La vallée d'Ossau : Culture, et Mémoire.
LES BASSES-PYRÉNÉES.
SALIES-DE-BÉARN
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ous venons de parcourir les stations thermales aux altitudes élevées, les montagnes et les grands sommets des Pyrénées centrales, Gavarnie et le Pic du Midi. Nous descendons maintenant dans les Basses-Pyrénées où nous visiterons Salies, situé dans un bas-fond, à 30 mètres d'altitude seulement, et les vallées d'Ossau et d'Aspe avec leurs stations d'altitude moyenne : les Eaux-Bonnes (748 m.), les Eaux-Chaudes (675 m.), Saint-Christau (300 m.)
C'est à la gare de Puyôo, sur la ligne de Tarbes à Pau, qu'on s'arrêtait pour aller à Salies lorsque nous nous sommes rendus pour la première fois à cette station balnéaire. Il fallait faire ensuite 8 kilomètres en voiture à travers un pays montueux qui annonçait l'approche des Pyrénées. Depuis, une ligne de chemin de fer a été construite et, quand nous sommes revenus à Salies, cette ville, d'un accès plus facile, nous a paru avoir pris une plus grande importance.
Salies est un chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Orthez, de 5.200 habitants. « Il y a vingt ans, quand les fontaines de sel étaient encore la propriété indivise de tous les citoyens de la commune, la ville de Salies était d'un tiers plus populeuse. Mais la prise de possession des sources par le Gouvernements Un décret de 1876 a modifié la situation. Le Gouvernement n'a plus que le droit de représentation dans le Conseil de la corporation de Salies. et la maladie des vignes ayant ruiné beaucoup de familles, plus de 2.000 habitants émigrèrent vers le Nouveau-Monde. On essaie maintenant de rendre la prospérité à Salies en attirant la grande foule des malades vers son établissement de bains ; car peu de sources sont aussi riches que les siennes en principes salins et produisent des effets thérapeutiques plus remarquables. » (Élisée Reclus, La France.) Nous avions adressé notre notice sur Salies à Élisée Reclus, qui est né à Orthez, aux environs de Salies. L'éminent géographe nous a écrit les lignes suivantes : « Je vous suis très reconnaissant d'avoir bien voulu m'envoyer votre opuscule. Vous avez la bonté de me citer et cependant vous m'apprenez bien des faits que j'ignorais. »
Salies peut se diviser en deux parties : la vieille ville, à gauche du Saleys Il y a aussi Salies-sur-Salat, dans la Haute-Garonne. Le Saleys et le Salat n'ont pas des eaux salées, bien qu'ils coulent à côté et au-dessus de gisements de sel gemme., et la nouvelle, à droite. La vieille ville est un fouillis de maisons mal bâties, presque toutes construites sur pilotis, le long du Saleys, qui se divise en plusieurs bras. Ce petit cours d'eau diffère complètement des gaves torrentueux des Pyrénées ; il coule lentement et il a un aspect marécageux. Arrêté en ville par trois barrages, il fait marcher plusieurs moulins.
Dans la vieille ville, on ne peut signaler que la Grand'rue et la place Béda-Bayâa. Sur cette place se trouve la source d'eau salée qui était, il y a une vingtaine d'années, à ciel ouvert et entourée d'une grille. Les enfants s'y baignaient pendant la journée et les hommes le soir. Pour capter les eaux et les conduire à l'établissement balnéaire, on a recouvert la fontaine de plaques et de portes en fer par lesquelles on descend à la source, quand il y a nécessité. Près de la source est bâti l'hôtel de ville dont le rez-de-chaussée a deux rangées d'arcades qui servent de halle. A l'extrémité de ce vieux quartier, sur une hauteur d'où l'on jouit d'un assez beau coup d’œil, s'élève l'église Saint-Martin ; le cimetière, un couvent et la gendarmerie entourent l'église et son esplanade. La vieille ville ne date que du milieu du XVie siècle. En 1523, pendant la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, les troupes espagnoles, conduites par Philibert de Chalons, prince d'Orange, vinrent mettre le siège devant Salies. La ville fut prise et brûlée après une assez longue résistance.
