CHAPITRE XIII
Maison de Bourbon — Jeanne d’Albret. Guerres de religion en Béarn.
NTOINE de Bourbon avait d’abord caressé le rêve de reconquérir la Navarre ; il y renonça
pour se mêler aux guerres de religion qui commençaient à ensanglanter la France. Élevé dans le calvinisme, il l'abjura pour former, avec le duc de Guize et le connétable de Montmorency, un triumvirat catholique. Sa femme Jeanne d’Albret, irritée de ses débauches, suivit son exemple à rebours, et elle s’enrôla, le jour de Pâques 1563, dans les rangs du calvinisme le plus insensé.
D’un visage aussi austère que régulier, peu semblable à sa mère si licencieuse et si fleurie, dont Antoine mettait la morale en action, Jeanne n’avait de la femme que le Sexe, a dit d’Aubigné. Elle ne conserva de la religion que la fougue passionnée, l'austérité superbe, toutes les vertus que l’orgueil suscite et que l’amour-propre entretient. Elle mit de l'entêtement et une sorte de rage toujours croissante à protestantiser le pays.
Elle commença par interdire la Fête-Dieu.
Lorsque les Etats réclamèrent la liberté religieuse, Jeanne leur adressa une réponse sèche et ambiguë qui présageait évidemment les voies de rigueur. En effet, après quelques tergiversations plus ou moins nécessitées par la résistance de la noblesse béarnaise, la religion catholique fut abolie, les églises fermées ou livrées au calvinisme, leurs biens confisqués, les prêtres bannis de leurs autels et de leurs cures, et les ministres de la réforme investis des privilèges les plus exorbitants. Tout acte de la religion catholique, même privé, fut défendu sous la menace des peines les plus sévères.
Debout sur les hauteurs de son despotisme, lançant les ordonnances les plus injustifiables en droit et en fait, la reine ne tint aucun compte ni des fors, ni des Etats, ni de leurs remontrances, ni de l’excommunication papale qui vint la frapper nommément. Si elle fit parfois des concessions, ce fut par surcroît de perfidie, et, sous le voile menteur dont elle essayait de se couvrir encore, la persécution n’en sévissait pas moins de toutes parts contre la foi.
Le clergé sut noblement mourir plutôt que de renier ses croyances.
Les Récollets de Baudreix nous en fournissent un exemple si remarquable que nous éprouvons une douloureuse volupté à le rappeler. Retirés du monde, quarante religieux vivaient au fond de leur couvent avec une piété angélique, et ils se tenaient en dehors des commotions de leur siècle dans la paix de Dieu. Jeanne alla troubler leur sainte quiétude en les visitant. Elle leur enjoignit d’embrasser la Réforme ou de périr ; mais leur choix ne pouvait être douteux : ils se laissèrent conduire comme des agneaux au dernier supplice.
Quel supplice, s’il vous plaît ?
On les obligea de sacrifier leur vie en servant aux joies d’un jeu infâme.
On les enterra vivants jusqu'au cou, et leurs têtes, placées en saillie à la surface du sol, servirent de quilles aux sbires de la reine qui les abattaient, en riant, avec une grosse boule de bois. Baudreix assista ainsi à des brutalités encore inouïes dans l’histoire même des bourreaux.
Les Récollets ne poussèrent pourtant pas une plainte vers le ciel qui leur ouvrait ses portes étonnées : ils se contentèrent de mourir en priant, et ils rendirent leur Ame à Dieu en jetant un dernier regard vers le monastère où ils avaient coulé tant de jours heureux.
Jeanne n’y attendait que la nouvelle de leur mort pour en consommer la destruction la plus complète.
L’originalité de Jeanne d'Albret consiste en un puritanisme tyrannique et oppresseur qui savait aboutir à la perversion de la conscience humaine par les moyens les plus variés, soit qu’on les aime violents, soit qu’on les préfère astucieux. François Ier avait jugé que les Béarnais étaient féaux et courtois ; Jeanne les rendit ou hérétiques ou rebelles.
En les contraignant de répudier la foi ancienne pour, adopter toutes les inconséquences doctrinales des
novateurs, elle abaissa la grandeur des esprits, diminua la fierté des caractères, et si elle n’avait pas été aveugle comme le sont tous les apostats, elle aurait aperçu des germes de décadence irrémédiable dans l'âme de ses sujets. Calvin remplaçait mal Jésus-Christ.
