La vallée d'Ossau :            
          Culture et Mémoire



Un traité de lies et passeries
                              du Moyen âge à la Révolution

L'intervention des pouvoirs centraux et le déclin progressif des traités.

l
es négociations menées à cette occasion entre les syndics des deux vallées furent l'occasion d'une intervention particulièrement importante des pouvoirs centraux.
   Pour la première fois de leur histoire, les représentants d'Ossau et de Tena furent obligés de communiquer le texte de leurs accords à l'autorité supérieure et de demander leur approbation bul Les archives d'Ossau n'ont pas conservé trace, peut-être volontairement, de cette intervention du pouvoir central; elle est connue grâce au cartulaire de Panticosa, f'° 84-85; il faut remarquer que la main-mise du pouvoir central sur les syndicats montagnards est un fait général vers le milieu du XVIe siècle ; par exemple A. Martin Duque date de 1552 la désorganisation du syndicat de la vallée de Salazar sous l'action centralisatrice, A. MARTIN DUQUE, La Comunidad del valle de Salazar Origines y evolucion historica, Gosnez, Pampelune, 1963.
     Le 26 septembre 1562, Juan Martón, lieutenant de justice en la vallée de Tena, au nom de cette dernière, rencontra Juan de Guinea, gouverneur d'Aragon. Il lui fit savoir que les habitants de la vallée avaient « des passeries, pactes et accords avec leurs voisins de la vallée d'Ossau, dans la principauté de Béarn ; que ces passeries étaient parfaitement adaptées, utiles et nécessaires aux habitants de Tena, de telle sorte que sans elles ils ne pourraient vivre convenablement ».
   Le gouverneur prit connaissance des textes et les approuva mais « seulement tant que le bon plaisir et la bienveillance de Sa Majesté, de moi même ou de notre successeur, durerait, et point davantage ». La vallée de Tena perdait ainsi le droit dont elle disposait depuis toujours de conclure des accords relevant du droit international, sans l'avis de l'autorité royale.
   Il faut d'ailleurs noter que le représentant de la vallée n'est plus son syndic mais un lieutenant de justice royal, donc l'homme chargé d'imposer une politique centralisatrice. L'autonomie se trouve réduite à l'intérieur et à l'extérieur de la vallée.
      Les souverains de Béarn ne pouvaient manquer de suivre un tel exemple, bien que leur autorité fût encore beaucoup moins affermie sur la vallée d'Ossau que celle des rois d'Espagne en Tena.
   Le 9 juillet 1563, à Oloron, Antoine de Casajus, de Buzy, fit une démarche, identique à celle de Juan Martón, auprès d'Arnaud de Gontaut, lieutenant général de la souveraineté de Béarn au nom de Jeanne d'Albret.
      Gontaut approuva les lies et passeries « et cela tant que durera la volonté et le désir de ladite reine et dudit sénéchal et régent pour le temps présent, et point pour plus tard. »
      Rois d'Aragon et souverains de Béarn n'avaient d'ailleurs nullement l'intention à cette époque de gêner l'exercice des traités de lies et passeries entre Ossau et Tena ; ils avaient simplement exigé la reconnaissance officielle de leur autorité suprême.
   Ceci empêchait la conclusion d'accords secrets qui étaient un défi à leur souveraineté, comme ceux concernant la neutralité réciproque même en cas de guerre. Peut-être même cette intervention avait-elle eu pour but principal d'interdire le maintien, ou le renouvellement, de ces pactes de non agression dont ils avaient dû finir par avoir connaissance.
      Au même moment l'implantation de la Réforme en Béarn mettait à rude épreuve les bonnes relations d'Ossau et Tena, facilitait l'accroissement de la pression du pouvoir central sur les vallées.
   La crise éclata en 1563 quand Jeanne d'Albret fit interdire les processions en Béarn approbation bulArch. dép. B.-P., CC 684, f° 127, sq.; arch. d'Ossau, GG I, voir P. Tucoo- CHALA, Les Ossalois et la politique religieuse de Jeanne d'Albret en 1563 dans Actes de la Fédération. Gascogne-Adour, Bayonne, 1964, volume rénéotypé. n° 20.26. Les Ossalois jouèrent un rôle de premier plan dans les vigoureuses protestations des Etats de Béarn contre cette décision en juillet 1563.
