a diversité des fonctions exercées par la jurade nécessita, dès le début, la nomination d'un certain nombre d'employés. A l'instar des communautés, la jurade avait un crieur public , manador, qui devait, toutes les fois que l'ordre lui en était donné, convoquer tous les Jurats dans les cas ordinaires au moins de trois jours et exceptionnellement, en cas d'urgence, le jour après avis donné. A cet effet, il se rendait en personne dans chaque besiau et recevait pour ce déplacement 6 sous.
Le trégedour était le trésorier de la jurade, le collecteur des deniers publics de la vallée. Il recevait des Jurats locaux les deniers communaux, produits de la taille, encaissait les emprunts contractés et payait les dépenses engagées par la jurade.
Sa comptabilité était vérifiée avec soin tous les ans, lors de la confection de la taille, en séance extraordinaire où assistaient les députés communaux.
En outre, il exerçait les fonctions de secrétaire et dressait les délibérations de la jurade. A ce titre, il avait droit, concurremment avec les Jurats, de provoquer la réunion des délégués au Capdeuil de la vallée. Le trégedour devait fournir des cautions.
Toutes les minutes consignant les délibérations des Jurats, ainsi que tous les titres de propriété et actes de bornage relatifs aux montagnes générales, étaient classées aux archives du syndicat et renfermés dans le coffre à trois clefs, au segrary. Ce classement était fait par des membres choisis au sein de la jurade : c'était en quelque sorte les archivistes.
Les clefs du coffre étaient confiées aux «custodes clavium », gardiens recrutés parmi les Jurats ; deux clefs étaient entre les mains des Jurats de Laruns et Sainte-Colome, la troisième dans celles du notaire du Vic du milieu. Les Jurats de Bielle gardaient la clef de la porte du segrary.
A côté de ces fonctionnaires ayant un caractère administratif, la jurade s'assurait le concourt d'autres employés, chargés plus spécialement des questions économiques :
Les « bédalers » devaient veiller à ce qu'aucune tête de bétail étranger n'entrât dans les montagnes générales, ou ports fromagers et le carnaler, le cas échéant;
Les « gardes » placés au Pont-Long pendant toute l'année pour empêcher les communes usagères d'exercer leurs droits de jouissance lorsque ces landes étaient vêtées (interdites) ;
Les « procureurs » ayant pour mission de délimiter les biens indivis, partager les montagnes générales, conclure des passeries.
Il arrivait souvent, dans certaines circonstance graves et pour une affaire spécialement déterminée, que des délégués fussent nommés. Ils étaient choisis, en général, parmi les Jurats ou gentius ayant acquis dans la vallée une grande autorité, soit à raison de leurs connaissances spéciales et approfondies, soit aussi à cause de leurs relations. Ils touchaient, en échange des services rendus, une légère gratification, ou plutôt des cadeaux en nature.
Il faut citer, en outre, les « syndics » chargés de contracter des emprunts et de soutenir les procès engagés par la vallée. La population ossaloise fut avant tout une population pastorale, tirant de l'élevage des troupeaux ses plus grandes ressources. Des pâturages immenses lui étaient acquis, mais ils présentaient cette particularité qu'ils étaient de qualité très différente. Or, les droits des habitants sur ces biens indivis étant égaux, il arriva fatalement que des contestations s'élevassent entre communautés; chaque communauté réclamait naturellement les montagnes aux herbages les plus gras et d'accès commode. Des rixes fréquentes se produisaient entre pasteurs, les bêtes étaient carnalées, et la Jurade était obligée d'intervenir, dans le but d'apaisement.
Lors d'une réunion des Jurats, tenue en 1355 dans l'église de Saint-Vivien, de Bielle, il fut décidé que les sept montagnes générales de la vallée, Aneu, Bious, Pombie, Arrius, Seugs, Art et Arnouillas, seraient divisées en trois lots, correspondant à peu près à la division des trois vics, appelés toques. A chaque toque était affecté un nombre de communes formant le tiers du chiffre total des feux de la vallée, soit 745. Les trois toques portaient les noms des principales montagnes, Aneu, Bious, Pombie, et, tous les trois ans, chaque Vic changeait de toques.
Le 12 mai 1490, sur la demande des Jurats d'Aste-Béon, des hommes compétents pris dans chaque Vic soumettent à la jurade, qui le ratifie, le partage suivant des montagnes générales :
- Aneu, est attribué à Sainte-Colome, Castet, Aste-Béon, Gère-Bélesten, Béost, Louvie-Soubiron, Aas et Assouste, Geteu ;
- Bious, à Laruns, Bielle et Bilhères ;
- Pombie, à Buzy, Arudy, Bescat, Sévignacq, Izeste et Louvie-Juzon.
