La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LE SABRE ET LE GOUPILLON


   Dans ce paisible village niché au fond de la vallée, un incident au combien insignifiant a démesurément enflé pour enflammer tous ses habitants. Hommes, femmes, enfants, ont pris part à ce démêlé qui opposa les deux personnalités les plus respectables et les plus respectées.

   Durant des années, ces deux représentants de l'éducation primaire pour l'un et de l'éducation religieuse pour l'autre, ont cohabité côte à côte sans engendrer le moindre incident désagréable. Monsieur l'instituteur porteur du savoir diffusait avec rectitude les connaissances élémentaires à toute une génération d'enfants. De son côté, Monsieur le curé en ecclésiastique fidèle à son sacerdoce, apportait la parole divine assortie d'une morale chrétienne porteuse de respect mutuel, de soumission à dieu, de générosité, d'humilité, d'obéissance, etc...Chacun d'eux était indispensable au bon vivre du village. Tout était pour le mieux dans le meilleur du monde.

   La commune se chargeait de loger ses deux serviteurs dans une grande bâtisse à proximité de l'église. La maison conditionnée en deux parties égales abritait d'un côté le presbytère, de l'autre l'école et le logement de l'instituteur sur trois niveaux. Ainsi, au presbytère monsieur le curé disposait du rez-de-chaussée pour recevoir ses fidèles, des deux étages pour son logement et du grenier.
    Côté école le rez de chaussée servait de préau, une salle de classe pour les petits et une autre pour les grands occupaient le premier étage, l'instituteur et sa famille logeaient au deuxième avec le grenier pour leur rangement.
   Chacun était chez soi et s'en contentait, d'autant plus que ces logements communaux étaient loués gratuitement, jusqu'au jour où la famille de l'instituteur vint à s'agrandir. La situation étant celle-ci : d'un côté monsieur le curé disposait de deux étages de logement, de l'autre la famille de l'instituteur vivait sur un espace réduit de moitié par rapport à son voisin.!
   N'oublions pas qu'à cette époque les rapports partout entre les ecclésiastiques et les enseignants étaient tendus.
C'est bien connu on assistait à un conflit larvé du sabre et du goupillon. Le village ne faisait pas exception malheureusement. Chacun des deux voisins entretenait un climat «nuageux» entre-eux.
   Pressé par la nécessité de loger sa famille qui allait s'agrandir prochainement, l'instituteur s'adressa à monsieur le maire. C'est ainsi qu'intervint le troisième personnage qui allait jouer un rôle déterminant. Monsieur le maire était un jeune homme compétant efficace et réfléchi à la fois. Il prit l'initiative de répondre lui seul à cette requête bien mineure.
   Il estima normal que l'instituteur veuille disposer d'un logement plus grand. Malheureusement la commune ne disposait que de cet immeuble. Il fallait à ses yeux se résoudre à prendre à Pierre ce qui manquait à Paul. Il n'y avait pas d'autre solution. Il alla donc demander à monsieur le curé de bien vouloir accepter de céder une pièce adjacente à son voisin au deuxième étage. C'était le bon sens. Qui plus est, demander ce sacrifice à un homme de foi n'allait poser aucun problème. Après tout s'était faire acte de charité que d'aider son prochain. Cette pièce, il pouvait bien s'en passer aisément. Ce geste généreux était tout à son honneur.
   Monsieur le curé ne l'envisageait pas de la même manière. Même si le presbytère n'est pas un lieu consacré, seuls les gens d'église peuvent y habiter. En conséquence, l'obliger à cohabiter avec un étranger, à plus forte raison avec un hussard noir et sa famille de mécréants devenait irrecevable..
   La réponse fut cinglante. Ce fut NON..
  Monsieur le maire fort dépité, décida d'informer son conseil municipal. A l'unanimité, il fut arrêté que monsieur le maire donnerait un délai à l'ecclésiastique récalcitrant pour qu'il accède à la demande du conseil sous quinze jours. Le délai écoulé ne suffit pas à changer l'attitude du prêtre. Il fut averti que la manière forte allait être employée en cas de dernier refus. Rien n'y fit, l'homme quoique âgé en avait enduré d'autres, lui qui s'était distingué durant la guerre meurtrière de 14-18. Enfin, il ne pouvait tout de même pas croire que des gens sensés iraient jusqu'à l'expulsion.
   Pénétrer de force dans un presbytère serait une profanation. Le curé est à l'abri de toute invasion dans son presbytère. Autant dire dans l'ambassade du bon dieu. Il campa sur ses positions. La réponse fut NON.
   Monsieur le maire et son conseil mis au pied du mur décidèrent de mettre leur menace à exécution. Accompagnés par la gendarmerie du chef-lieu du canton, ils se présentèrent devant le presbytère.
   Une partie se pressa devant l'établissement pour faire obstacle à l'expulsion de cet homme respectable. C'est alors qu'apparut à la fenêtre l'ancien poilu qui arborait sa légion d'honneur. Immédiatement l'adjudant et ses quatre gendarmes se mirent au garde-à-vous et saluèrent. Sans attendre, ils se replièrent en silence renonçant à poursuivre leur mission.