   Ils insistèrent sur les conséquences néfastes qu'aurait tout changement de religion sur l'économie montagnarde : le Béarn n'était-il pas un pays pauvre incapable de se passer du commerce avec l'Aragon ; les Aragonais n'interdiraient-ils pas l'accès de leurs marchés aux Béarnais ; les troupeaux, très nombreux dans les hauts pâturages, ne feraient-ils pas l'objet de razzias ?
      Les autorités espagnoles avaient déjà ordonné l'arrestation de tous les Béarnais franchissant la frontière car ils étaient considérés comme « luthériens » ; leur détention ne cessait qu'après l'envoi d'une lettre du curé de leur village certifiant que les processions y avaient toujours lieu et que l'on pouvait y entendre la messe.
   Les Navarrais de Roncal, et en particulier ceux d'Isaba, avaient tout de suite appliqué avec rigueur ces ordres aux Barétounais et Aspois d'autant plus que le protestantisme s'était solidement implanté en Aspe, ce qui devait s'accompagner d'une véritable guerre locale.
   Les Aragonais en général, et les gens de Tena en particulier, eurent une attitude beaucoup plus nuancée, surtout envers les Ossalois. Ils s'ingénièrent à prévenir à temps leurs pazeros du danger qui les menaçaient et à faciliter leur retour en Béarn avant l'intervention des autorités centrales.
   Certes, les Aragonais savaient que la Réforme était mal accueillie par les Ossalois, mais leur attitude s'explique également par leur souci de maintenir contre tous et même malgré leur foi catholique la vieille tradition d'amitié avec le Béarn.
      Un dernier incident montra encore plus nettement cette volonté d'amitié. Philippe II ordonna une expédition contre les hérétiques de Béarn ; si l'affaire fut sérieuse en vallée d'Aspe, les Aragonais se contentèrent en fait d'une simple démonstration.
   Obligés d'organiser cette expédition punitive, les gens de Tena, 300 à 400, se rassemblèrent à la frontière et pénétrèrent jusqu'à Bious-Artigues en faisant beaucoup de bruit pour rien. L'alerte passée les Ossalois n'hésitèrent pas à réclamer une indemnité, surtout pour le principe puisque les dégâts avaient été minimes, en vertu de la charte de 1328 rénovée en 1552, car Tena n'avait pas prévenu Ossau de l'attaque.
   Un tribunal d'arbitrage donna raison aux Ossalois. bulOssau, FF 36. Les dégâts provoqués par ce raid avaient été particulièrement minimes puisque les gens de Tena ne s'étaient emparés que de 4 chevaux, 1 manteau de drap de Toulouse, 3 capes de Béarn, des cuillères et des cuvettes pour la fabrication du fromage ; ces maigres résultats donnent à penser que malgré tout les Aragonnais avaient conduit avec mollesse leur expédition pour éviter le pire à leurs pazeros d'Ossau.
     Ossau et Tena purent donc traverser sans trop de dommages cette difficile période de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, marquée en Béarn par le retour progressif à la liberté religieuse et l'annexion à la France (1620).
     Avec le XVIIe siècle, une refonte générale de l'antique charte de paix, sans cesse complétée depuis 1328, s'imposait.
   Bien des clauses ne correspondaient plus à la vie courante, de nouveaux problèmes se posaient. Les syndics des deux vallées ouvrirent des négociations pour « rajeunir » la charte, en 1645. Elles aboutirent en 1646 à un résultat plus important.
   Le 12 août, à la source du Gallego, les syndics des deux communautés signèrent un texte entièrement refondu qui annulait tous les documents antérieurs.
