La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LE CHEMIN DE FER
DE FRANCE EN ESPAGNE

3.Pau - Oloron - ESPAGNE

         III . Avantage du tracé de la Vallée d'Aspe.

lettrines
’est par trois grandes voies perpendiculaires aux Pyrénées que s’opèrent, de temps immémorial, les communications des deux pays que sépare cette chaîne de montagnes. L’Est et le Sud-Est de la France se rattachent à la Catalogne par la route de Perpignan à Barcelone, qui traverse le col du Perthus.
    La région de l’Ouest et du Sud-Ouest aboutit, par les passages de la Bidassoa et d’Ainhoa, variantes de la ligne occidentale, à la Navarre et aux Provinces Basques.
     La région du centre et le bassin sous-Pyrénéen sont reliés à l’Aragon et à l’Espagne centrale par la route de Pau à Saragosse, qui franchit le faîte des Pyrénées au col de Somport.
     Ces directions, suivies de tout temps par les courants commerciaux et les relations internationales, n’ont rien de fortuit ni d’arbitraire; la nature des lieux, les besoins des populations, les tendances résultant de leur origine, ont concouru à les établir.
     Dans une note remise au mois de mars 1853 à M. le ministre des travaux publies, M. le baron de Crouseilles, sénateur et président du Conseil général des Basses-Pyrénées, dont les efforts n’ont cessé de tendre à l’achèvement de la route Impériale, n.° 134 et à la construction de la ligne de fer centrale de France en Espagne, signalait ainsi les influences diverses qui ont déterminé le choix de la vallée d’Aspe pour la communication centrale :