Sur la rive droite du Saleys, que domine la tour de l'église Saint-Vincent, s'étend la ville neuve ; elle comprend une place, le Clauzon et une rue-boulevard. C'est là qu'on a construit l'établissement thermal, un café, un casino, des maisons élégantes et de beaux hôtels. Au-delà de la ligne du chemin de fer, sur la route de Peyrehorade, on a bâti des chalets très élégants.
Il n'y a, en ville, qu'une ou deux fontaines d'eau douce peu abondante ; aussi les femmes vont-elles chaque soir, de six à huit heures, chercher de l'eau aux sources, assez nombreuses, qui sont aux alentours de Salies. Elles portent sur la tête de grandes cruches en terre ou des seaux larges à la base, étroits dans le haut et entourés de grandes bandes de cuivre jaune ou rouge. Ces femmes qui vont ainsi le soir, par groupes, à la fontaine, avec leurs seaux de cuivre reflétant les rayons du soleil couchant, donnent quelque animation et un aspect particulier aux rues de Salies.
En été, le matin et le soir, presque à heure fixe, on assiste à un long défilé de charrettes à bœufs ; les chevaux font peu de charrois : Le paysan béarnais, qui ne diffère pas des autres paysans de France, tient autant à ses bœufs qu'à sa sa famille, aussi les entoure-t-il de mille soins. Pour leur éviter les piqûres de mouches, dont nous avons remarqué la présence importune et parfois dangereuse dans presque toutes les stations thermales du Midi, il les revêt d'une toile blanche jetée sur leurs dos. Leur tête est recouverte jusqu'aux nasaux d'un filet gris et rouge ; entre leurs cornes s'élève une peau de chèvre. Par-dessus ce harnachement, des branches de chêne et de bruyère enlacent leur cou, retombent sur leurs jambes et donnent un air de fête à ce cortège champêtre. On croirait assister à une promenade du bœuf gras ; mais ici les bœufs, ainsi que les veaux et les moutons, sont petits, maigres et rabougris.
Les paysans parlent peu le français, beaucoup même ne le comprennent pas ; mais ils sont malins comme leur bon roi Henri, et ils simulent la surdité quand on leur parle.
Grâce à l’heureuse influence des eaux salines, les habitants de Salies sont robustes et d'assez haute taille ; mais on nous a assuré que cette population vigoureuse était relativement peu prolifique ; de là peut-être la diminution persistante de la population depuis un demi-siècle. Dans les Basses-Pyrénées, elle a diminué de 40.000 habitants depuis les quarante dernières années. On pourrait attribuer cette diminution à l'émigration vers le Nouveau-Monde ; mais le nombre des émigrants est compensé par celui des étrangers qui viennent s'établir dans le pays. Dans un travail sur le célibat, présenté à l'Académie des sciences morales, M. Lagneau constate que les célibataires sont très nombreux dans les départements des Pyrénées et que les mariages y sont tardifs. Ces Béarnais, fidèles aux traditions de leur pays, se rappelleraient-ils encore, pour les mettre en pratique, les paroles de leur compatriote, le maréchal de Gassion, ce précurseur d'Hartmann et de Schopenhauer, il déclarait, dans un langage de soldat, énergique et sincère, « qu'il estimait trop peu la vie pour vouloir la donner aux autres ».
L'industrie traditionnelle des habitants de Salies consistait dans la fabrication du sel ; on le préparait dans quelques maisons affectées à cet usage. Il en existe une appelée Roume dans le quartier de la Rournelle.
Depuis 1840, et à la suite d'une loi sur le sel, la fabrication du sel ne se fait plus que dans les vastes magasins situés derrière l'établissement balnéaire dont ils forment une annexe importante.