Il est vrai que le peuple catholique ne se laissa pas enlever son Dieu sans le défendre. Préoccupé avant tout de son salut éternel, ce peuple se savait d’assez haute race pour lutter ouvertement contre Jeanne et ses erreurs. Il en était temps.
Charles IX était assis sur le trône de France, et Catherine de Médicis voulait, à la faveur des dissensions religieuses, se rendre maîtresse du Béarn et l’annexer au royaume de son fils.
Mais Jeanne nargua également la cour de France et le Béarn : en se rendant à la Rochelle, qui était le plus redoutable bastion du calvinisme, elle eut l’air de déclarer qu’elle se moquait à la fois des Béarnais et des Français (1568).
Aussitôt, à l’instigation du roi de France et de sa mère, les parlements de Bordeaux et de Toulouse prononcèrent la confiscation de notre pays, et selon l’expression de Brantôme, ce fut à Antoine de Lomagne, vicomte de Terride , que fut commise « l’exécution du Béarn. » Bernard, baron d’Arros, protestant farouche et intraitable, était chargé de résister à Terride au nom de Jeanne dont il était le lieutenant, mais son activité et sa bravoure ne purent aboutir qu’à des défaites multipliées.
La plus grande partie de la noblesse du Béarn aidait Terride. Les seigneurs d’Audaux et de Sainte-Colomme attaquèrent les protestants à Pontacq et à Nay où on les égorgea sans pitié ; les Seigneurs de Gerderest et de Peyre
poursuivirent les Huguenots du Vic-Bilh, et entrèrent à Morlàas qui n’attendit pas d’être aux abois pour déposer les armes devant les troupes catholiques. Oloron fut pris et repris ; Sauveterre fut livrée par un traître sans coup férir ; Salies se rendit à discrétion, et Bellocq, ne pouvant tenir tête aux Français, se vida de ses habitants qui restèrent fidèles à l'hérésie.
Un horrible massacre de protestants souilla la prise Orthez ; nous ne pouvons que le regretter amèrement. Arrivé devant Pau, dont la position était trop solide pour promettre une prompte capitulation, Terride se replia vers Lescar, où il convoqua les Etats du pays ;
O lamentable effet des guerres civiles ! Les États, sans méconnaître l’autorité de leur légitimé souveraine, acceptèrent, à titre de Recours transitoire, la protection du roi de France ; Pau finit par se soumettre, et quatre chefs calvinistes furent étranglés sur la place publique par la main insensible du bourreau (1569).
Restait à prendre Navarrenx, la place forte du Béarn. Cette ville, commandée par d’Arros, ne cédait pas encore aux troupes de
Terride, lorsque Jeanne, qui résidait toujours à la Rochelle, eut l’inspiration d’appeler à son secours Gabriel de Lorges, comte de Montgommery, le meurtrier involontaire de Henri II, roi de France, dans un tournoi. A partir de
ce moment, la fortune de la guerre va changer. Malheur aux catholiques ! Montgommery va accomplir en quinze jours une expédition
qui tient du prodige ; sa valeur n’aura pas de meilleur auxiliaire que sa diligence surprenante et opiniâtre; tout sera fini quand un, capitaine moins résolu aurait à peine commencé.
A la tête de trois mille hommes, le 15 août 1569, Montgommery entre à Pontacq, brûle Betharram, fond sur la plaine de Nay, la saccage, et, pressant sa marche impétueuse, il oblige Terride à lever le siège de Navarrenx pour se renfermer à Orthez. Le pillage et l'incendie sèment la terreur sur tous les pas de ce calviniste audacieux. Le lendemain de son arrivée devant Orthez, il traverse le Gave en plein midi, occupe Départ, (quartier Orthez) emploie les râteliers d'étable en guise d’échelles pour escalader les murs, et en quelques heures le voilà à Orthez, où ses troupes, enivrées de leurs rapides victoires, passent au fil de l’épée tous les catholiques qui leur tombant sous la main.
