comte de Moncade, d'une des plus nobles familles espagnoles (1170).
Les Béarnais se déclarèrent indépendants et choisirent pour vicomte, d'abord un seigneur de Bigorre, Thibault, descendant de Centulle IV, par Centulle-Bernard, puis un gentilhomme d'Auvergne Sentonge, qui furent dépêchés par ordre de la Cour souveraine et tués, le premier à Pau, et le deuxième sur le pont de Sarrance, aux confins de Béarn et de Soule, pour avoir violé les fors et refusé de s'y soumettre.
Ainsi s'est éteinte la première maison des vicomtes du Béarn dite Maison de France ou Mérovingienne, qui a duré environ 350 ans. Avec elle, le Béarn s'est détaché de la France, sa véritable patrie, pour se rapprocher de l'Aragon, son voisin, auquel l'unissaient de nombreuses alliances de leurs princes réciproques. Ses souverains ont su profiter de toutes les circonstances pour étendre leurs possessions et ils ont brillé d'un très vif éclat pendant les XIe et XIIe siècles ; mais ils ont toujours respecté les franchises et les coutumes anciennes de leurs peuples et ils leur en ont même accordé de nouvelles très larges et très libérales.
Maison ou dynastie de Moncade (1173 - 1290)
près les deux malheureux essais du chevalier de Bigorre et du gentilhomme d'Auvergne, les Béarnais envoyèrent deux prud'hommes vers un cavalier de Catalogne, dont ils avaient entendu vanter la valeur et les mérites, avec mission d'obtenir pour vicomte un de ses deux fils jumeaux. Ce seigneur catalan n'était autre, selon toute probabilité, que Guillaume de Moncade, l'époux de la vicomtesse Marie, reniée de ses sujets. La demande des Béarnais fut favorablement accueillie, et les envoyés rentrèrent en Béarn avec un tout jeune enfant, qui fut le vicomte Gaston VI : il régna de 1173 à 1215.
Dès sa majorité, à 16 ans, il fit hommage de ses terres à Alphonse d'Aragon ; les Béarnais en furent fort indignés. Alphonse s'était. emparé de la Bigorre, mais il la donna à Gaston, en le mariant avec sa cousine, la comtesse Aimée, sous condition de retour, s'ils n'avaient pas d'enfant mâle. Gaston soumit le comte de Dax et prit Orthez, dont il s'intitula le seigneur.
Sous son règne, l'hérésie des Albigeois était généralement professée dans le Midi de la France. Une véritable croisade fut prêchée contre eux et l'on vit alors le Nord de la France se ruer sur le Midi, pillant, massacrant et brûlant tout sans pitié. Les principaux chefs des hérétiques étaient le marquis de Provence, les comtes de Toulouse, de Béziers, de Foix et de Comminges, auxquels vint se joindre Pierre d'Aragon, qui entraîna Gaston, son vassal.
Simon de Montfort, vainqueur à Muret, envahit les terres du vicomte béarnais, comte de Bigorre, mais il les lui rendit bientôt après, sur l'ordre d'Innocent III, qui leva l'excommunication lancée contre lui. Gaston fit alors de grandes largesses à l'Église de Ste-Croix-d'Oloron. Il mourut en 1215, sans postérité.
Sa modération faite de fermeté, une parfaite égalité de caractère, qui le rendait juste et droit, lui ont valu le surnom bien mérité de Bon. Son frère jumeau, Guillaume-Raymond, lui succéda en 1218, mais ne fut admis à prêter serment de fidélité aux fors qu'en 1220.
Les Béarnais s'avisèrent alors de créer une Cour Majour de 12 jurats* perpétuels pour eux et pour leur race. Cette Cour était destinée à servir de contrepoids à l'autorité souveraine du vicomte et à juger en dernier ressort les disputes parmi les habitants ou bien les différends entre le seigneur et ses sujets.
Les douze jurats nommés furent les seigneurs de Navailles, d'Andoins, de Lescun, de Coarraze, de Gerderest, de Gayrosse, de Gabaston, de Rode (Arros), de Miossens, de Doumy, de Miramon et de Mirapeix ; celui-ci fut bientôt déposé et remplacé par le seigneur de Bidouze. Les évêques de Lescar et d'Oloron en firent partie de droit.
Guillaume était un prince impétueux, violent et emporté ; tout jeune, il avait tué son parent, Béranger, évêque de Tarragone. Excommunié, puis absous par le pape, après une pénitence publique, il fit un legs à l'Hôpital et au Temple de Jérusalem, ainsi qu'à l'Église d'Auch : le repentir fit de lui plus tard « un prince digne du respect et de l'amour des Béarnais ».
En 1221. il se rendit dans la vallée d'Ossau, pour pacifier le pays : il accorda des privilèges extraordinaires à ses habitants, qui étaient restés libre et indépendants jusqu’ à l'extinction de leurs propres vicomtes, sous Gaston IV, en 1101. Il rédigea les fors particuliers aux trois vallées d'Ossau, d'Aspe et de Barétous. La première eut le droit délire ses jurats et elle devait fournir une escorte* au vicomte ; les deux autres lui devaient des otages * dès son entrée sur leurs terres et le souverain choisissait lui-même leurs jurats.
Guillaume mourut en 1223, à Oloron « laissant un testament plein de dispositions libérales ». Il avait désigné son fils pour son successeur et conclu avec les comtes d'Armagnac et de Bigorre, une trêve de cinq ans, à dater de son décès.
Guillaume II (1223-1228), le plus puissant vassal de l'Espagne, était retenu prisonnier dans son château de Moncade, lorsque son père mourut. A peine de retour en Béarn, il partit en expédition contre les Maures, dans l'île de Mayorque, où il fut tué (1228). Il s'était marié avec Garsende de Forcalquier, veuve du comte de Provence et il laissait deux enfants en bas-âge.
Gaston VII (1228-1290), son fils, lui succéda. Garsende fut nommée régente. La famille de Béarn devint, grâce à elle, une maison princière très importante, alliée aux plus puissantes familles régnantes d'Europe. Garsende était, en effet, l'aïeule des reines de Sicile, d'Allemagne, d'Angleterre et de France, qui étaient nièces de Gaston.
