La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.






ASCENSION AU PIC DU MIDI D'OSSAU


PAR S. A. R. LE DUC DE MONTPENSIER hAntoine d’Orléans (1824-1890), duc de Montpensier, est le fils cadet de Louis-Philippe Ier, le dernier roi qui régna en France de 1830 à 1848. Âgé de vingt-deux ans, le prince Antoine épousa l’infante Louise-Ferdinande (1832-1897), fille du roi Ferdinand VII d’Espagne (1784-1833) et de sa quatrième épouse, Marie-Christine de Bourbon. Incroyable destin que celui de ce prince français qui devint infant espagnol et duc de Galliera. Plusieurs fois candidat au trône d’Espagne, en lieu et place de sa belle-sœur, la reine Isabelle II, le duc de Montpensier fut banni de son pays d’adoption après la révolution espagnole de 1868. Le prince rentra définitivement en Espagne en 1875, un an après l’avènement de son neveu, le roi Alphonse XII.
   Le duc de Montpensier décéda dans sa soixante-sixième année au terme d’une existence riche en rebondissements, laissant un garçon et une fille, dont la descendance lui vaut d’être l’un des grands-pères de l’Europe royale actuelle comme ancêtre des princes d’Orléans-Bourbon espagnols, des princes d’Orléans, d’Orléans-Bragance, d’Autriche-Este, de Bourbon-Siciles, de Savoie-Aoste et de Wurtemberg, mais aussi des rois Juan Carlos Ier et Felipe VI d’Espagne.
  Les Princes d’Orléans-Bourbon sont les descendants espagnols du roi Louis-Philippe 1er grâce au duc de Montpensier et de la reine Victoria d’Angleterre, grâce au prince Alfred de Grande- Bretagne, duc d’Edimbourg.

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 'ascension au Pic du Midi de Pau, est-elle presqu'impraticable, est-elle hérissée de tels dangers, de difficultés si terribles, qu'il soit imprudent de l'entreprendre; ou bien comme l'ont prétendu quelques Touristes fanfarons, de vrais Tranche-Montagnes, n'est-elle qu'une course longue et pénible, qui n'offre pas de périls.
    D'aujourd'hui cette question est résolue pour moi: il ne me reste plus d'incertitude, sur ce sujet. Je l'ai faite et ne la recommencerai plus ; je vais plus loin, si je n'avais eu, pour m'encourager, l'exemple d'un des Fils du Roi, qu'un bon Français n’abandonne jamais, j'aurais à moitié chemin quitté la partie. Oui, je l'avoue, saris cette fausse honte, chez tous mobile puissant, sans ce sentiment qui me poussait à suivre mon intrépide compagnon, qui gaîment me montrait, me frayait la route, je serais revenu sur mes pas.
    Que mes lecteurs me croient donc, et qu'ils se persuadent bien que cette ascension n'est pas un jeu d'enfant, mais un exercice de géants; en fait d'excursion, c'est un vrai Morceau de Roi.
    Maintenant que vous et moi savons à quoi nous en tenir, laissez-moi vous donner quelques détails sur l'ascension au Pic, que nous avons hier exécutée heureusement, sous la conduite et en compagnie de Mgr le Duc de Montpensier.
    Le 24, à cinq heures du matin, nous quittions Bonnes à cheval ; devant nous, marchaient en éclaireurs cinq guides : trois du pays, Maucor, Pérè, Esterl, deux venus des Hautes-Pyrénées avec le Prince. Au bas de la Côte du Hourat, Bertrand, Medevielle Sanchette, Berger et Fourrier de Laruns demandèrent à S. A. la permission de l'accompagner, et ils se réunirent à leurs confrères de Bonnes.
    Entre l'avant-garde et le corps d'armée, s'avançait superbe dans sa beauté sauvage, Gaston Sacaze, qui monté sur son cheval noir à tous crins, sans étriers, avec un simple filet, ressemblait à un cavalier Numide.
