La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LE CHEMIN DE FER
DE FRANCE EN ESPAGNE

2.Pau - Oloron - ESPAGNE

lettrines
assons maintenant à l’examen des diverses conditions d’exécution de ce chemin de fer.



         II .Condition d’exécution.

    L’esquisse du tracé du chemin de fer de la vallée d’Aspe a montré qu’il n’admettait que des rampes de 18 millimètres par mètre en maximum ; les courbes qu’il adopte sont toujours supérieures à 300 mètres de rayon. Il reste ainsi au-dessous des limites fixées dans un rapport présenté il y a trois ou quatre ans au Ministre des travaux publics par une commission d’ingénieurs, chargée de déterminer les conditions réglementaires de l’établissement des voies de fer secondaires dans l’intérieur de la France. Il n’implique par conséquent pas l’emploi de moyens de traction spéciaux.
     Le projet de M. Boura est calculé pour la construction d’un chemin à une voie, avec des gares d’évitement de distance en distance. Les ouvrages d’art ordinaires sont projetés à deux voies, les ouvrages d’art extraordinaires et les terrassements, à une seule. Une double voie aurait nécessité un surcroît trop considérable de dépenses, en terrassements et travaux d’art, dans la partie de la vallée d’Aspe où le tracé côtoie sans cesse des montagnes découpées par de profonds ravins, sur le flanc desquelles il faut creuser son assiette, souvent à l’aide la mine. Cette augmentation de frais n’aurait d’ailleurs pas été compensée par des avantages proportionnels, le chemin de fer international ne comportant qu’une circulation diurne, à raison des circonstances météorologiques des régions qu’il traverse, et les gares d’évitement convenablement espacées garantissant une sécurité suffisante.
     Entre Pau et la frontière, on compte quarante et un tunnels, y compris le grand souterrain de Sansané, sept grands viaducs, dont trois au moins pourraient être supprimés par de nouvelles études, plusieurs ponts à avalanches et un grand nombre d’ouvrages d'art d’une moindre importance.
     Les travaux d’art compris dans les trois premières sections ne sortent pas des règles ordinaires ; ceux des sections suivantes n’offrent rien de tellement exceptionnel que l’on ne puisse trouver des exemples d’égales difficultés, abordées et vaincues, sur les chemins de fer déjà construits en Europe et même en France.
     Les deux principaux souterrains de la ligne sont celui d’Aydius, long de 3,240 mètres, et celui de la frontière, qui en a 4,450. Tous les projets de chemins de fer destinés à franchir des chaînes de montagnes exigent des tunnels plus étendus. Sans parler du souterrain du Mont-Cenis, sur la ligne de France en Italie, qui n’aurait pas moins de 12,000 mètres, et de celui du Mont-Genèvre, sur une variante de cette ligne, dont la longueur serait de 4,500 mètres, a vu que ceux de Gavarnie et du col de la Glère dépasseraient 6,000 mètres. Le tunnel de Blaisy, sur le chemin de Paris à Lyon, et celui de la Nerthe, sur le chemin d’Avignon à Marseille, approchent de 5,000 mètres.
    A la vérité, ces deux ouvrages ont été exécutés à l’aide de puits d’extraction, tandis que les souterrains d’Aspe, celui d’Aydius, du moins, ne peuvent être percés que par les doux bouts ; mais cette difficulté se résout en une question de temps. En supposant que le progrès constant de la science ne fasse point découvrir des procédés nouveaux pour le creusement des masses rocheuses, les deux principaux souterrains du tracé d’Aspe pourraient être achevés en six années. Ce temps a été déterminé par M. Boura, dans l’hypothèse facilement réalisable d’un travail continué jour et nuit, et d’après les expériences faites dans la construction du fort d’Urdos par le génie militaire. Encore est-il à remarquer, en ce qui concerne le tunnel d’Aydius, le seul qui ne puisse être construit à l’aide de puits, qu’il n’aurait à traverser que des roches beaucoup moins dures que celles du fort du Portalet, et que, comme il percerait le gisement de schiste d’où le département des Basses-Pyrénées extrait les meilleures ardoises connues, les frais de déblai seraient probablement compensés en partie par une exploitation fructueuse de cette carrière.