Une machine à vapeur aspire par des conduits souterrains l'eau de la source de la place Bayâa, puis elle la refoule dans la maison voisine, où se fabrique le sel ; ou bien, suivant les besoins, elle alimente les réservoirs destinés aux bains et aux douches. On fait peu de sel pendant la saison des bains (mai-novembre) ; mais en hiver, la fabrication reprend toute son importance. Le sel est d'une blancheur de neige.
La confection des sandales ou espadrilles est aussi une des industries de Salies. Dans les rues, devant les portes, sur les places publiques, sur les routes, à l'ombre de grands arbres, les sandaliers et les sandalières fabriquent des chaussures en cordes.
Les hommes au teint bruni, à la moustache noire, aux yeux noirs et ardents sont assis à cheval sur un banc. Au bout du banc et devant eux se dresse un établi sur lequel ils cousent les semelles. Armés d'une longue aiguille, ils piquent le jute tressé en nattes minces et longues, et ils l'entrelacent savamment jusqu'à ce qu'il ait pris de la consistance et forme une semelle épaisse. Alors, ils font passer la semelle aux femmes, qui les recouvrent d'une toile brodée sur laquelle elles placent quelque ornementation en drap léger, de couleur variée.
Parfois, hommes et femmes mêlent leurs chants à leurs travaux, et les baigneurs s'arrêtent devant eux autant pour voir courir habilement leur aiguille que pour entendre leurs chœurs pyrénéens pleins de douceur et d'harmonie. Beaucoup de mots ont la finale longue et fournissent de beaux accords : Chrestiâa, Bayâa, Puyôo, Morlaàs, etc. La ville a peu de promenades ; il y a un jardin public devant l'établissement. A côté, en face du casino, on a tracé un grand jardin anglais avec une pièce d'eau et d'agréables ombrages.
Aux abords de la ville, on trouve de belles propriétés qui sont généralement ouvertes aux baigneurs. Il y a de vastes prairies, des jardins, des bois, des bocages où l'on peut se reposer agréablement.
A 4 kilomètres de Salies, sur la route de Navarrenx qui passe devant l'église Saint-Martin, s'élève, à une hauteur de 205 mètres, le hameau des Autis. Du touroun ou tertre de ce village, les Pyrénées se déroulent devant les yeux et offrent un magnifique spectacle.
Sur l'ancienne route de Puyôo, à une hauteur de 163 mètres, au point appelé la Trinitad, on peut aussi contempler les Pyrénées, de la Rhune au Pic du Midi d'Ossau qui s'élève comme une muraille grise surmontée de crêtes neigeuses.
Sur la route de Peyrehorade, à 7 ou 8 kilomètres, on voit des grottes préhistoriques ; au delà, on va visiter le village de Sorde, situé dans le département des Landes. Il possède les ruines d'une abbaye célèbre.
Sur cette même route, en tournant à gauche, au village de Caresse qui possède des eaux minérales, on va à Labastide-Villefranche, où s'élève encore un ancien château de Gaston-Phébus. Aux environs, sur un plateau, deux petits lacs attirent l'attention du voyageur.
La route de Saint-Jean-Pied-de-Port passe à Sauveterre, à 9 kilomètres de Salies. C'est une vieille ville qui mérite d'être visitée. Elle garde d'importants débris de ses fortifications du moyen âge ; de là, on contemple une des plus belles vues du pays, sur les vallées verdoyantes et la montagne déjà lointaine et bleue. C'est à Sauveterre que, le 3 mai 1462, eut lieu une entrevue entre Louis XI et Jean d'Aragon. Ce dernier remettait en gage au roi de France le Roussillon et la Cerdagne, pour la solde des troupes qu'il envoyait à son secours en Catalogne.