Avec elle, le Béarn changea ses alliances : il abandonna l'Espagne et se mêla aux événements de la France.
Après Taillebourg (1242), Garsende alla, avec son fils, rejoindre le roi d'Angleterre, vaincu et réfugié à Bordeaux : elle se rangea parmi ses fidèles.
Henri III, héritier de l'Aquitaine par sa grand-mère, Éléonore, paya cher l'alliance du vicomte de Béarn : Gaston fit, en effet, bâtir avec l'argent des Anglais, le château de Moncade d'Orthez, dit le noble. Mais bientôt il eut lui-même des démêlés très sérieux avec le terrible Edouard Ier. Fait prisonnier par surprise, il le défia en champ-clos, le qualifiant de traître-roi et juge-félon. Délivré, il fit vainement le siège de Bordeaux et de Bayonne, avec Arnaud de Grammont qui se déclara « son homme d'armes, son chevalier-lige ».
Pendant une courte paix, Edouard et Gaston se rendirent en Espagne, pour épouser les filles du roi d'Aragon et de Castille. Ils furent tous les deux investis chevaliers par Alphonse-le-Sage, et Gaston fut relevé de tout hommage et serment envers le roi d'Aragon (1270), juste un siècle après l'acte d'engagement de la vicomtesse Marie (1170)
La guerre reprit bientôt entre Edouard et Gaston qui fut assiégé dans Orthez mais qui reçut, pour prix de sa soumission, une pension de neuf mille livres, en plus de celle de deux mille dont il jouissait depuis sa paix avec Henri III. Durant ses guerres avec le roi d'Angleterre, Gaston s'était heurté au redoutable comte de Toulouse et avait agrandi ses États de St Gaudens, Miramon, le Nébouzan et la vallée d'Aure (Hautes-Pyrénées). Il eut en héritage la Bigorre et reçut l'hommage du sire d'Albert seigneur de Bazas, pour vicomté de Gabardan.
Ce noble vicomte avait quatre filles. L’aînée, Constance, veuve de l'Infant d'Aragon, mourut sans enfant, avant son père. Gaston désigna alors pour son héritière Marguerite, sa deuxième fille, qui avait épousé Roger-Bernard, comte de Foix : ainsi commença la Maison de Foix.
Gaston mourut peu de temps après (I290), dans son château de Sauveterre et fut enterré dans l'Église des Mineurs, à Orthez. Avec lui finit la dynastie de Moncade.
Presque toujours en guerre, Gaston n'avait eu que peu de temps pour s'occuper d'administration et de justice. Assisté des évêques d'Oloron et de Lescar, il renouvela cependant les fors, en présence des barons de Béarn (1288).
Maison de Foix - Guerre de Cent ans
oger-Bernard de Foix (1290-1302) succéda à sou beau-père, Gaston VII. La seigneurie de Foix,
autrefois vassale de l'Aquitaine, était érigée en comté depuis environ 1050. Elle avait eu souvent des démêlés avec l'Armagnac, placé entre Béarn et Foix. Roger avait la réputation d'un preux chevalier. Il avait osé lutter contre Philippe III, le hardi, héritier du Languedoc, qui le fit prisonnier, mais le retint peu de temps et l'arma chevalier de sa propre main (1270). Il avait ensuite combattu les Maures pour le roi d'Aragon, Son administration en Béarn fut courte, mais paisible et sage.
Gaston VIII (1302-1316), son fils, fut en guerre contre le comte d'Armagnac. Il alla au secours du roi Louis X, le Hutin, contre le comte de Flandre et mourut à Pontoise, après avoir épousé Jeanne d'Artois.
Gaston IX (1316-1343), neveu du roi par sa mère, combattit pour la France les Flamands et les Anglais. Il alla aussi guerroyer en Espagne et mourut près de Séville.
Gaston X, appelé Phébus (1343-1391), fut élevé par sa mère Éléonore de Comminges, qui en fit un noble chevalier ; il fut aussi un puissant souverain renommé pour ses brillantes qualités, son esprit fin et délié, ami des arts et pour son éclatante beauté, qui lui a valu le surnom de Phébus, autant que le soleil adopté pour emblème et gravé sur ses armes.
Dès le début de son règne, le roi Jean le Bon fut battu à Poitiers et fait prisonnier. Pays libre et indépendant, reculé aux extrémités méridionales et n'éprouvant guère les dommages causés par les guerres, le Béarn aurait pu rester neutre ou suivre l'exemple des seigneurs de l'aquitaine, qui s'étaient rangés sous la bannière anglaise : mais son cœur penchait vers la France. Nous sommes fiers, nous, Français d'aujourd'hui, de constater que nos ancêtres béarnais ont prêté leur appui à la Patrie en danger.
Dès l'âge de 15 ans, Gaston-Phébus alla combattre les Maures, en Espagne, et il épousa Agnès de Navarre, sœur de Charles le Mauvais. Il se rendit ensuite à Paris pour obtenir la grâce de son beau-frère, retenu prisonnier. Le roi de France en profita pour lui demander le vasselage de sa terre de Béarn : mais Gaston lui répondit avec fierté qu'il ne devait son hommage qu'à Dieu, non à aucun comte, duc ou roi sur terre. Cette fière réponse lui valut d'abord une brève captivité, puis le titre de lieutenant général du Languedoc, gouverna avec une douce fermeté.
Après une courte expédition en Allemagne, il prit part à la répression de la Jacquerie, particulièrement dans le Midi de la France : il assista à la bataille de Meaux, où il sauva, avec l'aide du seigneur de Buch*, les dames de la Cour d'un massacré certain ; les malheureux paysans y furent exterminés : 60.000 d'entre eux y périrent.
Gaston vainquit ses voisins les comtes d'Armagnac et d'Albret et défendit avec honneur l'indépendance de sa terre de Béarn contre la rapacité des Anglais, maîtres de Gascogne et Labour par le traité de Brétigny (1360) ; il força l'estime du puissant Prince Noir, qui aurait été heureux de posséder son amitié.
