La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




PAU, STATION D'HIVER



ans les diverses stations que nous avons visitées, nous avons pu constater qu'à côté de la température très élevée des eaux chaudes, le climat était rigoureux à cause de la situation des villes ou villages, dans des gorges froides où les courants d'air sont glacés, du sur des plateaux enveloppés par les neiges dès le commencement de l'automne. La chaleur des eaux semble être opposée à la rigueur de la température ; aussi ces stations ne peuvent-elles être fréquentées qu'en été.
    C'est pour des qualités inverses que la ville de Pau mérite le nom de station thermale d'hiver. Non loin de l'Atlantique dont les courants chauds adoucissent et égalisent le climat, près de l'Espagne dont le ciel ardent enlève à celui de la France un peu de son humidité, le chef-lieu des Basses-Pyrénées jouit d'une température exceptionnellement douce et régulière. La proximité de l'Océan en atténue toute modification excessive ; en effet, bien que Pau soit au pied des Pyrénées, les froids n'y sont jamais trop vifs ; et, bien que cette ville soit située sous le 43e degré de latitude, plus près de l'équateur que du pôle, les chaleurs y sont toujours supportables. Il est vrai que le voisinage de la mer rend le printemps assez pluvieux ; mais les pluies elles-mêmes sont douces et d'ailleurs moins fréquentes qu'à Orthez ou à Bayonne.
     C'est en un mot le climat girondin dans son expression la plus complète, avec le calme de l'atmosphère, qui persiste pendant des semaines, et avec l'égalité d'une température quelquefois humide sans doute, mais dont la moyenne est de 13°. Chaque jour y est, jour de soleil et de fête.
     Aussi, dès octobre, quand le froid a chassé des hautes stations pyrénéennes malades et touristes, quand l'hiver approche, c'est à Pau, ce Nice et ce Menton du Sud-Ouest, dans cette station thermale d'un nouveau genre, que les étrangers de toute nation, et particulièrement les Anglais, vont chercher une nouvelle source de chaleur et de santé.
     Du haut du château de Pau et en particulier de la tour Gaston-Phoebus ou de la Place-Royale, on voit se dérouler un panorama magnifique. Une plaine de verdure est devant vous, au milieu de laquelle roule le gave ; au loin les coteaux s'étagent en amphithéâtre jusqu'aux hautes cimes qui dentellent l'horizon à l'est et au sud ; le regard s'enfonce dans les hautes vallées d'Ossau et d'Oloron, et se perd sur les aiguilles rocheuses et sur les neiges perpétuelles. Et ce paysage varié et grandiose est rehaussé et dominé par le Pic du Midi « premier granit des Pyrénées pour qui part de l'Atlantique, très noble montagne à deux pointes qui s'élance au-dessus des gorges dont les torrents composent le gave d'Ossau ; il faut courir le monde au loin pour trouver une pyramide plus libre, plus aérienne que ce pic, vu de Pau. Sa cime se cassant presque à pic, il a peu de neiges au front ; vaste est son périorama, mais triste, sur des précipices, sur des croupes qui ne furent et ne sont plus des forêts, des séoubes (sylvae). (O. RECLUS.)
     Pau est décorée de somptueux monuments. Le plus remarquable est le château de Pau, plein de grâce et d'élégance et d'un très bel effet sur la terrasse qui domine le gave et la vallée de Pau. Il ne fut pas construit pour servir de forteresse, mais comme château de plaisance et rendez-vous de chasse, « pour la beauté de son assiette et à cause du déduis et de la chasse », dit Favyn, l'historien de la Navarre. Au xe siècle, les Ossalois firent concession du terrain où devait s'élever le château ; trois pieux en marquèrent l'étendue ; de là le nom de Pau (pieu se dit paü en béarnais).
     Le château, qui a la forme d'un pentagone irrégulier, se compose de divers ordres d'architecture, romain, gothique, Renaissance. Il a six tours : tour Montaüzet, tour Bilhères, tour Louis-Philippe, tour Mazères, tour ou donjon Gaston-Phoebus, tour Neuve.
     Louis-Philippe et Napoléon III l'ont fait restaurer et meubler.
     Les décorations et médaillons de la cour d'honneur datent de la Renaissance ; ils sont dus aux artistes italiens qu'avait fait venir Marguerite de Valois. La tour Louis-Philippe fut bâtie sur le modèle de la tour Mazères dont elle fait le pendant.
     Le château de Pau mérite d'être visité en détail. Au rez-de-chaussée, nous remarquons la salle des gardes, la salle à manger des officiers de service, avec les statues d'Henri IV et de Sully, la grande salle à manger où se réunissaient les États de Béarn, autour d'une table de 18 mètres de long. Le grand escalier, de près de 3 mètres de large, dont la voûte a des rosaces et des médaillons, conduit aux trois étages du château.
     Nous voyons le salon d'attente, aux tentures de Flandre et aux tapisseries des Gobelins, le salon de réception des rois de Navarre, avec la statue en bronze de Henri IV, faite sur le modèle de la statue de Bosio, le salon de famille, avec une table de porphyre et un clavecin en laque de Chine, la chambre du souverain, avec un coffre gothique rapporté de Jérusalem et un miroir de Venise, le cabinet du souverain, au premier étage de la tour de Mazères, avec une cheminée sculptée qui porte les armes des Médicis, le boudoir de la reine, avec glace et pendule moderne, la chambre de la souveraine, dont l'armoire en ébène porte sculptés sur les panneaux quatre sujets tirés de l'Évangile et de la Bible, enfin la salle de bain de la souveraine, qui a une baignoire en marbre rouge des Pyrénées.
     Au deuxième étage, nous visitons la chambre de Jeanne d'Albret, avec une superbe tapisserie des Gobelins, représentant la toilette de Vénus, l'oratoire de Jeanne d'Albret, la chambre de Henri IV, où naquit ce roi le 14 décembre 1553, avec la carapace de tortue qui lui servit de berceau. Viennent ensuite la chambre d' Abrl-el-Kader et les appartements du maréchal du palais, dont les belles tapisseries, curieuses et vénérables, représentent la vie et le martyre de saint Jean.
     Ce château, comme on le voit par cette très rapide description, est un merveilleux musée. En outre, il est entouré d'une terrasse qui domine le gave, avec balustrade sculptée, vases de porphyre et statues, d'une esplanade et d'un vaste parc aux promenades magnifiques. Cet ensemble complète admirablement ce château, véritable écrin des beautés de l'art et de la nature, et il lui donne un air de grandeur et de majesté féodale plutôt que de terreur guerrière.
     La ville de Pau a de nombreuses et élégantes villas, des églises et des chapelles où se célèbrent divers cultes, un beau palais de justice, un théâtre, des statues, de grandes places, des promenades ombreuses, de vastes parcs, des rues larges et une infinité d'hôtels dont le plus élégant semble être l'hôtel Gassion, ainsi nommé de ce vaillant capitaine béarnais.
     Dans notre chapitre sur Salies de Béarn, nous avons rappelé une parole de Gassion : « J'estime trop peu la vie pour vouloir la donner à d'autres. » Gassion fut un capitaine éminent, de très grande audace, unie a une extrême prudence. Sous Condé, il décida de la victoire de Rocroi. Il eut la confiance de Gustave-Adolphe, dont il commanda la garde, et il fut le bras droit de Richelieu. Le grand ministre s'en remettait toujours à lui, lorsqu'il y avait quelque danger.
     Pau est la patrie de capitaines illustres. Bernadotte y est né Le général Bourbaki est également né à Pau (1816); on lui a élevé dans cette ville une statue le 15 octobre 1899. ; ce général courageux qui devint Charles XIV de Suède, cet heureux et brillant cadet de Gascogne, qui avait quelque chose de son royal compatriote, qu'il songea souvent à imiter.
     Mais le grand Béarnais rayonne au-dessus de tout et de tous. Parmi les célébrités de Pau, c'est ce nom qui les domine toutes ; c'est le nom de leur Henri que les Palois ont constamment sur les lèvres et dans leur cœur ; c'est leur Henri, nostré Henricou, qu'ils vous présentent avec raison, comme l'emblème de la bonne humeur et de la franche gaieté, et qu'ils donnent à ce titre aux malades, en villégiature à Pau, comme un modèle pour entretenir ou ramener la santé.
     Partout, dans les rues, sur les monuments, sur les places publiques, dans les parcs, son nom et son image rappellent que l'esprit et la joie maintiennent le bon état du corps, calment la tristesse, chassent les soucis et les inquiétudes.