     Le temps nécessaire pour l’achèvement des deux principaux souterrains, limité à un maximum de six années, par des calculs précis dont il serait superflu de reproduire ici les éléments techniques, détermine la durée des travaux de la ligne entière. Trois ans suffisent, en effet, pour la construction de l’ouvrage d’art le plus considérable à ériger à ciel ouvert, le viaduc d’Ossau, celui du Sadun pouvant être exécuté simultanément, ainsi que ceux de la Berthe, de l’Arnousse, du Sescoué et du Bourenx, dans le cas où le tracé définitif ne les supprimerait pas. M. Boura a d’ailleurs prévu et résolu, et ce n’est pas là un des moindres mérites de son projet, toutes les objections se rattachant à l’organisation et au fonctionnement des ateliers et des chantiers qu’exige une aussi vaste entreprise. Les développements dans lesquels il est entré à cet égard sont assez lucides pour frapper les esprits les plus étrangers à la spécialité d’un ingénieur.
     Au point de vue de la constitution géologique des terrains qu’il traverse, le tracé de la vallée d’Aspe se présente dans des conditions non moins favorables. Nulle part il ne rencontre les roches primitives, telles que la granité et le porphyre, dont la dureté native ne peut être vaincue qu’au prix de longs et pénibles efforts. Par un heureux accident dont on chercherait en vain un autre exemple dans les Pyrénées, le cataclysme qui a donné naissance à cette chaîne de montagnes n’a soulevé dans cette vallée que des terrains de transition ou secondaires, à travers lesquels l’assiette de la voie sera relativement facile, peu dangereuse et peu coûteuse. Sur un seul point, dans le bassin de Bedous, se montrent des masses d’ophite, roche non moins résistante que le granite, mais que la ligne effleure à peine.
    Ailleurs, ce sont des poudingues, comme sur les coteaux de Jurançon, des calcaires blancs, des grès calcaires et des schistes terreux, comme à Gan, des terrains crétacés, dans la vallée d’Ossau et à l’entrée de celle d’Aspe, jusqu’au ravin de l’Aïguebère, des schistes ardoisiers, à Aydius, des grès rouges et bigarrés ou des calcaires de transition, depuis Aydius jusqu’au col de Causia. Les souterrains de St-Cristau, d’Aydius et de Sansané, aussi bien que celui de Cette-Eygun, s’il était définitivement admis, seraient percés dans le calcaire et le schiste ardoisier, dont la compacité éloigne toute chance d’accident sérieux en cours d’exécution et toute aggravation de difficultés, résultant de la nécessité de travaux spéciaux de soutènement.
    Enfin la consistance des terrains sur lesquels la voie sera assise est telle que ni les éboulements rocheux ni les éboulis terreux ne sont à redouter. Ces conclusions, déduites des faits géologiques constatés dans les ouvrages de Charpentier et de l’abbé Palassou sur les Pyrénées, ont été pleinement confirmées par les observations de M. Boura.
     Mais si la nature du sol se prête à l’établissement de la voie dans des conditions satisfaisantes et relativement économiques, les circonstances atmosphériques et météorologiques, dont il est essentiel de tenir compte, sont-elles aussi favorables ? La théorie et l’observation concordent pour résoudre affirmativement cette question.
     Théoriquement, M. Boura démontre, en appliquant au tracé de la vallée d’Aspe la loi formulée par M. de Humboldt pour la détermination des températures, par la combinaison de la latitude et de l’altitude des lieux, que ce chemin de fer traversera, depuis Pau jusqu’à la frontière, les divers climats que rencontrerait un voyageur qui suivrait le littoral de la mer depuis Pau jusqu’à St-Pétersbourg. On ne contestera pas sans doute la possibilité d’établir et de faire fonctionner régulièrement un chemin de fer sous une latitude aussi basse que celle de l’embouchure de la Néva.
     En fait, le tracé, se maintient toujours sur la rive droite du Gave d’Aspe, c’est-à-dire sur la face des montagnes exposée à l’Ouest, qui reçoit pendant l’hiver les rayons si chauds du soleil des Pyrénées et que baignent au printemps les pluies abondantes chassées par le vent d’Ouest, dominant dans ces contrées. Grâce à ces deux circonstances, la neige ne tient pas longtemps sur ce versant, et telle est l’explication, aussi vraie sans doute qu’ingénieuse, que M. Boura donne de la disposition constante des villages sur le revers exposé au vent d’Ouest, partout où la vallée est assez étroite pour que les rayons solaires y restent peu de temps, dans les journées d’hiver.
