La vallée d'Ossau : Culture, et Mémoire.
VOYAGE AUX EAUX- BONNES
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’Approche de la nuit, l'incertitude du temps et la crainte de nous aventurer dans des chemins de traverse, que la pluie continuelle des jours précédents pouvait avoir rendus impraticables, nous déterminèrent à nous transporter directement de Castel à Larruns, et à remettre à notre retour des Eaux-Chaudes les courses qui nous restaient à faire dans les environs de la partie méridionale de la vallée d'Ossau. Malgré toute la diligence de nos préparatifs de départ, à peine étions-nous à la hauteur de Bielle, que nous fûmes surpris par la nuit ; les nuages qui s'élevaient du fond de la vallée en avancèrent l'heure et en redoublèrent l'obscurité. La route que nous parcourions, pratiquée sur les bords du Gave mugissant avec furie à notre gauche, traversée par des ruisseaux qui se précipitaient du haut des montagnes voisines, et çà et là dégradée par la chute de leurs eaux, nous obligeait à marcher au pas et avec grandes précautions. Ce ne fut qu'après trois heures du plus désagréable et du plus pénible trajet que nous atteignîmes enfin les premières maisons de Larruns, qui se trouvent tout au plus à une lieue et demie de Bielle. Malgré le bruit de la voiture et les éclats de nos voix qui faisaient retentir le nom de M.Joly, à l'auberge duquel nous devions descendre, nous eûmes toutes les peines du monde à réveiller les habitants du village, livrés à leur premier sommeil. Quelques femmes, entr'ouvrant la moitié de leurs fenêtres, mais sans se montrer, répondirent, les premières dans leur patois inintelligible ; d'autres, moins timides sans doute, osèrent se présenter, tenant à la main un morceau de sapin, allumé ; mais elles nous regardaient passer et gardaient un profond silence. En avançant dans la rue longue et étroite où nous nous trouvions, nos cris, rendus plus vifs et plus fréquents par notre impatience, faisaient ouvrir successivement toutes les croisées, et le seul avantage que nous en retirions, c'était de poursuivre cette étrange marche au milieu d'une sorte d'illumination générale. Cependant nous touchions au moment de nous voir livrés, sans pitié, à la plus profonde obscurité ; car à la vivacité bruyante, aux clameurs furibondes de notre cocher, chacun se retirait des fenêtres et, en renfermait au plus vite les volets.
Nous mêmes, sans le savoir, nous aggravions le mal. En prenant avec notre conducteur le ton d'autorité, et en employant les expressions les plus fortes et les plus propres, à lui imposer silence, nous ne faisions que fortifier de plus en plus les craintes que nous inspirions, sans doute, à ces bons villageois, peu habitués à un tel bruit, et à recevoir, à pareille heure, la visite des étrangers ; aussi rien ne put les décider à descendre, encore moins à nous ouvrir leur porte, ou à nous conduire jusqu'à l'auberge, objet de nos plus ardents désirs. Après avoir fait quelques détours, sans trop savoir où nous allions, nous nous trouvâmes sur un emplacement d'une vaste étendue, et que des montagnes bordaient de tous côtés. Nous crûmes être sortis du village, et nous craignions déjà d'être obligés de revenir sur nos pas, et de parcourir de nouveau ses rues sombres et raboteuses. Les reproches violents que nous adressâmes à notre cocher, seul coupable de notre mésaventure réveillèrent au même instant une femme qui, de la croisée d'une maison plus considérable que les autres et située un peu plus loin à notre droite, nous demanda qui nous étions, ce que nous cherchions et nous combla de joie en nous disant qu'elle allait descendre pour nous ouvrir la porte de l'auberge si désirée, et à laquelle le hasard nous avait enfin heureusement conduits. La jeune et jolie belle-sœur de l'aubergiste c'était elle-même qui nous avait parlé, tout en riant aux éclats du récit de nos infortunes, fit seule tous les apprêts qu'exigeait notre arrivée. Tandis que nous réparions nos forces avec les restes d'un excellent gigot de mouton, elle prenait le soin de préparer nos lits ; mais quelle que fût sa promptitude, il était plus d'une heure après minuit lorsque nous pûmes nous, livrer au repos qui nous était si nécessaire.
Le lendemain, réveillés aux premiers rayons du soleil levant ; nous jouîmes, des fenêtres mêmes de notre chambre, de la vue la plus délicieuse. Le joli bassin de Larruns, fertilisé par les eaux des ruisseaux et des torrents qui le traversent, pour venir se confondre avec le Gave de Gabas, se présentait devant nous et se montrait paré de tous les charmes de la plus brillante et de la plus utile végétation.
Les montagnes ou les hautes collines qui l'environnent laissaient apercevoir, sur la lisière des bois dont elles sont revêtues et sur leur penchant, quelques maisons entourées de champs cultivés, et révélaient à la fois le séjour de l'homme et les efforts de son industrieuse activité. En face, nous distinguions, vers l'est, l'entrée de la gorge qui conduit aux Eaux-Bonnes ; à notre droite, vers le sud, nous voyons la côte rapide par laquelle on arrive à Pont-Hourat, et de là aux Eaux-Chaudes, à une lieue de Larruns.
