uand on a lu le récit de l'excursion faite au Pic du midi par M. de Candale on ne s'étonne point de ne connaître qu'un très-petit nombre de curieux qui aient, eu le courage de monter sur cette haute, pyramide, parmi lesquels on distingue M. le baron,
Armand d'Angosse et M. Daugerot, de Nay, qui furent des premiers à parvenir jusqu'à la cime.
Cette montagne mérite d'autant plus une description particulière, qu'étant placée vis à-vis le château royal où naquit le Grand Henri, elle forme la partie la plus étonnante de son admirable point de vue j'espère qu'on ne sera point fâché de trouver ici l'extrait d'un voyage que j'eus le plaisir d'y faire avec
M. le baron de Laussat. Comme la case de Broussette, dont le Pic du Midi se montre au N.O, est la station la plus commode pour y gravir, nous nous rendimes le 11 juillets 1801 dans cette hôtellerie où nous passames la nuit et en repartimes le lendemain à 4 heures du matin.
Nous montames d’abord sur une haute montagne, couverte d’un épais gazon. Favorisés par la fraîcheur
du matin, ravis de la sérénité du ciel qui présageait un beau jour, animés enfin, par une vive curiosité, nous atteignîmes, bientôt, des lieux assez élevés, sans nous apercevoir, pour ainsi dire, de l’extrême rapidité de leur pente. Ayant traversé rapidement un bois de hêtres et de sapins, dont l’ombrage importun dérobait la vue des roches voisines, nous arrivâmes aux bords solitaires d’un médiocre torrent, qui va porter au Gave, non loin de la case de Brousette, le faible tribut de ses eaux.
Nous trouvâmes sur la rive gauche, les premières cabanes et les premiers parcs (ou cujalas) de Pombie : ce terrain engraissé par le séjour que les troupeaux y font, pendant deux mois, offre une grande variété de plantes, qui percent à travers l’abondance des pâturages : on y distingue le Panicaut dont la tête est ornée de la couleur éclatante de l’améthyste ; le Bec-de-Grue des Pyrénées, qui porte des fleurs d’un pourpre violet et la pâle violette de montagne à fleurs blanchâtres.
L’observateur s'éloigne à regret de ces charmans (sic) et riches tapis de verdure, ornés de fleurs, surtout quand il découvre les ; épouvantables ruines que le temps a détaché du Pic du Midi. C’est à travers des blocs énormes, de granit, entassés les uns sur les autres, dans la plus, grande confusion et dont quelques-uns ont plus de quinze pieds de diamètre ; c'est, en suivant le tortueux labyrinthe de l’étroit espace qu’ils laissent entr’eux, ou bien en franchissant l'intervalle qui les sépare les uns des autres, qu’on approche de cet antique mont. La couleur sombre des rochers dont il est composé, les affreux débris qui, de toutes parts, en défendent l’abord, montrent partout sa vétusté, présagent sa destruction entière. O chimère de l’orgueil ! l’homme s’étonne d’être mortel et les ouvrages les plus solides de la nature, s’écroûlent et disparaissent !
Non loin de cet horrible lieu, qui présente la fidèle image du chaos, s’élève la masse entière du Pic du Midi, noirci par le temps et partout accompagné de marques certaines de son extrême décrépitude, aspect hideux, qui n’inspire que la tristesse ; la nature se montre tellement avare de toutes les productions propres à soulager la vue, quelle offre le Pic du Midi entièrement stérile et nu, depuis sa base jusqu’au sommet : il semble que M. Delille ait eu l’intention d’en présenter l’affreux tableau, dans les vers suivans : (sic)
-
Voyez-vous ce Mont chauve, dépouillé de terre,
A qui fait l’Aquilon une éternelle guerre ;
L’Olympe pluvieux, de son front escarpé ;
Détachant le limon, par les eaux détrempé,
L’emporta dans les champs et de sa cime nue,
Laissa les noirs sommets, se perdre dans la nuit.
L’œil s’afflige à l’aspect de ces rochers hideus.
Après avoir erré quelque temps dans cette sauvage avenue du Pic du Midi, on arrive au pied d’une montagne couverte d’un gazon, où brillent les fleurs du serpolet variées de blanc et de pourpre, et qui répandent un agréable parfum. Cette montagne d’ardoise argileuse doit être regardée comme le principal, ou plutôt l'unique échelon du Pic du Midi ; elle porte le nom de Col-Suson, sa crête est herbeuse et fleurie.
