La vallée d'Ossau :
Culture et Mémoire
Un traité de lies et passeries
du Moyen âge à la Révolution
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La charte de paix de 1328
L'application de la charte de paix jusqu'au milieu du XVI siècle
L'intervention des pouvoirs centraux et le déclin progressif des traités.
ombreux sont les exemples de coopération entre des communautés pastorales situées sur les deux versants des Pyrénées.
Ces relations s'inscrivaient dans le cadre de traités conclus par les vallées, traités connus sous le nom général de Lies et Passeries, qui n'ont pas encore fait l'objet d'une étude synthétique L'excellente étude de H. CAVAILLES, « Une fédération pyrénéenne sous l'Ancien Régime. Les traités de lies et passeries », dans Revue Historique, 1910, p. 1-34 et 241-276, n'est encore qu'une esquisse ; du même auteur voir, La vie pastorale dans les Pyrénées des Gaves..., Paris, Colin, 1931 ; dans l'impossibilité de citer ici tous les travaux récents sur ce vaste sujet, comme ceux de J. ITURALDE, Y. SUIT, V. FAIREN, F. IDOATE, signalons ceux qui peuvent être directement utilisés pour Ossau-Tena : B. DRUENE, « Les Lies et passeries, spécialement pendant la guerre de Succession d'Espagne », Actes du 2e Congrès entern d'études pyrénéennes, t. 7, section VI (la frontière franco-espagnole), Toulouse, Privat, 1962 ; J-M. GUILERA, Los pactos de facerias en los Pireneos y algunos conflictos con la Mesta aragonesa », Cuadernos de Historia J. Zurita, n° 14-15, Saragosse, 1963, communication au IV° Congrès intern des études pyrénéennes ou notre étude a été également présentée ; M. LUCAS, M. ROSA MIRALLES, « Una carta de paz entre los valles de Tena y Ossau » (1646), dans Revista Pireneos, n° 24, Saragosse, 1952, p. 235-295; dans la même revue, n" 39-42, 1956, on trouvera une description topographique détaillée, avec
photographie aérienne, de la frontière Ossau-Tena, dans l'article de B. DRUENE, « Les débuts de la campagne de 1793 aux Pyrénées centrales et le combat de la Caze de Broussette ».
Une telle vue d'ensemble ne sera possible qu'après la publication de monographies précises consacrées aux contacts entretenus, à travers les siècles, par chaque groupe de vallées de part et d'autre de la ligne de faîte. Trop souvent, le manque de documents ne permet pas d'étudier avec une continuité suffisante le devenir d'un traité de lies et passeries. Grâce aux archives du syndicat de la vallée d'Ossau et à quelques documents conservés dans le val de Tena Ces archives du syndicat d'Ossau étaient conservées dans le sagrari de l'église Saint-Vivien à Bielle et ont été transportées aux archives départementales des Basses-Pyrénées auxquelles renvoient toutes nos références, sauf indication contraire ; par contre les archives de Tena ont été plus dispersées :
ÀA Panticosa, se trouve encore un cartulaire avec diverses copies du XVIIe siècle ; d'autres textes sont dans les archives de Protocolos à Saragosse et dans un volume de 129 pages, datant du XVIIe siècle, conservé à la bibliothèque de la Seo à Saragosse. une telle entreprise est possible pour ces communautés.
Situées de part et d'autre du col du Pourtalet, ces deux vallées ont toujours entretenu d'étroites relations qui furent la réplique, dans un cadre géographique plus restreint, de celles qui rapprochèrent Béarn et
Aragon. Sur ce sujet voir aussi les études de J. M. LACARRA, Gaston de Béarn y Zaragoza, Pireneos, n° 23, 1952 ; Un arancel de aduanas del siglo XI, Actes du 1er Congrès intern des études pyrénéennes, t. VI, section V, Saint-Sébastien, 1950) et P. TUCOO-CHALA (Les relations économiques entre le Béarn et les pays de la couronne d'Aragon, XIIIe-XVe siècles, dans Bull philologique et hist. du comité des travaux hist. et scientifiques, 1957, p. 115, sq; La vicomté de Béarn et le problème de sa souveraineté des origines à 1620, Bordeaux, Bière, 1961).
Malgré des lacunes dans la documentation, l'historien dispose de textes qui permettent une étude suivie, du début du XVIe siècle à la
veille de la Révolution, ce qui est rare, voire exceptionnel.
La charte de paix de 1328
Plusieurs copies permettent de connaître la Carta de patz, signée à Sallent, le 13 août 1328, par les habitants de Tena et d'Ossau. Ce document est donc un des plus anciens traités de lies et passeries connus jusqu'à maintenant ; seul semble antérieure la paix signée en 1314 par Lavedan et Tena, texte publié par A. MEILLON, Histoire de la vallée de Cauterets, 2 voL, t. II, p. 486, sq. Le texte intégral de la charte Ossau-Tena de 1328 dont la meilleure version semble Ossau DD 61 copie de la fin du XIVe siècle, est publié, avec toutes les indications critiques nécessaires par P. TUCOO-CHALA, Traités de lies et passeries des archives ossaloises (publication de textes) dans Anuario de Estudios Medievales, t. II, Barcelone, 1966.
Cette charte de paix remplaçait un document plus ancien, aujourd'hui perdu, et qui devait probablement remonter au XIII e siècle. Il est certain, que dès le Xe XIIe siècles, il y avait eu des accords verbaux entre les deux vallées car la géographie et des genres de vie identiques imposaient des relations de voisinage renforcées par les liens politiques.
Si l'on en croit certains historiens, Tena aurait été placée sous le contrôle des premiers vicomtes de Béarn Cette affirmation, due à Zurita, est d'ailleurs controversée : selon cet auteur Sanche 1er de Navarre aurait donné la vallée de Tena à Centulle II de Béarn (905-940 ?) ; voir LABORDE-LORBER, Histoire de Béarn, t. I, p. 148, et il est établi que Centulle de Béarn (1058-1090) avait un droit de regard sur cette vallée du haut Aragon. Centulle V avait droit de gîte sur plusieurs vassaux de Tena ; l'un deux l'assassina traîtreusement pendant un séjour dans cette vallée (voir P. MARCA, Histoire de Béarn, éd. Dubarat, t. I, p. 348 et 418-421).
Au XII e siècle, les palois furent, avec les Aspois, les principaux artisans d'une politique de rapprochement avec l'Aragon qui fit des vicomtes de Béarn les vassaux des rois d'Aragon, puis permit l'installation à Orthez de la famille catalane des Moncade P. Tucoo-CHALA, op. cit., et MIRET Y SANS, La casa Moncada y el vizcondado de Bearn, dans Boletin de la Real Academia de Buenas letras de Barcelona, t. I, 1901-1902.
Plusieurs raisons expliquent la conclusion de l'accord de 1328.
Les deux parties voulaient mettre fin à un conflit préjudiciable à tous et remédier aux insuffisances des accords antérieurs. Surtout, à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, Ossau et Tena, eurent le même souci :
codifier dans des documents irréfutables des pratiques pastorales consacrées par l'usage mais ne reposant que sur des conventions orales.
A ce souci correspondent plusieurs actes significatifs :
Tena traite aussi bien avec ses voisins de Broto (1318), qu'avec ceux du Lavedan (1314 et 1318) ou d'Ossau.