Le premier (Henri IV), c'est la joie. Il fit tout en riant ;
Il riait à la guerre, et riait en priant ;
Le jour qu'il vint au monde, adopté par la gloire,
Son aïeul fit chanter sa mère et le fit boire ;
Ce roi de belle humeur a ri jusqu'au tombeau.
C'est en riant qu'il fit de Dieu son escabeau.


                    (V. Hugo, les Quatre Vents de l'Esprit)

     La figure souriante de Henri IV dit à l'homme malade qu'il doit s'efforcer d'être gai, qu'un bon mot vaut quelquefois un bon remède, que la gaieté est une solide fortune, et que les destins favorisent l'homme joyeux.
     Les Palois se plaisent à vous raconter les anecdotes déjà vieillies, qui sont la légende du bon roi. C'est la gousse d'ail et les gouttes de Jurançon que le grand-père substitue au lait maternel ; c'est la carapace de tortue où couche l'enfant royal, et l'éducation à la paysanne qui prépare le petit Henricou aux fatigues de plus tard ; c'est encore le panache blanc ou la réflexion de ce roi sceptique, qui fut comme le mot de passe de son entrée à Paris. On connaît moins ses vers que ses bons mots. Voici la dernière strophe d'une de ses poésies à Gabrielle d'Estrées ; elle ne déparerait pas les recueils des poètes de la Pléiade :

De rosée
Arrosée,
La rose a moins de fraîcheur ;
Une hermine
Est moins fine ;
Le lis a moins de blancheur.

     Si Henri IV fut galant et sceptique, il fut aussi, et surtout très tolérant, et il sut s'élever au-dessus des violences des partis pour lesquels la religion n'était pas une vertu, mais une passion. Tous les Français ont aimé le bon roi, et Montesquieu a pu écrire : « Henri IV... je n'en dirai rien : je parle à des Français. »
     Les Palois du XVIIe siècle le préféraient au Grand Roi. Ils avaient gravé sur le piédestal de la statue de Louis XIV : Au petit-fils de notre grand Henri. A Pau et dans le Béarn, il est resté populaire. C'est la grande mémoire, toujours sympathique ; c'est par elle qu'on commence ou qu'on finit toute notice sur Pau.

   Sources

  • E. LABROUE, A travers les Pyrénées, Librairie Charles Tallandier, Paris.
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