Bientôt après, nous atteignimes la masse granitique dont nous étions très-voisins ; tout attriste ici la vue et rien ne la soulage que l’agréable aspect des fleurs rouges des rhododendrons, charmant arbrisseau qu’on regrette de voir rélégué dans une région hérissée de rochers qui semblent lui communiquer la couleur sombre et ferrugineuse, que prend la moitié de chacune de ses feuilles.
Nous fumes obligés, à notre grand regret, de borner ici notre voyage : comme certaines parties de la roche se trouvaient encore couvertes de quelques tas de neige, sur lesquels il était difficile de marcher, à cause de la grande rapidité de la montagne,
nous dûmes renoncer, pour cette fois, au projet que nous avions formé d’essayer de gravir jusqu' à la cime du pic.
Pendant que je m’occupais à faire des notes dans l’endroit qu’il n’avait pas été possible d’outre passer, M. de Laussat gravit sur quelques rochers environnans (sic) où nous crumes devoir nous arrêter, il eut la satisfaction de découvrir une infinité d’objets nouveaux qui, quoique lointains, lui firent regretter plus vivement encore, de ne pas atteindre la cime du Pic du Midi. Les difficultés qu’il trouva pour descendre, me consolèrent de ne pas l'avoir suivi.
Pour moi, tranquillement assis sur l’aride rocher, tachant de recueillir dans le calme et le silence, les faits qui pouvaient avoir échappé à mon attention, je plongeais la vue dans une vaste enceinte qui s’ouvrait à mes pieds, et frappé de la prodigieuse quantité de blocs de granit qu’elle renferme et de leur grosseur, je croyais y voir les terribles effets d’une
crise épouvantable de la nature ; ces amas de décombres me paraissaient les anciens matériaux d’une montagne entière, agitée par les plus violentes secousses, ébranlée jusques dans ses fondemens et dissoute en une infinité de morceaux horriblement fracassés dans leur chute. (sic)
Les blocs de granit proviennent des éboulemens (sic) qui, chaque jour, ont lieu dans les montagnes primitives, que le temps semble attaquer avec plus de fureur que toutes les autres.
- Voyez, au haut des Monts, ces immenses rochers
Qui de loin sur la mer, dirigent les rochers ;
Ces masses de granit, qu'un si long âge enfante,
De ce globe changeant, si robuste charpente,
De la commune loi, ne se défendent pas ;
L’Eté les met en poudre et l’Hiver en éclats. DELILLE.
On trouve les débris du Pic du Midi dans toute l'étendue de la vallée d’Ossau et même dans les plaines. Ils ont été transportés, quand la pente du terrain était plus rapide, le volume des eaux plus considérable et leur cours plus impétueux ; mais semblables aux ruines des antiques monumens (sic) d'architecture, la masse énorme du Pic du Midi conserve encore, malgré cette dégradation extrême, un caractère imposant de grandeur et de majesté.
Exposés à l’ardeur d’un soleil brûlant, dans un lieu découvert, où l'on ne trouve ni l’abri d’un rocher, ni l’ombrage d’un seul arbre ; mourant de soif, sans appercevoir la moindre source, réduits enfin à mettre de la neige dans la bouche pour en boire l’eau glaciale ; nous ne restâmes qu'environ une demi heure dans cette station incommode, quoique ravissante pour ceux qui recherchent, avec ardeur, à pénétrer les secrets de la nature ; nous longeâmes, du nord au sud, le Pic du Midi à travers les débris que les siècles en ont détachés et dont quelques-uns présentaient une cassure assez fraîche, pour nous autoriser à croire qu’il s’était formé naguère des éboulemens. (sic) Nous pénétrâmes, quoique avec beaucoup de peine, au milieu de cet effroyable désordre.
Nous commençâmes à ressentir, dans cet horrible lieu, la fatigue que devait naturellement causer une
marche pénible, durant environ six heures ; nous étions en outre extrêmement incommodés de la chaleur que la réverbération des roches rendait encore plus insupportable ; nos forces semblaient diminuer à mesure qu’elles devenaient plus nécessaires ; car il
se présenta plus de difficultés pour traverser ces blocs entassés, qu’il ne s’en était offert partout ailleurs ; nul sentier, nulle trace ne dirigeait nos pas chancellans. (sic) Il fallut continuellement monter audessus des rochers isolés, ayant plusieurs pieds de diamètre, ou bien en descendre et se courber profondément, pour chercher, malgré leur ténébreuse horreur, des issues, au-dessous de ceux qu’une situation bisarre montre suspendus sur d’autres blocs.