Il avait pour cri de guerre : « Fébus aban ! » et sa devise préférée : « Toque-y si gauses ! » inscrite sur sa royale demeure était un défi jeté à la bravoure de ses ennemis.
Gaston-Phébus cultivait les lettres et goûtait fort la musique ; il aimait passionnément la chasse et se faisait un honneur d'être le premier chasseur de son temps : il alla chasser l'ours jusqu'en Suède et Norvège. Il a écrit un traité intitulé : « Déduiz de la chasse des bestes sauvaiges et des oiseaux de proye. » Il fit commencer le château de Pau pour lui servir de rendez-vous de chasse.
Preux chevalier, féal et courtois, il aimait le faste des belles réceptions, les joyeux propos et les brillants tournois. Son historien Froissart* dit dans ses Chroniques qu'il n'a pas rencontré de Cour « qui mieux lui plût ».
Le château d'Orthez eut l'honneur de recevoir vers 1380 et d'égayer par des fêtes splendides, le duc de Bourbon, Bertrand Du Guesclin, avec 3oo nobles chevaliers, allant en Espagne, au secours de Henri de Transtamarre* contre Pierre le Cruel.
Malheureusement, deux crimes ternissent la mémoire de Gaston-Phébus. Ce puissant vicomte tua de sa propre main son frère naturel Pierre-Arnaud et son fils Gaston « l'Ange de Foix ».
Le premier défendait pour le compte des Anglais la ville de Lourdes, assiégée par les Français. Appelé à Orthez par Gaston, il refusa de rendre la ville et fut tué d'un coup de dague.
L' « Ange de Foix », marié depuis peu de temps à la comtesse d'Armagnac, alla faire visite dans Pampelune à sa mère Agnès, retirée auprès de son frère. Charles le Mauvais remit à son filleul, entre autres présents, un sachet plein d'une poudre merveilleuse, avec mission de la verser dans la boisson de son père. Gaston-Phébus faillit être empoisonné par son propre fils. Furieux. il fit enfermer, puis tua, sans le vouloir, son cher enfant, qu'il pleura fort longtemps.
Il mourut lui-même subitement, en 1391. à Orion, près de Sauveterre, après une chasse à l'ours.
De Mathieu de Castelbon à François-Phébus 1391 1483
athieu de Castelbon, neveu de Gaston, devint vicomte du Béarn, Phébus n'ayant pas d'enfant légitime. Il fit, avec le duc de Bourbon, une expédition contre les pirates de Tunis. Marié à la fille du roi d'Aragon il essaya vainement de succéder à son beau-père. Il administra sagement le Béarn et chercha à remédier aux lenteurs de la justice. Il mourut sans enfant, en 1398.
Sa sœur, Élisabeth de Foix, lui succéda (1398- 1426). Elle avait épousé Archambault de Grailly, captal ou seigneur de Buch, descendant de la Maison de Foix et ancien compagnon de Phébus.
Leur règne fut calme et paisible. Un de leurs fils, Gaston, fut tué à la bataille d'Azincourt, où il s'était fait remarquer ; un autre fut tué avec le duc de Bourgogne, sur le pont de Montereau. Le quatrième fut comte de Comminges et gouverneur du Dauphiné ; le cinquième fut évêque de Lescar, puis cardinal et légat* du pape.
Jean Ier (1426-1426), leur fils aîné, fut un prince noble et valeureux. Il secourut le roi d'Aragon, combattit le comte d'Armagnac, assista Jeanne d'Arc à la prise d'Orléans, à la victoire de Patay, au sacre de Reims et fut le compagnon de Dunois. Il enleva Lourdes aux Anglais et prit le titre de comte de la Bigorre, après en avoir chassé l'étranger. Certains auteurs prétendent qu'il aurait retenu prisonnier et laissé mourir dans un de ses châteaux le pape Benoît XIII, à l'époque du grand schisme*.
Marié d'abord à Jeanne de Navarre, puis à Jeanne d'Albret, première de ce nom, il épousa, en troisièmes noces, l'infante Jeanne d ' Aragon et mourut subitement en 1436, laissant à son fils un État puissant et respecté.
Il avait régné avec éclat et son nom figure parmi les plus illustres dans la chevalerie de ce temps.
Gaston XI (1436-1471) « fut toujours le loyal et fidèle chevalier du roi Charles VII ». Il contribua puissamment à l'expulsion définitive des Anglais : il les chassa de la Gascogne et s'empara de Tartas, St-Sever et Dax. Le roi de France assista en personne au siège de St-Sever, capitale du pays gascon, que le vicomte béarnais emporta d'assaut. Quelques mutineries s'élevèrent alors entre les Béarnais et les gens du roi de France, qui entrèrent en Béarn et furent dispersés par les paysans, appelés au son du tocsin ; mais s'étant ralliés dans les environs de Mesplède, près d'Arthez, ils massacrèrent à leur tour plus de 1.000 paysans. Gaston acquit en compensation les terres de Buch et le comté de Narbonne. Il prit Mauléon et plusieurs places des environs de Bayonne, puis enfin la capitale du Labour où il fit une entrée royale, ayant Dunois sous ses ordres (1453). Il contribua aussi à la prise de Bordeaux, qui marquait la défaite complète des Anglais et la libération définitive de la France ; les Béarnais ont en l'honneur d'y contribuer pour une très large part.
Gaston avait épousé Éléonore, fille de l'héritière de la Navarre, mariée elle-même au roi d'Aragon.
Une contestation s'éleva au sujet de la succession de la Navarre, entre Jean d'Aragon, Blanche des Asturies*, sa fille, et Gaston de Béarn, son gendre.
Louis XI, accepté pour arbitre par les trois prétendants, décida que la Navarre resterait à Jean d'Aragon sa vie durant, mais qu'elle reviendrait ensuite au comte de Foix. Cet arbitrage fut ratifié par les parties après quelques difficultés (1471).
Ainsi les vicomtes de Béarn devenaient rois de Navarre.
