La vallée d'Ossau :              
                 Culture et Mémoire



Petite Histoire du Béarn

CHAPITRE XII

Maison d’Albret—Catherine—Renouvellement du for général—Naissance de Henri IV.

lettrines
our un prince à marier, assurément ce n’était pas un petit parti que celui de Catherine, sœur et héritière de François-Phébus, reine de Navarre, duchesse de Nemours, de Gandie, Montblanc et Penefield ; comtesse de Foix, de Bigorre, de Rivegorce ; vicomtesse de Béarn, de Castelbon, de Marsan, de Gavardan et de Nébouzan.
     Sa mère, Madeleine de France, était régente.
     Au lieu de choisir elle-même un époux à sa fille, c’était son devoir de réunir les Etats de Béarn pour faire ce choix, et elle s’empressa de les convoquer. Madeleine savait que le Béarn a le droit d’élire son Seigneur en dehors de la stricte hérédité, et le vote des Etats tomba sur Jean d'Albret, qui fut préféré au duc d’Alençon, au duc d’Angoulème, même au prince de Tarente, descendu de nos anciens souverains (1485).
    Mais ce mariage ne fut que l’union de deux enfants : de plus le bonheur leur fit défaut. Madeleine de France eut à défendre sa vie contre des tentatives d’empoisonnement ; sa fille et son gendre perdirent la Navarre espagnole qui leur fut enlevée par Ferdinand Le Catholique, roi d’Aragon, et ils ne conservèrent que la partie de cet Etat située au nord des Pyrénées, avec Saint-Palais pour capitale. La mollesse de Jean d’Albret contribua beaucoup à cette catastrophe si navrante pour Catherine. L’indomptable héritière des Gaston ne craignait pas de dire à son mari : « Si j’eusse été Jean et vous Catherine, la Navarre ne serait pas perdue. »
     Le chagrin diminua leurs jours ; le roi Jean mourut à Monein, et Catherine expira à Mont-de-Marsan, exprimant le vœu inutile d’être enterrée à Pampelune. Elle alla reposer à Lescar, auprès de son frère François-Phébus, de cette jeune victime qui avait échangé à quinze ans les douleurs de la royauté et les modulations de sa flûte pour le calme du tombeau (1516).
     Quoi qu’il en soit de ses débuts, la maison d’Albret n’en était pas moins destinée à des gloires qu’aucune autre famille en Europe ne peut égaler, et c’est par les femmes de la maison d’Àlbret que le Béarn va donner des rois à la France. Le XVIe siècle est ouvert, siècle de paganisme littéraire et de révolte religieuse, allant à la dérive vers des abîmes qui ne sont pas encore fermés aujourd’hui ; mais l'histoire du Béarn va peut-être écrire ses pages les plus inoubliables, et ce coin de terre, à qui la race de Mérovée avait fourni des vicomtes, va envoyer à son tour des rejetons à la dynastie de Hugues-Capet, à la lignée des rois très-chrétiens.
     Henri d’Albret, I de Béarn, II de Navarre, connu sous le nom de Henri II, devint vicomte de Béarn en 1516, à l’âge de douze ans.
     Il n’était pas encore né, lorsque le Seigneur de Coarraze, ayant commis des actes de violence contre ses inférieurs, fut condamné à voir son château brûlé ; l’acte d’accusation l’appelle oppresseur de pauvres gens, « oppressor de praübes gens. » Henri II connut dans son enfance ce trait de justice ; il fut aussi paternel à ses sujets que terrible à ses ennemis. Après avoir secouru François Ier, roi de France, dans ses guerres contre Charles-Quint, Henri II en obtint nne armée pour reconquérir cette Navarre que son père et sa mère avaient tant regrettée.
     Il soumit Saint-Jean-Pied-de-Port, Ronceveaux, Pampelune, où fut blessé, par un boulet béarnais, celui qui devait être le fondateur des Jésuites, Ignace de Loyola ; à la vue de cette vaillance infatigable, Charles-Quint, avant pris l'offensive, entra en Béarn, mais le Béarn se leva alors tout entier comme un seul homme, pour défendre cette indépendance nationale dont l'amour ne s'éteignait jamais au cœur de ses enfants.
     Navarrenx et Mauléon résistèrent longtemps au prince d’Orange ; Oloron ne capitula qu'après une défense héroïque et prolongée ; si Sauveterre, énergiquement défendue par le baron de Miossens, succomba, nous ne devons pas oublier qu’une poignée de combattants reprit cette place en s’introduisant dans son enceinte par un égoût, et Charles-Quint dépité évacua le Béarn sans garder l’espérance d’y revenir.
    Seulement, après le départ du monarque espagnol, Navarrenx fut plus fortifié qu'auparavant par les soins du vicomte béarnais pour être en état de faire face aux éventualités futures avec un entier succès en cas d’une guerre nouvelle.
     Charles-Quint retrouva Henri II en Italie, à côté de François Ier. A Pavie, Henri II fut fait prisonnier ; seulement il eut la chance de s’évader au bout de neuf mois avec une échelle de cordes comme dans une aventure de roman. Tandis que son page feignait de dormir dans son lit, le vicomte de Béarn fuyait en toute hâte vers les frontières de France. De son côté, François Ier était captif à Madrid ; sa sœur Marguerite négociait pour sa libération avec un admirable dévouement.