Pour les Ossalois, l'accord avec Tena vient après ceux signés avec Pau (1276), Canfranc (1276) et la vicomtesse de Béarn pour le Pont-Long (1319) Tous ces textes se trouvent dans le Cartulaire d'Ossau, dit « Livre
Rouge d'Ossau », arch. du syndicat AA 1.
Après d'assez longues négociations, deux imposantes délégations se retrouvèrent à Sellent, le 13 août 1328, pour la ratification solennelle de la Carta de patz. La vallée d'Ossau était divisée en trois Vics (Laruns, Bielle, Arudy), celle de Tena en trois Quiñones ; pour souligner la solennité de l'acte de 1328, les deux communautés ne se sont pas contentées de déléguer leurs syndics et les représentants de chaque vic ou quiñon, mais les jurats ou procureurs de tous les villages sont venus à Sallent ; pour Ossau, Sainte-Colome, Arudy, Louvie-Juzon, Izeste, Castet, Bielle, Bilhères, Laruns, Gère, Belesten, Aste, Béost, Aas, Assouste ; pour Tena, Sallent, Lanuza, Panticosa, les trois chef-lieux des quiñones, Escarilla, El Pueyo, Tramacastilla, Pieddrafita ; pour la vallée de Tena on peut consulter l'étude géographique de V. CASAS TORRES, J. M. Font -Ote, dans El valle de Tena, Pireneos, n° 2, 1945. Après avoir entendu la messe dominicale en l'église de Sallent, quelques procureurs agissant en leur nom et en celui de tous leurs compatriotes jurèrent sur la Croix et les Évangiles de respecter et de faire respecter toutes les clauses prévues par la charte de paix.
Désormais Ossalois et habitants de Tena n'étaient plus de simples bezinos, des voisins contraints d'entretenir quelques relations, mais des pazeros, des cartapazeros, des amis, des alliés dont les rapports étaient régis par un code commun fort détaillé.
Exception faite du premier paragraphe consacré au serment, ce document comprenait trente articles.
Si leur présentation est loin d'être systématique, les rédacteurs eurent quand même le souci remarquable pour l'époque de répartir de façon assez logique les diverses rubriques. En systématisant, on peut isoler dans ce texte trois thèmes principaux :
la garantie des personnes,
la garantie des biens, les divers types de procédure à suivre en cas de violation des accords.
Dans l'ensemble on retrouve un esprit général tout à fait comparable à celui des Fors de Béarn, antérieurs de deux siècles. Le vieux formalisme du droit coutumier est strictement respecté ; la procédure reste marquée par l'importance des gestes rituels gardant une valeur presque magique ; pour résoudre les conflits on n'a recours qu'à l'antique méthode des colonies, paiement de compensations par l'agresseur, à la victime ou à ses héritiers.
Parfois les rédacteurs ont repris des formules utilisées entre Ossau et Canfranc, Tena et Levedan.
Les premiers articles (II à V) règlent les rapports entre les personnes en fixant le tarif des amendes dues par l'agresseur (l'afamado, homme qui a mauvaise réputation) à sa victime ou à ses héritiers.
Le législateur a essayé de prévoir tous les cas pouvant entraîner soit la mort, soit des plaies ouvertes. Un meurtre coute 900 sous Morlaàs à l'assassin qui doit s'acquitter en deux échéances payables le 1er mai cette date est retenue dans tous les cas pour les versements des amendes.
Celui qui sectionne un bras ou bien un pied, une main, une oreille, le nez, ou crève un œil de son adversaire donne 450 sous ; mais la victime de plusieurs mutilations ne reçoit que 450 sous que pour l'une d'entre elles, les autres étant tarifées à 200 sous.
Toute blessure faite avec une lame était une blessure majeure quelle que soit sa dimension ; il en coûtait 100 sous. Les blessures ouvertes faites avec la main, un bâton, une pierre ou tout autre objet précise le code, étaient mineures et ne valaient que 60 sous.
Par contre, les injures ou les coups n'entraînant pas de blessures ouvertes ne donnaient lieu à aucune compensation.
La charte de 1328 prévoit le cas de légitime défense. Afin de protéger les biens des habitants, le vol était interdit entre gens des deux vallées (article XXII).
Comme il n'y avait aucune force publique chargée de faire respecter cette interdiction, les législateurs considéraient que face à un voleur surpris en flagrant délit, le volé était en état de légitime défense ; il pouvait donc le tuer ou le mutiler sans être exposé à des poursuites. Une telle mesure générale n'était pas suffisante pour protéger contre tous les accidents le bien le plus précieux de ces montagnards : le bétail.
Une réglementation minutieuse du droit de saisie
du droit de carnal, répond à cette préoccupation majeure (articles XVI à XX).
Sauf accord particulier, les troupeaux ne pouvaient franchir la crête entre le pic d'Anéou et le pic du Pourtalet tracé de la frontière fronco-espagnole actuelle pour aller pacager dans l'autre vallée. Ils pouvaient par contre circuler librement sur toutes les routes et les chemins des deux vallées, soit pour se rendre dans des pâturages du bas-pays, soit pour gagner les marchés.
Tout carnal était strictement interdit sur les routes et les chemins. D'autres mesures
restreignaient considérablement les possibilités de saisie, pour éviter de dangereuses rixes.
Aucune bête errante ou égarée ne pouvait être confisquée ; si le carnaleur prétendait que les bêtes étaient conduites par un berger, ce dernier était cru sur parole s'il affirmait, sous serment le contraire. En aucun cas le carnal ne s'exerçait à l'encontre de brebis et de chèvres gardées par un garçonnet.
Même quand le législateur reconnaissait le bien fondé de la saisie il cherchait à en restreindre le champ d'application ; le carnaleur ne pouvait jamais conserver que dix têtes de bétail. Lorsqu'un berger était surpris avec ses bêtes en flagrant délit de pacage, il cherchait à s'enfuir le plus rapidement possible en entraînant le troupeau.
Pendant cette course éperdue des bêtes pouvaient se blesser. La charte de paix précise que les bêtes restituées devaient être en parfait état sous peine d'une amende de 60 sous .
Enfin n'importe quel Ossalois ne pouvait exercer le carnal à l'encontre des troupeaux aragonais et réciproquement car il était un principe absolu : sur le territoire de la paroisse, seul un habitant de cette paroisse pouvait carnaler.
Toute bête prise en dehors des conditions fixées ci-dessus était un animal volé.
Le code distinguait le vol simple du vol avec effraction (articles IX à XIII). Dans les deux cas un tarif identique était appliqué par tête de bétail :
40 sous pour une bête ferrée,
30 pour une jument,
25 pour une vache,
20 pour un âne,
5 pour un porc,
3 pour un ovin, ce qui prouve l'abondance de ces derniers.
Si le vol avait été commis à l'intérieur de l'enclos attenant à la cabane du berger, donc avec effraction, on ajoutait une énorme amende de 900 sous somme équivalente à celle versée en cas de meurtre ainsi que 2 sous par tête de bétail, si le voleur avait choisi les plus belles bêtes pour les amener avec lui.
Le propriétaire du troupeau volé (toujours désigné par le mot senhor, ce qui est courant en béarnais du XIVe siècle) avait une garantie supplémentaire :
il pouvait faire majorer le tarif ci-contre à condition de jurer, avec trois de ses voisins, que son bétail valait davantage. Afin d'éviter les abus en la matière, ce serment devait avoir lieu dans le village du voleur, en présence de la population, ce qui devait décourager les apprentis parjures.
Le serment sur la Croix et les Évangiles est toujours au cœur de la procédure : c'est la preuve suprême.