Louis XI profita de son séjour à Bayonne pour aller rendre visite à la madone de Sarrance. Il donna alors au vicomte de Béarn un éclatant témoignage de sa haute considération ; lui qui rêvait de reconstituer l'unité française dit à ses gens en entrant sur les terres de Béarn : « Baissez l'épée de France; nous sortons ici du royaume ! »
Il reconnaissait ainsi l'indépendance de ce petit État.
Gaston XI aimait, comme ses ancêtres, le faste des brillantes représentations, le luxe des vêtements et des armes ; mais il sut comme eux respecter les droits et les libertés de ses sujets. Il fit embellir et agrandir le château de Pau dont il fit sa résidence.
Il mourut en 1471 à Ronceveaux, allant faire la guerre en Navarre. Son corps fut inhumé à Orthez. Sa femme Éléonore gouverna jusqu'en 1479 et recueillit la couronne de Navarre.
Gaston avait eu quatre fils et cinq filles. Son deuxième fils épousa Marie d'Orléans, sœur de Louis XII et fut le père de Gaston de Foix, le vainqueur de Ravenne ; sa troisième fille épousa le duc de Bretagne et fut la mère d'Anne de Bretagne qui devint reine de France.
François-Phébus (1479-1483), son petit-fils, fut couronné roi de Navarre, à l'âge de 13 ans, dans la cathédrale de Pampelune, où il s'était rendu avec sa mère, Madeleine de France, sœur de Louis XI, escorté des envoyés de Navarre et de 1500 lances.
Il mourut à l'âge de 16 ans, en 1483, au moment où il commençait à jouer de la flûte. Sa mort subite et mystérieuse fut attribuée au poison, car « à peint eût-il approché de ses lèvres une flûte dont il savait tirer des sons merveilleux qu'il sentit le froid de la mort se répandre dans ses veines ».
Il fut enterré dans la cathédrale de Lescar.
Annexion du Béarn à la France (1620)
atherine de Navarre, sœur de François-Phébus, devint souveraine du Béarn, dès l'âge de 13 ans, sous la tutelle de sa mère Madeleine de France. Elle était la plus riche héritière de l'Europe. De nombreux prétendants, parmi lesquels deux princes du sang de France, le duc de Tarente* et le prince de Castille*, la sollicitèrent en mariage. Le choix des États de Béarn se porta sur le sire Jean d'Albret, seigneur des Landes, ce qui rendit furieux, Jean de Foix, vicomte de Narbonne , oncle de Catherine. La jeune reine faillit être victime, ainsi que sa mère, d'une conspiration ourdie par lui avec l'aide des seigneurs de Grammont et de Gerderest ; ce dernier fut exécuté à Montaner, tandis que Grammont, plus coupable, fut gracié.
Après leur mariage, en 1491, Catherine et Jean se rendirent à Pampelune, pour se faire reconnaître rois de Navarre. Ce pays était alors en proie aux luttes intestines entre les familles rivales de Beaumont et de Grammont, familles de maréchaux, de connétables et de gouverneurs.
Le roi Jean se montra si faible qu'il perdit la Navarre espagnole, dont Ferdinand le Catholique, s'empara. Le roi de France, Louis XII, occupé en Italie ne put le secourir ( 1512 ).
Jean d'Albret combattit Camaing, baron de Coarraze, révolté, ravagea ses terres et brûla son château, puis défendit contre les prétentions du Parlement de Toulouse l'indépendance absolue du Béarn, qui fut notifiée à toutes les cours du royaume, par lettres patentes du roi de France (1512). Il mourut à Monein, en 1516 et Catherine à Mont-de Marsan, bien vite après lui ; ils furent enterrés à Lescar. « Jean et Catherine furent de nobles souverains, justes et droituriers, ménagers du bien et du repos de leur peuple ; mais Jean manqua d'énergie. » Catherine, plus valeureuse, quoique très bonne, lui disait parfois : « Si nous fussions nés, sous Catherine et moi Jean, nous n'aurions jamais perdu la Navarre. »
Leur fils,Henri d'Albret, n'avait que 12 ans. Formé à la chevalerie, il brilla de bonne heure à la cour de France et suivit François Ier dans ses guerres contre Charles-Quint. Il conquit en partie la Navarre et reprit les villes de St-Jean-Pied-de-Port, Ronceveaux, Fontarabie et Pampelune; mais les Espagnols, conduits par le prince d'Orange, brûlèrent Sordes et s'emparèrent de Sauveterre, Navarrenx, Mauléon et Oloron ; ils quittèrent pourtant bien vite le Béarn.
Henri II, fait prisonnier à Pavie, réussit à s'enfuir et négocia, de concert avec Marguerite de Valois,
la libération de François Ier son compagnon d'armes et son ami. Délivré, celui-ci lui accorda la main de sa sœur, veuve du duc d'Alençon ; elle lui apportait en dot les duchés de Nemours et d'Alençon, avec le comté d'Armagnac, le perpétuel ennemi du Béarn.
Le vicomte de Béarn, roi de Navarre, pouvait alors rivaliser en puissance avec les princes les plus riches du royaume il possédait principalement la souveraineté de Béarn, les duchés d'Alençon et de Nemours, les comtés d'Armagnac, de Foix, de Périgord, de Bigorre et de Dreux, les vicomtés de Limoges et de Marsan, ainsi que l'Albret, devenu duché, avec Nérac et Tartas pour villes principales, et enfin quelques fiefs en Saintonge et même en Champagne.
A partir de son mariage, Henri II ne prit plus part aux guerres de François Ier ; il s'occupa très sérieusement d'administration et de législation. Il fit restaurer le château de Pau avec le luxe et la délicatesse de l'architecture de la Renaissance. Il encouragea l'agriculture et l'industrie et fit même venir en Béarn des agriculteurs du nord de la France.
Il modifia sensiblement les Fors, surtout en matière de justice et de procédure. Les Fors particuliers furent réunis en un corps de lois, imprimé pour la première fois à Pau, en 1552.
Il créa un Conseil privé de Navarre et une Cour des Comptes, mais supprima la Cour majour.
On ne s'explique guère comment Voltaire a pu le qualifier de prince sans mérite, car Charles-Quint disait « qu'il n'avait rencontré qu'un homme en France et que cet homme était Henri de Navarre ».