Le maître de l'auberge, M.Joly, mit les soins les plus empressés à nous être utile et à nous procurer des chevaux et un guide, pour nous rendre à ces deux établissements thermaux, qui appelaient, avant tout, notre attention par la célébrité justement méritée dont ils jouissent. Ce fut d'abord vers les Eaux-Bonnes que nous prîmes notre direction. Après avoir traversé le Gave et la plaine de Larruns, nous commençâmes à gravir le chemin montueux, mais assez commode et bien entretenu, que l'on a pratiqué sur les coteaux qui précèdent l'entrée du petit vallon où cet établissement thermal est situé. A mesure que nous nous en approchions, la montée devenait plus douce, et la route, encore plus élargie, se présentait sous la forme d'une belle avenue plantée d'arbres majestueux. Arrivés à l'endroit
où elle tourne brusquement à droite, nous fûmes surpris à la vue d'une quinzaine de maisons qui s'offrirent inopinément à nous : c'était le hameau des Eaux-Bonnes.
Un assez vaste bâtiment placé entre la route et le petit torrent qui coule sur le côté droit du vallon, attira en premier lieu nos regards ; c'est l'hôpital réservé au logement des militaires qui viennent faire usage des eaux thermales : on l'appelle la Maison du Gouvernement. Les autres maisons destinées aux étrangers qui s'y rendent dans la saison des bains sont généralement adossées aux rocs que l'on a fait sauter pour avoir l'emplacement
nécessaire à leur construction. Placé au fond d'une gorge semi-circulaire, dominé et en quelque sorte enveloppé par la montagne de Lacoume, qui sert de base au pic du Gers, ce lieu inspire une sorte de mélancolie, non ce sentiment triste et pénible qui pèse sur l’âme affaissée, mais cette mélancolie douce, à laquelle on aime à s'abandonner ; charme délicieux pour l'être sensible qui, fatigué des plaisirs bruyants de nos villes et de la gêne du grand monde, sent le besoin du repos, et le cherche dans une paisible solitude.
Peu de moments nous suffirent pour visiter ces deux établissements voisins l'un de l'autre, où sont réunies les baignoires en marbre que deux sources seules alimentent. Les appartements sont d'une grande propreté, et l'on travaille sans cesse à les rendre plus agréables et plus commodes. L'eau de la source, dite la vieille ; et dont la température ne s'élève jamais au-delà de 27 degrés de Réaumur, est claire, limpide, et ne laisse au palais aucune âcreté. L'odeur de soufre qu'elle exhale n'est pas désagréable au point d'incommoder ou d'inspirer le dégoût. D'ailleurs son efficacité, surtout dans la phtisie, les maladies nerveuses et celles de la peau, compense assez ce léger inconvénient, commun à toutes les sources thermales de même nature, si abondamment répandues dans les Pyrénées. On voyait, il n'y a pas long-temps, aux environs des Eaux-Bonnes, une troisième source appelée la fontaine d'Ourteigh. Isolée et un peu éloignée du hameau ; cette source ne pouvait être surveillée et dirigée, avec assez de soins pour empêcher qu'on y allât furtivement puiser de l'eau. Ainsi le revenu de la fontaine dite la vieille en était diminué d'autant ; et comme l'une et l'autre source appartenaient à la commune d'Aas, elle n'a pas hésité à faire combler celle d'Ourteigh, qui lui était plus onéreuse que profitable.
Les malades qui se rendent aux Eaux-Bonnes y trouvent ces agréments doux et simples qui donnent tant d'énergie aux moyens employés pour le rétablissement de la santé. Des buts de promenade proportionnés à leurs forces, conformes et analogues à leurs goûts, leur offrent, avec un exercice salutaire, mille sujets d'une agréable distraction. La Butte d'Or, et le mamelon isolé, nommé le Trésor, qui domine le hameau vers la gauche du tableau, sont le rendez-vous ordinaire des promeneurs et des amateurs de belles perspectives. On se rend aussi à la belle cascade que forme, au-dessous du hameau, un petit torrent qui se précipite d'un rocher, escarpé dans un gouffre profond, d'où il rejaillit en une belle gerbe d'écume à une hauteur considérable. L'air qu'on respire au bas de cette cascade est extrêmement vif et presque glacial : nous devons en prévenir les voyageurs, pour lesquels il deviendrait fort dangereux ; si, échauffés par la fatigue d'une marche pressée, ils allaient imprudemment s'exposer tout-à-coup à son influence. Lorsqu'on veut sans risque jouir de la vue d'un lieu si romantique, il faut se reposer un peu avant que d'y descendre ; on y est d'ailleurs invité par le chemin qui vous y conduit ; bordé de hêtres magnifiques, il vous offre sous leur épais feuillage des sièges nombreux et commodes, formés par des roches horizontales, et où, à toute heure du jour, on est à l'abri des rayons du soleil.
