La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LE CHEMIN DE FER
DE FRANCE EN ESPAGNE

0.Un décret Impérial, signé à Bayonne bulleinfo Plan-France-Espagne

lettrines
igné à Bayonne le 22 juillet 1808, ordonna qu’il serait ouvert une grande voie de communication entre Paris et Madrid, par Pau, Oloron et Saragosse.
    En jetant les yeux la carte, il est facile de comprendre la pensée qui dicta à Napoléon I.er cette disposition.
     Si de l'embouchure du Tage, on trace une ligne droite jusqu’à la chaîne des Pyrénées, on voit qu’elle passe à quelques lieues au nord de Madrid, rencontre Saragosse et aboutit à la frontière Française, après avoir parcouru le centre du Portugal et celui de l’Espagne, et divisé la Péninsule en deux parties à peu près égales, dans le sens de sa plus grande longueur. Une autre ligne, tirée de Paris à Saragosse, touche Orléans et Périgueux, laisse Pau à quelques kilomètres de son prolongement, puis, coupant à angle droit les montagnes qui séparent les deux pays, dans leur région centrale, entre en Espagne près du col de Somport et traverse encore Jaca avant de rejoindre la capitale de l’Aragon.
     La route dont le décret de 1808 prescrivit la création est donc en même-temps le grand chemin central de France en Espagne et la voie la plus courte de Paris à Madrid, pouvant se prolonger jusqu’à Lisbonne, selon une direction rectiligne. Elle se développe parallèlement aux courants commerciaux qui, de la Péninsule, affluent par la voie de terre vers le continent Européen ; elle relie aux trois capilales cette populeuse et florissante cité, jadis souveraine, aujourd’hui chef-lieu d’une riche province, qui est comme l’entrepôt du Nord de l’Espagne, l'intermédiaire naturel de ses relations avec le midi de l’Empire Français, et dont les événernents de 1808, comme ceux de 1854, ont montré l’importance sous le rapport militaire et politique ; elle est, en cas de guerre, la ligne stratégique par excellence, puisqu’éloignée de la Méditerranée et de l’Océan, elle n’a pas à redouter la menace d’une descente sur les côtes ; elle emprunte, pour le passage des Pyrénées, le point où leur barrière semble naturellement s’abaisser, ce sumnmus portus des Romains, que traversait aussi la roule centrale d’Aquitaine en Espagne, œuvre grandiose de Jules César ; elle a enfin reçu, comme on l’a dit avec raison, la double sanction du génie et celle des habitudes séculaires.
     Frappé de ces considérations, nous signalions, dès le mois de mai 1853, la construction du chemin de fer de France en Espagne, par Pau, Oloron, Somport, Jaca et Saragosse, comme réclamée par les intérêts des deux pays et commandée, pour ainsi dire, par la nature même des choses.
     Au mois de juin 1853, le gouvernement Français ordonna l’étude complète du réseau des chemins de fer Pyrénéens ; le passage des Pyrénées par les divers cols de la chaîne était comprise dans le programme de ces études, dont la direction fut confiée à M. O. de Fréville inspecteur général des Ponts-et-Chaussées.
    Plein de confiance dans leur résultat, nous exprimions à cette époque, dans un travail d’ensemble sur les chemins de fer Pyrénéens, l’espoir que la pensée de Napoléon Ier touchait enfin à sa réalisation et qu’un chemin de fer trans-pyrénéen relierait bientôt Pau, Oloron, Jaca et Saragosse.
    Plus de deux ans se sont écoulés depuis lors et cette espérance, fortifiée par l’inspection des lieux, constamment entretenue par les manifestations de l’opinion publique en Espagne en faveur de la ligne de Madrid à la frontière d’Espagne par l’Aragon, reçoit des faits qui se produisent aujourd’hui une éclatante confirmation.
     En effet, lorsqu’en octobre 1853, nous accompagnâmes l'habile ingénieur chargé de cette partie des études, M. Boura, bulleinfo L’Ingénieur en chef des études pour les Basses-Pyrénées était M. Lepeuple, à qui le gouvernement a accordé une récompense bien méritée en lui confiant le service du département de l'Yonne. Membre de la commission d'enquête qui a examiné, au mois d’août 1854, l’avant-projet du chemin de fer de Toulouse à Bayonne, nous avons pu apprécier le talent dont M. Lepeuple a fait preuve dans l'accomplissement de cette importante mission. Quant aux études du chemin d’Espagne, elles sont exclusivement l’oeuvre do M. Borna. dans son premier voyage d’exploration de Pau à Saragosse, à travers la vallée française d’Aspe et les vallées Espagnoles du Rio Aragon et du Rio Gallego, la concession du chemin de fer de Madrid à Bayonne, par Valladolid et Burgos, paraissait imminente.
    Quant à la ligne de Madrid à Saragosse, une compagnie de capitalistes Aragonais, eu tête desquels figurait M.Bruil, maintenant ministre des finances, l'avait depuis quelque temps soumissionnée. Mais le gouvernement, concentrant toute son attention sur le chemin du Nord, paraissait disposé à ajourner indéfiniment l’exécution de cette entreprise. La situation financière de l’Espagne concourait malheureusement à paralyser l’essor des grands travaux d'utilité publique ; aussi, dès cette époque, M. Bruil reconnaissait-il la nécessité de l'intervention des capitaux étangers, auxquels on le voit en ce moment faire un appel, par l’établissement à Madrid d’une succursale du Crédit Mobilier. Il ne se décourageait pas, toutefois, et comprenant toute l’importance pour l’avenir commercial et politique de son pays de la construction du chemin de fer central de la Péninsule, il nous déclara, dans un entretien que nous eûmes avec lui sur ce sujet, que s’il pouvait compter sur le concours de capitalistes Français, et en particulier de MM.Péreire, qui venaient alors de fonder le Crédit Mobilier, il n’hésiterait pas à compléter sa soumission en demandant la concession de la ligne de Saragosse à la frontière, par Jaca et Camfranc.
     En même-temps, l’opinion publique s’était émue ; une commission spéciale, choisie par la ville de Saragosse, et dont M. Bruil faisait naturellement partie, consignait dans un mémoire adressé à la nation Espagnole, au nom de l’Aragon, les motifs qui devaient faire accorder au chemin Central la préférence ou tout au moins la priorité sur la ligne de Castille. A la suite de cette publication, le gouvernement Espagnol prescrivit l’étude d’un double tracé, celui de Saragosse à Camfranc, par Jaca, et celui de Saragosse à St-Sébastien, par Pampelune.