Sa femme, la Marguerite des Marguerites, la mignonne sœur de François Ier, était plus âgée que lui de dix ans. Douée d'une haute intelligence et d'un esprit délicat, écrivain remarquable, elle aimait les joyeusetés et les aventures piquantes. Elle s'entourait de savants et de poètes et attira dans sa Cour Erasme, Desperriers et Clément Marot, qui la peignit ainsi : « Corps féminin, cœur d'homme et tête d'ange. »
Nous lui devons les jardins magnifique du château de Pau et les ombrages du Parc, où elle se plaisait à méditer dans le recueillement et à puiser ses inspirations poétiques.
Avec elle, la Réforme s'introduisit en Béarn. Esprit large et tolérant; imbue de liberté et avide de savoir, elle favorisa la religion nouvelle, accueillit et protégea les persécutés, malgré les remontrances de son frère et de son mari. Elle nomma même évêque d'Oloron le chef des réformés, Roussel, dont l'érudition et les belles prédications l'avaient charmée. Mais les exigences toujours croissantes de ses partisans l'effrayèrent bientôt : elle redevint une fervente catholique et se repentit même d'avoir trop favorisé les idées nouvelles. Elle mourut au château d'Odos, près de Tarbes, en 1549 ; elle fut enterrée à Lescar.
Henri II vécut jusqu'en 1555; il mourut à Hagetmau et fut le dernier vicomte de Béarn inhumé dans la cathédrale de Lescar.
Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret (1555 1572)
eanne d'Albret, fille de Henri II et de Marguerite, était mariée depuis 1548 à Antoine de Bourbon, descendant de Robert de Clermont, sixième fils de St-Louis. Elle avait 27 ans lorsqu'elle succéda à son père. Jeanne et Antoine furent solennellement proclamés souverains de Béarn et rois de Navarre dans la grande salle du château de Pau.
Antoine était un prince de beaucoup de courage, mais d'un caractère indécis et faible. Il recherchait l'appui du roi de France, pour reconquérir sa Navarre perdue. N'ayant pu l'obtenir, il devint le chef du parti de la Réforme et faillit périr, ainsi que son frère le prince de Condé, après la conjurations d'Amboise. Puis passant de nouveau au catholicisme, il forma un triumvirat avec le duc de Guise et le comte de Montmorency.
A la mort de François II, il eut l'espoir d'être nommé régent de France ; il n'obtint que le titre de
lieutenant-général du royaume. Il mourut en 1562, des suites d'une blessure reçue au siège de Rome, défendue par le calviniste Montgommery, le meurtrier involontaire de Henri II.
Jeanne gouverna seule jusqu'à sa mort (1572). Femme d'une rare énergie, maîtresse absolue,
sévère dans ses mœurs, austère dans sa vie, elle possédait de grandes qualités politiques. Le poète d'Aubigné l'a dépeinte ainsi : « Princesse qui n'avait de femme que le sexe, l'âme entière aux choses viriles, l'esprit puissant aux grandes adversités. » « Les catholiques mêmes, dit un écrivain de son temps, reconnaissant son courage, sa constance, sa fermeté ne blâment que son entêtement qui fait sa gloire auprès des calvinistes. »
Jeanne voulait réformer la religion catholique, selon la Bible, et l'empêcher de se corrompre en Béarn « de laquelle peste il s'est bien sauvé jusqu'ici », comme elle l'écrivait au cardinal d'Armagnac, légat du pape. Elle participa publiquement à la Cène *, le jour de Pâques (1er avril 1563) et fit ainsi solennellement adhésion au calvinisme, qu'elle essaya d'introduire dans ses États. Elle rendit à ce sujet diverses ordonnances sévères, absolues et défendit qu'on lui présentât nulle requête. Les troubles religieux commencèrent aussitôt en Béarn. Le souvenir terrible de cette époque de désordres et de désolation est devenu proverbial dans notre pays, sous le nom de : « Lou téms de la Réyne Yane ! »
Les églises furent partout détruites ou pillées et les sépultures violées : la cathédrale dé Lescar fut la première saccagée ; les tombeaux des anciens vicomtes de Béarn furent profanés ; celui de Henri II, père de Jeanne, ne fut même pas épargné. Les actes barbares et odieux de ce genre furent malheureusement très nombreux.
Les États de Béarn, inquiets et fatigués des plaintes et des récriminations qu'ils recevaient de tous côtés, essayèrent d'adresser à leur souveraine des suppliques, puis des remontrances ; ce fut en vain. Ils lui demandèrent alors leur congé. Jeanne le leur refusa d'abord, puis cédant à leurs instances, elle leur fit cette dure réponse : « A de mauvais serviteurs je donne volontiers congé. »
Déterminée à poursuivre son but, elle voulut introduire le calvinisme dans la Basse-Navarre comme en Béarn ; elle fit traduire en basque le catéchisme et les évangiles de Calvin ; elle fit prêcher la religion nouvelle par des prédicateurs ardents, qui furent écoutés et suivis par le peuple ; mais la noblesse, en partie réfractaire aux idées nouvelles, souleva les Basques et les Navarrais, qui prirent les armes et s'emparèrent de Sauveterre et de Salies ; les hostilités furent d'ailleurs de très courte durée.
En 1564, Charles IX et sa mère se rendirent à Bayonne, en conférence avec la reine d'Espagne et le duc d'Albe *. Jeanne alla les visiter, mais elle les quitta bien vite, indignée, car elle comprit qu'ils avaient déjà médité un terrible projet à l'égard des protestants
Charles IX revint à Paris par Dax et Nérac*, où il obtint à peine une messe et ne vit partout sur sont chemin que croix renversées ou mutilées et qu'églises brûlées ou ruinées. Il tenta tous ses efforts auprès de Jeanne d'Albret pour la détacher du parti protestant, mais ce fut en vain.
Quelque temps après, le cardinal de Lorraine essaya de lui enlever son fils Henri de Navarre. Jeanne alors se décida à se réfugier a La Rochelle, la citadelle du parti réformé. Elle y arriva après un voyage mouvementé, heureuse d'avoir échappé aux soldats du redoutable Montluc, chargé de l'arrêter.
