La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




AÜROST d'ASPE



ar ce canon, le concile ordonne de cesser les offices dans les enterrements où les parents, les amis et les domestiques du défunt feraient entendre des chansons, des lamentations, des hurlements et des cris. Quoiqu'il y ait, au fond de cet usage, je ne sais quoi de respectable et de touchant, les évêques n'en étaient pas moins attentifs à le proscrire comme un vieux reste du paganisme. On sait que, chez la plupart des peuples de l'antiquité, des pleureurs et surtout des pleureuses à gages allaient, avec des vociférations lamentables, s'associer au deuil des familles ; chez les Hébreux eux-mêmes il se passait quelque chose de semblable, comme on le vit aux obsèques d'Abner. Depuis l'établissement du christianisme, la mort ne se présentant plus aux fidèles sous le sombre aspect qu'elle a pour les hommes privés des consolations de l'espérance, la douleur se montra plus calme dans les cérémonies funèbres. Toutefois, il y eut toujours quelque recoin où, malgré le zèle du clergé, le deuil des parents cherchait à s'exhaler d'une manière bruyante autour de la bière des morts.
     Il paraît, par le décret du Concile de Marciac qu'au commencement du XIVe siècle cet abus régnait encore avec beaucoup de force dans une partie de la Gascogne. Hélas ! ce décret ne suffit pas pour déraciner une vieille habitude, d'autant plus chère au cœur de nos populations qu'elle s'accorde mieux avec le besoin de chanter et de rimer qui les caractérise. Elle se modifia plus ou moins dans les villes ; mais, dans les campagnes, et surtout dans les vallées, c'est à peine si l'on peut dire, au siècle où nous sommes, qu'elle a tout a fait disparu.
     La vallée d'Aspe a été la plus tenace en ceci ; nos contemporains y ont connu des femmes qui avaient une aptitude spéciale, une sorte de mission publique pour improviser des bouts-rimès dans les enterrements : Marie Blanque, d'Osse, est la plus célèbre de ces matrones élégiaques. On a recueilli quelques-uns de ses chants funéraires, appelés dans le langage du pays aürots ou aüroustades ; il y en a d'attendrissants ; d'autres au contraire sont de nature à exciter le rire par un cachet de fausse douleur et certains à-propos d'une finesse remarquable (1). Nous n'en citerons ici aucun extrait ; mais nous relaterons avec plaisir un quatrain inédit qu'une femme de Bedous, une mère ! vint fredonner à Ste-Marie, dans le dernier siècle, au moment où l'on jetait sur la dépouille de son fils la dernière pelletée de terre et après que les chants de la liturgie eurent cessé :

Au cimétèri de sen Grat
Bet arrousè jou qu'èy plantat...
N'éy pas dé roses ni dé flous ;
Més qu'éy dé larmes y dé plous !   Au cimetière de St Grat (Ste-Marie)
j'ai planté un rosier
non de roses ni de fleurs
mais bien de larmes et de pleurs.

Naïve poésie vraiment intraduisible au point de vue du sentiment ! S'il ne s'en était jamais produit que de celles-là, et dans les mêmes circonstances, l’Église les aurait peut-être tolérées.
   Quatre ans après le concile qui condamna les excès de la douleur des familles, Guillaume de Flavacour, archevêque d'Auch, en convoqua un autre au même lieu de Marciac (1330). Arnaud de Valensun, notre évêque, y soumit à ses collègues une question qui fait paraître pour la première fois une des plus belles paroisses du diocèse. Il demanda, s'il pouvait, en conscience, permettre qu'on bâtit une église à La Seübe et accepter la moitié de la dîme de cette nouvelle paroisse. La raison de son doute était que, puisqu'il s'agissait d'une paroisse à créer, la dîme entière semblait appartenir à l'évêque et au chapitre, tandis que le Baron de Lescun, seigneur du lieu, prétendait faire prévaloir la Coutume Béarnaise en, matière de dîmes inféodées.

     Nous verrons bientôt la solution de cette difficulté. La Seübe, ou, suivant l'orthographe actuelle, Lasseube n'était alors qu'une vaste forêt (sylva ou selva), dépendante d'Escout, et dont un certain nombre de familles avaient commencé à défricher les pittoresques coteaux.

   Sources

  • PAR M. l'Abbé MENJOULET, CHRONIQUE DU DIOCÈSE ET DU PAYS DOLORON, Imprimerie LAFON, PAU, 1864.
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