CHAPITRE IX
Délimitation du Béarn — Administration de la justice.
RIMITIVEMENT le Béarn se composait à peu près du territoire compris dans l’arrondissement de Pau. La vicomté d’Oloron et la vallée d’Aspe furent réunies au Béarn par Centulle IV vers 1080 ; la baronnie d’Orthez et la
vallée d'Ossau eurent leur annexion vers 1104, et au XIIIe siècle le Béarn était divisé en quinze vics, sans compter les vallées d’Aspe et d’Ossau qui formaient chacune un vic à part.
Les quatre villes étaient appelées bourgs francs : ce sont Morlàas, Oloron, Orthez et Sauveterre.
Les vallées d’Aspe et d’Ossau jouissaient des franchises accordées aux quatre bourgs francs ; la vallée de Baretous dépendait de la béguerie d’Oloron.
Par saint Jacques de Compostelle ! nos voisins d’Espagne pensent que si un roi ne rend point la justice à son peuple, il est indigne d’entendre la messe ! À la bonne heure ! c’est une idée espagnole et catholique.
Toutefois, il faut en convenir, ce n’est pas à nos vicomtes que l'on refusera de participer aux saints
mystères. Sachant que leurs sujets étaient avides de libertés dont ils ne mésusaient pas, nos vicomtes ne les en comblaient pas seulement, ils les en accablaient ; mais ils savaient aussi que l’administration de la justice était la meilleure sauvegarde de la liberté, et ils étaient aussi justiciers que leur peuple était droiturier.
À l’origine du Béarn, le vicomte était, pour ainsi dire, la seule incarnation de la justice dans le pays : aussi la rendait-il avec une ponctualité à laquelle on avait eu d’ailleurs le talent de le contraindre.
« Si le Seigneur ne rend pas justice par sa faute le jour qu’il aura indiqué, il devra indemniser de sa dépense le Béarnais mandé devant lui. » C’est un ordre du for, et il n’y a pas une autre législation en Europe qui contienne, du moins à notre escient, une semblable disposition.
Citons le for ; il a une éloquence particulière que personne ne nous pardonnerait d’affaiblir ou de décolorer inutilement ; cette éloquence, un peu rude, sent le terroir exquis et sauvage où elle est née. « Le Seigneur jure de maintenir le for contre tous et contre lui-meme ; il réparera les griefs de son père et ceux que ses officiers auraient pu commettre. Il ira siéger avec les jurats ; il se transportera là où besoin est, soit pour réviser les arrêts des justices locales, soit pour juger immédiatement les questions de propriétés et de personnes. Il fera droit pour toujours au pauvre comme au riche, à chacun dans le lieu et vic de son domicile, et il ne réclamera les amendes du fisc seigneurial qu' après que le plaignant aura été payé. »
En France, le fisc a l'honneur de se payer toujours le premier.
Au XIIIe siècle, pour que les comuns soient jugés par leurs pairs, chaque vic a son tribunal : il se compose de jurats toujours assistés d’un prêtre dans l'exercice de leurs fonctions.
Il y a encore dans chaque vic la cour des cavers, où siègent les Seigneurs du district pour connaître des procès qui peuvent s’élever entre gentilshommes ; et enfin la Cour-Majour est le dernier degré de la juridiction civile ou criminelle en Béarn. Elle décide en dernier ressort de tout ce qui touche aux questions de liberté individuelle ou de propriété. Il faut remarquer qu’un baron faisant partie de la Cour-Majour ne pouvait ni être juge dans son vic ni en être justiciable ; il aurait pu en effet, en cas d’appel, se trouver juge de sa propre cause dans la cour suprême où il siégeait. De tout cela il résultait deux choses : - 1° que nul ne pouvait être distrait de ses juges naturels ;
- 2° que nul ne pouvait être juge dans sa propre
cause.
C’est de la plus vulgaire, mais aussi de
la plus louable équité.