Montluc envahit la Bigorre, tandis que le baron de Terride, lieutenant du duc d'Anjou, venait soumettre le Béarn à Charles IX. Sauveterre, Salies, Nay, Lescar et Morlaas furent bien vite réduites, le Vic-Bilh fut ravagé. Navarrenx et Oloron, d'abord soumises, furent reprises par le duc de Grammont, commandant les partisans de la reine. Orthez résista longtemps. Terride alla camper alors à Bizanos, aux portes de Pau, et fit convoquer les États de Béarn. Ils se réunirent d'abord à Lescar (14 avril 1569), où ils décidèrent de livrer Pau et de se soumettre au terrible baron, qui leur imposa des conditions très dures, puis à Lucq-de-Béarn (5 juillet), sur l'ordre du roi, pour ratifier les mesures arrêtées par lui. Malgré leur défaite, les États protestèrent énergiquement et réussirent à faire reconnaître l'indépendance du Béarn, consacrée par 800 ans de liberté, contre les arrêts des Parlements de Toulouse et de Bordeaux, qui avaient prononcé sa réunion à la France. Ils acceptèrent la protection du roi de France, mais déclarèrent « que les Béarnais préféraient mourir, eux et leurs enfants, plutôt que de renoncer à rester Béarnais ». Cette généreuse et fière protestation est un des faits les plus curieux de notre histoire béarnaise.
La guerre continua donc avec plus d'acharnement que jamais. Le château de Pau céda à Terride, mais Navarrenx, défendue par le baron d'Arros, lui résista.
La reine Jeanne sollicita le secours de l'Angleterre : elle offrit à la reine Élisabeth tous ses bijoux ; celle-ci n'accepta que le collier et le rubis de la maison de Navarre.
Le comte de Montgommery fut chargé de combattre Terride. Il leva dans le comté de Foix une armée imposante, entra à Pontacq, passa le gave à Coarraze, reçut l'hommage des gens d' Ossau, fidèles à la Reine, chassa Terride de Navarrenx, le mit en déroute et entra dans Orthez, qu'il mit à feu et à sang, et qui fut le théâtre d'odieuses atrocités (frineste deus capéraas). Terride fut pris, ainsi que dix gentilshommes réfugiés avec lui dans le « noble » château : ceux-ci furent conduits à Pau, qui s'était rendue, et poignardés, en présence de leur chef, dans une salle du château. Nay et Oloron se rendirent aussi.
Montgommery était maître du Béarn. Il commit, au nom de la religion protestante, les mêmes crimes abominables que les catholiques commirent de tous temps, avec une rage féroce et aveugle, au nom du Dieu universel : les religieux furent partout pendus ou massacrés, les églises furent pillées ou brûlées, les vases précieux enlevés ou vendus, les tombeaux profanés et leurs cendres jetées au vent.
Beaucoup de familles quittèrent le Béarn pour se réfugier en Espagne. Jeanne, toujours à La Rochelle, apprit le dépeuplement de son pays ; elle autorisa par édit le retour des ecclésiastiques, puis revint en Béarn, où elle fut reçue avec joie par la grande majorité des Béarnais (1572).
Montgommery avait quitté le Béarn, administré par le baron d'Arros, pour aller rejoindre l'armée des Réformés. Il prit part, avec Henri de Navarre, âgé de dix-sept ans, et devenu chef du parti protestant, à la bataille de Moncontour : 10.000 calvinistes y périrent (1569).
Le traité de St-Germain (1570) amena dans k royaume une trêve générale, qui fat d'assez courte durée.
Jeanne d'Albret reçut alors avec une joie sincère la proposition du mariage de son fils, Henri, avec Marguerite de Valois, sœur de Charles IX : elle espérait ainsi reconquérir sa Navarre toujours regrettée. Elle se rendit donc sans défiance à la cour, le 15 mai 1572. Elle y fut accueillie avec empressement par l'astucieuse italienne, Catherine de Médicis. Le 8 juin suivant, elle mourait presque subitement, à l'âge de 44 ans : des soupçons meurtriers planent sur sa mort mystérieuse.
Jeanne d'Albret est assurément une des grandes figures du Béarn : courageuse, ferme, intelligente et savante, elle eût pu faire le bonheur de ses sujets, mais elle fut, toute sa vie, impérieuse, hautaine, absolue, implacable dans ses résolutions et manqua surtout de la douceur, de la bonté et de la tolérance dont Henri II, son père, lui avait pourtant donné l'exemple.
Lou Nouste Henric (1572-1610)
enri II de Béarn, et de Navarre, avait à peine 19 ans lorsqu'il épousa Marguerite de Valois (16 août 1572). Beaucoup de protestants avaient été attirés à Paris, en cette occasion : ils se montrèrent fiers et arrogants et ils irritèrent les Parisiens, fermement catholiques et très disposés à mettre à mort tous les huguenots.
La reine-mère, jusqu'alors accusée de sympathiser avec les Réformés, se révéla tout à coup catholique intolérante.
Elle arracha au roi Charles IX l'ordre des odieux massacres de la Saint-Barthélémy, qui lui avaient sans doute été conseillés par le duc d Albe. Dans la seule nuit du 23 au 24 août, de sinistre mémoire, 3.000 protestants furent surpris et massacrés sans pitié dans Paris. Henri de Navarre fut épargné, suivant un ordre très exprès de Catherine, mais il dut promettre de se faire catholique.
Les guerres de religion recommencèrent aussitôt dans toute la France, avec de nouvelles atrocités. Henri, retenu prisonnier à la Cour, ne put y prendre part pendant quatre ans. Il rendit plusieurs édits pour le rétablissement de la religion catholique en Béarn et nomma d'abord le comte de Grammont, puis Henri d'Albret, seigneur de Miossens lieutenants-généraux de ses États, en remplacement du baron d 'Arros, calviniste ardent.