     A côté du Duc de Montpensier se tenaient le Préfet, le général Janin, M. Henri Lacaze et M. Loyson ; puis ensuite nous venions, nous autres baigneurs et touristes, au nombre, de douze.
    S. A. R. voulant faire la tournée complète, avait refusé d'aller à Gabas en voiture, et partis au petit galop de chasse, nous y arrivions en deux heures, sans nous être arrêtés et marchant toujours du même train. Là, vous le savez, nous quittons la grande route, et commençons à nous engager dans la montagne. Il fallut bien alors ralentir l'allure de nos chevaux, et au bout de 3 heures, nous arrivions au pied du Pic, après être passés par Bious-Artigue.
     Lorsque nous eûmes tous mis pied à terre, le Prince nous engagea avec la plus cordiale amabilité, a partager avec lui un morceau sur le pouce. L'air du matin, 5 heures déjà passées à cheval, sans un instant de repos, nous avaient disposés à faire honneur à une cantine bien fournie, que deux, mulets avaient apportée à l'avance : toutefois Gaston, et les guides nous donnèrent le sage conseil de ne faire que nous lester légèrement, car pour gravir, comme nous allions le faire, il était nécessaire de conserver, à nos poumons toute leur liberté, tout leur jeu, et en pareil cas, rien n'est plus préjudiciable que la plénitude de l'estomac.
     Mais le rhum ne charge pas, et donne des forces : aussi en acceptâmes nous tous un verre, offert par le Prince, qui prenant l'initiative d'un toast que nous voulions porter, but au succès, de notre voyage. Après cette courte halte, nous faisions nos adieux à 5 ou 6 Sages qui se défiant de leurs forces voulurent en rester là.
    C'était avec regrets qu'ils nous voyaient partir, et ils ne manquèrent pas de nous recommander, à plusieurs, reprises, de veiller sur l'auguste et intrépide compagnon qu'ils nous confiaient Belle et utile recommandation, en vérité, puisque déjà le jeune Prince précédé, d'un guide, ayant près de lui Gaston et M. Loyson, gravissait la montagne, et nous laissait en riant assez loin derrière lui. Le début n'était ni facile ni commode, et donnait une assez triste idée du chemin que nous avions à parcourir ; aussi Son Altesse s'arrêta telle bientôt pour nous prier de ne point nous fatiguer à l'accompagner et usa-t-elle de son autorité persuasive, pour empêcher le jeune fils du colonel Thierry de pousser plus loin ; elle ordonna à un des guides de le ramener au pied du Pic. Malgré ses instances, le prince n'eut pas le même succès auprès du général Janin, qui dans son ardent dévouement, et persuadé qu'il pouvait y avoir danger pour S. A., voulut absolument le partager. Au bout d'une heure d'ascension, il faut bien l'avouer, assez occupés de nous tirer nous mêmes d'affaire, nous ne pensions plus au Prince confié à nos sollicitudes, et qui était toujours en avant de nous, que pour tacher de faire comme lui, et de passer par où il passait.
    Vous dire ce que pendant 2 longues heures 1/2 employées à gravir du pied du Pic, et sous un soleil brûlant, nous avons souffert ; ce que nous avons eu de vertiges, de faiblesses ; combien de fois nous avons été obligés de nous aider de nos pieds, de nos mains ; c'est impossible. Si quelque chose devait nous soutenir, nous encourager, c'était la force morale et physique du duc de Montpensier, qui riait de nos hésitations, de nos craintes, nous animait dé la voix, et nous entraînait à l'assaut du Pic.
     Ce, qui devait nous faire rougir de notre faiblesse, c'était la vigueur du brave général Janin, qui oubliant ses nombreuses blessures, ses longues fatigues de la guerre, semblait plus jeune, plus fort, que nous autres conscrits ; c'était l'énergie, le zèle de M. Loyson qui ne songeant qu'au Prince, et qui, comme lié à lui, posait le pied où il venait de le poser, et dans le cas d'une chute possible, était tout prêt à le retenir sur l'abîme.