Pour un crime, par exemple, l'accusateur doit produire des témoins et jurer avec eux qu'il dit la vérité, sur l'autel principal de Sainte-Marie de Sallent pour les Ossalois, sur celui de l'église de Laruns pour les gens de Tena.
Les témoins doivent remplir les conditions suivantes : être pazero et originaires du même village que la victime, avoir vu la scène ou entendu des cris. Deux témoins suffisent en cas de blessure.
L'accusé accablé par de tels serments est automatiquement condamné à verser la compensation (articles VI, VII). Il ne peut se disculper, en l'absence de tout témoin, que grâce à un serment solennel devant 24 prud’hommes de sa vallée en cas de meurtre, devant 6 en cas de blessure.
Les prud’hommes doivent prêter serment avec lui. La procédure est identique pour le vol de bétail, mais l'accusé doit jurer avec 7 voisins.
Aucune poursuite ne peut être engagée si les demandeurs ne respectent pas une procédure très précise.
Les plaignants se présentent devant la porte principale de l'église du village de l'accusé et réclament justice en touchant du doigt la serrure de cette porte.
Les villageois les introduisent ensuite dans l'église pour leur permettre de porter leur accusation sur la Croix et les Évangiles.
Si personne ne répondait, les plaignants parcouraient le bourg en réclamant la Croix et un Missel ; s'ils n'obtenaient pas satisfaction, ils quittaient le village et leur plainte était recevable comme s'ils avaient pu effectivement prêter serment.
Le plaignant et ses témoins, les prud’hommes cités par la défense étaient spécialement protégés : toute personne assez audacieuse pour les attaquer devait payer le double de la compensation prévue en cas de mort ou de blessure (article VIII).
La charte établissait le principe de la responsabilité financière collective. Si l'accusé ne pouvait payer l'amende, elle devait être versée à défaut, par sa famille ou son village ou son vic (un groupe de plusieurs villages appelé quiñon en vallée de Tena), ou enfin la vallée tout entière.
Pour plus de sûreté Guilhem de Casamayor du village de Pon en Ossau, et Bertrand deu Petro de Sallent en Tena, engagèrent tous leurs biens, meubles et immeubles ; ils étaient garants sur leurs biens de l'exécution de la cartes de patz.
Le dernier article prévoyait que la qualité d'habitant des deux vallées, donc de pazero, était retirée à toute personne restée absente de son village pendant plus d'un an et un jour.
Un tribunal d'arbitrage rassemblant 3 prud’hommes de chaque partie était habilité à recevoir des plaintes pour des délits non prévus par la charte de paix, qui n'était applicable que dans le ressort administratif de chaque vallée ; dans les cas graves, des conférences ( juntes en aragonais, bistes en béarnais ) devaient avoir lieu près de la frontière.
Ce document était donc un acte de droit privé réglant les relations entre les deux vallées, mais par ses conséquences il devenait un acte de droit public.
Les vallées s'attribuaient la puissance souveraine de conclure un traité que nous qualifierions d'international. A aucun moment, la charte n'invoque l'appartenance d'Ossau au Béarn et de Tena à l'Aragon.
La date ne se réfère qu'à « l'incarnation de Dios ». Un seul article fait, indirectement, allusion à l'existence d'un seigneur placé au-dessus des habitants des vallées (article VIII) :
le roi d'Aragon et le vicomte de Béarn avaient le droit à la moitié du montant de la compensation versée en cas d'agression contre un témoin ou un Prud’homme.
L'application de la charte de paix jusqu'au milieu du XVIe siècle
Cette charte de paix fut intégralement appliquée, sans modification importante, jusqu'au XVIe siècle. Les deux vallées règlent leurs relations en dehors de l'ingérence de toute autorité supérieure et conservèrent une large autonomie à travers le Moyen âge.
Les documents abondent qui signalent le règlement d'incidents correspondant aux cas énumérés par la charte, en vertu de tel ou tel article. La tradition était si forte que, vers la fin du XVe siècle, les tarifs des compensations restaient ceux de 1328 ; mais la clause de sauvegarde financière permettait de mettre les victimes à l'abri des dévaluations, d'autant plus que les amendes avaient été évaluées en monnaie de compte et non en monnaie réelle.
Quand les incidents graves menaçaient la paix générale, la procédure d'arbitrage jouait immédiatement. Deux exemples suffisent à le prouver.
En 1472 un riche habitant de Lanusse, Pedro de Lanusse, se plaignait en vain auprès des jurats de sa vallée d'un vol de troupeau fait à son détriment par le clan du notaire de Sallent, Blasco Narros. Ce Pedro Lanusse avait un frère installé en Ossau ; il monta avec lui l'opération suivante :
des Ossalois franchirent la crête à Formiguière, s'emparèrent d'un troupeau de juments appartenant au notaire de Sallent, conduisirent les bêtes dans la ferme ossaloise des Lanusse. Celles-ci furent vendues à l'encan et l'argent partagé.
Le notaire Blasco Narros réclama en vain une compensation à la vallée d'Ossau ; le cas n'avait pas été prévu par la charte de paix, et d'ailleurs il s'agissait d'une affaire mettant aux prises, pour le principal, deux familles aragonaises. Furieux, le notaire se fit justice lui-même ; il vint en personne au port d'Aas, enleva des juments ossaloises et les vendit à son profit.
De vendetta en vendetta, les deux vallées étaient menacées d'un conflit général. Le 1 er septembre 1472, six prud’hommes d'Ossau se réunissent aux cabanes d'Anéou, pendant que six prud’hommes aragonais faisaient
de même à Formiguière.
Ils se rencontrèrent le 2, à la frontière, en présence de Bertrand de Coerey, notaire d'Ossau, et de Pedro Lacasa, notaire d'Aragon.
La pluie, puis la neige, s'étant mise à tomber, les deux délégations descendirent à Laruns. Aucun accord n'ayant été enregistré, deux arbitres furent désignés pour élaborer un compromis :
Bernard, seigneur de Sainte-Colome pour Ossau,
Miguel Sorrosal pour Tena.
Le 20 septembre à Laruns, ils rendirent leur sentence en très grande partie favorable aux thèses ossaloises :
les juments volées qui pourraient être retrouvées de part et d'autre seraient remises à leurs propriétaires, la vallée de Tena était condamnée à payer une amende de 50 écus pour violation de la charte de paix.
Tous les prud’hommes contresignèrent l'accord dont chaque syndicat reçut une expédition. Les arbitres profitèrent des circonstances pour ajouter à la charte un article tendant à prévenir le retour d'incidents semblables :
un particulier ne pourra aider un autre particulier qu'à condition de ne s'approprier aucun bien appartenant à un pazero. La nécessité de respecter de façon absolue la charte de paix fut réaffirmée solennellement Pour prix de leurs bons offices, les arbitres et les notaires reçoivent une somme d'un écu d'or.
Des arbitres se montrèrent aussi fermes peu après, en 1482. Deux Ossalois de Béon avaient saisi, sous prétexte de carnal, un cheval appartenant à Jayme Sanche Aznar de Doz, village de Tena, sur la route de Laruns.
Se référant à l'article XIX de la charte de 1328, interdisant le carne sur les chemins, Sanche Aznar se présenta à Béon, avec ses témoins, pour porter plainte ; ils durent s'enfuir sous la menace des armes et une seconde tentative n'eut pas plus de succès peu après.