   A cette occasion un fait nouveau, d'une importance considérable, s'était produit :
   les délégués avaient mené et conclu ces négociations non point seulement comme syndics des vallées, mais comme délégués, comme représentants, des rois de France et d'Espagne, sous le contrôle du gouverneur d'Aragon et du lieutenant général du roi en Béarn bulLa signature de cette paix de 1646 doit être replacée dans le cadre plus général de l'implantation des officiers royaux en Béarn ; cette question traitée par P. RAYMOND, L'Intendance et les États de Béarn, t. III de l'Inventaire sem, arch. des B.-P., a été renouvelée par les études encore inédites de P. Loirette ; le texte de la charte de 1646 a été publié par Manuel Lucas-Rosario Miralbes, art. cit., d'après un document conservé à Panticosa ; l'exemplaire destiné aux Béarnais a été conservé dans les archives cormmunales de Laruns, DD 19 sous la forme d'un petit cahier de 20 f° dont les derniers sont en grande partie déchirés.
      Trois siècles séparent la charte primitive et celle de 1646. Nombreux sont cependant les éléments de la charte primitive qui sont conservés au XVIIe siècle. Les mêmes règles président à la protection des personnes avec le paiement des compensations à la victime ou à ses héritiers en cas d'homicide, de mutilation ou de blessure ; mais le tarif est uniformisé et dévalorisé :
   100 sous morlàas ou 100 livres jaquès en toute circonstance.
   C'est en matière de protection des troupeaux (déplacement, carnal, etc.) que l'on conserve le plus, souvent mot à mot, les prescriptions anciennes. Plus de la moitié des 45 articles de la nouvelle paix est consacrée à cette question.
   C'est la preuve que les genres de vie pastoraux n'ont absolument pas évolué du XIIe au XVIIe siècles ; ils restaient figés dans les pratiques ancestrales.
      Par contre d'autres articles démontrent qu'il y avait quand même un changement de mentalité.
   L'esprit individualiste est très nettement marqué en 1646 alors que la notion de solidarité villageoise l'emportait sans conteste en 1328. Dans la charte de 1646, la question des dettes fait l'objet d'un plus grand nombre d'articles bien plus détaillés qu'autrefois.
   Ce souci témoigne des progrès de l'économie marchande, d'une circulation accrue de l'argent et, avec ces phénomènes, du déclin de l'esprit de solidarité communale.
   Attaqué pour la première fois en 1562, le principe de la solidarité financière du groupe, qui devait se substituer à un particulier non solvable, est définitivement aboli.
   Un particulier ne peut être poursuivi pour dettes que s'il s'est engagé personnellement par contrat, ou s'il s'est porté garant de l'emprunteur. Il en est de même pour le paiement des amendes qui sont strictement personnelles.
   Afin d'enlever toute envie de violer cette prescription, une amende de 900 sous morlàas — neuf fois plus que pour un meurtre — est infligée à un « habitant assez audacieux pour s'emparer des biens d'un autre voisin pour la dette d'une tierce personne, s'il ne s'est pas porté garant de cette dette ».
      Si la preuve par serment sur la Croix et les Énvangiles reste décisive en cas de contestation au sujet des agressions ou du carnal, la procédure est grandement simplifiée et allégée. La plainte est portée devant les syndics ; il n'est plus question de la désignation d'un nombre de prudhommes différent selon les cas, de citations dans le village de l'accusé. Bref certaines pratiques coutumières remontant au haut Moyen âge, disparaissent, bien que l'esprit demeure en partie.
      Avant tout, l'emprise du pouvoir central s'affirme dans les derniers articles, alors qu'en 1328 il n'avait été question que de façon détournée de l'existence des rois d'Aragon et des vicomtes de Béarn. La libre circulation des biens et des personnes, en dehors de tout péage et de tout contrôle est maintenue, à une restriction près : que « fuesso prohibido por el Rey ». Tout dépend du bon vouloir de l'autorité supérieure.
      Au XVIe siècle, les représentants des rois se contentaient d'approuver le texte des accords. Ils laissaient les syndics libres de les appliquer, de tenir autant de juntes qu'il était nécessaire, au lieu qui leur semblait le plus convenable. En 1646 une telle liberté de manœuvre est impossible : « del presente dia de hoy en adelante, las dichas valles tengan vistas particulares de tres en tres anos, cada uno el primo de julio, compuestas de tres sindicos y un nottario de cada parte, por Juzgar y determinar segun la dicha carta de paz, qualesquiere direncias que se ofrecieren ; las quales juntas y vistas han de ser la fuente de Gallego ».