    Je vous fais grâce de mille détails, qui dans une relation plus étendue, plus technique, mériteraient de trouver place (votre dernier n.° en contient une, modèle en ce genre) ; je vous mène de suite au sommet du Pic, que le Prince a escaladé le premier, et auquel nous, finissons par arriver successivement, haletants, rendus de fatigue, les mains, les genoux meurtris, et saluant, notre intrépide chef de file du cri de vive le Roi. Qu'une plume plus exercée que la mienne vous retrace ce tableau délicieux digne du pinceau d'un grand artiste. « La scène se passe sur un rocher élevé de 2,900 mètres ; tout autour l'espace et l’abîme.
    Le Prince est assis sur un tertre construit à l'extrémité du Pic, pour les observations trigonométriques. Nous tous Baigneurs, Touristes, Guides, sommes groupés à ses pieds, regardant avec admiration planer à peu de distance au-dessus de nos têtes un énorme Gypaète, un aigle monstrueux qui a laissé sur le roc une de ses plumes que le prince attacha à son chapeau montagnard. Nos regards embrassent l'Espagne, dominent cent montagnes, sept ou huit lacs d'azur, qui semblent dormir à nos pieds, distinguent Pau, devinent Auch et son imposante cathédrale. Pendant que tout entiers aux sentiments que nous inspire ce spectacle grandiose, recueillis en nous-même, nous faisons silence ; de sa voix grave et sonore, Gaston, barde d'Ossau, nous chante une de ses pastorales, aux paroles, au rythme si naïfs, si énergiques ; et nos guides entonnent à leur tour, La Haüt sus las Mountagnes et Qu'in-ten ba Laülhade, les amours du Prince.
    Pendant près d'une demi heure, jouissant d'un calme ineffable, nous reposant avec délices, après tant de fatigue, nous oublions nos compagnons, qui, restés au pied du pic, inquiets sur une santé si chère à tous, nous attendent et nous appellent. Pardonnez, chers amis, ce, retard égoïste, mais nous sommes si heureux, nous nous sentons vivre si doucement, que vous ne sauriez nous en vouloir de prolonger ces doux instants.
     Pendant cette station, M. Loyson a trouvé et offert au Prince une longue vue cachée, depuis bien des années sans doute, perdue par un Voyageur ; à demi détruite par le temps, par les injures de l'air, les verres seuls restent encore liés par un carton qui, brûlé, calciné, tombe en poussière sous la pression du doigt.
    Il est temps de descendre : le Prince en a donné le signal, mais avant de quitter ces lieux, S. A. R. permet qu'un procès—verbal improvisé dé notre ascension soit dressé, afin qu'il reste au sommet du Pic d'Ossau, un souvenir du passage d'un Fils de France ; et au crayon, sur les pages d'un de nos agendas, M.Loyson écrit ces mots :
    S. A. R. Mgr le duc de Montpensier est montée au » Pic-du-Midi, d'Ossau, le 24 août 1843.
    Dieu protège S. A. R. et la Famille Royale.
    Ont accompagné le » Prince MM. Loyson, conseiller de Préfecture ; Trubest frères ; Cazaux aîné, entrepreneur des Eaux-Bonnes ; Cazaux (Justin), son frère ; Berand, médecin ; Lefebvre ; le lieutenant-général baron Janin ; De La Salle ; de Misiessy, auditeur au conseil-d'état ; de Misiessy son frère, enseigne de vaisseau ; Saçaze-Gaston ; Loumiet.
    10 guides (dont deux amenés des Hautes-Pyrénées par le Prince), dont les noms suivent :
    Péré, Bertrand, Medevielle, Sanchette, Bergez, Fourrier, Estert, Titon Maucor, Lacour.
