La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




DESPOURRINS.
Famille originaire d'Accous.




'est à tort que la Bigorre se vante d'avoir donné le jour à Despourrins.
    Ce qui a pu causer cette erreur, c'est que la famille de ce nom habite depuis plusieurs années ce pays, et que lui même y passa une partie de sa vie.
    On me permettra donc d'entrer dans quelques détails pour établir la généalogie du poëte que le Béarn se glorifie d'avoir vu naître.
     Les Despourrins sont originaires d'Accous, dans la délicieuse vallée d'Aspe ; leurs ancêtres, comme les autres habitans du pays, étaient de bons pasteurs. Un d'eux, ayant fait fortune en Espagne, acheta à son retour l'Abbaye de Juzan ; cette acquisition lui donna, entre autres privilèges, l'entrée aux Etats, la nomination à la cure d'Accous alternativement avec les Pères du couvent de Sarrance, la jouissance de nombreuses dimes et le droit de péage à la porte d'Aspe.
     Pierre Despourrins, père de notre Poëte, hérita de toutes ces prérogatives. Il suivit la carrière des armes avec distinction et se fit une grande réputation par sa bravoure. On rapporte que, s'étant pris de querelle avec trois gentilhommes étrangers, il les appela tous les trois au combat et les vainquit pour consacrer le souvenir de sa victoire, il obtint du Roi l'autorisation de faire sculpter au-dessus de la principale porte de sa maison trois épées, que l'on y voit encore.
     Pierre Despourrins alla, quelque temps après, aux Eaux de Cauterets, où il se lia d'amitié avec la famille de Miramont, des environs d'Argelez.
    Il épousa Gabrielle de Miramont ; Cyprien Despourrins fut le premier fruit de leur union ; c'est notre poëte.
     Cyprien nâquit à Accous, en 1698 ; ce qui se trouve constaté sur les registres de cette commune ; il eut deux frères, Joseph, devenu curé d'Accous, et Pierre, vicaire de la même commune.
     Qu'il me soit permis de raconter au sujet de ces derniers un trait qui peint bien l'innocence des mœurs qui régnait alors dans ces montagnes.
    Les deux frères étaient musiciens ; l'un jouait passablement de la flûte et l'autre du violon.
    Chaque dimanche leur talent servait aux plaisirs de leurs paroissiens. Toute la jeunesse des deux sexes se réunissait dans la cour de leur maison, et d'une croisée ils la faisaient danser au son de leurs instruments.
     Dès que la cloche de vêpres sonnait, le bal était suspendu, tout le troupeau docile suivait les bons Pasteurs à l'église.
     Encore une dernière anedocte, et celle-ci regarde notre poëte, qu'on appelait le Chevalier. Elle prouve qu'outre son rare talent pour la Poésie, il avait hérité du courage de son père.
    Le chevalier Despourrins, se trouvant aux Eaux-Bonnes, reçut un affront que l'honneur Français ne sait venger que les armes à la main.
    Comme il n'avait pas emporté son épée, il envoie son domestique pour la quérir à Accous ; il lui recommande de faire diligence et d'inventer une fable afin de donner le change à son vieux père. Le domestique s'acquitte de sa commission avec beau coup d'adresse ; il le croit du moins mais celui qui avait gagné trois épées pour prix de sa valeur et qui avait été un des plus fiers champions de son temps, n'était pas facile à tromper en fait d'affaires d'honneur. Le rusé vieillard a tout vu, tout compris, et à peine le domestique a-t-il disparu, que le voilà sur ses traces, monté sur une mule ; il franchit les montagnes escarpées d'Escot et de Benou, et arrive eaux Eaux-Bonnes.
    Là, il apprend que son fils s'est enfermé dans sa chambre avec un étranger ; il entre dans la maison, prête l'oreille, entend un cliquetis d'épées ; alors, satisfait, il s'arrête contre la porte qui le sépare de son fils, et pendant quelques instants le vieillard impassible attend tranquillement l'issue du combat.
    Enfin le bruit cesse, le jeune Despourrins sort précipitamment, et trouve aux écoutes son vieux père, qui lui dit en l'embrassant tendrement :
    « Le retour précipité de ton domestique fait que je suis parti après lui, présumant que tu avais quelque affaire d'honneur, et de crainte que tu ne succombasses, j'ai emporté mon épée qui n'a jamais été vaincue. »
    Je suis votre fils, lui répond le Chevalier ; mon adversaire est grièvement blessé, allons le secourir.»

    Voici maintenant la cause qui porta la famille Despourrins à quitter la vallée d'Aspe pour aller s'établir dans celle d'Argelez.
     Quand Pierre Despourrins épousa Grabielle de Miramont, celle ci avait un frère aîné, qui mourut plusieurs années après, et dès-lors Despourrins, appelé à succéder à tous les biens de la riche maison de Miramont, vendit ses propriétés de la vallée d'Aspe, et alla s'établir à Saint-Savin avec toute sa famille, en 1746. C'est là que Cyprien Despourrins continua à composer les airs et les paroles de ces poésies qui l'ont immortalisé ; mais toujours fidèle aux souvenirs de sa patrie, il conserva à toutes ses productions l'empreinte du sol natal.
    Il suffit, en effet, d'avoir une légère connaissance des deux langues pour se convaincre que ce n'est pas du patois de Bigorre, mais du Béarnais le plus pur qu'on trouve dans ces Romances ou plutôt dans ces véritables Elégies :
    La haut sus las Mountagnes ;
    Dé la plus charmante Anesquette ;
    Au moundé nou ya nat Pastou ; et dans cette chanson originale,
    Dé cap à tu soy Mariou, que Louis XV se plaisait à entendre chanter au fameux Jeliotte.

     Une autre gloire était réservée à Despourrins.
    En 1840, une souscription fut ouverte dans les colonnes du Mémorial des Pyrénées pour ériger un monument à notre Poëte national.
    Tous les Béarnais qui tiennent à honneur de consacrer la mémoire des illustrations de leur Pays, s'empressèrent de se faire inscrire sur cette liste, où figurèrent même ceux qui depuis plusieurs années vivaient éloignés de nos contrées, et au premier rang se plaçait notre illustre compatriote le Roi de Suède.
    De grandes fètes furent données à l'époque de l'inauguratiou de la colonne qu'on aperçoit de toutes les parties de la vallée sur un monticule auprès du village d'Accous.
    Une foule inombrable accourut de toutes parts. Jasmin, ce poëte populaire, dont la réputation grandit chaque jour, vint lui porter le tribut de ses heureuses improvisations ; et Navarrot qui, né comme Despourrins dans nos montagnes, se montre digne de marcher sur ses traces, lui consacra des vers empreints, comme la plupart de ses compositions, de verve et d'originalité.

     Après Despourrins, M. FONDEVILLE, de Lescar, avocat au parlement de Pau, en 1708, est celui qui a le plus de droits à la reconnaissance des Muses Béarnaises.
    Sa pastorale du Paysàa est le morceau le plus long et un des mieux écrit que nous ayons dans notre langue.
    L'auteur a voulu mettre en scène les mœurs et l'esprit malin de nos campagnes. Il est impossible d'en offrir une peinture plus fidèle.
    Cette pièce figurera dans un second volume qui en contiendra plusieurs autres, également dignes d'être sauvées de l'oubli.

   Sources

  • E. VIGNANCOUR. POÉSIES BEARNAISES, Imprimerie E.Vignancour, Pau, 1852.
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