Le 9 juillet 1482 fut désignée une commission d'arbitrage qui rendit sa sentence le 11 à Sallent. En vertu de la charte, elle condamna entièrement les Ossalois : la demande de compensation était légitime et devait être satisfaite ; en outre, tous ceux qui s'étaient opposés à la demande les armes à la main étaient condamnés à une amende de 60 sous par personne ; si les gens de Béon refusaient encore de payer, la vallée entière se substituerait à eux. Peu après, en juin 1513, des arbitres réunis en l'église paroissiale de Lanusse confirmèrent une fois encore le texte de la charte de 1328
Avec le début du XVIe siècle, l'application de la charte commençait à se heurter à un nouvel obstacle. Alors que durant tout le Moyen âge aucun conflit n'avait mis aux prises les vicomtes de Béarn et les rois d'Aragon, la rivalité entre ces princes devint très vive quand les Rois Catholiques eurent enlevé au Béarn presque toute la Navarre ; par la suite, la politique extérieure du Béarn fut contrôlée indirectement par la France, à une époque où ce royaume était souvent en guerre avec l'Espagne.
En second lieu, les souverains, au Nord comme au Sud des Pyrénées, étaient de plus en plus gagnés aux théories et aux pratiques absolutistes ; ils ne pouvaient souffrir l'autonomie des vallées pyrénéennes, défi permanent à leur autorité.
Désormais habitants d'Ossau et de Tena furent en butte aux exigences des pouvoirs centraux et durent louvoyer sans cesse pour maintenir, malgré ces derniers, des relations de bon voisinage.
La tentative de Jean d'Albret pour recouvrer la Navarre, en 1512, ouvrit cette période difficile pour les montagnards.
En juin 1512, deux délégations se rencontrèrent à Sallent, peu après le renouvellement de la charte de paix, « pour faire face aux difficultés du temps et aux guerres qui sont entre le royaume d'Aragon et le pays de Béarn ».
Elles tombèrent d'accord pour considérer que les querelles mettant aux prises leurs maîtres ne les concernaient pas directement : malgré la guerre, la charte de 1328 resterait en vigueur ; les marchands béarnais se rendraient à Canfranc et Sallent, les marchands aragonais à Laruns ; les troupeaux iraient sur les estibes le long de la zone frontalière.
Bien mieux, il fut entendu que, pour éviter tout domo aux troupeaux, les vallées s'avertiraient réciproquement de tous mouvements de troupes.
L'échec de la reconquête franco-béarnais Navarre entraîna la suspension des hostilités ; aucun combat n'a eu lieu vers le Pourtalet, les montagnards d'Ossau et de Tena n'eut pas à mettre en pratique un accord pour le moins discutable aux yeux de leurs souverains, sans que l'on puisse savoir si ces derniers en eurent connaissance.
Du 1er au 3 septembre 1517, toujours à Sallent, une autre réunion fit ressortir les menaces croissantes qui pesaient sur l'autonomie des vallées. Parmi les affaires banales de carnal ou de vol qui furent alors réglées, l'une d'entre elles doit retenir l'attention.
Un cheval appartenant à un Aragonais de Sandenis avait été saisi avec une charrette le blé par les bailes vicomtaux d'Ossau.
C'est la première fois qu'un document ossalois avoue l'intervention d'un officier vicomtal à l'encontre d'un habitant de Tena. A titre d'apaisement, les Ossalois acceptèrent de payer les compensations requises pour carnal illégal, bien qu'ils n'en eussent point été responsables.
Pour prévenir de nouvelles interventions semblables, injustifiables à leurs yeux, les syndics ajoutèrent une clause supplémentaire à la charte de paix : les pazeros s'engageaient à ne participer à aucune arrestation ou à des poursuites ordonnées à l'encontre d'un autre pazero en vertu d'un mandement estrange. Si le vicomte de Béarn voulait faire arrêter un habitant de Tena ou le faire poursuivre pour un chef d'accusation quelconque les Ossalois refuseraient d'appliquer cet ordre « étranger », et facteraient la fuite du délinquant ; les Aragonais agiraient de même en des cas comparables.
Ainsi complétée, la carta de patz fut confirmée une nouvelle foi à Gabas, le 20 août 1518 Ossau, DD 62, f°s 28-29 ; cette réunion fut provoquée par de graves désordres qui suivirent l'arrestation à Sallent. où de nombreux délits mineurs furent réglés conformément à son esprit. Cependant une nouvelle preuve d’accroissement de l'intervention vicomtale ou royale figure dans le procès verbal de la biste tenue à Sellent le 13 juillet 1524.
Les délégués rappelèrent l'interdiction réciproque de faciliter une action judiciaire en vertu d'un « mandement estrange », mais ils furent contraints de reconnaître le droit d'intervention des officiers du pouvoir central alors qu'aucune entrave n'avait jamais été apportée à la circulation des pazeros d'une vallée à l'autre, les syndics acceptèrent que ce droit de libre circulation fut retiré aux pazeros faisant l'objet d'un mandat d'arrêt nominal sur l'ordre du roi d'Aragon ou du seigneur de Béarn.
On voit que, tout en luttant pied à pied par des artifices de procédés, les syndics perdaient quand même du terrain.
1528, 1530, 1538 la charte présida toujours au règlement des querelles. Il en fut de même le 2 juin 1543, lors d'une assemblée au col des Moines 1518 Ossau, DD 66; cette réunion fait suite à l'échec d'une tentative de conciliation à Bielle, le 25 mai 1543.
où, pour la première fois, l'expression de frontera de Béarn et d'Aragon fut employée officiellement ; un nouvel article fut ajouté à la charte : interdiction, sous peine d'amende, de faire franchir la frontière à des bêtes malades ; les textes n'avaient ; parlé auparavant aucune menace d'épizootie.
En 1547, plusieurs juntes furent tenues à Sallent et à Gabas étant donné la fréquence des désordres. La politique de double-jeu menée par Henri II d'Albret entre la France et l'Espagne à propos du mariage de son héritière, Jeanne, contribuait à multiplier les difficultés entre vallées.
La crise menaça de devenir guerre ouverte en 1552. Au lendemain du mariage de Jeanne avec Antoine de Bourbon après la mort de sa femme, Marguerite, Henri II, vieilli et désabusé par des résultats de son alliance avec la France, reprit des intrigues plus complexes que jamais.
Il se rapprocha de Charles-Quint, lui laissant même entendre qu'il permettrait l'installation dans toutes les places du Béarn à l'exception de Navarrenx d'une armée espagnole placée sous le commandement du futur Philippe II, afin de lui permettre d'envahir la Guyenne.
Par goût maladif du double jeu, ou pour essayer de forcer la main aux Espagnols, Henri II d'Albret, au même moment, multipliant les rassemblements de troupes le long de la frontière pyrénéenne, fit distribuer ouvertement des arquebuses à tous les jurats du bas-pays pour constituer des milices urbaines.
Une guerre était imminente disait-on, avec les Espagnols. Ces bruits se répandirent au début du printemps 1552 ; ils étaient bien faits pour alarmer les montagnards dont les troupeaux commençaient à gagner les estives.
Les Jurats d'Ossau et de Tena décidèrent de tenir autant de bistes qu'il serait nécessaire « à cause des mouvements de guerre qui sont en cours ». Le 27 mai 1552, un projet fut élaboré ; en juin une double ratification eut lieu d'abord à Gabas, puis à Sallent. Deux personnages furent choisis pour exercer les fonctions exceptionnelles le cartapatzero mayor :
Miguel Martero de Tena devait instrumenté en Ossau,
Arnaud de Bonnemason d'Ossau en Tena.
