CHAPITRE XI
Mathieu de Castelbon — Jean de Béarn — Gaston XI — François-Phébus.
ASTON-PHÉBUS détestait son cousin Mathieu de Castelbon. Il n’avait jamais pardonné au
père de Mathieu d’avoir vendu à prix d’argent aux Barcelonais la seigneurie de Moncade, et il poursuivait encore de sa haine dans le fils innocent cette coupable cupidité.
Aussi avait-il demandé au roi de France d’accepter sa succession ; mais Charles VII, redoutant la
répugnance des Béarnais, renonça à cet héritage, et le vicomte de Castelbon, après avoir assisté aux obsèques de Gaston-Phébus
dans l’église des Cordeliers à Orthez, eut l’honneur d’occuper, avec l’assentiment des Etats de Béarn, le siège vicomtal.
Epoux de Jeanne d’Aragon, Mathieu voulut régner sur le royaume aragonais après la mort de son beau-père. N’ayant pas réussi, il
fortifia les places du Béarn menacées par les Anglais pendant la démence de Charles VI, et il mourut à vingt-quatre ans sans postérité (1398). Le Béarn passa alors à sa sœur, Isabelle de Foix, épouse d’Archambault de Grailly, captal de Buch. L’administration du captal demeure inaperçue dans notre histoire.
On connaît seulement ses cinq fils, tous plus glorieux que lui ; Jean qui fut un de nos plus illustres vicomtes ; Gaston dont la valeur fut malheureusement remarquée à Azincourt contre les Français ; Archambault qui fut tué avec le duc de Bourgogne sur le pont de Montereau ; Mathieu qui fut comte de Comminge et gouverneur du Dauphiné ; enfin, Pierre de Foix, d’abord cordelier à Morlàas, ensuite évêque de Lescar, légat, cardinal, qui fonda à Toulouse le brillant collège de Foix pour les élèves des pays de Foix et de Béarn.
Le captal étant mort en 1416, son fils aîné ne lui succéda cependant qu’en 1426, après le décès d’Isabelle de Foix. Il épousa en secondes noces Jeanne d'Albret, la première de ce nom, si célèbre parmi nous. Avec sa vaillante bannière aux vaches du Béarn, il secourut le roi d’Aragon, lutta contre le comte d’Armagnac, et en dernier lieu embrassa, contre les Anglais, le parti du Dauphin devenu Charles VII. Compagnon de Dunois et de Jeanne d'Arc qui l'aimaient pour ses prouesses, il les suivit à Orléans, à Reims, à Paris, et il s’intitula comte de Bigorre lorsqu’il eut enlevé Lourdes aux Anglais. Quand arriva le grand schisme d’occident, Jean de Béarn eut la gloire d’emprisonner l’antipape Benoît XIII, de lui refuser après sa mort la sépulture ecclésiastique, et d’obtenir du pape Martin le titre de Vengeur de la foi (1436).
Son fils, Gaston XI, contribua beaucoup à l’expulsion définitive des Anglais hors de France. Il ne démentit jamais le sang si fougueux qui coulait dans ses veines.
En compagnie de Charles VII lui-même, il prit Tartas, Saint-Sever, Dax ; plus tard, il s’empara de Mauléon ; on le vit aussi, ayant Dunois en personne sous ses ordres, entrer triomphalement à Bayonne qu’il avait conquise, et on le retrouve encore à la prise de Bordeaux, lorsque cette capitale de l’Aquitaine échappa définitivement à l’Angleterre pour recevoir à jamais l'oriflamme de Saint-Denys.
La gloire faisait déjà une magnifique couronne à Gaston au moment où un diadème inattendu se plaça soudain sur sa tête ornée
déjà de tant de lauriers. Il est regrettable néanmoins que ce diadème soit voilé d’un crêpe funèbre dont peut-être un crime l'a
surmonté. Il s’agissait du royaume de Navarre.
Gaston avait épousé Eléonore, fille cadette de la reine Blanche qui venait de mourir, et il n’avait que des droits encore éventuels à sa succession ; pour les convertir en des droits positifs et pratiques, le vicomte de Béarn tint une ligne de conduite qui ne devait pas tourner à sa gloire, ni même, à la longue, au profit de ses descendants.