     Cependant, une compagnie Franco-Espagnole s’était organisée et sollicitait la concession de la ligne du Nord. Malgré les appels réitérés qu’elle faisait aux capitaux, par la voie de la presse Française, le placement des actions destinées à constituer son capital social ne s’opérait qu’avec une extrême lenteur, soit qu’on fût effrayé des nombreuses difficultés d’exécution que le choix du tracé rendait inévitables, soit par suite d’autres causes qu'il serait superflu d’énumérer ici.
     La révolution de juillet éclata sur ces entrefaites en Espagne ; l’élection de Cortès constituantes en fut la conséquence. M. Bruil, nommé membre, de cette assemblée par la province d’Aragon, devint ministre des Finances. Au milieu des préoccupations diverses dont il était incessamment assiégé, le gouvernement ne négligea pas l’importante question des chemins de fer. Deux projets de loi, ayant pour but de décréter l'établissement de la ligne du Nord et de celle de Madrid à Saragosse, furent successivement présentés à la chambre et adoptés par elle.
    A peine le second était-il voté, que la compagnie du Grand Central de France déposait entre les mains du Ministre des Travaux publics une soumission pour l’exécution de la ligne de Madrid à Saragosse, on stipulant que, toutes choses d’ailleurs, la préférence lui serait accordée pour l’achèvement jusqu'à la frontière de cette grande voie. Une commission des Cortès, saisie de l’examen de cette soumission, l’a favorablement accueillie, et tout porte à croire qu’elle sera aussi approuvée par la chambre.
         Tel est, en Espagne, l’état de la question.
     le Portugal ne restera pas on arrière du mouvement qui s’accomplit dans le royaume voisin.
     L’initiative d’un prince jeune, intelligent et ami du progrès, pour qui le spectacle des merveilles de l’industrie Européenne n’a pas été stérile, commence à porter ses fruits ; et on assure que des négociations sont déjà entamées avec divers capitalistes pour l’exécution d’un chemin de fer de Lisbonne à Madrid.
    Que cette nouvelle soit ou non prématurée, peu importe ; car l’impulsion donnée aux esprits est irrésistible, et les capitaux étrangers, aflluant vers la Péninsule, ne tarderont pas à y développer les germes si puissants de prospérité qui sollicitent à l’envi l’intelligence humaine dans ce pays favorisé du ciel.
     La France, enfin, tend la main à la Péninsule ; chaque jour, ses voies de fer en cours d’exécution avancent d’un pas vers la frontière ; et bientôt Napoléon III, par la concession du réseau Pyrénéen, que plusieurs compagnies demandent à l’envi, aura réalisé l'application d’une des plus belles découvertes du génie moderne à la vaste conception de Napoléon 1 er.
     Le moment est donc venu de résoudre la question si souvent agitée depuis trois ans du passage des Pyrénées. Plusieurs solutions, on ne l’ignore pas, sont proposées. Les uns veulent que la chaîne qui nous sépare de l'Espagne soit franchie au col de la Glère, non loin de Bagnères-de-Luchon, dans la Haute-Garonne ; M. Colomès de Jnillan, ingénieur en chef des études du réseau Pyrénéen dans les Hautes-Pyrénées, conclut en faveur du passage par Gavarnie ; dans les Passes-Pyrénées, enfin, M. l’ingénieur daguenet étudie les passages des Aldudes et de la Bidassoa, tandis que M. Boura vient d’adresser à Paris, après deux années de travaux assidus, un projet de tracé par la vallée d'Aspe, le col de Somport et Jaca.
     C’est de ce dernier projet que nous voulons entretenir nos lecteurs avec quelques détails.