     « Des habitudes contractées de temps immémorial, des facilités locales, les relations plus intimes des Aragonais et des Béarnais, sont cause que, depuis des siècles, les communications entre la France et l'Espagne, les plus sûres, les plus faciles, jamais interrompues, ont toujours eu lieu par Pau, Oloron, Camfranc, Jaca, Saragosse ; pendant la guerre de la succession, pendant celle de la révolution de 1793, pendant la guerre de l’indépendance, en 1823 et 1824, durant les derniers troubles civils de 1833 à 1839, tandis que les routes de Catalogne et des Provinces étaient interceptées, celle d’Oloron à Saragosse demeura toujours libre, et l’on y voyait affluer les courriers des gouvernements divers, les courriers du commerce, les convois d’argent, d’armes, de marchandises, etc...
    Il y a là quelque cause permanente efficace, tenant au caractère des populations, à leurs plus intimes relations (Oloron fut anciennement repeuplée par les Aragonais) qu’il est impossible de méconnaître. Aussi, en 1800, 1810, 1811, l’Empereur Napoléon, après de longues études, avait décidé qu’une grande communication serait établie sur celle ligne. Les travaux commencés alors furent poussés avec activité sous les derniers gouvernements et une belle route nationale ouverte à grands frais, au travers des montagnes de la vallée d’Aspe, touche pour ainsi dire déjà à la frontière Espagnole. bulleinfo La lacune sur le territoire Français est d’environ 12 kilomètres et sur le territoire Espagnol de 33 kilomètres.
    D’après nos réclamations, le gouvernement Français a insiste auprès du cabinet de S. M. C. pour que l’Espagne continuât sur son territoire cette voie de communication. L’Espagne y est intéressée au moins autant que la France ; l’exportation de ses laines, qui jadis lui était si profitable, a sans doute diminué, mais cependant, par suite d’anciennes habitudes, des quantités notables entrent encore par cette voie, quoiqu’elles fassent le trajet, sur la partie Espagnole du chemin, à dos de mulet ! Quel développement ne recevrait pas ce commerce, celui des huiles, des grains, des matières tinctoriales, des soies, si ces moyens de transport étaient transformés.
     « L’Espagne importe, chaque année, par Oloron et Canfranc, au grand bénéfice de notre agriculture, une immense quantité de jeunes animaux de trait, de bat, de selle, d’alimentation, qui prospèrent sur son territoire ; mais l’état dangereux de la partie Espagnole de la route a toujours compliqué et troublé jusqu’ici cet important commerce, au détriment des deux pays et surtout des éléments Français du sud-ouest, du Poitou et même de la Normandie. De grandes exportations de tissus ont lieu par la même voie. Saragosse, point auquel aboutit cette communication, va se trouver la tête du chemin de fer de Barcelone ; l’Ebre va se canaliser ; Saragosse sera un point-central vers lequel rayonneront les Castille, l’Aragon, la Catalogue et partie du royaume de Valence. Mais combien cette importance s’accroîtra si, au lieu de se borner à ces relations intérieures, l’amélioration des communications entre Saragosse et la France vient accroître dans une grande proportion et son commerce et surtout les bénéfices du chemin de fer ! »
     Ces considérations générales résument tous les avantages politiques, militaires, commerciaux et économiques du chemin de fer Central Franco-Espagnol.
     Au point de vue politique, en effet, il est facile de comprendre les immenses résultats de l’ouverture d’une grande artère, destinée à mettre en communication, par la voie la plus directe, Lisbonne, Tolède, Madrid, Saragosse et Paris.
    Les relations internationales de la France avec l’Espagne, ainsi facilitées, multipliées et assurées contre toute chance d’interruption en cas de guerre Européenne, deviendront de plus en plus intimes. Une alliance indissoluble entre ces deux pays, que l’histoire nous montre si souvent divisés, et que, leurs intérêts communs, aussi bien que leur position géographique, tendent au contraire à maintenir étroitement unis, sera la conséquence naturelle de l'achèvement d’une pareille entreprise. Ce sera la réalisation de la pensée politique poursuivie par Louis XIV et Napoléon 1er, qui, l’un et l’autre, intronisèrent en Espagne une dynastie Française, afin de la faire entrer dans nos alliances, tout en respectant son indépendance nationale.
     Le Portugal, isolé aujourd’hui’hui de tout le reste du continent, et communiquant seulement avec l’Angleterre par la voie maritime, sera émancipé de ce patronage quand un facile et rapide accès vers la France et le nord de l'Europe lui sera ouvert par le centre de l’Espagne.
     Quel parti Napoléon 1er n’eût il pas tiré, pour l’accomplissement de ses vastes desseins, de l’existence de la route de terre dont il avait décrété l’exécution !...
     A une époque plus rapprochée de nous, n’est-ce point par le chemin de la vallée d’Aspe que le gouvernement Espagnol recevait de France et d’Angleterre les communications les plus promptes et les plus sures ; n’est-ce point par Saragosse qu’il transmettait ses ordres aux troupes dirigées contre les insurgés des Provinces Basques et de la Catalogne, et n’est-ce point par cette artère que la vie politique rayonnait du centre au nord de la Péninsule ?
     Aux considérations politiques qui militent en faveur de la ligne Franco-Espagnole centrale, viennent se joindre de puissantes raisons militaires.
     Sans revenir sur ce qui a été déjà dit des avantages qu’offrirait une ligne de fer, éloignée du littoral des deux mers, et par conséquent à l’abri de toutes les chances d’occupation ou de rupture résultant d’un débarquement en cas de guerre, sans rappeler l’importance que les deux plus grands capitaines des temps anciens et modernes, César et Napoléon, ont attachée à cette voie stratégique, son utilité au point de vue militaire n’est-elle pas évidente ?
     En France, la principale place forte et l’arsenal des provinces du midi, la base d’opérations d’une armée de défense, en cas d’invasion du territoire, c’est Toulouse.
     En Espagne, Saragosse, dominant et le versant méridional des Pyrénées et les provinces du nord de la Péninsule, est le boulevard de l’indépendance nationale.
     La ligne qui unirait ces deux points serait d’ailleurs commandée, dans l’un et l’autre pays, par des ouvrages de fortification qui en fermeraient l’accès à toute armée ennemie, le fort du Portalet, en France, et Jaca, en Espagne.
    Or, si le passage des Pyrénées centrales s’effectuait par un autre point, en même temps qu’un chemin de fer, il faudrait songer à élever, des deux côtés des Pyrénées, des citadelles qui pussent le couvrir de leurs feux.
     Un député aux Cortés Espagnoles, M. Cordero, se déclarait naguère hostile à l'établissement de la ligne de fer de Saragosse à Canfranc, parce que, disait-il, la France pourrait, en cas de guerre, jeter en 48 heures 200,000 hommes en Espagne par cette voie. Et afin de sauvegarder l’indépendance nationale, il demandait que les Pyrénées ne fussent franchies qu’aux deux extrémités de la chaîne. Il oubliait que cette barrière naturelle n’a pas suffi pour préserver l'Espagne d’invasions qui se sont toujours accomplies par la Catalogne et la Navarre. Est-ce donc là une raison pour que le chemin de Barcelone à Perpignan et celui de Pampelune à Bayonne ne s’exécutent pas ?
     M. Cordero lui-même ne le pensait pas, puisqu’il plaçait le chemin du Nord au premier rang de ceux que le gouvernement Espagnol doit entreprendre sans délai. Des considérations du genre de celles qui dictaient son opposition à la ligne de Saragosse à Canfranc ne sont, d’ailleurs, plus de notre temps. Aujourd’hui, des peuples voisins ne songent plus à multiplier les obstacles qui les séparent l’un de l’autre, mais à les aplanir, afin de faciliter un échange quotidien de produits et d’idées. L’Espagne n’est restée que trop long-temps isolée ; le moment est enfin arrivé où, sous peine de déchéance, il faut qu’elle se mette en intime contact avec l’industrie et la civilisation de l’Europe septentrionale. Le spectacle donné en ce moment au monde n’est-il pas fait, du reste, pour éloigner toute crainte d’une agression étrangère ?
     Ne voit-on pas les nations les plus puissantes prendre en main la cause de la justice et du bon droit et se liguer pour protéger un peuple faible contre les prétentions d’un ambitieux voisin ? Mais il n’est pas besoin d’invoquer les tendances pacifiques de notre époque pour rassurer l’Espagne contre le danger d’une invasion Française par le chemin de fer de Pau à Saragosse. Dans ces gorges des Pyrénées que commande le canon de Jaca, et à l’issue d’un souterrain de 4,000 mètres, un millier d’hommes ne suffiraient ils pas pour rendre la voie de fer impraticable et arrêter ainsi l’armée dont parlait M. Cordero ?
    Enfin, quelques kilogrammes de poudre pourraient détruire en un instant un de ces grands viaducs dont la construction exige au moins trois années, et il s’écoulerait un temps égal avant que la voie de fer fût rétablie. Ainsi, ces travaux d’art qui, au point de vue de l’exécution, sont précisément une des principales difficultés de la ligne, ont du moins l’avantage d’offrir aux deux pays qu’ils rattachent l’un à l’autre d’égales garanties de sécurité, et de satisfaire les esprits les plus jaloux de l’indépendance nationale.
     A côté des raisons politiques et militaires qui recommandent la construction du chemin Central de France en Espagne, viennent se grouper les considérations d’économie.
     Faut-il rappeler que, malgré la configuration exceptionnelle des terrains qu’il traverse, le tracé de la vallée d’Aspe a l'incontestable avantage de ne point nécessiter l’emploi d’un matériel spécial, et qu’il rend ainsi les frais d’exploitation bien moins onéreux que toute autre voie placée dans des conditions différentes ?
     La viabilité, on l’a vu, y serait facile en toute saison et ne subirait en aucun temps d’interruption prolongée.

