La vallée d'Ossau :
Culture et Mémoire
LES FORS
Législation Béarnaise
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ci se place naturellement une étude des Fors et Coutumes, consacrés par le vicomte Gaston IV et reconnus par ses successeurs. Ils constituent la première législation écrite de l'Europe. Ils comprennent le For général ou vieux for du Béarn et les fors particuliers, propres à chaque région et cité. Le mot for est probablement un diminutif de forum, tribunal, place publique où l'on rendait la justice à Rome. Il désigne le droit public du pays ainsi que, les privilèges de certaines communautés et leurs coutumes.. Vers 506, Alaric II, roi des Wisigoths, édicta à Aire (Landes) un bréviaire* des lois romaines, réunies en code sous l'empereur Théodore. Il devait être observé par tous ses sujets gallo-romains, sous peine de mort ou de confiscation des biens : ce fut là l'origine du vieux for.
Les Francs, maîtres du Midi de la Gaule, depuis Clovis, abolirent la législation des Wisigoths, à l'époque de Charlemagne et rendirent à chaque province son droit et ses coutumes spéciales :
Ce fut l'origine des fors particuliers.
Composés les uns et les autres d'après les principes de justice et de liberté du droit romain : ils sont un abrégé de tout ce qu'il y avait de meilleur parmi les éléments très divers du droit européen au moyen-âge : l'esprit d'équité naturelle et d'indépendance nationale dont ils sont animés contraste singulièrement avec les abus du régime féodal, si en honneur à cette époque.
En effet, ils établissent et déterminent d'une manière très nette :
1°. Les rapports définis du seigneur avec ses sujets et réciproquement, leurs droits et leurs devoirs respectifs :
En Béarn, le peuple est souverain ;
2°. Les rapports des personnes entre elles au point de vue de la protection et de la juste solidarité.
Un traité de 1020 entre les vicomtes de Béarn et de Soule stipule :
1- Qu'un sujet ayant reçu quelque tort ou injure portera plainte devant le seigneur et fera justice dans trois jours à défaut de justification par serment de l'accusé ;
2- Que les habituais d'un pays d'où est sorti un voleur, ceux chez qui il s'est réfugié et ceux qui l'ont recueilli sont tenus de réintégrer le prix du vol ; à défaut de la chose volée, et de livrer le larron.
Le for de Morlaas énonce que tout larron, meurtrier ou voleur de grand chemin doit être jugé ou pendu ;
3°. Les droits individuels et les libertés diverses dont peuvent jouir les personnes dites libres : ce sont les bases des principes de 1789, posées dès 1088 en Béarn, pour la grande majorité des habitants ;
4°. Les privilèges particuliers et exceptionnels, parfois extraordinaires, accordés aux habitants de certaines régions ou villes, par exemple, aux Oloronais. pour repeupler la cité détruite, ou bien aux criminels aspois qui, ayant dépassé la Pène d'Escot, ne pouvaient être poursuivis par le vicomte, ou encore aux voleurs ossalois, qui pouvaient se présenter devant le seigneur, s'ils étaient rentrés de jour avec leur vol dans leur terre d'Ossau : de telles garanties encourageaient à la friponnerie ces montagnards traités avec trop d'indulgence assurément. La liberté doit avoir ses justes limites, pour sauvegarder tous les droits et intérêts, sous peine de devenir la licence* et de semer le désordre, l'anarchie*.
For général.
«Le for général du Béarn est la collection des privilèges, immunités*, lois et coutumes octroyées et confirmées par les seigneurs béarnais pour l'administration générale de la vicomté. »
D'après lui, l'autorité des États prime celle du Seigneur, obligé de jurer solennellement d'observer les Fors et Coutumes selon une formule consacrée.
Il traite des rapports du Souverain avec ses sujets, vis-à-vis des nobles, des bourgeois ou francs et des .serfs.
D'abord très nombreux, les serfs reçurent des droits civils formels dans la charte émancipatrice de Gaston IV et la glèbe asservie disparut presque entièrement.
Ce prince propageait la liberté dans ses États.
« La concession des franchises populaires est la pensée qui semble animer toute sa vie de Prince et
de Seigneur féodal.» (MAZURE.) «Ils seront libres eux et leurs biens », disait-il sans cesse dans les chartes qu'il accordait : il précéda ainsi le roi Louis VI dans l'affranchissement des communes.
Le for général, promulgué sans doute en 1088 par Gaston IV, fut confirmé par Gaston VII de Moncade (1228); ce prince renouvela les coutumes établies par les ancêtres. Une charte d'Oloron de 1080 le ferait même remonter à une date antérieure.
Fors particuliers.
Ils établissaient les droits propres des régions selon leurs coutumes et usages. les privilèges des cités ou les concessions personnelles aux gens de certaines conditions.
Le for d' Oloron fut octroyé en 1080 par Centulle IV pour faciliter le repeuplement de cette cité détruite par les Normands.
Le for de Morlaas fut accordé probablement par Guillaume-Raymond ; mais une charte de 1101 (sous Gaston IV) déclare libre et affranchie la cité de Morlaas.
Les fors d'Ossau, d'Aspe, de Barétous et de Soule furent rédigés en. 19.21 par Guillaume-Raymond. Orthez, prise au comte d'Acqs. par Gaston IV, en 1106, fut déclarée ville béarnaise en 1204 et reçut le for de Morlaas en 1319
D'après tous les fors, la liberté était le droit commun, le Béarn étant essentiellement une terre franche, où le servage formait l'exception. Partout ailleurs, en effet, on disait : « Nulle terre sans seigneur. »
En Béarn on proclamait : « Nul seigneur sans titre ! »
Au point de vue judiciaire, les fors énoncent les principes suivants, contenus dans notre code français actuel :
1°. Nul ne peut être distrait de ses juges naturels;
2°. Nul ne peut être juge dans sa propre cause ;
3°. Nul ne peut être jugé que suivant le for et la coutume de sa terre.
Ce dernier principe était énoncé en Ces termes à chaque séance de la cour majeur :
« Seigneurs et bonnes gens, le seigneur Vicomte est ici avec sa cour pour faire droit à toutes personnes, suivant le for et la coutume de chaque terre. »
Et le for d'Aspe disait :
« Les jurats des tribunaux inférieurs jugeront bien loyalement les querelles des particuliers; ils maintiendront la sûreté de la voie publique ; ils jugeront en conscience selon la vérité et sans recevoir aucun salaire, à peine de déchéance. »
Disons à ce propos que le seigneur-baron de Mirepeix, jurat de la cour majour, fut destitué pour avoir rendu, envers un particulier dans l'incapacité de payer, un jugement sévère, résumé par ces mots devenus proverbiaux : Qui nou pod que pousque.»
Il serait trop long d'entrer dans l'étude détaillée des divers fors, au point de vue particulier de l'administration, de la justice et du droit civil ou criminel. De bonne heure ils accordèrent aux Béarnais de très grandes libertés ; ils leur ont toujours permis de jouir d'une indépendance relative et pour tous équitablement jugés, riches ou pauvres, d'après des lois connues, établies par leurs États, consenties par leurs Seigneurs.
Cela nous explique pourquoi le Béarn pays toujours libre, n'a, point connu l'effervescente populaire, à l'époque des communes au moyen-âge, et n'a pris qu'une part très médiocre au mouvement d'émancipation du peuple français en 1789.
Sources
- Jean EYT, Petit précis d'Histoire du Béarn, imprimerie GARET
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