Mais ces concessions n'avaient pas un caractère définitif. La jurade, en réglementant le mode de jouissance des biens indivis, n'abandonnait pas son droit de contrôle général et d'administration. Et ce qui le prouve, c'est que la jurade intervient pour régler les « vêtes et les « dévêtes » (beda, bedar, défendre), c'est-à-dire les espaces de temps pendant lesquels les troupeaux pouvaient paître sur les montagnes générales ou bien étaient privés de ce droit. A période fixe, les montagnes de la vallée étaient mises en « défends » ou « vêlées ». Quand l'interdiction était levée, ce qu'on appelait « la desbède » ou la « dévête », les troupeaux étaient lâchés.
Même situation était faite pour le Pont-Long à l'égard des communes usagères, situées à proximité, qui avaient le droit de pacage et de soutrage. Elles ne pouvaient conduire leurs troupeaux et faucher que lorsque le Pont-Long était dévêté.
La sanction immédiate de l'inobservation de ces règles consistait dans le droit de. « carnal », réglementé par le vieux for, rubrique 33, et dans le nouveau for de 1551, rubrique 51. Le carnal était un droit de confiscation du bétail saisi sur les lieux mis en « desbets ». Ce droit était exorbitant, car l'animal surpris pouvait, sans qu'aucune discussion n'intervint entre propriétaires, être mis à mort aussitôt. Les Ossalois l'exercèrent souvent jusqu'au XVI siècle. Le roi de Navarre Henri II, dans le nouveau for, apporta à ce droit certaines restrictions en exigeant que ceux qui ont des champs possédant le droit de carnal, y placent des marques afin que l'on ne puisse s'y tromper. D'où le dicton répandu : si no, y a segnau, no y a carnau ».
Et c'est ce qui explique le soin qui fut apporté par la jurade à la délimitation de ces terres. Tous les ans, en effet, au moment où l'interdiction allait être prononcée, la jurade déléguait des procureurs chargés de reconnaître les bornes vérifier si elles n'avaient pas été déplacées et contrôler si les bedalers et gardes avaient rempli régulièrement leurs devoirs de surveillance. Nous verrons plus loin comment la jurade faisait respecter sa propriété, lorsqu'il y avait eu des empiétements. Néanmoins elle punissait d'une amende, très variable, ses employés pris en défaut.
Au droit de carnal, trop sévère et désastreux pour les pasteurs succéda une autre sorte de saisie connue sous le nom de « pignoration ». L'animal pignoré devait être gardé et nourri pendant trois jours. Le propriétaire était avisé, les parties discutaient le quantum des dommages intérêts occasionnés par l'entrée de la bête sur le terrain d'autrui,et, après entente et paiement, la bête devait être remise par le pignorant. En cas de désaccord, on en référait à la Jurade qui nommait des arbitres.
C'est surtout dans les accords intervenus entre la vallée d'Ossau on l'une de ses communautés et les vallées voisines ou bourg de la plaine que la pignoration ou «pegnère»fut établie d'une façon définitive. Alors l'évaluation du dommage était fixée à l'avance et d'après l'espèce de l'animal pris en faute. Ainsi, dans un traité survenu en 1501, entre Béost et Arrens, l'amende fixée pour une vache saisie était de 7 sols : même tarif pour une jument ou dix brebis.
Ces diverses mesures montrent à quel haut point le bétail était l'objet des préoccupations constantes des habitants. Toute l'activité de la jurade tend à maintenir intactes les propriétés pour mieux assurer la conservation ou l'amélioration du bétail.
L'action de la jurade est manifeste encore dans les époques troublées.
En 1477 et 1709, un fléau d'un genre à part s'abattit sur la vallée. Du fond du Bénou, des cavernes d’Aspeich et des sombres sapinières du Herrana, surgissent, poussés par le froid et la faim, des bandes de fauves qui se répandent dans la plaine et se glissent, de nuit et de jour, à travers les centres habités, attaquant les bêtes et parfois les hommes. La jurade tient une réunion extraordinaire; elle prend un règlement dont voici le contenu : Les chasseurs d'Ossau, au concours desquels on fait un pressant appel, se lèveront à l'effet d'empêcher l'invasion des animaux nuisibles. Le trégedour public, sous le contrôle de la jurade, distribuera à qui de droit des primes, variant selon les cas : 18 livres pour la capture d'un loup et 12 livres pour celle d'un ours ou d'un louveteau. Quiconque aura pris un animal malfaisant devra en faire la déclaration aux Jurats des communautés. Ceux-ci. retiendront les noms des personnes et seront tenus, pour éviter toute fraude, de couper et de conserver, comme pièce à conviction, le pied droit de chaque bête capturée, de façon à pouvoir renseigner exactement les membres de la jurade, lors de la confection de la taille générale.