En 1576, il réussit à s'enfuir pendant une chasse et abjura le catholicisme : l'intolérance régna de nouveau en Béarn, qui fut pillé par des bandes allemandes appelées à leur secours par les protestants. En 1577, Henri nomma sa sœur Catherine régente de la Navarre et du Béarn. C'était une femme instruite, lettrée, d'un esprit ferme et conciliant ; elle administra les États de son frère avec une douce énergie et une grande sagesse. Elle fit briller la Cour de Béarn comme autrefois Marguerite, avec sa compagne et amie, Corisande d'Andoins, la belle et riche comtesse de Grammont.
Catherine fut réellement reine de Navarre pendant quinze ans. Henri, occupé par les guerres incessantes des partis, s'intéressa néanmoins à ses États par diverses ordonnances et par de fréquentes lettres à sa chère et bonne sœur. Il lui donna tour à tour pour lieutenants-généraux le baron de Navailles et Armand de Gontaut.
Il vint la visiter rarement, mais parcourut tous les districts de sa vicomté de Béarn. Marguerite de Valois l'accompagna une seule fois à Pau, en 1579, et n'y voulut jamais revenir : elle avait à peine pu y obtenir une messe dans une petite chapelle et elle eut la douleur de voir chasser et maltraiter ses coreligionnaires, avides de profiter d'un office dont ils étaient privés depuis longtemps.
Henri revint seul à Pau, en 1581, pour prêter serment de fidélité aux fors de son pays. La cérémonie, eut lieu dans la grande salle du château, devant les États du Béarn et de la Navarre ; la tête nue et la main droite levée, Henri jura, au nom du Dieu vivant, d'être bon et fidèle seigneur, de juger droitement le pauvre comme le riche. Les États prêtèrent à genoux le même serment.
Henri fit encore deux courtes apparitions à Pau en 1583 et 1584. C'est là d'ailleurs qu'il reçut la visite du duc d'Epernon, chargé de venir lui proposer l'alliance du roi de France.
Après quelques hésitations, le traité fut signé le 1er avril 1589. Le 18 août suivant, Henri III était assassiné, au moment où les deux rois se préparaient à donner l'assaut aux Parisiens. Avant de mourir, il recommanda à ses gens de se ranger sous la bannière du roi de Navarre, qu'il proclama son successeur ; en l'embrassant il lui dit : « Soyez certain que vous ne deviendrez jamais roi, si vous ne vous faites catholique. »
Henri de Béarn et de Navarre ( Lou nouste Henric ) devint roi de France, à force de patience, de courage, d'énergie, d'habileté et de promesses, grâce à plusieurs victoires éclatantes et décisives (Arques et Ivry) et après avoir abjuré le protestantisme, à Saint Denis, devant l'archevêque de Bourges (23 juillet 1593).
Il ne fit son entrée dans Paris que le 21 juillet 1594.
Il rétablit bien vite la paix dans tout le royaume et rendit l'Édit de Nantes (1598), qui accordait aux protestants le droit de pratiquer librement leur religion. Le Béarn fut toujours l'objet de ses plus vives affections : il était fier et heureux d'y avoir rétabli l'ordre. Il maintint les ordonnances ecclésiastiques de sa mère « parce que telle était sa volonté consignée dans son testament »; mais il révoqua les règlements qui excluaient les catholiques de tous les emplois et il rétablit les évêchés de Lescar et d'Oloron, sur la demande expresse du pape.
En 1592, Henri avait appelé auprès de lui la régente de Navarre. Les Béarnais la virent partir avec de grands regrets et elle les quitta bien affligée. Catherine épousa à l'âge de 39 ans le duc Henri de Bar, prince de Lorraine. Elle avait été fiancée dès sa naissance à François d'Alençon, fils de Henri II de France et fut très recherchée plus tard par Henri III, à son retour de Pologne, puis par le duc de Boissons, qu'elle faillit épouser ; mais son frère, brouillé à mort avec lui, s'y opposa de toutes ses forces. Elle mourut à l'âge de 44 ans.
En 1599, Henri IV divorça avec Marguerite de Valois, dont il n'avait pas d'enfant ; ils alléguèrent leur degré de parenté. Henri épousa en 1600 Marie de Médicis, dont il eut trois fils et deux filles. Il mourut à Paris le 14 mai 1610, assassiné par le misérable Ravaillac. L'histoire rapporte que le jour de sa mort le tonnerre brisa les armes royales sur la porte du château de Pau.
Henri IV fut un vrai Béarnais, selon la prédiction de son aïeul. Intelligent, fin et spirituel, il avait l'esprit vif, la répartie prompte, la raillerie facile, mais agréable, le ton amical ; compagnon jovial, affable et franc, il était ami sincère, mais rarement désintéressé.
Son éducation première l'avait doué d'un courage et d'une persévérance à toute épreuve, après avoir trempé son corps et ses muscles, rompus à toutes les fatigues et aux plus grandes privations.
Vaillant, fort et impétueux dans la guerre, il était sage, prudent et avisé dans les affaires, où il fit toujours preuve d'un grand tact. Il se garda bien, par exemple, de jamais réunir la Navarre et le Béarn à la France ; il les confondait cependant dans son cœur d'excellent roi, mais il savait quelle glaire c'était pour, les Béarnais d'être enfants du Béarn et comme il était facile de les blesser en cet endroit sensible.
La France est glorieuse de l'avoir eu pour roi, le Béarn s'enorgueillit de l'avoir enfanté
Louis XIII (1610-1620)
es troubles religieux, un instant apaisés, recommencèrent après la mort d'Henri IV; mais la religion catholique fit très rapidement de nombreuses conquêtes partout en France et en Béarn particulièrement.
Cependant, l'Édit de Nantes fut confirmé en Conseil de Régence; mais, en 1619, un décret du Conseil d'État ordonna le rétablissement de la religion catholique en Béarn et la restitution des biens du clergé; des indemnités devaient être accordées à leurs possesseurs.
Les États de Béarn refusèrent d'enregistrer cette ordonnance, sous l'inspiration du conseiller Paul de Lescun, qui fut délégué auprès du roi, Louis XIII, irrité de leur résistance à de nouveaux ordres d'enregistrement, entreprit un voyage en Béarn.