Lorsque les fureurs de la guerre civile eurent assez désolé la Navarre pour qu’il ne restât plus en fait de concurrents que les deux sœurs, Blanche de Castille et Eléonore de Béarn, Gaston convoqua à Sauveterre le roi d’Aragon et le roi de France (1462). Le successeur de saint Louis était alors Louis XI. Ce monarque fourbe et dissimulé, choisi comme arbitre, n'eut garde d’oublier que sa sœur, Madeleine de France, était déjà fiancée au fils du vicomte béarnais : sous le couvert de quelques restrictions fallacieuses et embarrassées, il eut l’audace d’adjuger la Navarre à Gaston.
On ne pouvait attendre un autre résultat de cet arbitrage consciencieux. Blanche de Castille fut même condamnée au célibat sans être consultée ; on l’incarcéra au château d’Orthez, dans cette tour de Moncade où Gaston-Phébus avait tué son fils, et Gaston XI fut soupçonné d'avoir abrégé la vie de cette malheureuse princesse par le poison (1464). Ce sinistre dénoûment à l’entrevue de Sauveterre glace d'horreur.
On n’a pas le courage de suivre l’hypocrite Louis XI dans son pèlerinage à Notre-Dame de Sarrance, quand il ordonnait à son écuyer de laisser l’épée fleurdelysée, parce qu’il était hors de son royaume ; on aime mieux se souvenir que Gaston XI, bourrelé de remords, se jugea incapable de séjourner davantage à Orthez. Il fixa sa résidence au château de Pau, afin que l’ombre de Blanche ne le poursuivît pas autant que durant les nuits agitées où il se levait de son lit avec effroi. Il
espérait que le fantôme de sa belle-sœur ne secouerait plus sous ses yeux le blanc linceul d’une mort prématurée.
Au reste, pensez-vous que la justice de Dieu sommeillait ? Pas le moins du monde.
Du vivant de Gaston, son fils aîné, l’époux de Madeleine de France, mourut à Bordeaux dans un tournoi ; François-Phébus, issu de leur mariage, s’envola de cette terre à seize ans ; il tomba à la renverse en approchant de sa bouche une flûte dont il savait tirer de merveilleux accords. Sur le point de rendre l’âme, il adressa aux personnes qui l’entouraient ces touchantes paroles de Jésus-Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (1483) et nous verrons bientôt que la sœur de François Phébus va perdre elle-même cette couronne de Navarre si convoitée par ses aieux, principalement par Eléonore de Béarn.
Cette couronne n’est demeurée que vingt neuf années sur la tête de nos souverains. Et nos vicomtes n’en étaient pas meilleurs. Ils multipliaient les actes de bon plaisir, au point que les Béarnais s’en émurent jusqu’à revendiquer les droits à une hautaine insoumission, et il fut de nouveau stipulé, conformément à l’esprit des fors antiques, que « si le Seigneur viole son serment, le serment des Etats ne peut leur nuire. » La nation ne veut être liée qu’envers un prince fidèle à la vieille
constitution du pays. Qu’il soit comte de Foix, roi de Navarre, fût-il même roi de France, il ne peut être vicomte de Béarn qu’à la condition de se conformer à des lois dont le peuple est l’auteur et le gardien en même temps.
Laissez aux Béarnais l'illusion de se croire pour des siècles interminables à l’époque chevaleresque où l’amour de la loi primait toutes les volontés ; le temps marche, et les beaux jours de la nationalité béarnaise touchent à leur déclin. Encore cinquante années à peine doivent se passer avant que le Béarn, assez heureux aujourd’hui pour faire l'admiration de l’Europe, ne soit plus qu’un amas de ruines entassées dans une mer de sang. De lugubres lueurs vont bientôt traverser l’horizon pour nous préparer à entendre le bruit lointain des plus affreux cataclysmes.
Maison d’Albret — Catherine — Renouvellement du for général — Naissance de Henri IV
Sources
- L'Abbé Lacoste curé de Féas, PETITE HISTOIRE, Librairie L.RIBAUT, Pau, 1875.
|