En 1676 , une maladie grave sévit sur les bestiaux en plusieurs endroits. Les membres de la jurade manifestent les plus .vives appréhensions, insistent sur les dangers que courent les intérêts matériels de la vallée si on néglige d'observer les divers règlements concernant les épizooties. Ils décident de rappeler à l'attention des pasteurs ce point particulier :
« Quiconque écorchera une bête, morte par suite d'un mal» contagieux, ou omettra de l'enfouir soigneusement à une » profondeur de huit pieds, sera passible d'une amende » s'élevant à 10 écus petits ».
La fièvre aphteuse et la péripneumonie sévissent sur les troupeaux dans plusieurs communautés, notamment dans celles de Louvie-Juzon et d'Arudy, en 1718 et 1762 (2); la jurade rappelle aux éleveurs le règlement précédent et insiste sur ce point que tout propriétaire d'animaux, atteints ou soupçonnés de maladie contagieuse, devait avertir les jurats des communautés qui prendraient toutes mesures utiles. Si un village vient à être envahi par l'épidémie, il est absolument nécessaire d'avertir les voisins.
De nombreux règlements furent pris encore par la jurade, lorsque vers la mi-septembre de 1774 la peste bovine éclata en Béarn. Sur l'avis de M. de Laa (d'Arudy), maire de la vallée, l'assemblée des jurats sollicite du parlement de Bordeaux l'autorisation d'introduire le bétail dans son territoire, suivant la coutume depuis longtemps observée. Le parlement de Bordeaux refuse pour le motif que l'état sanitaire de la région pyrénéenne laisse trop à désirer. Et cependant il est impossible de garder dans la vallée tout le bétail, car les; fourrages sont insuffisants et l'hiver approche. La jurade nomme une commission de quatre membres, chargée de visiter les localités désignées par l'assemblée des états pour le stationnement des bestiaux, s'entendre avec les communautés ou les propriétaires des terres à concéder, et, enfin, si besoin est, chercher d'autres terrains convenables elle décide enfin que les divers traités retenus par ces commissaires n'auront, leur valeur définitive que s'ils sont approuvés par l'assemblée des jurats.
Entre temps, la jurade prescrit de diviser le bétail la nuit dans des cuyalaas (parcs), isolés les uns des autres, de mettre les bêtes de bétail, dites « apastanères », en lieu sûr, d'envoyer les juments sous la garde des « géougassés » au Pont-Long, et d'utiliser pour l'alimentation des familles les vaches vieilles, appelées « joutes ».
Toutes ces précautions n'empêchèrent pas la peste bovine de faire des ravages dans les trois vics, et, d'après un travail de recensement donné par les statisticiens de l'époque, il y eut 8.609 bêtes perdues contre 1.410 sauvées. Pour réparer les ruines accumulées par le terrible fléau, la jurade chargea un délégué, Pérerlaborde, de. soutenir les intérêts de la vallée auprès des syndics provinciaux. En même temps, elle mit en demeure les communautés de bâtir des fours, et de distribuer à chaque particulier la quantité de chaux nécessaire pour assainir les granges contaminées, et ce, d'après une ordonnance reçue du syndic de Béarn (1).
Les documents de ce genre sont nombreux et révèlent une activité surprenante des membres de la jurade.
Toujours en ce qui concerne les animaux, la jurade se préoccupe du nombre de bêtes envoyées sur les montagnes générales : elle veut éviter ainsi que des troupeaux trop nombreux dépérissent sur des pâturages trop restreints ou trop maigres.
Lorsque les pasteurs, à l'approche de l'hiver, mènent leurs troupeaux dans le Pont-Long, la Chalosse, l'Armagnac les landes de Bordeaux qui sont à la disposition des Ossalois jurade leur procure des refuges, où ils pourront, stationner avec leurs troupeaux : ainsi, vers 1370, elle nomme Arnaud Guilhem (de Béon), à l'effet de conclure un accord avec Guiraud Bordeu, prieur de Sainte-Foy de Morlaas, à l'effet d'obtenir un droit de gîte dans les terres du prieuré (1).