    L’uniformité de ses rampes épargnerait aux locomotives ces différences de traction qui sont une des causes les plus fréquentes de l’usure du matériel.
     L’absence à peu prés complète des roches les plus dures sur tous les points de son parcours diminuerait, dans une proportion considérable, les frais de construction.
     Assurément, le prix de revient du kilomètre est fort élevé; on aurait tort, toutefois, de le considérer comme exorbitant, surtout quand il s’applique à un chemin destiné à franchir une chaîne de montagnes.
     Si l’on se reporte aux prix d’établissement de quelques chemins de fer déjà construits en France, dans l’intérieur même du pays, il est facile de se convaincre que la ligne de Pau à la frontière d’Espagne peut soutenir la comparaison, sans même tenir compte des conditions exceptionnelles Où elle se trouve placée.     
  • Le chemin de fer de Paris à Chalon a couté 534,520 fr. par kilomètre.
  • La ligne entière de Paris à Lyon , 558,120 fr.
  • La section de Chalon à Vaise, 027,080 f.
  • Le chemin de Rouen au Havre, 034,210 f.
  • Le chemin de Paris à Versailles (rive droite) depuis Asnières, 872,700 f.
  • Le chemin de Paris à Saint-Germain, jusqu’au Pecq, 1,081,030 f.
  • Celui de Pau à la frontière, coûterait 702,189 f

   Sources

  • P. O’QUIN, Député et Membre du Conseil Général des B-Pyrénéees, imprimerie de E. Vignancour, Pau 1856
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