Le marquis de La Force, gouverneur de Navarre, et le premier président du Conseil souverain du Béarn, allèrent au-devant de lui à Bordeaux pour l'empêcher d'arriver jusqu'en ce pays si sauvage.
Le roi hésita d'abord et s'arrêta pendant dix jours, non loin de Bordeaux; mais un de ses envoyés ayant été mal reçu à Pau, il continua sa route le 10 octobre 1620, n'écoutant plus ni les promesses ni les menaces des conseillers envoyés auprès de lui. Il coucha à Roquefort, puis à Grenade (Landes) et arriva à Arzacq le 14 octobre. Une nouvelle députation béarnaise vint le trouver dans cette bourgade : elle était chargée de prendre ses ordres pour régler la cérémonie de son entrée dans la capitale du Béarn. Le roi répondit : « Qu'il entrerait à Pau comme souverain du Béarn, s'il y avait une église pour aller y descendre : s'il n'y en avait pas il ne voulait ni cérémonie, ni parole pour ce qu'il lui serait malséant de recevoir des honneurs en un lieu où il n'avait jamais été, avant d'avoir rendu grâce à Dieu, duquel il tenait son héritage. (MAZ URE.)
Le jeudi 15 octobre, Louis XIII entra à Pau sans pompe : l'accueil de la population béarnaise, si courtoise, fut glacial. Il reçut au château les autorités de la vicomté, ainsi que les ministres des deux cultes. Le 18, il assista à une messe à Navarrenx, qui n'en avait pas célébré depuis cinquante ans et il changea son vieux gouverneur.
Le 19, il reçut à Pau le serment de fidélité des États de Béarn, mais il jura lui-même, au nom du Dieu vivant, d'observer les Fors, coutumes et libertés du pays. Le 20, l'église St-Martin fut rouverte au culte catholique : elle était occupée depuis 60 ans par les calvinistes. Le roi assista à une procession solennelle dans les rues de la ville et au sermon d'un prédicateur catholique qui, tout en annonçant le rétablissement de l'ancien culte en Béarn, assura les protestants des plus tolérantes dispositions du roi à leur égard.
Louis XIII rendit plusieurs édits durant son court séjour à Pau :
- 1° Il rétablit les évêques au Conseil du pays ;
- 2° Il réunit définitivement le Béarn, la Navarre et le pays d'Andorre à la couronne de France, malgré les nouvelles protestations des Béarnais ;
- 3° Il ordonna la réunion des cours de Pau et de St-Palais en un seul parlement, siégeant à Pau et jouissant des droits de tous les parlements du royaume ;
- 4° Il établit à Pau un collège de jésuites qui devint très florissant et auquel il accorda un revenu annuel de 12.000 livres. La ville de Pau a longtemps possédé une Académie et une Faculté de droit.
Louis XIII quitta le Béarn le 21 octobre et revint à Paris en passant à Bordeaux.
Aussitôt après son départ, le chef obstiné de la résistance, Paul de Lescun, rentra en Béarn, d'où il avait été chassé et chercha à s'emparer de Navarrenx. Sa conspiration fut découverte et ses amis furent décapités. Lescun ne se rebuta pas et déclara une guerre à outrance à l'autorité royale, dans une assemblée des réformés à La Rochelle, dont il fut élu président (28 novembre 1621). Sous son inspiration, les protestants se rendirent maîtres des tours de Mongiscard et un instant même du Béarn, mais ils furent battus par le seigneur de Poyanne, gouverneur de Navarrenx. Le marquis de La Force, gouverneur révoqué de Navarre et de Béarn, fut obligé de se réfugier à Montauban. Sa forteresse de Montaner fut à peu près complètement détruite; mais il fut lui-même nommé maréchal, après sa conversion et sa soumission.
Lescun fut pris, se rendant à Clarac, mis à la question, traîné sur la claie et supplicié à Bordeaux comme régicide. Dès lors, les désordres cessèrent en Béarn, où le clergé catholique se montrait d'ailleurs très prudent; notre pays reprit bien vite sa tranquillité d'autrefois et revint petit à petit à sa religion première.
Conclusion
epuis 1620, le Béarn n'eut plus d'histoire propre : il perdit sa nationalité avec son indépendance et son autonomie. Il fut administré jusqu'en 1790 par des gouverneurs et des intendants, peu soucieux pour la plupart des intérêts et du bien-être de leurs administrés ; un seul mérite réellement d'être mentionné pour son administration éclairée et pour le zèle qu'il apporta à la création des routes dans notre pays : c'est le baron d'Étigny. Pau fut leur résidence habituelle et celle du parlement de Navarre.
Après bien des hésitations, les États de Béarn et de Navarre envoyèrent des députés à l'Assemblé Nationale en 1789 ; mais ceux-ci avaient pour mission de réclamer encore et toujours leur indépendance et de ne se présenter à l'Assemblée qu'après avoir fait accepter leurs réserves sur leur réunion à la France. Ils ne prirent aucune part à ses travaux et se bornèrent au rôle de simples témoins. Ils quittèrent Paris, après la nuit du 4 août, non sans avoir déposé entre les mains du roi le Cahier de leurs griefs et doléances, qui n'était pas en retard sur celui des autres provinces. — « Laissons la France, disaient-ils, et soyons Béarnais. »
En résumé, l'histoire du Béarn est une des plus belles et des plus curieuses dont un peuple puisse s'honorer et s'enorgueillir. Ses souverains, preux chevaliers, hommes dignes, bons administrateurs, l'ont fait briller dans le monde et lui ont procuré au dedans la paix et le bonheur; ses habitants ont toujours su faire respecter leurs droits naturels et leurs libertés, mais ils ont constamment fait preuve d'un grand attachement et d'un noble dévouement envers leurs princes tolérants, sages et humains.
Bons Béarnais, « féaux et courtois », comme nos devanciers, nous avons le droit d'être fiers de les avoir eus pour ancêtres ; mais cela nous impose le devoir de connaître leur vie au dedans, leur conduite au dehors, pour corriger en nous les défauts inhérents à leur race et améliorer les vertus qu'ils nous ont transmises en héritage.
Sources
- Jean EYT, Petit précis d'Histoire du Béarn, imprimerie GARET, 1903
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