Leur rôle été de veiller sur place au respect, par la partie adverse, de toutes prescriptions de l'accord.
Bien entendu ce dernier commençait par une nouvelle confirmation de l'antica carta de patz, puis posait pour principe que la guerre ne concernait pas directement les deux vallées qui, malgré leurs souverains, devaient tout faire pour maintenir la vie normale. En conséquence, les troupeaux pourraient aller dans les estibes pour pacager de jour et de nuit, le long de la frontière ; ils n'auraient à craindre aucun coup de main dirigé par un pazero d'une autre vallée.
Si le roi d'Aragon ordonnait à ses sujets de Tena d'organiser une expédition de pillage contre le bétail d'Ossau, les Aragonais sauraient bien éviter de trouver leurs adversaires et leurs troupeaux.
Dans tous les documents de Tena, Charles-Quint n'est jamais que « lo rey d'Aragon » : les montagnards refusaient de reconnaître les récentes transformations politiques de la péninsule ibérique.
Plus difficile serait la situation créée par l'arrivée de bandes armées étrangères aux vallées. Les dispositions prévues par l'accord pour faire face à une telle éventualité ne pouvaient être considéré, que comme une trahison par les souverains.
Afin d'éviter tout dommage au bétail, chaque vallée enverrait à sa voisine un messager spécial, porteur d'une lettre secrète, et scellée, annonçant à l'avances les mouvements des troupes dont on serait averti par les ordres.
Immédiatement, les bêtes seraient retirées des estibes et rassemblées dans les basses vallées ; les ports seraient ainsi livrés sans dommage aux armées ennemies, les montagnards attendant tranquillement et dans l'indifférence qu'elles aient fini d'en découdre s'il y a mieux, ou pire, selon le point de vue. Si des habitants des Vallées étaient convoqués par leur souverain à des réunions, des assemblées, des conseils où serait question d'organiser une expédition militaire à travers les Pyrénées, on s'avertirait réciproquement dans les moindres délais.
Il valait donc mieux pour Henri II d'Albret qu'il n'y eut point d'Ossalois dans son État-major. Afin de prévenir toute violation de ces prescriptions, les délégués décidèrent que tous les dommages causés aux biens et aux personnes dans une vallée par les troupes venant de l'autre vallée, seraient entièrement indemnisés par les habitants de cette dernière s'ils avaient omis d'envoyer le messager confidentiel avertissant les pazeros du danger.
La totalité des biens des deux vallées était engagée à titre de garantie financière. Cavaillès a qualifié ce genre d'accord de « sur-séances de guerre. » Les pasteurs d'Ossau et de Tena avaient trouvé le meilleur moyen pour se mettre à l'abri de toute razzia de bétail.
Ils semblent avoir été les initiateurs d'un système qui devait connaître une grande force jusqu'au XVIIIe siècle. Par exemple, en 1648 encore, les gens de Barèges et de Bielsa s'engagèrent à s'avertir de façon plus particulières ; en 1750 un accord similaire entre Biaisa et Saint-Béat fit jouer la surprise de Castel-Léon.
Le développement de l'économie d'argent, des échanges commerciaux, avec la mise en exploitation de mines dans la vallée d'Ossau, imposait le rajeunissement de la carta antica de patz. Le 2 août 1562, à l'occasion d'une junte tenue à Sallent, les syndicats se mirent d'accord à ce sujet.
Les articles de la charte primitive furent confirmés, puis complétés par l'adjonction d'une dizaine de paragraphes. Ceux-ci étaient consacrés aux problèmes posés par les emprunts d'or, d'argent, de monnaie et par les prêts de marchandises.
L'emprunteur devait obligatoirement consigner tous ses biens à titre de garantie. En cas de saisie pour dettes contractées sous ce régime, la procédure était la suivante : le créancier se rendait au village du débiteur et sommait trois jurats de prononcer contre le défaillant la contrainte par corps.
Les jurats interdisaient au débiteur de quitter le village jusqu'à l'expiration d'un ultime délai pour rembourser sa dette ; la vente à lencan intervenait ensuite. Par rapport à l'ancien droit deux innovations furent introduites :
le créancier pouvait faire vendre tous les biens de son débiteur, maison et meubles compris ; si le montant des anchères ne remboursait pas en totalité la créance, la différence n'était pas à la charge de la communauté mais constituait une perte sèche pour le créancier. Pour la première fois on portait atteinte, de façon expresse, au principe antique de la solidarité financière collective des habitants d'un village, du vic ou de la vallée entière envers un pazero.
Par contre, cette solidarité était maintenue pour toutes les affaires relatives à l'économie pastorale.
A côté de cette restriction, il y eut par contre une extension du champ d'application de la charte. Une nouvelle fois les pazeros affirmèrent qu'ils ne participeraient pas à une exécution judiciaire, saisie ou arrestation, décidée à l'encontre d'un autre pazero par une autorité étrangère au syndicat des vallées. Jusqu'en 1562, les prescriptions contenues dans la charte, et dans les additifs, n'étaient applicables que dans les limites administratives des vallées ; désormais elles furent étendues à l'ensemble du Béarn et de l'Aragon.
Cette disposition était importante, car elle renforçait les prétentions autonomistes. Si, par exemple, un marchand ossalois et un marchand de Tena se trouvaient en désaccord à propos d'une affaire conclue au marché de Pau ou de Jaca, ils s'engageaient à ne pas soumettre leur différend aux autorités judiciaires régulières ; leur plainte devait être adressée aux syndicats montagnards qui réglaient la question à l'occasion des bistes traditionnelles au printemps suivant.
La solidarité entre pazeros était donc très largement étendue dans l'espace. Ce fut la dernière victoire importante des pazeros ; désormais la pression des autorités centrales ne cessa de gêner la libre application de la charte de paix.
L'intervention des pouvoirs centraux et le déclin progressif des traités.
Les négociations menées à cette occasion entre les syndics des deux vallées furent l'occasion d'une intervention particulièrement importante des pouvoirs centraux.
Pour la première fois de leur histoire, les représentants d'Ossau et de Tena furent obligés de communiquer le texte de leurs accords à l'autorité supérieure et de demander leur approbation Les archives d'Ossau n'ont pas conservé trace, peut-être volontairement, de cette intervention du pouvoir central; elle est connue grâce au cartulaire de Panticosa, f'° 84-85; il faut remarquer que la main-mise du pouvoir central sur les syndicats montagnards est un fait général vers le milieu du XVIe siècle ; par exemple A. Martin Duque date de 1552 la désorganisation du syndicat de la vallée de Salazar sous l'action centralisatrice, A. MARTIN DUQUE, La Comunidad del valle de Salazar Origines y evolucion historica, Gosnez, Pampelune, 1963.
Le 26 septembre 1562, Juan Martón, lieutenant de justice en la vallée de Tena, au nom de cette dernière, rencontra Juan de Guinea, gouverneur d'Aragon. Il lui fit savoir que les habitants de la vallée avaient « des passeries, pactes et accords avec leurs voisins de la vallée d'Ossau, dans la principauté de Béarn ; que ces passeries étaient parfaitement adaptées, utiles et nécessaires aux habitants de Tena, de telle sorte que sans elles ils ne pourraient vivre convenablement ».
Le gouverneur prit connaissance des textes et les approuva mais « seulement tant que le bon plaisir et la bienveillance de Sa Majesté, de moi même ou de notre successeur, durerait, et point davantage ». La vallée de Tena perdait ainsi le droit dont elle disposait depuis toujours de conclure des accords relevant du droit international, sans l'avis de l'autorité royale.
