La vallée d'Ossau :            
          Culture et Mémoire



LIES ET PASSERIES
DANS LES PYRENEES

l
eut–on, parler du passé des Pyrénées comme on parle entre soi, comme on raconte au village ? Peut être ainsi fera t’on connaître une image de ces vallées, un peu romancée, mais plus chaleureuse.

    Lorsque les glaciers arrivaient à Lourdes, les premiers habitants des Pyrénées furent des pasteurs nomades qui courraient derrière leurs troupeaux vers les estives de hautes montagnes. Celles­ci étaient en effet plus faciles d’accès que les vallées étroites et boisées qui ne furent défrichées et habitées que plus tard par des agriculteurs sédentaires. Ces populations exploitaient ensemble une ressource fourragère de grande qualité et se souciaient peu de l’organisation politique de la Gaule ou de l’Ibérie.

    Les derniers rois Visigoths, qui régnaient à la fois sur les deux pays, auraient codifié les dispositions du droit romain qui régissaient les rapports des particuliers entre eux et vis­à­vis de la collectivité. Ce sont ces dispositions que l’on nomme FORS en Béarn et Bigorre et FUEROS en Aragon, Navarre et Catalogne.
     Ces Fors, ou Fueros, s’imposaient aux particuliers, comme aux représentants de l’autorité politique.
    Le Comte de Béarn et le Comte de Bigorre « juraient les Fors » avant de prendre leurs fonctions. C’étaient de simples préfets et non des féodaux.
    Certains Comtes qui n’avaient pas respecté les Fors furent remerciés.

     D’autres, persistants dans leurs errements, furent mis à mal par les habitants des lieux sachant faire valoir leurs droits. D’ailleurs il n’y avait que peu de féodaux et il n'y a guère de demeures seigneuriales dans les Pyrénées.
    Les Aragonais ont accepté que la couronne revienne au roi de Castille car celui­ci avait « juré les Fueros »
    Les Lies et Passeries étaient des traités établis entre vallées espagnoles et vallées françaises.
    Parfois aussi entre vallées françaises. Parfois encore entre vallées espagnoles.
    Le terme " Passeries " vient de « Pax, patz ». Ce sont des traités de paix.
    A l’origine, au douzième et au treizième siècle, ces traités étaient établis librement, de manière orale, entre les Syndics de vallée du côté français et les Juntas côté espagnol.
    Parfois, des Lies et Passeries étaient établies entre vallées voisines du même côté des Pyrénées. Les vallées Pyrénéennes étaient, à l’époque, des entités territoriales et politiques pratiquement indépendantes.
    Dans les vallées françaises, c'était en fait le dernier pays au fond de la vallée qui était concerné. Par exemple :
    Barèges et non le Lavedan, signaient un traité avec Broto.
    Du côté espagnol comme du côté français, les vallées étaient souvent isolées de la plaine par des gorges étroites. Elles étaient liées plus facilement aux vallées situées de l’autre côté de la frontière.
    Les valléens du nord et du sud se retrouvaient chaque année, en altitude, pour y exploiter les estives grâce à la transhumance de leur bétail. L'herbe est bonne l'été en montagne et les bêtes, retrouvant leur origine sauvage, montent seules vers les montagnes.
    En bien des points de la frontière, la bonne exploitation des ressources supposait une entente entre les pasteurs du nord et du sud.
    A la fin du Moyen Age les provinces situées au nord et au sud des Pyrénées furent souvent réunies par le jeu des alliances, des mariages et des héritages des familles princières.
    A l’époque de la croisade des Albigeois, une « Nation Pyrénéenne » aurait pu voir le jour, regroupant le Languedoc, la Provence, l’Aragon et la Catalogne, à l’image de la Confédération Helvétique.
    Dans ce contexte, les vallées pyrénéennes avaient à résoudre d’abord des problèmes de voisinage liés surtout à l’activité pastorale des habitants des deux côtés de la chaîne des Pyrénées.
    Les Lies et Passeries, souvent verbales, définissaient d’abord des limites et des droits d’usage (des pâturages, des sources, des forêts).
    C’était des traités inter­valléens, librement négociés, parfois bien nécessaires, après d'homériques combats pour la possession de telle ou telle Montagne.
    Il y eut au dix huitième siècle une véritable guerre pour les Oulettes d’Ossoue, entre Barèges et Broto.
    Des bornes étaient dressées, ou des pierres levées, puis gravées, pour indiquer les limites.
    C'étaient les « Pierres ou Peyre Saint Martin », rappelant que cet illustre saint, qui avait si bien su partager son manteau d'un coup d'épée, pouvait aussi partager la montagne.
    Les Lies et Passeries prescrivaient aussi une entraide inter valléenne en cas de famine ou de disette grave. Chaque année, tantôt au Nord, tantôt au Sud, les valléens se retrouvaient et réglaient à l'amiable, entre eux, les litiges récents.
    La réunion se tenait alternativement au Nord ou au Sud et se terminait par un banquet.
    Les Lies et Passeries créaient les modalités de règlement des conflits, sans recours à la puissance publique, toujours lointaine et souvent envahissante.
    Par la suite ces traités se développèrent. Les Lies et Passeries anciennes, qu'on ne retrouve guère, par écrit, avant le quatorzième siècle, sont seulement complétées, au dix septième et dix huitièmes siècles, par des arrangements nécessaires à leur adaptation aux problèmes du jour.
    C'est ainsi que des règles commerciales furent érigées prévoyant les foires périodiques et la liberté du commerce. Ces échanges furent importants. Même dans ces vallées reculées, les Espagnols, peu nombreux et peu industrieux à l’époque, avaient cependant quelques pièces d'or ou d'argent (peut être extorquées aux Indiens d'Amérique).
    Les vallées pyrénéennes, au nord, ne manquaient pas de numéraire. Les échanges de la France vers l'Espagne (bétail beurre et tissus) étaient plus importants en valeur que ceux venant en sens inverse (vins, grains et sel).
    Mais la puissance grandissante et la centralisation croissante des royaumes de France et de Castille se traduisirent par une emprise de plus en plus marquée de ces royaumes sur les vallées montagnardes. Les Lies et Passeries furent alors un moyen pour les valléens de résister au pouvoir central.
    C’est ainsi que, les traités nouveaux prescrivent la non application des taxes royales et la liberté des échanges inter valléens.
    Au seizième, dix septième et dix huitième siècles, les états français et espagnols étaient souvent en guerre. Les Lies et Passeries permirent aux vallées voisines de conserver, malgré cela, de bons rapports. Les valléens se prévenaient mutuellement lorsqu’une opération militaire importante se préparait.
    Cette collaboration était en particulier justifiée pour se défendre des brigands (les Miquelets) que généraient ces guerres incessantes. Ces Miquelets servaient d’ailleurs de supplétifs aux armées en présence, se louaient tantôt aux uns, tantôt aux autres et vivaient aux dépends des habitants.
    Mais les états centraux eurent raison de l’obstination des montagnards et, du côté français, la révolution jacobine enterra définitivement l’indépendance des vallées pyrénéennes. Les guerres napoléoniennes fermèrent la frontière et le commerce inter valléen se transforma en contrebande. Les faux sauniers se jouaient des gabelous et apportaient le sel d'Aragon en Bigorre.