   Tout le monde rentra chez-soi. L'attitude de monsieur le curé heurta le conseil municipal. Que faire ? Abandonner la partie serait trahir cette pauvre famille. C'était surement un acte de trahison. Réflexion faite, on opta pour l'affrontement. On allait intervenir à nouveau avec plus de fermeté. Après tout, la faute en revenait à cet homme entêté. On fit appel à nouveau à la gendarmerie aidée dans l'intervention par deux personnes du village munies d'une lance à incendie. Monsieur le curé prévenu, fit sonner le tocsin. La population s'agglutina aux abords de l'église et du presbytère. L'affaire divisant le prêtre et l'instituteur fut portée à son comble.
    Une partie de la foule se tenait à l'écart derrière les « envahisseurs », l'autre partie s'interposa entre les gendarmes et l'accès à l'immeuble. Une douzaine de dévotes se couchèrent à terre pour barrer la rue, signifiant ainsi : « avant de violer ces lieux il faudra nous passer sur le corps ». La scène de guerre était bien plantée. Ordre fut donné par monsieur le maire à l'adjudant d'accomplir sa mission sans état d'âme.
   Dès le premier jet d'eau toutes ces dames patronnesses se levèrent vaincues par le ridicule de leur situation. La foule qui constituait le second barrage s'écarta. On ne revit pas le principal concerné apparaître à sa fenêtre. Il avait compris que l'heure était à.
   Vaincu à son tour, il fut conduit dans une famille qui l'accueillit pour le temps nécessaire à l'accomplissement des travaux.
   Cette attente fut interrompue par l'évêque qui mit fin à une situation dégradante pour l'église. Le prêtre ébranlé malgré tout, fut conduit dans un couvent. Il finit là ses vieux jours dans la paix du seigneur. L'instituteur et sa famille, satisfaits, allaient pouvoir attendre avec sérénité l'heureux événement. En fait ce ne fut pas terminé pour autant.
   Les dévotes confondant religion et sorcellerie, jetèrent un sort sur la famille. A partir de là des déboires se sont abattus sur ces pauvres malheureux.
   Tout d'abord leur chat fut dévoré par le chien de la servante du curé. Lors d'une partie de pêche l'enseignant trébucha, emporté par le courant il ne dut son salut qu'à un tronc d'arbre coincé dans les rochers. Quelques mois après, la seconde guerre mondiale fut déclarée. Le maître fut blessé aux jambes sur le front du nord. Rapatrié aussitôt, il fut soigné chez-lui. Il allait pouvoir enfin jouir de vacances méritées mais la fin de l'été fut bien plus arrosée que d'habitude. Le mauvais temps et ses blessures se rajoutant, il resta pour ainsi dire cloué dans la chambre objet du funeste litige.
   Enfin , arriva la délivrance tant attendue, avec le terme de la grossesse de madame l'institutrice. Quelle surprise et quelle joie lorsque des triplés s'invitèrent à la naissance. Trois beaux bébés, une fille et deux bambins vinrent s'ajouter à la famille. Finalement, la conquête de la chambre nouvelle s'avéra indispensable.
   Personne n'y trouva à redire. La volonté de dieu venait de s'affirmer aux yeux de tous. Tout le village fêta l'évènement exceptionnel. Le conseil convia toute la population lors du baptême célébré par le nouveau prêtre. Pas un seul paroissien ne fit défaut, faisant ainsi acte de contrition. La réconciliation s'imposa elle devint définitive. La discorde malheureuse s'enlisa dans l'oubli. En mars suivant pour les élections municipales tous les conseillers sortants obtinrent leur renouvellement.
   Depuis ce temps, le village vécut dans l'entente cordiale jusqu'au moment où il a été question d'un remembrement des terres qui toucha une bonne moitié des habitants..
   Les discussions reprirent de plus belle. On se chamailla. L'ambiance trop paisible était devenue trop pesante. On allait enfin reprendre les hostilités coutumières qui donnent du sel à la vie.
   Vingt-cinq ans après la naissance des trois jumeaux leur destin était tout tracé. L'un d'eux diplômé de l'université entama une carrière d'enseignant. Son frère, rattrapé par la foi, alla suivre une formation à l'institut catholique de Paris. Leur sœur devint la plus jeune mairesse de France. Le démon de la politique l'a conquise.

   Aujourd'hui et toujours à la même époque de l'année, un inspecteur d'académie, un évêque et une sénatrice, viennent au village pour célébrer on ne sait quel pèlerinage auquel ils ne sauraient déroger. A leur départ, ils offrent à l'école et à l'église un don d'amitié. La synthèse heureuse de cette histoire oubliée est parvenue à son épilogue.

   PS: avant de quitter le village monsieur le curé convoqua ses paroissiennes qui l'ont protégé. IL les remercia. Il leur prêcha l'abstinence le plus longtemps possible afin de sanctionner leurs maris pour leur manque manifeste de soutien
   Il leur dit : Tant qui noû prut l'embéje coum si abet saou, noû calera pas jougà.
         Langue au chat : D'où provient cette anecdote aussi romancée ?

   Sources

  • Texte Pierre BOY
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