      Tout était prévu : le lieu, le jour, la composition des délégation où la présence d'un notaire royal a valeur de symbole. Ces dispositions rendent dérisoire le rappel, au début de la charte, de l'époque où les deux communautés proclamaient leur désir de rester en paix même si leurs souverains étaient en guerre.
     Une comparaison entre la liste des procureurs et des témoins de 1328 et celle de 1646 permet de retrouver les noms d'une dizaine de familles, de clans : ceci atteste la permanence, pour ne pas dire l'immobilisme des vallées à travers trois siècles, de leur structure sociale et, en partie, de leur mentalité.
     Mais ces notables ne sont plus les maîtres de leurs vallées; ils ont dû s'incliner devant l'autorité royale.
      Les démarches du syndic de la vallée d'Ossau, Abadie, au lendemain de la signature de la nouvelle charte apportent un témoignage supplémentaire de cette emprise. Il en fit établir une copie qu'il adressa au Lieutenant-général, Henri de Pouyanne, « représentant la personne du roy en son royaume de Navarre et pays de Béarn ». Ce dernier répondit qu'il avait pris connaissance du procès-verbal, qu'il l'approuvait et sous le bon plaisir de sa Majesté y apposant l'authorité et décrete l'icelle ».
     Le lieutenant-général eut une autre exigence, condition sine qua non de son acceptation : « lorsque les suppliants voudront faire quelque assemblée avec les députés de la vallée de Tena, ils en demanderont la permission a celui qui commandera dans la province ». Le choix des mots « suppliants », « permission », du verbe « commandera » est révélateur. Ainsi la tenue de juntes, tous les trois ans seulement, était soumise à l'octroi d'une autorisation préalable et l'application des mesures décidées soumise à un veto royal absolu.
      Le vieil esprit d'autonomie ou d'indépendance commençait à être prisé en Ossau : quelques exemples le prouvent. Les jurats de Laruns, en juin 1664, virent passer un gentilhomme avec sa suite ; l'ayant interrogé, ils constatèrent qu'il partait en Espagne sans autorisation royale ; les voyageurs furent arrêtés et le lieutenant-général immédiatement avisé.
     En 1676, des vols de bétail ayant eu lieu, les Ossalois sollicitèrent du maréchal de Gramont l'autorisation de rencontrer, à ce sujet, leurs voisins de Tena. Gramont accepta, mais rappela q'aucune junte ne pouvait avoir lieu sans son autorisation.
     Peu après, le gouverneur notifia aux Ossalois qu'ils devaient continuer à arrêter toute personne allant, ou venant d'Espagne, si elle n'était pas munie d'un passeport royal.
      De plus en plus les documents utilisent le mot « frontière »; il n'est pas question d'Aragonais ou de gens de Tena mais d'Espagnols. Même les Béarnais ne sont jamais qualifiés de Français on précise toujours que le Béarn fait partie du royaume de France. Malgré cette tutelle de plus en plus lourde, les montagnards luttèrent encore et obtinrent des succès partiels.
      Pendant les guerres de la ligue d'Augsbourg et de la succession d'Espagne les Ossalois et les habitants de Tena obtinrent encore la reconnaissance de trêves locales. En 1689, Antoine de Gramont, gouverneur général de Navarre et de Béarn, autorisa les Ossalois, « pendant la guerre entre les couronnes de France et d'Espagne », à envoyer une délégation tenir une junte avec Tena.
     Le document précise : « nous ordonnons aux gardes établis dans les ports de votre vallée de vous laisser passer et repasser sans aucun empêchement pendant tout le temps de l'assemblée ». Pour la première fois un document des archives ossaloises signalait l'installation, à demeure, de gardes frontaliers étrangers au pays. Comme l'écrit B. Druène, « les temps étaient venus où les communautés montagnardes, toujours mieux intégrées dans leurs nations, seraient entraînées irrésistiblement, malgré elles, dans les luttes dont elles s'étaient défendues jusqu'alors ».
