La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




La grotte des EAUX-CHAUDES



n mot encore sur les Eaux-Chaudes. On ne les quitte guère sans visiter une grotte qu'on cite au nombre des merveilles des Pyrénées. Elle est à peu près à trois quarts d'heure de chemin du village ; on y arrive par une pente assez roide, dont la hauteur, à mesure que l'on monte, domine la vallée de Gabas et donne au touriste un avant goût de la route d'Espagne, une des plus séduisantes qu'on puisse suivre dans les montagnes.
     Cette grotte a cela de remarquable,qu'elle est traversée dans toute sa longueur par un torrent fort rapide. Il est à croire que ce sont ses eaux qui ont creusé la galerie, mais il faudrait sans doute remonter très haut pour savoir sous quelle dynastie elles ont commencé ce travail. Quoi qu'il en soit, le torrent est là ; un chemin tantôt plus grand, tantôt plus petit, mais toujours fort étroit. D'abord qu'on s'y engage, à la queue leu-leu, comme disent les écoliers, on sent une grande humidité ; le froid tombe sur les épaules ; mais les visiteurs récidivistes vous disent de n'y pas prendre garde, qu'on s'y habitue. Le fait est que l'air est glacial, et que, sans aller plus loin que la Sibérie, il y a des gens qui vivent exempts de fluxions de poitrine dans ces températures. Le guide marche en tête ; il vous a muni d'une bougie, et lui-même a pris soin d'allumer une torche avant d'entrer ; plus loin l'opération serait impossible, les allumettes chimiques étant probablement de nature plus délicate que les hommes, et s'habituant moins facilement qu'eux à l'humidité. La torche est la baguette magique du guide. Quand il la brandit, ses lueurs rouges se jouent dans les stalactites de la voûte, et ce n'est plus autour de vous qu'escarboucles, topazes et améthystes qui ruissellent par myriades et semblent tomber dans l'eau bouillonnante du torrent enflammé.
     Il y a des enthousiastes de ce spectacle. Un bonnetier retiré m'a affirmé que la grotte d'Aladin, qu'il n'a jamais vue, n'offrait rien de plus beau. Mais il est des gens aussi qui reculent devant ces promenades souterraines ; une horreur instinctive les retient à l'entrée ; rien au monde ne les déciderait à faire deux pas en avant ; l'idée de s'égarer là dedans, et la pensée qu'il suffirait d'une pierre détachée pour se voir enterré vif, leur donnent le cauchemar tout éveillés. Sans doute, ces personnes ne sortent jamais d'une cave sans remercier Dieu et sans croire qu'elles l'ont échappé belle. Cependant, l'auteur de ces lignes aura la franchise d'avouer qu'il est du nombre des êtres mal organisés pour la vie souterraine des lapins et des taupes, et qu'il n'a parlé que par ouï dire de l'intérieur de la grotte des Eaux-Chaudes.
     Il n'est pas néanmoins tout à fait étranger à ces curiosités. Il y a près des Eaux-Bonnes, à droite en descendant la route, un poteau qui porte ces mots : Grotte curieuse. On nomme aussi cette grotte : Grotte Castellanne, du nom de son propriétaire actuel, M. le marquis de Castellanne, le même qui donne la comédie dans son hôtel, à Paris, et qui trouva bon, un jour qu'il passait par là, d'en faire l'acquisition. A tout prendre, la fantaisie était tentante. Bien des marquis ont des terres, des plaines et des forêts ; quelques-uns pourraient avoir un théâtre ; mais, par la malepeste, n'a pas une grotte qui veut pour la décorer de son nom.
     On nous fit entrer dans cette grotte. La cavité n'étant pas assez profonde pour que l'obscurité y soit complète, le gardien ferma la porte afin de faire la nuit. Une chandelle fut allumée et promenée le long des stalactites de la voûte. Ces stalactites, d'un jaune luisant, affectent souvent des formes singulières sur lesquelles on appelle l'attention des visiteurs. Une entre autres figure, tant bien que mal, un mouton dépouillé et suspendu au croc du boucher. Ça peut être extraordinaire, mais en vérité le sujet n'est pas gracieux, et si ce n'était un blasphème, rien ne retiendrait d'accuser la nature de mauvais goût en son caprice.
     On nous accordera qu'un pareil spectacle n'est parfait pour vaincre une forte répugnance, et qu'après en avoir joui, on peut rester insensible devant les séductions de la grotte des Eaux-Chaudes.
     Parlez-nous des beautés en plein soleil. Il n'y a pas de portes à mettre devant, et le bon Dieu n'en fait payer la vue à personne.
     Ceci soit dit à l'adresse de la commune de Laruns à qui la grotte merveilleuse appartient, et qui ne craint pas d'afficher partout un tarif à peu près ainsi conçu :

TARIF :

Entrée de la grotte, par personne. tant
Pour le guide. tant
Pour une bougie. tant
Pour une torche tant
Pour ceci tant
et encore pour cela que nous oublions tant
  -------------
Total un chiffre assez rond


    Ce tarif, qui semble arrêté en vue de sauvegarder les intérêts de la commune et des cicérone, atteint-il bien son but ?
    Il est permis d'en douter.
     En voyage, on est facilement généreux ; mais partout l'idée d'une contribution forcée indispose. Elle fait souvent qu'on s'abstient. d'un plaisir plutôt que de la subir.
     J'ai lu quelque part une vieille devise qui disait :
« Je donne à mon vouloir ; à qui veut je refuse. » En certains cas, je la crois bonne à méditer.

   Sources

  • Henri NICOLLE, Courses dans dans les pyrénées, la montagne et les eaux, E.Dentu, Libraire Éditeur, 1855
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