La vallée d'Ossau :              
                 Culture et Mémoire



Docteur Prosper Darralde
Docteur Prosper Darralde 1804-1860
Darralde Médecin

(1804-1860)

C’est M. Darralde que tout le monde veut voir et surtout avoir vu.


endant la saison des eaux, le village de Bonnes possède plusieurs médecins, tous praticiens de talent ; mais par le fait, il n’y en a qu’un. C’est M. Darralde, que tout le monde veut voir et surtout avoir vu.

    Il est des gens qui croiraient n’être pas venus aux Eaux, s’ils n’étaient allés à sa consultation. La réputation de M. Darralde est bien établie à Paris ; ses plus illustres confrères y vantent son grand mérite d’auscultateur, et quand on sait que vous allez aux Eaux-Bonnes :
    — Ah ! vous dit-on, vous irez consulter M. Darralde !
    — Comment répondre, au retour, qu’un autre docteur vous a donné ses conseils, a ceux qui ne manqueront pas de vous recevoir avec un :
    — Eh bien ! vous l’avez vu ? On se perd de réputation par de pareils manquements aux lois du high life.
    Ce qui fait que s’il est malaisé de trouver à se loger dans le mois de juillet,
    — voir le médecin n’est pas une chose moins hérissée de difficultés, et c’est le cas ou jamais de dire qu’il faut se lever matin si l’on veut arriver à sa visite.
    Vous vous levez en effet à cinq heures pour aller prendre un numéro, il est trop tard ; le lendemain vous sautez en bas du lit à quatre heures, ce n’est point assez tôt : enfin vous vous décidez à passer la nuit à la porte de l’établissement,
     — voilà le bon moyen.
    Dame, vous concevez que le docteur que tant de malades assiègent à la fois a dû prendre ses précautions. Bien qu’il demeure à l’établissement et que son salon d’attente ait trois croisées de face, cette antichambre serait encore trop petite pour contenir une si grande foule. On n’y est admis, c’est la dernière règle établie, que sur la présentation d’un numéro dont la couleur change tous les jours ;
    — tant pis pour qui laisse passer son tour.
    Chaque matin un certain nombre de numéros sont distribués à sa porte par sa servante,
    — une fille intelligente avec laquelle les accommodements ne sont pas aussi faciles qu’avec le ciel de M. Tartufe.
    Les premières cartes appartiennent de droit aux premiers arrivants ; les derniers venus s’en retournent les mains vides ;
    — ils reviendront le lendemain. Mais ce lendemain, si les consultations du docteur ont été longues la veille, et que la série des numéros du jour n’ait pas été épuisée, ils auront beau devancer l’aube naissante, ils ne seront pas les premiers : les derniers d’hier passeront avant eux.

    Que de fatigues, de peines et d’ennuis, volontairement créés penserez-vous, quand il serait si facile d’entrer chez les autres docteurs dont la porte reste toute grande ouverte et qu’on voit au fond de leur cabinet, assis dans un vaste fauteuil !
     Ils sont là, qu’ils me pardonnent la comparaison, comme de malheureuses araignées au milieu de leur toile, qui regardent passer l’essaim des mouches dont ils dîneraient si bien. Aussi me semble-t-il que lorsqu’ils attrapent un client par hasard, ils ne doivent le laisser échapper, de gré ou de force, que mort ou complètement guéri.
    Mais, que voulez-vous ? les hommes sont un imbécile troupeau qui n’a de comparable que les moutons de Panurge ; et quand je vous dis qu’on passe la nuit à faire queue dans la rue, je n’exagère rien.

    Un instant cette année, on a payé des montagnards pour faire cette corvée, et ce fut comme une petite bourse. La nuit du montagnard se cotait à tant, à cinq francs aujourd’hui, à dix francs le lendemain. Bien malheureux alors les pauvres et les malades sans domestiques ; la concurrence leur devenait impossible ou fatale.

    La chose, vous vous en doutez, se passait à l’insu du docteur.

    Un soir, en rentrant vers minuit, il heurta du pied un pauvre malade qui grelottait,
accroupi devant sa porte, dans une couverture de laine.
    — Que diable faites-vous là ? lui cria-t-il dans sa première surprise.
    L’autre lui répondit que, vu le prix où les montagnards étaient au cours du jour, il n’avait trouvé que ce moyen d’arriver à sa visite, et qu’il l’employait.

    — Malheureux ! lui cria-t-il de nouveau, partagé par la colère et la compassion, allez-vous-en bien vite dans votre lit, et soyez couché tout à l’heure lorsque j’irai vous voir !
    C’est ainsi qu’il apprit la spéculation des montagnards. De ce jour elle cessa, mais de ce jour également les malades prirent la queue pour leur propre compte, et jusque dans la rue quand les portes furent fermées, et sous un parapluie lorsque le brouillard tombait et couvrait la belle étoile.
     Cette fois le docteur n’y put rien.
    Ce n’est pas à dire que si l’on est sérieusement malade il faille en passer par ces véritables fourches caudines. Dans ce cas M. Darralde se fait un devoir de se rendre auprès des nouveaux arrivés qui réclament son ministère.
    —Au reste, je ne terminerai pas ce paragraphe, mon cher ami, sans vous faire un juste éloge de ce docteur Darralde, qui a grandi la vogue des Eaux-Bonnes, et fait la prospérité de cette vallée où les habitants prononcent son nom comme celui d’un bienfaiteur.
    — Il n’est pas d’homme plus affectueux et dont la sollicitude soit plus caressante pour ses clients ; ses formes et son parler doivent assurément plaire aux femmes.
    Il aime les artistes, et pour eux comme pour les gens de lettres il a des attentions particulières, des soins, dirais-je même, tout à fait fraternels, si le mot, dans ces derniers temps, n’avait reçu de si vilaines acceptions.

    En rendant hommage à son caractère, c’est la dette contractée par beaucoup de nos confrères que je trouve l’occasion d’acquitter aujourd’hui ; je serais heureux, je l’avoue, que cette faible marque de notre reconnaissance pût, un matin, parvenir jusqu’à lui.

   Sources

  • Henri NICOLLE, Courses dans dans les Pyrénées, la montagne et les eaux, E.Dentu, Libraire Éditeur, 1855
j y
Contact
5