     En 707, alors que les Béarnais obtiennent le droit d'aller, malgré la guerre, vendre du bétail aux foires aragonaises, les jurats de Tèna se désolidarisent d'une action militaire menée par des troupes de l'Archiduc contre la Case de Brousette. Cette lettre qualifie les soldats de « scélérats et voleurs » et propose aux Ossalois une indemnisation pour tout ce qui a été pillé pendant cette expédition.
     Peu après les partisans de l'Archiduc ayant été obligés de se retirer de la province de Huesca, Philippe V fut de nouveau reconnu comme se roi légitime par le haut Aragon. Cela permit, en 1710, à la vieille solidarité montagnarde de jouer à nouveau sans difficulté : les gens de Tena demandèrent l'aide des Ossalois pour lutter contre quelques bandes de Miquelets. Mais chaque fois les Ossalois en référèrent au subdélégué Saint-Macary, qui en informa le ministère.
      L'antique amitié des pazeros disparaissait peu à peu sous la contrainte des pouvoirs centralisateurs. Les juntes s'espacèrent.
     Si en 1761 une rencontre eut lieu, où l'on invoqua encore le « vieil esprit de la charte de paix », le fossé ne cessait de se creuser entre les deux communautés : l'exemption des péages pourtant prévue dans la charte fut l'objet d'âpres contestations. A la biste suivante de 1764, les Espagnols — ainsi sont appelés les habitants de Tena, sans autre précision, dans ce document — se plaignirent ouvertement d'être contraints par les Ossalois de payer le « droit de porte ».
     Les Ossalois répliquèrent qu'ils ne pouvaient accepter d'exemption que pour le sel, le vin, les combustibles et le bétail. En 1765, ils restreignirent encore la portée de ces dernières mesures : seuls les combustibles et la viande étaient exemptés.
     En supprimant les libertés locales, et en particulier les Fors de Béarn dernier vestige de la souveraineté béarnaise, la Constituante mit fin à cette longue coopération. Mais il faut reconnaître qu'elle était déjà vidée de presque tout son sens à la veille de la Révolution ; avec les opérations militaires de 1793 - 1794, la cassure devint totale.
     De part et d'autre du Pourtalet les pazeros étaient devenus des étrangers.

     L'évolution des rapports entre les vallées d'Ossau et de Tena de l'époque féodale à la Révolution permet des constatations intéressantes à plusieurs points de vue.
     Une fois encore, l'originalité, la personnalité, de la vallée d'Ossau au sein du Béarn est confirmée. Ces montagnards semi-nomades n'ont été intégrés que très lentement dans un petit État dont le centre de gravité se déplaça de plus en plus vers le piémont pyrénéen.
     Appuyée sur leurs Fors, leur syndicat, leurs familles fortement hiérarchisées, les Ossalois ne furent jamais complètement assimilés. Jaloux de leur « indépendance », ils manifestèrent leur esprit d'autonomie en réglant eux-mêmes, en dehors de toute ingérence de l'autorité vicomtale, leur principal problème de politique extérieure : leurs relations avec leurs voisins aragonais.
     Mais cette charte Ossau-Tena n'est qu'un élément, particulièrement remarquable certes, d'un ensemble beaucoup plus vaste. D'un bout à l'autre de la chaîne pyrénéenne des chartes de paix comparables furent signées entre vallées voisines, soit sur un même versant, soit de part et d'autre de la ligne de faîte. A travers les siècles, on sent cette volonté de coopérer même quand l'autorité supérieure n'est pas favorable à une telle politique.
     Des enquêtes plus approfondies permettront de préciser l'unité et l'originalité de certaines pratiques juridiques de cette entité que constituèrent les Pyrénées durant le Moyen âge et les débuts des Temps Modernes.
      Pour Cavaillès, l'évolution générale des lies et passeries aurait été la suivante :
     des conventions orales du XIIe siècle se seraient transformées en accords écrits qui auraient été, jusqu'à la fin du XVe siècle, de simples conventions pastorales et de bon voisinage ; au XVIe siècle, devant la rivalité franco-espagnole, ces traités auraient pris un caractère véritablement international avant de disparaître dans le courant du XVIIIe siècle.