Enfin, elle fixe les bacades pour les troupeaux des communautés situées aux environs du Pont-Long, ayant obtenu des droits d'usage.
En résumé, tous les détails de l'économie pastorale sont réglés par l'assemblée des jurats.
La jurade fut appelée également, dans les périodes troublées, à subvenir aux moyens d'existence des habitants, et des interventions de ce genre furent nombreuses. En 1629, les chefs de famille ne pouvant trouver du blé, ni sur la place du marché d'Arudy, ni dans les magasins de la région, Casaux d'Arudy et Codure, syndics, reçurent des membres de la jurade l'ordre de se rendre en Espagne et de s'aboucher avec les principaux notables du Val-de-Tène, aux fins d'obtenir, en faveur des négociants espagnols, la pleine liberté de faire passer en Ossau une quantité de blé considérable. Ils ne rencontrèrent aucune opposition, et pour subvenir aux besoin les plus pressants, ils achetèrent 70 de froment et 10 de froment et d'orge mélangés.
L'année 1698 ayant été très mauvaise à cause de la pluie et de la neige, M. de Pinon, intendant de Navarre, communique à la jurade une ordonnance aux termes de laquelle il est urgent de surveiller les accapareurs de blé et de les empêcher de porter atteinte au bien public. Il est décidé par la Jurade que les jurats des communautés iront de maison en maison, à l'effet de se rendre compte des subsistances et de vérifier exactement si, pour l'année courante, elles dépassent les besoins de chaque famille. Ils devront, le cas échéant, vendre ou faire vendre le superflu du blé et en remettre la valeur à qui de droit.
L'assemblée des jurats fixe la valeur des céréales vendues, soit sur le marché d'Arudy, soit dans toute autre communauté, par les soins des Ossalois.
Le marché d'Arudy avait été établi le 21 juillet 1495 par Catherine de Navarre (G. Lacaze prétend qu'il y eut, en 1303, une foire à Béost, mais il n'en donne pas la preuve ) c'est à Arudy que se trouvait le seul pharmacien de la vallée. Toutes les affaires commerciales importantes, échange de troupeaux, vente de la laine des brebis ossaloises, vente des marchandises importées d'Espagne, se traitaient dans cette
communauté.
Le marché de Nay était fréquenté également par les Ossalois, qui avaient obtenu certains privilèges, comme le droit de placage. Il est probable que ces conventions avec les Nazais ont été réglées de concert avec la jurade.
En outre, la jurade établit, en 1654, un droit d'octroi aux deux portes dédiées à Saint-Just, et sises l'une à Hourat, à côté de Laruns, et la seconde près de Louvie-Juzon. Ce droit, dit « de porte » s'acquérait par voie d'enchères publiques. Le fermier percevait certains droits pour le passage des bêtes ou marchandises venant d'Espagne, de même que pour le transfert des produits béarnais expédiés au delà de la frontière; il devait fournir caution. Le premier affermage de ce droit donna 142 francs, somme qui était versée entre les mains du trésorier de la vallée. Cet argent avait une affectation spéciale : il était 'généralement employé à la réparation des chemins.
Ces portes permirent également à la jurade de veiller à la police sanitaire et à la police. intérieure de la vallée.
Lorsqu'au mois de mai 1652 les jurats apprirent que la peste s'était déclarée dans une province espagnole, « principalement à Saragosse, mesme es dit que, en la ville de Tholose, son attaquats de telle malaudie », la jurade fut réunie, le 8 août, aux fins de prendre toutes mesures de préservation. Des gardes, à la solde de chaque communauté, furent installés dans plusieurs quartiers bien choisis et notamment à Hournbarrade, près de Louvie-Juzon, au Bager d'Arudy à la grande porte de Saint-Just, au fortin de Hourat, à Gabas et au défilé de Broussette. Malgré ces mesures préventives, la peste éclata à Arudy, et aussitôt la jurade porta une ordonnance défendant à qui que ce soit d'avoir la moindre relation avec les Arudyens. Ceux-ci ne voulant pas être enserrés dans un espace limité provoquèrent quelques désordres, si bien que les jurats d'Ossau se virent obligés de recourir à l'autorité supérieure : ils obtinrent du procureur général l'autorisation «de repousser à main armée ceux qui viendront des lieux infectés » .../...
Sources
- Henri SARRAILH, Des commissions syndicales de la vallée d'Ossau, étude historique et économique, réédition du Syndicat du Haut-Ossau en 1986
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