De Sauveterre nous allons jusqu'à Saint-Palais. Ce petit chef-lieu de canton possède le tribunal de première instance de l'arrondissement d'Orthez. Les touristes intrépides ne quittent pas cette région sans visiter Saint-Jean-Pied-de-Port et sa citadelle, construite par Vauban, qui défend l'entrée du pittoresque et légendaire défilé de Roncevaux. « Saint-Jean-Pied-de-Port a sa petite forteresse au confluent des trois Nives : d'Arnégui, de Béhérobie, de Lauribar : de là son nom de Pied-de-Port. Le plus célèbre des ports dont elle défend l'entrée est celui de Roncevaux ; un faubourg, Uhart-Cize, situé entre les deux Nives d'Arnégui et de Béhérobie, rappelle le fameux défilé de Cizre dont parle la chanson de Roland et que l'on désigne aujourd'hui par le nom de Val-Carlos. Près de Saint-Jean-Pied-de-Port est une de ces colonies de chrestiâas (ou crétins) que le nom actuel de cagots, importé du Nord, désigne depuis le XVie siècle seulement ; il ne faut donc pas y voir des descendants des Visigoths. Jadis, on les tenait en grand mépris et la tradition populaire les disait issus des porcs. Néanmoins, ils sont, en général, intelligents, forts et d'une santé florissante ; les familles de cagots sont beaucoup plus saines que celles de leurs voisins d'autres races. » (Élisée Reclus, La France.)
L'origine de Salies remonte au commencement du moyen âge. Pendant une chasse au sanglier faite à travers les forêts de cette région, des chasseurs découvrirent des sources salées près du ruisseau le Saleys. Dès lors, des hommes chargés d'extraire le sel, et appelés saliés, construisirent quelques habitations dans ce lieu qui prit le nom de Salies. La ville de Salies porte dans ses armoiries un sanglier en souvenir de son origine.
La première mention historique de Salies se trouve dans l'acte de la fondation du monastère de Saint-Pé, l'an 1010. La ville était bâtie autour des églises Saint-Vincent et Saint-Martin. Celle-ci, la plus ancienne, fut cause d'une longue querelle entre les évêques de Dax et d'Oloron. Non loin de l'église était le château de Saint-Martin, détruit depuis longtemps ; ce fut la première habitation des seigneurs de Salies : Marfang est un des plus anciens et des plus connus. La seconde église de Salies, Saint-Vincent, est mentionnée dans un acte de 1060, rappelant un duel judiciaire mémorable qui eut lieu cette année-là, à Salies, et pour lequel on convoqua toute la noblesse du Béarn.
Non loin de l'église Saint-Vincent s'élevait le château de ce nom. Il était habité par les intendants qui, peu à peu, dans les diverses réparations, firent disparaître les tourelles et les fossés. En 1880, il appartenait encore à la famille de Talleyrand-Périgord.
Les seigneurs de Salies avaient le droit de sauvegarde. Pendant trois jours, un voleur ou un assassin pouvait se réfugier dans le château sans qu'on pût l'en faire sortir ; souvent il échappait ainsi aux rigueurs de la justice.
Le sel était libre de toute redevance seigneuriale. Toute-fois, quarante-deux maisons de la ville devaient donner au seigneur une poignée de sel, qu'il prenait ou faisait prendre le poing tourné de haut en bas.
Auprès des deux églises et des deux châteaux s'élevaient des chrestitias, maisons dans lesquelles étaient parqués les cagots que nous trouvons au moyen âge dans un certain nombre de villes de France. Les cagots n'avaient pas le droit de se mêler à la population de la ville. Ils se mariaient entre eux ; aussi leur race dégénéra bien vite ; leur sang se corrompit et ils furent atteints des maladies les plus hideuses. Quand ils entraient dans l'église on leur tendait l'eau bénite au bout d'un bâton. Ils ne devaient pas marcher nu-pieds de crainte que la trace de leurs pas ne communiquât quelque maladie aux autres habitants ; ils avaient leur cimetière particulier. On les reconnaissait à un morceau d'étoile rouge qu'ils portaient sur la poitrine en forme de crête de coq ou de patte d'oie.
La ville de Salies appartint pendant le moyen âge à la vicomté de Dax et fut administrée par un viguier. Elle formait un des cinq vics de Béarn, et la cour de Mayor, composée des souverains et des douze barons, y venait tenir ses assises aux époques fixées. La ville fut de bonne heure organisée en municipe ; elle se divisait en quatre quartiers, avait sa maison commune, son beffroi, des jurats royaux et un garde-boursier chargé de prélever les impôts.