Il faut d'ailleurs noter que le représentant de la vallée n'est plus son syndic mais un lieutenant de justice royal, donc l'homme chargé d'imposer une politique centralisatrice. L'autonomie se trouve réduite à l'intérieur et à l'extérieur de la vallée.
Les souverains de Béarn ne pouvaient manquer de suivre un tel exemple, bien que leur autorité fût encore beaucoup moins affermie sur la vallée d'Ossau que celle des rois d'Espagne en Tena.
Le 9 juillet 1563, à Oloron, Antoine de Casajus, de Buzy, fit une démarche, identique à celle de Juan Martón, auprès d'Arnaud de Gontaut, lieutenant général de la souveraineté de Béarn au nom de Jeanne d'Albret.
Gontaut approuva les lies et passeries « et cela tant que durera la volonté et le désir de ladite reine et dudit sénéchal et régent pour le temps présent, et point pour plus tard. »
Rois d'Aragon et souverains de Béarn n'avaient d'ailleurs nullement l'intention à cette époque de gêner l'exercice des traités de lies et passeries entre Ossau et Tena ; ils avaient simplement exigé la reconnaissance officielle de leur autorité suprême.
Ceci empêchait la conclusion d'accords secrets qui étaient un défi à leur souveraineté, comme ceux concernant la neutralité réciproque même en cas de guerre. Peut-être même cette intervention avait-elle eu pour but principal d'interdire le maintien, ou le renouvellement, de ces pactes de non agression dont ils avaient dû finir par avoir connaissance.
Au même moment l'implantation de la Réforme en Béarn mettait à rude épreuve les bonnes relations d'Ossau et Tena, facilitait l'accroissement de la pression du pouvoir central sur les vallées.
La crise éclata en 1563 quand Jeanne d'Albret fit interdire les processions en Béarn approbation Arch. dép. B.-P., CC 684, f° 127, sq.; arch. d'Ossau, GG I, voir P. Tucoo- CHALA, Les Ossalois et la politique religieuse de Jeanne d'Albret en 1563 dans Actes de la Fédération. Gascogne-Adour, Bayonne, 1964, volume rénéotypé. n° 20.26. Les Ossalois jouèrent un rôle de premier plan dans les vigoureuses protestations des Etats de Béarn contre cette décision en juillet 1563.
Ils insistèrent sur les conséquences néfastes qu'aurait tout changement de religion sur l'économie montagnarde : le Béarn n'était-il pas un pays pauvre incapable de se passer du commerce avec l'Aragon ; les Aragonais n'interdiraient-ils pas l'accès de leurs marchés aux Béarnais ; les troupeaux, très nombreux dans les hauts pâturages, ne feraient-ils pas l'objet de razzias ?
Les autorités espagnoles avaient déjà ordonné l'arrestation de tous les Béarnais franchissant la frontière car ils étaient considérés comme « luthériens » ; leur détention ne cessait qu'après l'envoi d'une lettre du curé de leur village certifiant que les processions y avaient toujours lieu et que l'on pouvait y entendre la messe.
Les Navarrais de Roncal, et en particulier ceux d'Isaba, avaient tout de suite appliqué avec rigueur ces ordres aux Barétounais et Aspois d'autant plus que le protestantisme s'était solidement implanté en Aspe, ce qui devait s'accompagner d'une véritable guerre locale.
Les Aragonais en général, et les gens de Tena en particulier, eurent une attitude beaucoup plus nuancée, surtout envers les Ossalois. Ils s'ingénièrent à prévenir à temps leurs pazeros du danger qui les menaçaient et à faciliter leur retour en Béarn avant l'intervention des autorités centrales.
Certes, les Aragonais savaient que la Réforme était mal accueillie par les Ossalois, mais leur attitude s'explique également par leur souci de maintenir contre tous et même malgré leur foi catholique la vieille tradition d'amitié avec le Béarn.
Un dernier incident montra encore plus nettement cette volonté d'amitié. Philippe II ordonna une expédition contre les hérétiques de Béarn ; si l'affaire fut sérieuse en vallée d'Aspe, les Aragonais se contentèrent en fait d'une simple démonstration.
Obligés d'organiser cette expédition punitive, les gens de Tena, 300 à 400, se rassemblèrent à la frontière et pénétrèrent jusqu'à Bious-Artigues en faisant beaucoup de bruit pour rien. L'alerte passée les Ossalois n'hésitèrent pas à réclamer une indemnité, surtout pour le principe puisque les dégâts avaient été minimes, en vertu de la charte de 1328 rénovée en 1552, car Tena n'avait pas prévenu Ossau de l'attaque.
Un tribunal d'arbitrage donna raison aux Ossalois. Ossau, FF 36. Les dégâts provoqués par ce raid avaient été particulièrement minimes puisque les gens de Tena ne s'étaient emparés que de 4 chevaux, 1 manteau de drap de Toulouse, 3 capes de Béarn, des cuillères et des cuvettes pour la fabrication du fromage ; ces maigres résultats donnent à penser que malgré tout les Aragonnais avaient conduit avec mollesse leur expédition pour éviter le pire à leurs pazeros d'Ossau.
Ossau et Tena purent donc traverser sans trop de dommages cette difficile période de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, marquée en Béarn par le retour progressif à la liberté religieuse et l'annexion à la France (1620).
Avec le XVIIe siècle, une refonte générale de l'antique charte de paix, sans cesse complétée depuis 1328, s'imposait.
Bien des clauses ne correspondaient plus à la vie courante, de nouveaux problèmes se posaient. Les syndics des deux vallées ouvrirent des négociations pour « rajeunir » la charte, en 1645. Elles aboutirent en 1646 à un résultat plus important.
Le 12 août, à la source du Gallego, les syndics des deux communautés signèrent un texte entièrement refondu qui annulait tous les documents antérieurs.
A cette occasion un fait nouveau, d'une importance considérable, s'était produit :
les délégués avaient mené et conclu ces négociations non point seulement comme syndics des vallées, mais comme délégués, comme représentants, des rois de France et d'Espagne, sous le contrôle du gouverneur d'Aragon et du lieutenant général du roi en Béarn La signature de cette paix de 1646 doit être replacée dans le cadre plus général de l'implantation des officiers royaux en Béarn ; cette question traitée par P. RAYMOND, L'Intendance et les États de Béarn, t. III de l'Inventaire sem, arch. des B.-P., a été renouvelée par les études encore inédites de P. Loirette ; le texte de la charte de 1646 a été publié par Manuel Lucas-Rosario Miralbes, art. cit., d'après un document conservé à Panticosa ; l'exemplaire destiné aux Béarnais a été conservé dans les archives cormmunales de Laruns, DD 19 sous la forme d'un petit cahier de 20 f° dont les derniers sont en grande partie déchirés.
Trois siècles séparent la charte primitive et celle de 1646. Nombreux sont cependant les éléments de la charte primitive qui sont conservés au XVIIe siècle. Les mêmes règles président à la protection des personnes avec le paiement des compensations à la victime ou à ses héritiers en cas d'homicide, de mutilation ou de blessure ; mais le tarif est uniformisé et dévalorisé :
100 sous morlàas ou 100 livres jaquès en toute circonstance.
C'est en matière de protection des troupeaux (déplacement, carnal, etc.) que l'on conserve le plus, souvent mot à mot, les prescriptions anciennes. Plus de la moitié des 45 articles de la nouvelle paix est consacrée à cette question.