Nous donnons ici les conseils de l'expérience : à notre première visite faute de cette précaution, il nous fallut bientôt remonter au-dessus de la cascade et rétablir par un prompt exercice la transpiration que la froide atmosphère de ce gouffre avait supprimée ; alors seulement, descendu de nouveau sur les bords du petit lac formé par les eaux du torrent, à peu de distance de cette cascade, je pus sans danger en dessiner la vue imposante et majestueuse.
Dans la haute région, des environs, de Bonnes, on trouve à chaque pas, et presque à la surface du
sol, des échantillons des diverses substances qu'ailleurs les montagnes recèlent à une assez grande, profondeur. Ici la nature, dépouillée de ses plus beaux ornements, se présente déjà dans ce désordre, qui facilite les observations du géognoste. Si en portant son attention sur les matières argileuses, il ne peut encore éclaircir le mystère de leur formation, les montagnes et les substances calcaires, par les corps marins qu'elles renferment, ne lui laisseront aucun doute sur leur origine. Le granit, qui forme la masse ou le noyau principal des montagnes de ce canton, s'y montre dégagé de la croûte extérieure sous laquelle il fut enseveli. On en observe facilement les parties constituantes ; on remarque les changements qu'il a subis par la révolution des siècles, et, s'il ne laisse pas deviner l'énigme de sa formation primitive, du moins il présente un sujet bien attachant de profondes méditations. Le peu de riches des filons métalliques que l'on rencontre à une très grande proximité du hameau ne tentera pas, il est vrai, les spéculateurs ; mais il doit attirer le minéralogiste laborieux et désintéressé, qui y trouvera une suffisante récompense de ses heureux travaux.
A l'est des Eaux-Bonnes, et un quart de lieue seulement de distance, on découvre la mine de fer brune, chargée de petites protubérance chatoyantes, et, tout auprès, de la mine de plomb à petites facettes ; vers le sud, c'est encore de la mine de fer contenant des pyrites ; lorsqu'on étend plus loin ses courses, et qu'on se dirige vers le quartier appelé Sourince, on trouve la mine de plomb exploitée autrefois, et que l'on fut obligé d'abandonner ensuite à cause des neiges qui recouvrent cette région pendant neuf mois de l'année. Le quartier de la montagne d'Aas, nommé Béterète, renferme aussi de la mine de plomb à facettes, de la même
substance, mais composée de petits cubes, et enfin du fer rougeâtre et solide. La partie de cette montagne
appelée le quartier d'Arre possède du zinc et de la mine de fer avec des pyrites jaunes.*
Les étrangers que la curiosité seule amène dans cet établissement thermal, et les malades eux-mêmes, lorsque les forces le leur permettent, ne manquent jamais de faire deux excursions qui, malgré la fatigue dont elles sont accompagnées, inspirent toujours le plus vif intérêt, tant par les objets curieux que par les aspects imposants qu'elles offrent à leur admiration. La première est le trajet des Eaux-Bonnes aux Eaux-Chaudes par les montagnes dites Balour et Gourzi ; on le fait partie à pied et partie à cheval, en deux bonnes heures de marche. Le sentier assez difficile que l'on parcourt pourrait être rendu moins dangereux et moins fatigant ; il suffirait de lui donner plus de sinuosité dans les endroits escarpés et rapides qu'il traverse ; mais, dans tous les cas, ce ne serait jamais le chemin le plus court pour communiquer de l'un à l'autre hameau. Celui de l'embranchement projeté sur la rive droite du Gave de Gabas, depuis le pont Crabé jusqu'au pont de l'Auguerre, présenterait une
communication plus directe et par conséquent plus courte que toute autre, sans en excepter même celle de la vallée de Larruns et du Pont-Hourat.
La seconde excursion, encore plus considérable et plus pénible, est celle que l'on entreprend, pour se rendre des Eaux-Bonnes dans la vallée d’Argelès, département des Hautes-Pyrénées. La route que l'on suit dans ce long et difficile trajet passe d'abord par la promenade qui conduit aux prairies d'Isco : de là, après trois heures de marche ; on arrive au Col de Tortes, par lequel on communique de la vallée d'Ossau à celle d'Azun. On descend ensuite vers le Village de Marsous ; puis en traversant, entre Marsous et Acun, le Gave qui descend d'Arreins, on va aboutir à Bun et à Argelèz. Ayant fait cette excursion en sens contraire, et lors de notre visite à Notre-Dame-de, Pouhey-la-Hum ou la Huc, nous en parlerons dans le texte qui accompagnera la planche représentant ce lieu de dévotion et de pèlerinage.
Sources
- MM, Melling et J.A Cervini de Macérata, Voyage Pittoresque dans les pyrénées françaises, Treuttel et Wurtz, Libraire, 1826-1830
- Dessins, M.Melling
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