Les jurats avaient les fonctions politiques et judiciaires et ils étaient, en outre, chargés des eaux salées. Les personnes qui s'occupaient de la préparation et de la vente du sel formaient une corporation divisée en quatre cinquantaines, chacune ayant son trésorier. A un jour fixe, la corporation se rendait sur la place où se trouvait la fontaine d'eau salée. Ces deux cents membres avaient pour tout costume une chemise serrée autour de la taille par une courroie et des bandelettes autour des jambes ; chacun portait un seau à la main. Les jurats, les principaux seigneurs assistaient à cette séance des plus curieuses. Le premier jurat montait sur un banc, s'adressait aux membres de la corporation et leur faisait prêter le serment de ne prendre que la part d'eau salée qui leur revenait, puis il levait en l'air une croix. A ce signal, ces deux cents hommes se jetaient à l'eau, emplissaient leurs seaux, couraient à travers les rues, les vidaient à la hâte, dans leurs maisons, puis revenaient les remplir au milieu d'un pêle-mêle de cris, de heurts, de bousculades. Dans ces scènes, qui duraient plusieurs heures, chacun prenait le plus possible ; mais les forts oubliaient leur serment et prenaient toujours plus que les faibles ; ceux qui demeuraient au loin, avaient moins que les voisins de la source ; plus tard, on accorda aux membres de la corporation qui logeaient au loin le droit de placer des tonneaux au coin des rues, afin qu'ils n'eussent pas à courir jusque chez eux.
Pour fabriquer le sel on plaçait l'eau salée dans de grandes chaudières ; on la faisait chauffer jusqu'à ébullition, et le sel se produisait par évaporation. Chaque chaudière, après deux heures de chauffage, produisait douze livres de sel pour soixante-huit litres d'eau. Ce sel était vendu par les habitants dans le Béarn et le Bigorre ; ils en avaient le monopole. La source appartenait à la corporation moyennant une redevance payée au prince de Béarn. Mais celui-ci prélevait plus qu'on ne lui devait et il vendait souvent à des particuliers les eaux de la source pour un certain nombre de jours. Grâce à leurs eaux, les habitants de Salies étaient réputés si riches qu'ils payèrent jusqu'au sixième des impôts du Béarn. La source d'eau salée produisait en une heure 2.392 litres ; elle donne aujourd'hui la même quantité d'eau qu'à cette époque (1587).
En 1663, Louis XIV voulut s'emparer de la source salée de Salies, et, par un arrêté, il la déclara bien de l'État. Mais l'année suivante, à la suite de la protestation des habitants, le roi se vit obligé de rendre la source à la corporation. Les jurats royaux furent remplacés par des jurats élus pour administrer la corporation et ses revenus. Par le décret du 18 décembre 1876, la corporation fut délivrée de toute tutelle administrative. Elle nomme, tous les cinq ans, au scrutin de liste, quarante notables. Ceux-ci choisissent six administrateurs qui désignent les deux membres devant remplir les fonctions de syndic et de receveur. Le Gouvernement est représenté dans le conseil par le maire et les adjoints qui sont administrateurs de droit.
Notons un fait très curieux, c'est que les veuves et les filles cadettes sont électrices dans l'élection des notables et, bien qu'elles n'aient qu'un demi-droit, elles ont un suffrage complet. Tout homme marié avait droit à une portion d'eau salée équivalant à 150 francs par an ; les femmes avaient droit à la moitié. Ces droits engageaient bien des jeunes gens à se marier. Beaucoup d'entre eux, à peine arrivés à leur majorité, se hâtaient d'épouser des veuves ou de vieilles filles pour avoir le plus tôt possible quelques revenus. On cite dans l'histoire du pays des mariages contractés avec des femmes octogénaires. Aujourd'hui, le revenu alloué au chef de famille n'est plus que de 40 à 42 francs par an.