     Toutefois, si peu persistantes que soient les neiges, il faut admettre que, sur quelques points, elles durent plus ou moins, à l’époque des froids les plus rigoureux. Des observations très complètes et très minutieuses, faites pendant le rude hiver de 1854 à 1855, ont permis d’établir la hauteur de neige tombée à plat dans les lieux où elle s’amasse avec le plus d’abondance. La hauteur maximum de la couche de neige, à l’entrée du souterrain de Sansané, a été de 1 m 10. Or, aux mêmes époques, sur la ligne de Paris à Strasbourg, la hauteur des neiges tombées à plat ôtait de 0 m 6O et de 0 m 50.
     L’élévation des rails à 0 m 50 au-dessus du ballast de la voie, que M. Boura propose pour parer aux accidents résultant de la chute des pierres, placerait donc le chemin de la vallée d’Aspe dans les mêmes conditions que celui de l’Est, et l’emploi de chasses-neiges à versoir, dont on se sert dans les chemins de fer du Grand Duché de Bade, suffirait pour déblayer complètement la voie.
     Les neiges seraient rejetées, soit au moyen de cet instrument, soit à l’aide de pelles en bois, manœuvres par des cantonniers, dans des fossés profonds creusés en dehors de la voie, des deux côtés des rails. Ainsi, la neige tombée dans l'entrevoie ne gênerait point les locomotives, si elle ne dépassait pas la hauteur de 0 m 50, les rails étant placés sur longrines, à cette élévation environ au-dessus du ballast ; et tout ce qui excéderait cette hauteur serait balayé dans les fossés.
     Cette disposition servirait d’ailleurs à neutraliser ou du moins à atténuer l'effet des éboulements de roches, assez rares sans doute dans la vallée d’Aspe, mais néanmoins inévitables dans tout pays de montagnes, à la suite des dégels et des pluies torrentielles. Dans les cas très peu fréquents où le chemin de fer ne serait pas protégé par des ouvrages pratiqués sous la voie, pareils à ceux qui garantissent la route actuelle et conduisent dans le Gave les pierres éboulées, ces fragments s’arrêteraient dans les fossés ou au pis aller dans l’entre-voie, dont le niveau se trouverait à 0 m 50 au-dessous de celui des rails. Cet ensemble de précautions, combiné avec une surveillance attentive et constante, suffirait pour éloigner toute chance d’accident.
     Les tourmentes de neige et leur accumulation dans les tranchées profondes seraient enfin évitées, sur les points peu nombreux où elles peuvent être à redouter, par rétablissement d’un système spécial de munissement et de couverture de la voie, d’une exécution aussi simple que peu coûteuse.
     Restait à se prémunir contre les avalanches. Cette question a été traitée avec les plus minutieux détails dans un travail particulier où M. Boura a décrit chacune des avalanches de la vallée d’Aspe, en faisant connaître leur vitesse, leur volume, et, si l’on nous permet d’employer ce mot, leurs habitudes constatées par une longue observation. On a déjà vu que la chute de ces masses de neige, qui a ordinairement lieu en mars et en avril, est beaucoup moins redoutable dans les Pyrénées que dans les Alpes, et que la construction de ponts destinés à leur frayer un passage et à favoriser leur écoulement, parerait à tous les dangers qu’elles pourraient faire naître. Il en est une, toutefois, celle de l’Arnousse, qu’il serait imprudent de braver ; le tracé s’y dérobe au moyen d’un souterrain dont l’étendue a été indiquée plus haut.
     Ainsi, tandis que le tracé de Gavarnie, qui rencontre au moins autant d’avalanches que le chemin le fer de la vallée d’Aspe, exige pour les éviter 4,500 mètres de tunnels, dans l’hypothèse de l’adoption de courbes étroites de 100 mètres de rayon et d’un matériel spécial de traction, et près de 9,000 mètres, si l’on adopte des courbes ouvertes et un matériel ordinaire, les avalanches n’imposent au tracé de la vallée d’Aspe qu’une augmentation de 1,000 mètres environ de la longueur totale des souterrains.