    L’administration poursuit, aujourd'hui encore, son travail d’uniformisation et les syndicats de vallée, qui étaient autrefois une structure traditionnelle informelle (le syndicat de la rivière de Saint Savin, ou celui de la rivière de Cauterets par exemple), représentant les éleveurs de la vallée, sont maintenant des syndicats intercommunaux conformes à la réglementation et qui ne représentent pas toujours les intérêts des éleveurs.
    On l'a bien vu quand (dit on) trois communes de l'Ariège, aux mains de conseils municipaux de résidents secondaires, ont demandé la réintroduction de l'ours. Bruxelles, enchanté de ces bonnes dispositions soutint le projet, sans savoir que les éleveurs n’avaient pas été consultés.
     L'ours de Transylvanie, importé à grands frais, est beaucoup plus voyageur que l'ours des Pyrénées et terrorise les rares bergers encore en montagne.
    Il aurait engrossé toutes les ourses autochtones et maintenant la consanguinité menace. Les bêtes sauvages ne sont plus ce qu'elles étaient.
    Les Lies et Passeries sont maintenant rangées au chapitre du folklore, bien que quelques troupeaux franchissent encore la frontière pour valoriser au mieux les estives. On voit certains jours de juillet des troupeaux importants traverser des ports élevés (Bernatoire donne accès aux Oulettes d’Ossoue) et le sous Préfet de service offre un apéritif frugal, dans des gobelets de papier, aux délégués de la junte.
    Un fonctionnaire du quai d’Orsay (paraît­il) veille de loin, depuis Paris, à la bonne application des traités qui existent encore.
    Par endroits les vieux usages sont respectés et l’on offre chaque année, à la vallée d’en face, quelques bêtes en application de traités anciens.
    Il existe donc une série de traités, certains oubliés, d’autres encore en vigueur, qui relient deux à deux des vallées espagnoles et françaises. La connaissance de ces coutumes peut intéresser le promeneur qui verra là un spectacle ancien de transhumance dans une ambiance conviviale et parfois folklorique.
    Il serait intéressant que des offices du tourisme fassent connaître ces manifestations et les accompagnent. Des municipalités ont pris l’initiative de restaurer certaines foires ou rencontres inter valléennes. On ne peut que s’en féliciter.
    Ainsi les jeunes gens d’Arrens, en val d’Azun, participent encore, chaque année, au mois d’Août, avec les aragonais du val de Tena, a la « marche des fiancés » qui allaient autrefois, dans la journée, à Sallent de Gallego pour rapporter un sac de sel (des salines sont encore exploitées en Aragon) à la future belle famille.

    L’essence même de ces traités locaux de Lies et Passeries, qui unissent deux vallées seulement au Nord et au Sud des Pyrénées, ne se prête pas facilement à une action d’envergure ou d’ensemble. La diminution du cheptel de part et d’autre de la frontière fait que les problèmes de voisinage sont moins prégnants.
     C’est une grande partie de la « Conviviença » qui unissait Catalogne Aragon et Occitanie qui risque ainsi de disparaître.

puce    Sources

  • Henri Cavaillès, Lies et Passeries dans les Pyrénées Archives Départementales des, Hautes Pyrénées
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