En 1789, on enleva aux habitants de Salies le privilège de la vente du sel dans le Béarn et le Bigorre. Depuis cette époque, l'industrie du sel perdait chaque jour son ancienne importance. Il y a quarante ans environ, on eut l'idée de construire un établissement balnéaire ; on tira ainsi un revenu des eaux de la source, tout en continuant, l'hiver particulièrement, la fabrication du sel. La fontaine a été affermée pour une somme de 70.010 francs par an. Cette somme est affectée aux œuvres de la corporation ou distribuée à ses membres qui sont, aujourd'hui, au nombre de quatorze cents.
MM. Filhol et Leymarie, de la Faculté des sciences de Toulouse, ont étudié les gîtes salifères des Pyrénées. Ces bancs de sel proviennent des eaux de l'Océan et de la Méditerranée qui, dans une époque préhistorique, avaient leur Gibraltar au col de Naurouze. Le banc de Salies est situé à 63 mètres de profondeur au-dessous de la ville.
Joanne appelle Raillai la source de Salies. C'est une erreur, il n'y a jamais eu de Raillat à Salies. La place sur laquelle était la fontaine porte le nom de Béda-Bayâa : de là le nom de Béda donné à la source saline. Le trou d'où jaillit l'eau porte le nom de goueil (œil). Ce mot se retrouve partout pour désigner des sources : le goueil du Saleys (source du Saleys), le goueil de Jouéou (œil de Jupiter), une des sources de la Garonne. Nous retrouvons aussi ce mot dans la langue arménienne : le goueil de l'Euphrate, la source de l'Euphrate dans les montagnes de l'Arménie. Il y a là une affinité digne de remarque. Le mot pyrénéen gave se retrouve aussi dans les gavas du Japon, petits cours d'eau torrentueux qui descendent des montagnes de l'Empire du Soleil Levant
Les eaux ont été analysées par MM. Figuier, Mialhe, Ley-marie, Filhol, Durand, Henry père et fils, Pommier, Réveil, Garrigou, Bouquetet, etc. Elles sont sept fois plus salées que les eaux de l'Océan et de la Méditerranée. Un litre d'eau de Salies contient 257 grammes de sel ; un litre d'eau de l'Océan, 32 grammes ; un litre d'eau de la Méditerranée, 38 grammes. Les eaux de la Mer Morte, qui sont très salées, ont 227 grammes de sel par litre.
Les eaux de Salies (Haute-Garonne) n'en renferment que 34 gr,065 ; celles de Salins (Jura), 29 gr,990 ; celles d'Hombourg, 16 gr, 985 ; celles de Niederhronn, 45 gr,627, et celles de Baden-Baden, 3 grammes seulement.
La quantité de chlorure contenue dans un litre d'eau de Salies-de-Béarn est de 242 grammes. Elle est de 59 grammes à Bourbonne-les-Bains ; de 28 à Salins et de 8 à la Bourboule.
La source de Salies donne 24 hectolitres par heure, soit par vingt-quatre heures 576 hectolitres qui fournissent en sel 13.552 kilogrammes. Un bain pris au quart d'eau salée contient environ 17 kilogrammes. Ce bain entier d'eau salée contient 70 kilogrammes. A cette densité, on passe une sangle autour du corps pour le retenir au fond de la baignoire.
Les vertus curatives des eaux de Salies ont été connues pendant le moyen âge. En 1052, Sanche Guillaume recouvra la santé à Salies. En souvenir de ce bienfait, il fit construire dans ses domaines un monastère de Bénédictins, et il offrit des dons importants à la ville de Salies.
Les eaux de Salies sont toniques, reconstituantes, révolutives et sédatives ; elles sont excellentes pour les enfants délicats et maladifs ; pour les adolescents qui ont des engorgements ganglionnaires ; dans ces cas, les eaux de Salies sont d'une efficacité remarquable. Toutes les maladies qui proviennent de la scrofule et du lymphatisme : les paralysies, les rhumatismes, les fistules, les déviations de la colonne vertébrale, les affections nombreuses des femmes anémiques y sont traitées avantageusement ainsi que les muqueuses de l'oreille, du nez, des yeux ; surdité, coryza, conjonctivite, blépharite.