C'est la preuve que les genres de vie pastoraux n'ont absolument pas évolué du XIIe au XVIIe siècles ; ils restaient figés dans les pratiques ancestrales.
Par contre d'autres articles démontrent qu'il y avait quand même un changement de mentalité.
L'esprit individualiste est très nettement marqué en 1646 alors que la notion de solidarité villageoise l'emportait sans conteste en 1328. Dans la charte de 1646, la question des dettes fait l'objet d'un plus grand nombre d'articles bien plus détaillés qu'autrefois.
Ce souci témoigne des progrès de l'économie marchande, d'une circulation accrue de l'argent et, avec ces phénomènes, du déclin de l'esprit de solidarité communale.
Attaqué pour la première fois en 1562, le principe de la solidarité financière du groupe, qui devait se substituer à un particulier non solvable, est définitivement aboli.
Un particulier ne peut être poursuivi pour dettes que s'il s'est engagé personnellement par contrat, ou s'il s'est porté garant de l'emprunteur. Il en est de même pour le paiement des amendes qui sont strictement personnelles.
Afin d'enlever toute envie de violer cette prescription, une amende de 900 sous morlàas — neuf fois plus que pour un meurtre — est infligée à un « habitant assez audacieux pour s'emparer des biens d'un autre voisin pour la dette d'une tierce personne, s'il ne s'est pas porté garant de cette dette ».
Si la preuve par serment sur la Croix et les Énvangiles reste décisive en cas de contestation au sujet des agressions ou du carnal, la procédure est grandement simplifiée et allégée. La plainte est portée devant les syndics ; il n'est plus question de la désignation d'un nombre de prudhommes différent selon les cas, de citations dans le village de l'accusé. Bref certaines pratiques coutumières remontant au haut Moyen âge, disparaissent, bien que l'esprit demeure en partie.
Avant tout, l'emprise du pouvoir central s'affirme dans les derniers articles, alors qu'en 1328 il n'avait été question que de façon détournée de l'existence des rois d'Aragon et des vicomtes de Béarn. La libre circulation des biens et des personnes, en dehors de tout péage et de tout contrôle est maintenue, à une restriction près : que « fuesso prohibido por el Rey ». Tout dépend du bon vouloir de l'autorité supérieure.
Au XVIe siècle, les représentants des rois se contentaient d'approuver le texte des accords. Ils laissaient les syndics libres de les appliquer, de tenir autant de juntes qu'il était nécessaire, au lieu qui leur semblait le plus convenable. En 1646 une telle liberté de manœuvre est impossible : « del presente dia de hoy en adelante, las dichas valles tengan vistas particulares de tres en tres anos, cada uno el primo de julio, compuestas de tres sindicos y un nottario de cada parte, por Juzgar y determinar segun la dicha carta de paz, qualesquiere direncias que se ofrecieren ; las quales juntas y vistas han de ser la fuente de Gallego ».
Tout était prévu : le lieu, le jour, la composition des délégation où la présence d'un notaire royal a valeur de symbole. Ces dispositions rendent dérisoire le rappel, au début de la charte, de l'époque où les deux communautés proclamaient leur désir de rester en paix même si leurs souverains étaient en guerre.
Une comparaison entre la liste des procureurs et des témoins de 1328 et celle de 1646 permet de retrouver les noms d'une dizaine de familles, de clans : ceci atteste la permanence, pour ne pas dire l'immobilisme des vallées à travers trois siècles, de leur structure sociale et, en partie, de leur mentalité.
Mais ces notables ne sont plus les maîtres de leurs vallées; ils ont dû s'incliner devant l'autorité royale.
Les démarches du syndic de la vallée d'Ossau, Abadie, au lendemain de la signature de la nouvelle charte apportent un témoignage supplémentaire de cette emprise. Il en fit établir une copie qu'il adressa au Lieutenant-général, Henri de Pouyanne, « représentant la personne du roy en son royaume de Navarre et pays de Béarn ». Ce dernier répondit qu'il avait pris connaissance du procès-verbal, qu'il l'approuvait et sous le bon plaisir de sa Majesté y apposant l'authorité et décrete l'icelle ».
Le lieutenant-général eut une autre exigence, condition sine qua non de son acceptation : « lorsque les suppliants voudront faire quelque assemblée avec les députés de la vallée de Tena, ils en demanderont la permission a celui qui commandera dans la province ». Le choix des mots « suppliants », « permission », du verbe « commandera » est révélateur. Ainsi la tenue de juntes, tous les trois ans seulement, était soumise à l'octroi d'une autorisation préalable et l'application des mesures décidées soumise à un veto royal absolu.
Le vieil esprit d'autonomie ou d'indépendance commençait à être prisé en Ossau : quelques exemples le prouvent. Les jurats de Laruns, en juin 1664, virent passer un gentilhomme avec sa suite ; l'ayant interrogé, ils constatèrent qu'il partait en Espagne sans autorisation royale ; les voyageurs furent arrêtés et le lieutenant-général immédiatement avisé.
En 1676, des vols de bétail ayant eu lieu, les Ossalois sollicitèrent du maréchal de Gramont l'autorisation de rencontrer, à ce sujet, leurs voisins de Tena. Gramont accepta, mais rappela q'aucune junte ne pouvait avoir lieu sans son autorisation.
Peu après, le gouverneur notifia aux Ossalois qu'ils devaient continuer à arrêter toute personne allant, ou venant d'Espagne, si elle n'était pas munie d'un passeport royal.
De plus en plus les documents utilisent le mot « frontière »; il n'est pas question d'Aragonais ou de gens de Tena mais d'Espagnols. Même les Béarnais ne sont jamais qualifiés de Français on précise toujours que le Béarn fait partie du royaume de France. Malgré cette tutelle de plus en plus lourde, les montagnards luttèrent encore et obtinrent des succès partiels.
Pendant les guerres de la ligue d'Augsbourg et de la succession d'Espagne les Ossalois et les habitants de Tena obtinrent encore la reconnaissance de trêves locales. En 1689, Antoine de Gramont, gouverneur général de Navarre et de Béarn, autorisa les Ossalois, « pendant la guerre entre les couronnes de France et d'Espagne », à envoyer une délégation tenir une junte avec Tena.
Le document précise : « nous ordonnons aux gardes établis dans les ports de votre vallée de vous laisser passer et repasser sans aucun empêchement pendant tout le temps de l'assemblée ». Pour la première fois un document des archives ossaloises signalait l'installation, à demeure, de gardes frontaliers étrangers au pays. Comme l'écrit B. Druène, « les temps étaient venus où les communautés montagnardes, toujours mieux intégrées dans leurs nations, seraient entraînées irrésistiblement, malgré elles, dans les luttes dont elles s'étaient défendues jusqu'alors ».
En 707, alors que les Béarnais obtiennent le droit d'aller, malgré la guerre, vendre du bétail aux foires aragonaises, les jurats de Tèna se désolidarisent d'une action militaire menée par des troupes de l'Archiduc contre la Case de Brousette. Cette lettre qualifie les soldats de « scélérats et voleurs » et propose aux Ossalois une indemnisation pour tout ce qui a été pillé pendant cette expédition.
Peu après les partisans de l'Archiduc ayant été obligés de se retirer de la province de Huesca, Philippe V fut de nouveau reconnu comme se roi légitime par le haut Aragon. Cela permit, en 1710, à la vieille solidarité montagnarde de jouer à nouveau sans difficulté : les gens de Tena demandèrent l'aide des Ossalois pour lutter contre quelques bandes de Miquelets. Mais chaque fois les Ossalois en référèrent au subdélégué Saint-Macary, qui en informa le ministère.
