CHAPITRE III
Maison mérovingienne - Gaston le Croisé - sa vie, ses fondations, sa mort.
ASTON IV est la plus pure illustration du Béarn.
Fidèle à suivre les exemples de son père, ce noble vicomte répara ou plutôt fonda Orthez en y bâtissant l’église de la Trinité à ses dépens. Pour protéger la rive gauche du Gave, en face de cette cité qui occupe la rive droite, il éleva le fort de Montgiscard dont il ne reste plus que de faibles vestiges. Afin d'incorporer aussi au Béarn la vicomté de
Montaner, il en épousa l’héritière. Mais ce sont principalement les chevaleresques exploits de Gaston qui lui ont acquis une si brillante renommée.
La première croisade venait de commencer : Gaston quitte le Béarn.
Son ardeur belliqueuse le place sans cesse à côté de Godefroy de Bouillon, de Raymond de Toulouse, il est surtout le frère d’armes et le rival de ce sympathique Tancrède que le Tasse a peut-être trop amolli dans ses chants. Gaston est un preux parmi les preux de ces lointaines expéditions.
Il se distingue à la prise de Nicée, à la bataille d’Antioche, et surtout au siège de Jérusalem où il est chargé de diriger les machines de guerre. Ici, après un premier assaut donné sans succès, on reconnut que l’ennemi s’était principalement fortifié sur les points que menaçaient les plus fortes machines des chrétiens.
Que fait Gaston ? sans recourir à une stratégie difficile, en une nuit, il ordonne de transporter ces pièces en des endroits plus vulnérables, et ce mouvement décide la victoire. Le lendemain, trois tours roulantes abattent leurs ponts-levis sur les remparts, Gaston pénètre des premiers dans la cité sainte, et, tandis que, enivrés de leur succès, les chevaliers passent au fil de l'épée une foule qui ne pouvait plus se défendre, Gaston, aussi humain que vaillant, songe à préserver de la mort les Sarrasins enfermés au sommet du Temple.
Il leur envoie son étendard béarnais comme un symbole de protection assurée.
C’était le vendredi 15 juillet 1099. Le 14 août suivant se livrait la célèbre bataille d’Ascalon : la victoire complète qu’on remporta fut due principalement à la valeur combinée de Gaston et de Tancrède, les héros inséparables qui, obligés un jour de se quitter, scellèrent de leurs larmes la promesse de se retrouver plus tard en paradis.
Revenu dans ses États, Gaston, avec les conseils de Talèse sa femme, y multiplia les fondations pieuses. C’est à lui que l’on doit les hôpitaux ou les monastères de Sainte-Christine, de Sauvelade, de Mifaget, du Baget,
de Gabas et d’Aubertin.
Ils dépendaient tous du premier, et ils avaient pour armes un ramier blanc tenant une croix dans son bec. Charmante allusion à l’origine si poétique de Sainte-Christine sur les confins de Somport !
On avait pitié du voyageur surpris sur ces cimes trop souvent couvertes de frimats ; la vicomtesse de Béarn voulait lui procurer un abri. Par son ordre, les ouvriers parcourent la montagne, ils cherchent où placer une maison de refuge le long de ces parages inhospitaliers qui séparent le Béarn de l’Espagne.
Tout à coup, un ramier paraît, portant dans son bec une petite croix ; pour que les ouvriers puissent
mieux l’apercevoir, calme et grave comme un envoyé du ciel, il va se hucher au sommet d’un hallier. Tandis qu’il se repose, on court vers lui ; l’oiseau effarouché s’échappe avec une mystérieuse lenteur, et, toujours suivi des ouvriers de Talèse, il descend de plus en plus vers les défilés de l’Aragon. S’arrêtant enfin dans une gorge sauvage, il laisse tomber sa petite croix.
C’est là que le monastère fut construit, et Talèse, la blanche colombe du Croisé, y fut comme la Providence du pèlerin durant ces pluvieuses journées de l’automne ou ces effroyables ouragans de l’hiver que redoute tant le voyageur égaré au milieu des Pyrénées.
Gaston n’oublia pas les lépreux ; leurs souffrances le préoccupaient ; il chercha à les adoucir. Condamnés à vivre seuls, à mourir seuls, n’entrant dans les églises que par une porte réservée où se trouvait un bénitier exclusivement destiné à leur usage, ces déplorables victimes d'un mal sacré touchèrent le cœur du vicomte. Ils eurent dans chaque commune une maison particulière.
La propriété des léproseries appartint à l'Eglise et l’on institua une cérémonie religieuse qui ne se bornait pas à séparer les lépreux du reste des hommes : au nom de Jésus-Christ, ils étaient confiés au zèle et à la sollicitude dévouée du clergé toujours prêt aux plus dangereux sacrifices en faveur des malheureux.
Cependant Gaston ne pouvait souffrir que la rouille se glissât sur son épée inactive. Il brûlait de batailler encore contre les ennemis du Christ. Pierre d’Aragon avait ajouté cinq têtes au blason de ses armes en mémoire de cinq rois Maures qu’il avait immolés de sa main, et son digne héritier, Alphonse le Batailleur, ayant assiégé Saragosse, appelait à son secours les princes de l’Europe catholique.
Gaston de Béarn s’empresse de partir. Il passe les Pyrénées par Urdos, assiste à la prise de Saragosse, reçoit le titre de pair d’Aragon et de seigneur de Notre-Dame del PiLar, prend part à la défaite de onze rois Maures à Aranjuel, inscrit son nom sur les registres de l’ordre militaire du Saint-Sépulcre, et ce héros de la chevalerie meurt enfin, enseveli dans la gloire immortelle de ses triomphes.
Les Maures le tuèrent traîtreusement dans une embuscade (1130). Il eut la joie d’expirer en brandissant son sabre contre les ennemis de la chrétienté, et son corps fut déposé dans l’église de Saragosse où, pendant plusieurs siècles, on a montré au peuple les éperons d’or et le cor de guerre du valeureux paladin.
Salut à Gaston le Grand ! Je me permets de dire que c’est un Achille chrétien à qui manque la lyre d’un glorieux Homère. N’importe : son nom est aussi impérissable que le, souvenir de ses exploits nous est précieux !
Qu’il soit l’orgueil du Béarn, ce n’est pas même assez : il honore, autant par ses vertus que par son courage, les annales de l’humanité tout entière, et il a droit aux hommages de tous ceux qui savent apprécier les belles âmes
partout où elles se rencontrent avec l'auréole d’un héroïsme sans cesse inassouvi.
De la souveraineté en Béarn — Des fors - De la cour et de ses attributions
Sources
- L'Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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