Malheur à l'observateur surpris par d’épais brouillards au milieu de ce chaos ! Maintes fois nous fûmes obligés de franchir, en sautant, l’espace qui sépare ces rochers les uns des autres ; jamais exercice ne m’a paru plus ennuyeux et plus fatiguant : ces obstacles étaient pareils à ceux que Toumefort avait trouvé sur le mont Ararat ; « pour éviter, dit-il, les sables qui nous fatiguaient horriblement, nous tirâmes droit vers de grands rochers entassés, comme si l’on avait mis Ossa sur Pelion, pour parler le langage d’Ovide. On passe au-dessous, comme au travers des cavernes. » Voyages au Levant.
Nous n’aurions pas été surpris, en parcourant ces routes inconnues et secrètes, de rencontrer quelque
bête féroce cachée dans ces repaires obscurs ; mais tout semble fuir cette terre déserte et désolée : en vain nous cherchions autour de nous quelqu’être animé, rien ne paraissait ; aucun oiseau de rapine même ne se montrait ni sur l’aride rocher, ni planant dans les airs ; le succès de notre recherche se réduisit à la seule découverte d’un petit nombre de craves ou coracias à bec rouge, ayant les pieds de la même couleur ; leurs cris fréquens et rauques nous les firent apercevoir vers la cime du Pic du Midi, bien digne, assurément, d’être le refuge de ces oiseaux qui, comme on ne l’ignore pas, se plaisent sur les édifices anciens et dégradés dont ce Mont antique et décharné offre en quelque sorte la triste image.(sic)
Après avoir erré quelque temps au milieu de cet effroyable désordre, excédés de fatigue, trouvant la chaleur d’autant plus étouffante, qu’elle se concentrait dans cette triste enceinte, nous avions besoin de prendre un peu de relâche et de nous rafraîchir. Nos regards attentifs, fixés sur le terrain pierreux et bouleversé que nous parcourions, sondait continuellement la profondeur des vides ténébreux, formés par l’amas confus et désordonné des rochers, dans l'objet de découvrir un peu d’eau pure et fraîche : mais nulle source ne jaillit du sein de ces arides débris, et c’est en vain que nous espérions de la voir sortir de la masse escarpée du Pic du Midi, qui n’offre de ce coté que des roches nues : aucune fontaine, aucun ruisseau ne l’arrosent et jamais on voit éclore des fleurs. La pente rapide de cette montagne ne souffre point que les neiges, source principale des torrens, résident long-temps à sa surface. (sic)
Au reste, la partie par où l’on monte sur cette montagne, n’est pas aussi dépourvue de plantes que le revers méridional ; ou en trouve un assez grand nombre éparses à la surface des rochers : ici, brillent les fleurs rouges du carnillet moussier, prenant naissance au sein d’un épais gazon, qui présente l’agréable aspect d’une mousse verte et molle : là,
s’élèvent des tiges de potentille blanche, étalant leurs tendres rameaux : plus loin, croissent la raiponce hémisphérique et le chrisanthème des Alpes, dont le disque jaune est entouré d’une couronne blanche ou purpurine, qui contraste avec la couleur sombre des granits, roche sur laquelle cette plante se plaît, dit-on, uniquement : au-delà, fleurissent la vergerette et le trèfle des Alpes ; on trouve, en outre, la saxifrage trydactile sur le raide penchant de ce Mont primitif.