L'antique amitié des pazeros disparaissait peu à peu sous la contrainte des pouvoirs centralisateurs. Les juntes s'espacèrent.
Si en 1761 une rencontre eut lieu, où l'on invoqua encore le « vieil esprit de la charte de paix », le fossé ne cessait de se creuser entre les deux communautés : l'exemption des péages pourtant prévue dans la charte fut l'objet d'âpres contestations. A la biste suivante de 1764, les Espagnols — ainsi sont appelés les habitants de Tena, sans autre précision, dans ce document — se plaignirent ouvertement d'être contraints par les Ossalois de payer le « droit de porte ».
Les Ossalois répliquèrent qu'ils ne pouvaient accepter d'exemption que pour le sel, le vin, les combustibles et le bétail. En 1765, ils restreignirent encore la portée de ces dernières mesures : seuls les combustibles et la viande étaient exemptés.
En supprimant les libertés locales, et en particulier les Fors de Béarn dernier vestige de la souveraineté béarnaise, la Constituante mit fin à cette longue coopération. Mais il faut reconnaître qu'elle était déjà vidée de presque tout son sens à la veille de la Révolution ; avec les opérations militaires de 1793 - 1794, la cassure devint totale.
De part et d'autre du Pourtalet les pazeros étaient devenus des étrangers.
L'évolution des rapports entre les vallées d'Ossau et de Tena de l'époque féodale à la Révolution permet des constatations intéressantes à plusieurs points de vue.
Une fois encore, l'originalité, la personnalité, de la vallée d'Ossau au sein du Béarn est confirmée. Ces montagnards semi-nomades n'ont été intégrés que très lentement dans un petit État dont le centre de gravité se déplaça de plus en plus vers le piémont pyrénéen.
Appuyée sur leurs Fors, leur syndicat, leurs familles fortement hiérarchisées, les Ossalois ne furent jamais complètement assimilés. Jaloux de leur « indépendance », ils manifestèrent leur esprit d'autonomie en réglant eux-mêmes, en dehors de toute ingérence de l'autorité vicomtale, leur principal problème de politique extérieure : leurs relations avec leurs voisins aragonais.
Mais cette charte Ossau-Tena n'est qu'un élément, particulièrement remarquable certes, d'un ensemble beaucoup plus vaste. D'un bout à l'autre de la chaîne pyrénéenne des chartes de paix comparables furent signées entre vallées voisines, soit sur un même versant, soit de part et d'autre de la ligne de faîte. A travers les siècles, on sent cette volonté de coopérer même quand l'autorité supérieure n'est pas favorable à une telle politique.
Des enquêtes plus approfondies permettront de préciser l'unité et l'originalité de certaines pratiques juridiques de cette entité que constituèrent les Pyrénées durant le Moyen âge et les débuts des Temps Modernes.
Pour Cavaillès, l'évolution générale des lies et passeries aurait été la suivante :
des conventions orales du XIIe siècle se seraient transformées en accords écrits qui auraient été, jusqu'à la fin du XVe siècle, de simples conventions pastorales et de bon voisinage ; au XVIe siècle, devant la rivalité franco-espagnole, ces traités auraient pris un caractère véritablement international avant de disparaître dans le courant du XVIIIe siècle.
L'exemple des relations d'Ossau et de Tena confirme ce schéma général dans son ensemble. Cependant il semble que Cavaillès ait sous-estimé la portée de ces traités à l'époque médiévale.
Jusqu'au XVe siècle, Ossalois et gens de Tena règlent en toute souveraineté leurs rapports ; simple convention pastorale en apparence, la charte de paix est déjà un acte de droit international par son application.
Elle ignore le pouvoir central, soustrait à sa justice les patzeros. La situation particulière du Béarn, État prétendant à un statut de souveraineté dont on ne saurait contester l'exercice au moins de facto, doit être souligné. Elle explique probablement le maintient de la charte et même son renforcement dans la première moitié du XVIe siècle.
Mais le déclin se dessine dès le milieu du XVIe siècle, pour se précipiter avec l'implantation en Béarn de l'autorité royale. C'est à partir de 1640 que l'influence des représentants du gouvernement français s'impose. Trop souvent on a insisté sur « l'autonomie », sur les «libertés locales » dont auraient bénéficié les habitants de la « souveraineté » de Béarn aux XVIIe et XVIIIe siècles.
En réalité les Fors de Béarn n'étaient plus guère qu'une ruine juridique. Gouverneurs et Intendants s'imposèrent, par exemple en vallée d'Ossau, avec une efficacité, une fermeté que les représentants des vicomtes de Béarn n'avaient jamais eu.
Enfin, les documents rassemblés peuvent être utiles à l'élaboration d'une histoire de la mentalité pyrénéenne. Certes la nature même des textes doit faire réfléchir : la société ossaloise apparaît sous son jour le plus brutal dans des documents ne se rapportant qu'à des rixes ou à des rapts de troupeaux ; en outre des coutumes d'inspiration très ancienne se maintiennent par écrit, alors qu'elles sont tombées en désuétude.
Compte tenu de ces réserves, il est évident que la mentalité ossaloise apparaît étonnament stable à travers le Moyen âge et les Temps Modernes. Les villages placés sous l'autorité de quelques familles casalères maintiennent toujours la solidarité de la vallée face aux « étrangers » ; les syndics ne permettent pas à la classe noble, et surtout à son représentant le plus éminent, le vicomte, de contrôler la vie montagnarde.
L'absence de toute communauté religieuse importante sur le sol de la vallée d'Ossau s'explique peut-être par cette volonté permanente et absolue de ne souffrir la présence d'aucune autorité étrangère. En dehors du modeste château vicomtal de Castet, dont les Ossalois obtinrent le démantèlement à la fin du XVe siècle, aucune place forte, aucune garnison, ne peut affirmer la prépondérance de l'autorité centrale.
Cette permanence à travers siècles d'une mentalité dont on retrouve encore bien des traits en plein XXe siècle, est liée à celle des genres de vie. Dès le XIIe siècle, et probablement bien antérieurement les Ossalois ont répondu de façon satisfaisante aux conditions géographiques en grande partie imposées par la vie en montagne.
Il est possible d'affirmer que la vallée a vécu au même rythme jusque vers la fin du XIXe siècle : tout était fonction d'une activité exclusive l'élevage semi-nomade avec son alternance de la montée des troupeaux dans les estibes à la belle saison et leur descente en Aquitaine pendant l'hiver.
S'il y eut des adaptations de détail, inévitables et indispensables, l'essentiel subsista ; en conséquence, la mentalité ne subit guère de modifications. Exemple intéressant de cette « histoire lourde » qui se déroule à un rythme très lent en fonction des rapport de l'homme et du milieu qui l'entoure, en fonction également de transformations souvent peu perceptibles des groupes sociaux. Tous les anciens Fors tels ceux de Béarn, de Jaca ou de Sepulveda portent témoignage. Le texte de la « carta de patz » Ossau-Tena sera publié dans l'édition en cours de préparation, du Cartulaire d'Ossau dans le cadre de la nouvelle collection Fuentes para la historia del Pirineo
Sources
- Pierre Tucoo-Chala, Traité de Lies et Passeries du M-Age à la Révolution, Ossau et Tena
- Photos, Collections particulières
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