La ville est jonchée de cadavres ; le couvent des Cordeliers est livré à l’extermination ; tant de sang bouillonne à travers les rues que le Gave, qui le reçoit comme un affluent nouveau, en est rougi. Pendant cette boucherie effroyable qu’accompagnait un indescriptible tumulte, Terride se retire dans le château de Moncade ; mais n’ayant ni vivres, ni secours, il capitule peu de jours après.
La vallée d’Aspe est occupée par trahison, Notre-Dame de Sarrance incendiée, et l’hérésie ressaisit en Béarn un empire qui n’était pas fait pour tranquilliser les esprits.
La réaction allait enfanter des horreurs plus sinistres encore que les désastres de la guerre elle-même. Dix Seigneurs, protégés par la capitulation de Terride, étaient sortis de Moncade, et on les avait emprisonnés au château de Pau.
C’étaient les sires de Gerderest, d'Aydie, de Sainte-Colomme, de Goès, de Sus, d’Abidos, de Candau, de Salies, de Pardiac et de Favas.
Un soir, en face des Pyrénées rayonnantes, au moment où le soleil couchant inondait de ses feux la grande salle du château où Henri IV était né, on leur servit un splendide festin. Était-ce un gage de délivrance prochaine ?
Hélas ! au moment où ils se levaient de table, probablement sur un ordre exprès de Jeanne absente, on les poignarda. C’était le 24 août 1569.
Pau eut sa Saint-Barthélemy des catholiques, comme la France devait avoir aussi, trois ans plus tard, la Saint-Bathélemy des protestants, peut-être à titre de représailles.
Le sang coulait au nom de Jeanne d'Albret, comme il coula au nom de Charles IX, et si l'on veut néanmoins que Jeanne eût du génie, j'y consens ; elle avait le génie du fanatisme le plus atrabilaire et le plus intolérant.
Elle qui savait le grec et le latin comme tous les lettrés de la Renaissance ; elle qui s'imposait une amende de cent écus d’or pour avoir manqué le soir à sa prière ; elle qui passait sa vie à chanter des psaumes au milieu de filles habillées de noir, à l’exemple de ses tristes pensées ; elle qui décrétait sous la sanction du fouet, du bannissement et de la mort qu'il n'y aurait plus de gens sans métier, de pauvres sans travail, de libertins sans ménage ; elle qui s’imaginait qu’une ordonnance Seigneuriale suffirait à établir la vertu parmi le peuple, et qui a introduit parmi nous l'usage de prononcer sans cesse le nom du Dieu vivant, qu’a-t-elle fait de si admirable en bouleversant de fond en comble sa vicomté ?
Elle a accompli parmi nous les œuvres d’un vrai tyran, et les âmes indépendantes ne lui doivent que les plus énergiques flétrissures.
Ne voulant pas pourtant maudire cette terrible princesse, l’histoire serait du moins heureuse de l'oublier, et l’on n’aime à se souvenir de Jeanne qu’en prononçant cette parole aussi consolante qu’on rayon de lumière dans une
nuit obscure : Elle fut la mère de Henri IV !
Peut-être empoisonnée, Jeanne trouva la mort à la cour de France en négociant le mariage de son fils avec Marguerite de Valois, le 9 juin 1572.
Nous souhaitons que Dieu fasse paix à cette âme qui ne travailla qu’à détruire sur la terre l’Eglise de Jésus-Christ et la gloire du Béarn.
J’ajouterai toutefois qu'en terminant sa vie, Jeanne ne sut pas se donner le mérite d'avoir un gémissement quelconque pour ce Béarn quelle laissait si ruiné, si divisé, si malheureux ; elle ne lui demanda point pardon du mal incalculable quelle lui avait fait ; en ce qui regarde la conduite extérieure de la souveraine, elle mourut dans l'impénitence finale.
Ah ! si Jeanne avait témoigné le moindre repentir de ses fautes, elle aurait immédiatement reconquis toutes les indulgentes sympathies de nos aïeux ! Nos pères n’auraient pas gardé rancune à une femme mourante et humiliée ; ils avaient un cœur digne de fraterniser avec ce grand Henri qui est l’enfant du Béarn catholique plus encore qu’il ne fut l’enfant de Jeanne d’Albret.
Henri IV — Rétablissement de la religion catholique en Béarn — Louis XIII.
Sources
- L’Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
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