La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




LES MILLE ET UN PICS


LE PIC DE MIDI D'OSSAU


ous avons reçu de ce pic honorablement connu cette lettre, que nous nous faisons un devoir d'insérer sans commentaire.

     « Vous avez insinué que les montagnes ne parlent pas, tout en vous amusant à prêter à je ne, sais quel Néouvielle des propos dont la fantaisie est évidente et qui en tout cas, apportent une contradiction certaine à votre audacieuse affirmation.
     Ne dites donc pas que nous ne parlons point, mais avouez tout simplement que vous n'entendez pas notre langage. Il y a une nuance.
     Vous avez donc prêté abusivement des propos d'abdication et de renoncement au Néouvielle en question, avec la petite roublardise de lui offrir tout de même un turban de sultan de carnaval.
    Or, sachez-le, Monsieur : un prince des nuées n'abdique jamais.
    Roi je fus, Roi je suis, Roi je demeure... et demeurerai toujours, quant à moi.
    Vos pères, qui n'étaient pas si bêtes, étaient bien sûrs que j'étais le souverain de nos montagnes. C'est d'ailleurs pourquoi le premier qui osa se risquer sur mon épaule fut un envoyé du roi de Navarre, Henry d'Albret. Il se nommait, m'a-t-on dit, François Monsieur de Foix-Candale. Nous pouvions donc cousiner.

    C'était, parait-il, un savant. Mais un savant poli. Il ne se fût jamais avisé de rechercher, avec ses instruments, si l'or de ma couronne était de bon aloi ou non.
    D'autres sont venus plus tard. Des faquins. Croiriez-vous qu'ils se sont mis dans la tête de prendre mes mesures — de loin, et ils ont bien fait, car je leur aurais lancé quelques quartiers de mon porphyre pour leur apprendre à être respectueux — et qu'ils ont eu ensuite l'audace de prétendre que je n'étais pas l'un des quatre Grands, alors que j'étais l'Unique.
    Oui, Monsieur, l'Unique.
    Voilà ce que ces gens de prétendue science, avec leurs instruments ridicules et leur cerveau rétréci, ils n'ont pas compris.
    Ils parlaient mètres, mais ils ignoraient ce que c'est qu'un Maître.

    Est-ce que chaque jour, depuis un milliard d'années, et même maintenant, que votre Monsieur Top s'épuise à vouloir fixer une heure incertaine, le Soleil ne se pose pas exactement à midi sur mon sceptre ? N'est-ce pas le signe le plus sûr de ma toute puissance ?
    « On m'appelle Jean-Pierre et ce serait « un nom de berger ? ». Et après ? Les pâtres n'ont-ils pas été les premiers chefs ? Pourquoi donc les vicomtes de Béarn auraient-ils porté dans leurs armes deux vaches s'ils n'avaient eu pour ancêtres des pasteurs ?
        « Jean-Pierre, je veux bien, mais Jean-Pierre I er...
    Et dernier. Parce que je suis bien persuadé que jamais plus votre terre fatigué n'aura la force d'accoucher d'un prétendant assez fort pour me supplanter, ni seulement d'un dauphin apte à me succéder.
    Tenez, ces journaux que vos semblables oublient parfois aux plis de mon manteau ou aux joints de ma cuirasse, ils me feraient rire si je ne craignais de faire craquer la colonne vertébrale du monde. Ils parlent de démocratie, d'égalité, de plafond, que sais-je encore ? Ah ! oui : la nuit du 4 août ? Mais je m'en souviens parfaitement : le crépuscule avait procédé à mon coucher avec le cérémonial habituel, je m'endormis sous un baldaquin d'étoiles, et, au petit matin, l'aube me tendit de bonne grâce la tunique violette qui convient seule à ma dignité souveraine. Il en est toujours ainsi : invariablement.
    Mes privilèges ne sont pas de ceux qui ne durent pas plus que le parchemin si apprécié des rats et des vers. Et si quelqu'un était assez téméraire pour tenter de me les contester, s'appelât-il Cervin ou Annapurna, alors, du sein fulgurant des orages autour de moi rassemblés, je lui prouverai que si je suis prince c'est par la grâce de Dieu.

Votre affectionné,
JEAN-PIERRE.

   Sources

  • A. NORA Pyrénénes revue trimestrielle, 1954
j y
Contact
1