     L'exemple des relations d'Ossau et de Tena confirme ce schéma général dans son ensemble. Cependant il semble que Cavaillès ait sous-estimé la portée de ces traités à l'époque médiévale.
     Jusqu'au XVe siècle, Ossalois et gens de Tena règlent en toute souveraineté leurs rapports ; simple convention pastorale en apparence, la charte de paix est déjà un acte de droit international par son application.
     Elle ignore le pouvoir central, soustrait à sa justice les patzeros. La situation particulière du Béarn, État prétendant à un statut de souveraineté dont on ne saurait contester l'exercice au moins de facto, doit être souligné. Elle explique probablement le maintient de la charte et même son renforcement dans la première moitié du XVIe siècle.
     Mais le déclin se dessine dès le milieu du XVIe siècle, pour se précipiter avec l'implantation en Béarn de l'autorité royale. C'est à partir de 1640 que l'influence des représentants du gouvernement français s'impose. Trop souvent on a insisté sur « l'autonomie », sur les «libertés locales » dont auraient bénéficié les habitants de la « souveraineté » de Béarn aux XVIIe et XVIIIe siècles.
     En réalité les Fors de Béarn n'étaient plus guère qu'une ruine juridique. Gouverneurs et Intendants s'imposèrent, par exemple en vallée d'Ossau, avec une efficacité, une fermeté que les représentants des vicomtes de Béarn n'avaient jamais eu.

      Enfin, les documents rassemblés peuvent être utiles à l'élaboration d'une histoire de la mentalité pyrénéenne. Certes la nature même des textes doit faire réfléchir : la société ossaloise apparaît sous son jour le plus brutal dans des documents ne se rapportant qu'à des rixes ou à des rapts de troupeaux ; en outre des coutumes d'inspiration très ancienne se maintiennent par écrit, alors qu'elles sont tombées en désuétude.
     Compte tenu de ces réserves, il est évident que la mentalité ossaloise apparaît étonnament stable à travers le Moyen âge et les Temps Modernes. Les villages placés sous l'autorité de quelques familles casalères maintiennent toujours la solidarité de la vallée face aux « étrangers » ; les syndics ne permettent pas à la classe noble, et surtout à son représentant le plus éminent, le vicomte, de contrôler la vie montagnarde.
     L'absence de toute communauté religieuse importante sur le sol de la vallée d'Ossau s'explique peut-être par cette volonté permanente et absolue de ne souffrir la présence d'aucune autorité étrangère. En dehors du modeste château vicomtal de Castet, dont les Ossalois obtinrent le démantèlement à la fin du XVe siècle, aucune place forte, aucune garnison, ne peut affirmer la prépondérance de l'autorité centrale.
     Cette permanence à travers siècles d'une mentalité dont on retrouve encore bien des traits en plein XXe siècle, est liée à celle des genres de vie. Dès le XIIe siècle, et probablement bien antérieurement les Ossalois ont répondu de façon satisfaisante aux conditions géographiques en grande partie imposées par la vie en montagne.
     Il est possible d'affirmer que la vallée a vécu au même rythme jusque vers la fin du XIXe siècle : tout était fonction d'une activité exclusive l'élevage semi-nomade avec son alternance de la montée des troupeaux dans les estibes à la belle saison et leur descente en Aquitaine pendant l'hiver.
     S'il y eut des adaptations de détail, inévitables et indispensables, l'essentiel subsista ; en conséquence, la mentalité ne subit guère de modifications. Exemple intéressant de cette « histoire lourde » qui se déroule à un rythme très lent en fonction des rapport de l'homme et du milieu qui l'entoure, en fonction également de transformations souvent peu perceptibles des groupes sociaux. Tous les anciens Fors tels ceux de Béarn, de Jaca ou de Sepulveda portent témoignage. bulLe texte de la « carta de patz » Ossau-Tena sera publié dans l'édition en cours de préparation, du Cartulaire d'Ossau dans le cadre de la nouvelle collection Fuentes para la historia del Pirineo


puce    Sources

  • Pierre Tucoo-Chala, Traité de Lies et Passeries du M-Age à la Révolution, Ossau et Tena
  • Photos, Collections particulières
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