     Henri II la seconda si bien que le roi de France, à peine rentré dans ses Etats, lui accordait la main de cette sœur mignonne dont la mémoire est diversement jugée parmi nous.
     A notre sens, s’il faut que personne ne songe à lui contester ni sa beauté, ni son esprit, ni sa munificence, ni sa prédilection pour tout ce qui pouvait embellir la cour de Béarn et assurer le bien-être de ses sujets, il n’en reste moins établi que Marguerite de Navarre a fait un assez déplorable usage de tant de dons variés que Dieu lui avait libéralement départis. Tantôt, emportée par le mysticisme le plus exalté, elle adressait à l’évêque de Meaux des lettres d’une piété folle ; tantôt, de cette voix qui avait chanté les louanges de Dieu, elle entonnait dans un délire érotique les dithyrambes du vice, et elle écrivait l'Heptaméron, ce recueil de contes si obscènes qu’une femme honnête ne peut les lire sans rougir ; ce qui est plus grave encore, c’est qu’elle introduisait le protestantisme en Béarn, surtout à Oloron où le calviniste Roussel devint évêque par son influence en déguisant ses doctrines ; enfin, quoique ses courtisans l'aient surnommée la Marguerite des Marguerites, la quatrième Grâce, la dixième Muse, une tête d’ange, je crois au contraire à cette femme enchanteresse une jolie tête dé démon, et tout ce que je puis le plus louer en elle, c’est sa conversion arrivée vers la fin de ses jours.
    Mieux valait tard que jamais.
     Cette spirituelle princesse mourut catholique et repentante, près de Tarbes, au château d’Odos qui peut-être ne s’attendait pas à un pareil honneur. Ainsi vécut et expira la graud’mère de Henri IV.
     Plus sérieux que sa femme, plus profondément éclairé et religieux, aussi capable de grandes idées que de grands exploits, Henri II renonça au métier des armes pour être le législateur de ses sujets. Ecrits en un patois devenu inintelligible, les fors du Béarn avaient d’ailleurs tous les inconvénients d’une compilation obscure et enchevêtrée ; Henri II entreprit d’abroger toute cette législation peu uniforme, et il réunit en un corps de doctrine tout ce que les vieilles lois renfermaient de plus équitable, de plus rationnel et de plus religieux (1552).
     Usant même au profit des Béarnais d’une découverte assez récente, il fit imprimer le nouveau for afin que chaque Béarnais pût en posséder un exemplaire, et l’apparition de ce code fut en Béarn un véritable événement.
     La Cour-Majour, dont l’usage avait beaucoup réduit les attributions, fut supprimée, et un Conseil souverain fut institué pour la remplacer dans sa suprême judicature. Déjà Henri II avait réuni dans une seule ordonnance divers réglements qui concernaient la bonne administration de la justice, et cette ordonnance unique a été pendant longtemps lue chaque année en Béarn, à l’ouverture des tribunaux, comme la meilleure école où pût se former un magistrat.
     On ne peut reprocher à la législation nouvelle que d’avoir sacrifié aux erreurs modernes en amoindrissant, au profit de l’autorité vicomtale, les prérogatives indépendantes de notre pays. Le pouvoir central devenait de plus en plus prépondérant au détriment de la liberté si chère aux Béarnais. Déjà le Seigneur du Béarn, écoutant d’une oreille trop attentive les prédications de Luther, se faisait à luimême une notion toute protestante de ses pouvoirs ; il ne se croyait rien s'il n’était tout, et cette fausse idée eut pour notre pays les plus déplorables conséquences sous le règne d’une femme qui va apparaître à nos regards.
     Henri II avait une fille que vous connaissez ; son nom est gravé en caractères terriblement ineffaçables dans la mémoire de toutes les générations: c’est Jeanne d’Albret.
    Les Etats de Béarn, convoqués pour lui assigner un époux, la marièrent hélas ! à un gentilhomme parfait s’il n’eût été un vil débauché, à Antoine de Bourbon, duc de Vendôme ; et de ce triste mariage naquit à Pau, le 3 décembre 1553, Henri qui fut II de Béarn, III de Navarre, IV de France. « La brebis avait enfanté un lion, » selon le mot de Henri II, qui ne se sentait pas de joie à la vue du nouveau-né. Il avait conjuré Jeanne de chanter pendant les douleurs de la parturition pour que l’enfant ne fût ni pleureur, ni rechigné. Il frotta les lèvres de son petit-fils avec une gousse d’ail, lui fit avaler du vin de Jurançon dans une coupe d’or, et, quand l’auguste vicomte mourut encore jeune (1555), on se rappela que Charles-Quint, son adversaire, avait dit de lui :
    « Je n’ai rencontré qu'un seul homme en France et cet homme, c’est le roi de Navarre. »


     Maison de Bourbon — Jeanne d’Albret. guerres de religion en Béarn.

puce    Sources

  • L'Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.

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