     Des détails qui précèdent résulte la certitude que les phénomènes météorologiques particuliers aux pays de montagnes et les accidents qui en dérivent ne compromettraient nullement la viabilité du chemin de fer de la vallée d’Aspe, et qu’il serait praticable en toute saison, sans subir d’interruption ou de ralentissement dans sa circulation.
     Pour compléter ce que nous avons déjà dit des conditions d’exécution du chemin de fer de la vallée d’Aspe, il nous reste à faire connaître les principaux éléments et les évaluations générales du détail estimatif.
     Cette partie du travail de l’ingénieur n’est pas la moins difficile ; il doit, surtout quand il s’agit de projets aussi importants que celui qui nous occupe, se garder avec un soin égal de l’atténuation et de l’exagération des prix. Sa tendance naturelle le porte à diminuer le chiffre des dépenses, afin de présenter sous un jour plus favorable une entreprise dont un amour-propre d’auteur bien légitime lui fait désirer la réalisation. Aussi les estimations des ingénieurs, comme celles des architectes, sont-elles presque toujours dépassées. C’est là un écueil que M. Boura s’est étudié à éviter ; et il y a si bien réussi qu’on lui a reproché d’être tombé dans l'excès contraire.
       Toutefois, l'examen détaillé de son devis suffît pour le faire absoudre d’un pareil reproche.
     N’est-il pas évident, en effet, que les tarifs ordinaires cessent d'être applicables lorsque les travaux à exécuter, excédant certaines proportions, exigent des quantités de matériaux considérables et un nombre exceptionnel d’ouvriers ? L’augmentation des prix devient plus sensible encore si les ateliers fonctionnent dans un milieu plus ingrat, plus dépourvu de ressources, où les matières brutes acquièrent, par l’éloignement des lieux de provenance, une valeur plus élevée, tandis que la difficulté de se procurer les objets nécessaires à la vie produit un renchérissement correspondant de la main d’œuvre.
     Telles sont précisément les circonstances dans lesquelles se trouvera placé le chemin de la vallée d’Aspe ; et il faut louer M. Boura d’en avoir scrupuleusement tenu compte dans la supputation de ses prix. C’était le seul moyen d'établir un projet sérieux et sincère. Et si les bases d’évaluation adoptées par lui paraissent exactes, il y aura lieu, pour arriver à une comparaison équitable, d’y ramener, par l'adoption de chiffres identiques dans des conditions analogues, les devis présentés par les ingénieurs des autres lignes destinées à franchir les Pyrénées.
     Pour ne s'exposer à aucun mécompte, l’auteur du tracé de la vallée d’Aspe a raisonné dans l’hypothèse où le chemin ne fournirait de matériaux d’aucune espèce, et où il faudrait aller chercher la chaux, puiser le sable, extraire le moellon et la pierre de taille, abattre le bois de charpente, dans les fours, les mines, les carrières et les forêts qui alimentent les travaux quotidiens. Aucune valeur n’a été d'ailleurs assignée aux déblais calcaires qui peuvent être utilisés aussi bien que ceux des gisements de schiste ardoisier. Une économie certaine sera donc réalisée sur les estimations générales.
     Le tracé du chemin de fer a été divisé en deux parties pour la fixation des évaluations.
    – La première comprend les trois sections situées de Pau à Buzy, qui se trouvent dans des conditions à peu près ordinaires. Pour celles-là, les prix ont été établis sur les bases admises pour les entreprises récemment exécutées ou en cours d’exécution, tout en tenant compte de l’augmentation résultant d'une demande considérable de matériaux et d’une agglomération nombreuse d’ouvriers.
    – Quant aux travaux de la seconde partie de la ligne, ils comportent des estimations spéciales, parce que les chantiers doivent être ouverts dans un pays dépourvu de toutes ressources, où les ouvriers ne pourront se procurer qu’à chers deniers les objets de consommation indispensables, et sur un point où les transports, depuis la route qui traverse le fond de la vallée d’Aspe, s’opéreront nécessairement à dos de mulet.

      suite   III . Avantage du tracé de la Vallée d'Aspe.


   Sources

  • P. O’QUIN, Député et Membre du Conseil Général des B-Pyré imprimerie de E. Vignancour, Pau 1856
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