Malheureux dans nos recherches, impatiens de sortir de ce vaste réceptacle de ruines, qui doit nous faire présumer que le Pic du Midi était primitivement beaucoup plus élevé qu'il ne l’est de nos jours, nous redoublâmes d’efforts et de vitesse pour approcher d’un lieu qui, blanchissant de neige, promettait du moins de l’eau fraîche : nous parvînmes bientôt au bord d’un clair ruisseau, qui, prenant naissance sous les voûtes profondes de cet amas de neiges, nous offrit une eau limpide, dont nous bûmes néanmoins avec ménagement, et la fraîcheur de cette obscure et singulière caverne, où nous prîmes un peu de repos, servit à ranimer, en outre, nos forces affaiblies. (sic)
L’eau qui découle de la grotte de neige, dans laquelle nous trouvâmes l’ombre et le frais et celle qui sort de plusieurs autres amas pareils, que nous fûmes obligés de traverser, non sans crainte de les voir s’effondrer sons nos pas, forment au pied du Pic, un petit lac d'un aspect verdâtre, qui ne produit aucune espèce de poisson : l'onde coule ensuite avec le plus doux murmure, sur un lit bordé d’un verd gazon, où l'œil aime à la suivre dans ces obliques et nombreux détours. (sic)
Lorsque nous eûmes quitté les bords du petit lac, nous continuâmes de diriger nos pas vers le sud en laissant, sans regret derrière nous, le Pic du Midi et l’enceinte qui recèle ses affreuses ruines, où l'observaleur risque à tout moment d'être écrasé par la chûte fréquente de blocs, qui tombent du haut de cette énorme et hideuse roche ; nous gagnâmes le penchant septentrional d’une montagne, ornée d’un gazon épais et qui nous séparait des riches pâturages d'Anèou, et malgré l'extrème roideur de sa pente, nous la descendimes du coté du midi, luttant sans cesse contre les obstacles qui se présentaient à chaque pas. (sic)
Nous respirions après un instant de repos ; mais comment pouvoir s’y livrer sous un ciel embrasé, dans un lieu totalement découvert, où nulle retraite n’offrait l’ombre et le frais. Le bouleau à blanche écorce, qui se plait à des élévations du terrain, où les autres espèces d’arbres ne croissent pas, et dans lesquelles la végétation est prête d’expirer, refusait même à nos vœux son mobile feuillage : tous nos efforts tendaient à nous éloigner de cette montagne hérissée de cailloux tranchans et couverte, en partie, d’un perfide et glissant gazon. (sic)
L’usage de nos mains nous fut d’un très-grand secours ; elles cherchaient continuellement à saisir, tantôt les gramens sur lesquels il était d’autant plus difficile de marcher, que le soleil les avait entièrement desséchés ; tantôt les tiges rameuses et longues de labousier-busserole dont les baies sont d’un beau rouge dans leur maturité ; quelquefois elles s’accrochaient aux tiges également rameuses de la reglisse ; un assez grand nombre de petits oiseaux, voltigeant avec confiance autour de nous, semblaient, par leurs tristes accens, prendre part à nos souffrances ; ils sont connus sous le nom de Fauvette des Alpes. Fatigués et hors d’ haleine, nous arrivâmes enfin au pied de la montagne, et bientôt après à la case de Brousette où nous avions laissé nos chevaux, dont nous ne tardâmes pas à profiter. (sic)
On peut bien croire que les premiers momens de notre arrivée furent employés à réparer nos forces épuisées ; mais dans un assez court espace de temps, nos corps affaiblis et langissants se ressentirent beaucoup moins d’une marche à pied, aussi pénible que
rapide, et qui avait duré neuf heures. D’ailleurs la vive satisfaction que nous éprouvions de l’avoir faite, sans être contrariés par les brouillards qui souvent obscurcissent ces montagnes, semblait nous rendre insensiblement notre ordinaire agilité. (sic)
Cette disposition heureuse autant qu’imprévue, nous fit prendre la résolution de monter à cheval et de nous retirer. Nous étions déjà, dès une heure et demie, sur la route des Eaux-Chaudes, que nous trouvâmes couverte de nombreux et différens troupeaux qui montaient vers les lieux d'où nous descendions et dont ils allaient animer les affreuses solitudes. (sic)
Comme il est expressément défendu par divers réglemens aux pasteurs, de les y faire pâturer avant le douze juillet, et que l’on s’empresse de commencer à profiter ce jour là de ces herbages, la réunion d’une aussi grande quantité de bergers, de bestiaux
suivis ou précédés de bêtes de somme chargées de vivres et d’ustensiles, offrait le spectacle non moins intéressant que singulier, d’un peuple nomade. Les embarras occasionnés par la rencontre de cette espèce de migration, sur une route bordée de précipices, retardèrent un peu notre marche ; nous arrivâmes néanmoins à sept heures, au bourg de Laruns, où je me séparai de M. de Laussat, qui fit à pied, une lieue, pour aller joindre aux Eaux-Bonnes Madame son épouse, digne par ses agrémens et ses qualités personnelles, d’être l’objet de ce vif empressement. (sic)
Sources
- M. PALASSOU, Description des voyages de S.A. R. Madame, duchesse d'Angoulême, dans les Pyrénées, Imprimerie de Vignancour Imprimeur du ROI
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