Les bains salés, mitigés au début et augmentés progressivement, modifient complètement l'état d'affaissement physique et moral, et réparent le surmenage intellectuel qui conduit parfois au ramollissement du cerveau.
Le docteur Dupourqué, médecin inspecteur des eaux de Salies, dont nous avons apprécié les soins intelligents et dévoués, a publié un mémoire couronné par l'Académie de médecine, dans lequel il fait connaître une série d'observations importantes sur trois graves affections qui relèvent des eaux de Salies : ophtalmies scrofuleuses, tumeurs fibreuses de l'utérus, chorées.
Le chapitre qui traite des tumeurs fibreuses est particulièrement digne de remarque. L'auteur y indique les principaux médecins qui ont préconisé, dans ce genre de maladies, l'action des eaux de Salies ; MM. Depaul, Nonat, Trélat, Gallard et le professeur Pozzi dont on connaît la compétence. Les témoignages émanant d'hommes aussi éminents suffisent pour attester l'importance des eaux de Salies et établir leur réputation.
Les eaux de Salies ayant une forte dose de sel et une très grande puissance sont nuisibles à certains malades ; aussi ne doit-on pas envoyer à Salies ceux qui ont des affections du cœur ou des poumons, les personnes atteintes d'albuminerie chronique et les herpétiques avec manifestations cutanées fréquentes, les enfants et les femmes chez qui le système nerveux est très surexcité.
Toutefois, si quelques personnes nerveuses ont été fatiguées outre mesure par l'action des eaux de Salies, on compte de nombreuses cures de névralgies faciales, sciatiques et d'autres affections nerveuses hystériformes, liées a des anémies confirmées.
Citons, en terminant, l’appréciation du Dr Garrigou, un des meilleurs juges en pareille matière :
« Nul établissement, soit en France, soit en Allemagne, ne peut, jusqu'à présent, présenter aux médecins et aux malades une richesse minérale plus grande que celle de la station de Salies-de-Béarn. Aussi les effets thérapeutiques qu'on y obtient sont des plus actifs.
En bains, elles agissent avec un grand avantage pour modifier les tempéraments lymphatiques ; elles ont une action des plus marquées et des plus efficaces sur la chlorose, et ses conséquences. Les scrofuleux trouvent en elles un modificateur des plus énergiques.
« Les nombreuses observations publiées par M.le Dr Nogaret et par M.le Dr Coustalé de Laroque parlent assez haut pour prouver aux médecins qu'il n'est plus utile d'avoir recours aux eaux chlorurées d'Allemagne. La France en possède de bien plus efficaces.
« Je n'hésite pas à dire que Salies est appelé, par les cures médicales qu'on obtient avec ses sources, à devenir l'un des établissements les plus importants de la France.
L'ouverture de la saison balnéaire commence en mai et se termine en novembre. Il n'y a jamais affluence de baigneurs : beaucoup d'enfants, beaucoup de femmes, moins d'hommes. Il y a peu de malades fantaisistes, car le séjour de Salies n'a pas les agréments des grandes stations thermales.
Toutefois, on ne saurait trop faire d'éloges de cette station. Les eaux convenablement appliquées, produisent d'excellents résultats ; les médecins, avec conscience, ont soin de vous signaler toutes les maladies pour lesquelles les eaux de Salies produisent un mauvais effet, tandis qu'ailleurs la plupart des docteurs présentent leurs eaux comme des panacées. Enfin les habitants ont une honnête simplicité ; on trouve chez eux une vie confortable et relativement à bon marché. Chose rare et digne de remarque, cette ville, qui a des eaux uniques, est restée jusqu'en 1884 sans journal local pour faire son éloge quotidien ou hebdomadaire et appeler sur elle l'attention des étrangers.
Sources
- E. LABROUE, A travers les Pyrénées, Librairie Charles Tallandier, Paris.
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