La Cour-Majour était convoquée par le Seigneur ; des lettres-patentes étaient adressées à chaque gentilhomme, et la justice était rendue avec une célérité exemplaire. Les plus longs procès ne duraient pas trois mois, et n’étaient si hardis les juges de prendre épices qu’à la petite mesure ; c’est Henri IV qui se porte garant de ce fait dans son style gracieux et imagé. S’il fallait appliquer la loi avec sévérité, il fallait en outre se souvenir que la justice elle-même n’est point sans entrailles, ni exempte d’une céleste mansuétude.
Ecoutez le for, toujours si terrible dans ses enseignements ; c’est l'article 350 du for de Morlàas :
« Jugea le Seigneur de Mirepeix, que si un homme doit donner deniers et qu’il ne puisse les payer, qu’il puisse. Et il fut déposé de ses fonctions de juge, lui qui était l'un des douze du Béarn. »
Si jamais l'inhumanité féodale ne s’était plus odieusement exprimée que dans cette sentence judiciaire : Si no pot pagar, que pusque, il faut avouer aussi que jamais châtiment ne fut plus prompt, plus énergique ni plus célèbre, et le for, véritable artiste en cruauté, achève la honte de ce baron chassé de son siège en lui disant : « Dieu lui-même ne commande pas de faire plus qu’on ne peut. » Le Seigneur de Bidouze fut choisi pour le remplacer.
La Cour-Majeur rendait la justice avec une solennité impartiale et touchante. Au jour marqué, le vicomte prenait place sur un
siège couvert de tapisseries aux armes du Béarn ; les évêques de Lescar et d’Oloron étaient assis à ses côtés pour lancer l'excommunication en cas de besoin contre les contempteurs de la cour ; autour du vicomte se rangeaient les barons dans l’ordre où il lui plaisait de les appeler, jusqu’à ce que l’ordre des préséances fut ainsi réglé :
à droite siégeaient les Seigneurs de Navailles, Lescun, Gerderest, Doumy et Arros ;
à gauche, les Seigneurs d’Audoins, Coarraze, Miossens, Gabaston et Gayrosse.
L’un des barons disait ensuite :
« Seigneurs et bonnes gens, le Seigneur se présente ici avec sa cour pour faire droit et jugement à toutes sortes de gens, suivant le for et la coutume de la terre. »
On le voit, toute distinction sociale s’évanouissait lorsqu’il s’agissait de l’égalité devant la loi. Ce n’est pas assez : en tout état de cause les parties pouvaient en appeler à l' arbitrage du bon baron, c’est-à-dire du vicomte ; il jugeait alors comme particulier, et on pouvait soumettre sa sentence privée à la révision de la cour ; mais on s’en gardait avec scrupule
parce qu’on était et surtout qu’on se croyait bien jugé. On avait confiance dans le Seigneur. Les chênes de Lescar pour nos vicomtes, comme ceux de Vincennes pour saint Louis, sont restés fameux.
Que les vicomtes béarnais d’ailleurs eussent des sentiments paternels pour leurs administrés, ce n’est pas étonnant. À Pau,
lorsque la salle d’armes du château se para du portrait de tous les souverains du Béarn, on suspendit au mur un tableau noir en
souvenir des deux princes immolés par ordre de la cour, et on y rappelait, en lettres blanches, la date et la cause de leur supplice. Les Béarnais ne rougissaient pas de leur exécution, quoiqu’elle ressemble pourtant beaucoup à un régicide revêtu des apparences de la légalité, à un crime qui veut se donner les dehors de l’innocence sans y parvenir.
Leur histoire, plus formidable que celle de France ou d’Anglerre, a sur la conscience la mort des deux
vicomtes qui ont péri si tristement dans l’intervalle de deux années.
Célèbre querelle des maisons de Foix et d'Armagnac. Gaston VII Gaston IX.
Sources
- L'Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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