     Nous répondons ainsi à l'appel qu'adressait l’année dernière à l’opinion publique le conseil municipal de Tarbes, lorsque par la publication d’un mémoire de M. Colomès de Juillan en faveur du tracé de Gavamie, il provoquait une large et loyale discussion sur l'établissement d’une voie de fer internationale à travers la chaîne centrale des Pyrénées. Il n’a pas tenu à nous que la défense d’aussi grands intérêts fût confiée à des mains plus habiles ; mais dussent nos efforts n’avoir d’autre résultat que d’engager de plus compétents que nous à intervenir dans ce débat, nous ne les regarderions pas comme entièrement stériles, tant le but à atteindre nous paraît important pour l’avenir de notre pays !
    Le jour, en effet, où triomphant des obstacles en vain accumulés par la nature, une locomotive pénétrera pour la première fois en Espagne, frayant la voie au commerce, à l’industrie et aux idées Françaises, ce jour là seulement il sera vrai de dire avec Louis XIV : Il n’ y a plus de Pyrénées.

    Pour bien apprécier le projet de chemin de fer de Pau à Saragosse par la vallée d’Aspe, il convient d’en étudier d’abord le tracé, d’en examiner ensuite les conditions d’exécution, puis d’en signaler les avantages, et enfin de le comparer aux lignes rivales ; telle est, en effet, la division de ce travail.
    En le parcourant, on voudra bien ne pas perdre de vue qu’une voie de fer destinée à franchir une chaîne de montagnes présente nécessairement des conditions d’exécution tout-à-fait exceptionnelles. Elle comporte naturellement des ouvrages d’art nombreux et importants, des pentes plus élevées que celles des chemins ordinaires, des courbes d'un plus court rayon, des souterrains d’une plus grande étendue. Les sacrifices qu’elle entraine sont aussi proportionnés aux difficultés à vaincre et au but à atteindre.
    Mais on verra que, s’il subit les nécessités résultant de la configuration spéciale des terrains qu’il traverse, le tracé de la vallée d’Aspe les rend moins onéreuses que tous les autres.

     I .  Description du tracé.

   Sources

  • P. O’QUIN, Député et Membre du Conseil Général des B-Pyrénéees, imprimerie de E. Vignancour, Pau 1856
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