    Ce procès-verbal fut signé par le duc de Montpensier et par tous les assistans. Mais comment mettre à l'abri. des injures du temps ce fragile monument ? Il reste heureusement dans le sac d'un guide une bouteille de vin de Champagne.
     Le Prince veut que tout le monde en boive, et chacun, à son tour, puise dans le vase de cuir de S. A. R. ce nectar dépaysé, et chacun crie comme lui : Vive la France ! Dans cet abri bien séché, on enferme l'inscription, qui pourra ainsi braver le temps et les orages, jusqu'à ce qu'on revienne confier au roc ce durable souvenir, qui sera alors recouvert d'une épaisse ardoise, sur laquelle seront inscrits les noms de S. A. R.
     Il est temps de terminer ce récit qui prendra bien de la place dans vos colonnes déjà envahies par les relations des fêtes offertes au Prince par la ville de Pau. Je vous dirai donc en peu de mots que, l'ascension, la station et le retour ont employé 5 heures 1/2. Nous voici descendus au point de départ, au pied du Pic. Débarrassés des entraves hygiéniques et gastronomiques que la prudence nous avait avait imposées avant de monter, nous prenons tous notre part, d'un excellent déjeuner, dont le Prince, nous, fait les honneurs avec une amabilité sans pareille. Bientôt nous sommes de nouveau à cheval ; et en passant par la Case de Broussette, nous arrivons à Gabas.
    La route est belle ; le Prince qu'on attend aux Eaux-Chaudes, part à fonds de train, en nous criant : « Messieurs, qui m'aime me suive ! » Nos généreux coursiers, malgré une journée de fatigues atroces semblent s'animer à l'envi : pas un traînard ; en moins d'une demi heure, dans un nuage de poussière soulevée par cette course rapide, nous atteignons les Eaux-Chaudes. Le Prince met pied à terre, reçoit les félicitations du corps municipal, les bouquets de jeunes et jolies, montagnardes ; au milieu des acclamations de la foule empressée, visite aux flambeaux les travaux du nouvel établissement, les anciennes sources, dont il goûte les eaux. Peu de temps après, nous avions franchi la distance qui sépare les Eaux-Chaudes de Bonnes, où nous rentrons éclairés par les feux d'une éclatante illumination : il était 8 heures 1/2 du soir.
     Jugez si depuis 5 heures du matin que S. A. R. était à cheval, la journée a été bonne ; cependant, après le dîner, auquel le Prince avait invité quelques compagnons de son ascension, et sans que rien chez lui dénotât ou trahit la fatigue, il trouvait encore la forcé de recevoir ceux des baigneurs, des touristes, des étrangers qui avaient désiré lui être présentés. Il faut qu'il soit taillé dans le fer et dans l'acier.

    Le souvenir des courts instans passés par le duc de Montpensier dans la Vallée d'Ossau y vivront long-temps. Partout et pour tous, il a été d'une bonté, d'une grâce parfaites. Grand, généreux, presque prodigue, à tous ceux qui l'approchèrent il a laissé des témoignages nombreux d'une libéralité royale.
    A Gaston Sacaze, son fidèle mentor dans l'ascension au Pic, il offrait une belle tabatière en or ; à M. Cazaux, une épingle en brillants ; il s'inscrivait pour 300 fr sur la souscription au chemin horizontal ; aux guides qui l'avaient accompagné, il fesait distribuer 400 francs ; autant aux montagnards qui étaient allés à sa rencontre ; en un mot, semant sur sa route de bonnes œuvres, il laissait des secours considérables aux établissements publics, aux pauvres de tous les villages qu'il traversait.
     Prince, vous avez noblement marqué votre passage dans la Vallée ; rejouissez-vous, car en partant vous emportez l'amour de tous, les bénédictions des malheureux, digne et juste récompense de vos bienfaits.

   Sources

  • Archives et bibliothèques Pau Béarn Pyrénées, IMPRIMERIE DE É. VIGNANCOUR. Août 1843.
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