La vallée d'Ossau :              
                    Culture, et Mémoire.




THERMES des EAUX-CHAUDES



es Eaux-Chaudes ont l'avantage sur les Eaux-Bonnes d'avoir un salon à l'établissement, et même, pour parler à la lettre, trois salons, un de lecture, un de réunion et le troisième de musique.
   Ils occupent la façade exposée au Midi et semblent offrir aux gens du monde des ressources agréables.
   Lorsque les soirées sont fraîches, la cheminée large et bien embrasée réunit le cercle des causeurs ; le whist, en un coin met aux prises et face à face ses quatre muets, qui sont de forts partners s'ils résistent aux distractions de la table à ouvrage, leur voisine, où le silence n'est pas de rigueur, et que les dames entourent, l'aiguille et le crochet à la main.
   Les jeunes personnes ont le piano et les ingambes pour essayer les mazurkas nouvelles, avec la permission du docteur, car il paraît que la danse est un excellent complément au traitement des rhumatismes.
   Le cigare non plus ne lui est pas nuisible et trouve son sanctuaire dans une petite pièce à côté. Les fidèles fumeurs y viennent religieusement brûler le Havane et le caporal, tous deux également chers à la déesse régie.
     On voit, par là, que, quoique nous ayons pu répéter, il y a moyen encore de passer son temps aux Eaux-Chaudes.
     Quant au traitement, c'est ordinairement le matin que les malades s'y livrent. Vers sept heures le pèlerinage commence, et les différentes affections à qui la Naïade promet ses miracles, les unes sur des béquilles, les autres enveloppées de chauds vêtements, certaines même en chaise à porteurs, se croisent sur le chemin et dans les galeries de l'établissement. Elles s'arrêtent devant le médecin :
     Eh bien, docteur ! Eh bien, cher malade, ça va mieux, ce me semble ? Oui, la nuit a été bonne. — Continuez ; encore quelques verres au Rey et quelques bains à l'Esquirette, et nous vous verrons danser là haut, au salon. Ah ! moi, docteur, les douleurs m'ont tenu éveillé toute la nuit. Patience ; huit ou dix jours de douche à la source du Clot, et vous m'en direz de bonnes nouvelles. Et chacun s'en va demander son verre d'eau à la buvette ou son bain à la source prescrite.
     Ces sources bienfaisantes sont au nombre de six. La désignation d'Eaux-Chaudes donnée à leur groupe indique assez qu'elles ont toutes un degré marqué de thermalité, les uns supérieur, les autres moindre. Voici leurs noms.
     C'est d'abord l'eau du CLOT plus excitante, et celle de l'ESQUIRETTE, très favorable aux inflammations chroniques.
     C'est la source du REY, merveilleuse pour ses cures et qui passe pour avoir guéri les rhumatismes d'Henri IV, ce qui lui vaut l'honneur du nom qu'elle porte.
     C'est la source BAUDOT, plus nouvellement découverte et d'une vertu digestive déjà célèbre.
     C'est encore LARRESSECQ que le grand Bordeu appelait en son temps la fontaine du salut, et qui n'a pas démérité.
     C'est enfin la source MINVIELLE, la moins chaude de toutes, mais dont l'emploi, sagement dispensé, combat les névralgies avec succès.
     Toutes ces sources, prises à leur point d'émergence, sont soigneusement conduites dans les différentes parties de l'établissement et dans les cabinets dont le couloir porte leur nom. Ces cabinets, comme on pense, ne sont pas de simples cabinets de bain.
   Au premier regard, cependant, ils n'ont l'air de rien. Le curieux entre là-dedans, il voit une baignoire ; elle est en marbre blanc ; voilà qui est assez beau. La baignoire est scellée dans le sol où elle s'enfonce au moins d'un pied, en sorte qu'on a l'air, en s'y étendant, de se coucher dans une petite fosse ; c'est bien, c'est la mode aux Pyrénées.
   Deux robinets qui dispensent l'eau chaude et l'eau froide, présentent leur col de cygne ; c'est encore l'usage et c'est fort gracieux. Mais, quoi ? et qu'est-ce que ce bouton ? Rien en apparence, mais si vous le pressez :
   pschitt... la vapeur s'échappe en sifflant et le cabinet est changé en étuve.
     Hum ! Hum ! assez ! criez-vous alors au baigneur qui sert de cicérone. Et ce tuyau ?
     C'est une lance, Monsieur.
     Une lance !
     Oui, Monsieur ; quand nous nous en servons, nous prions le malade de se déshabiller, et nous lui offrons cette chaise...
     Une chaise en bois !
     Oui, Monsieur, en bois. Un siégé de paille ne sécherait jamais. Alors nous demandons au malade : où souffrez-vous ? au bras, au dos, à la jambe ? Il répond ; et sur l'endroit qu'il indique nous dirigeons la lance. Comme cela...
     Eh ! baigneur, faites attention !
     Soyez sans crainte. Nous tournons le piston,(a crac !...
     A ce mot de crac, un jet s'élance, un jet de vapeur ou d'eau thermale à volonté, mais d'une force à renverser un homme surpris.
     Si le malade le préfère, ou suivant l'ordonnance, continue le cicérone, nous pouvons adapter cette pomme d'arrosoir à la lance, et le malade...
     Dites le patient ! mon ami.
     Volontiers, Monsieur, le patient reçoit la douche en arrosoir, comme ceci.
     Et, dites-nous, baigneur, c'est plus agréable ?
     Certes, Monsieur ; on croirait recevoir une bonne averse. Généralement nos malades aiment bien cela ; les autres douches les font quelque fois crier. Si Monsieur se décide à prendre un bain, il pourra juger de la différence. Nous avons beaucoup de visiteurs que cela tente.
     Je le crois sans peine. Ce sont ceux qui aiment le plaisir et le déplaisir. Mais lâchez votre arrosoir, et veuillez nous expliquer a quoi sert cette corde qui pend.
    Ça, Monsieur, c'est plus curieux et encore meilleur peut-être. C'est la soupape d'un réservoir. Lorsqu'on tire la corde, le fond bascule et une grosse nappe d'eau tombe sur le malade.
     L'homme nécessairement joint l'action à la démonstration et vous ne sortez pas de là sans éclaboussures. Ça coûte la pièce au cicérone, mais la vue de tous ces beaux engins de philanthropique torture la vaut bien. C'est ce que l'art a inventé de plus ingénieux. L'arsenal est complet ; il n'y a pas mieux ailleurs. Après cette visite on est naturellement émerveillé, mais on est aussi quelque peu mouillé. Ce qu'on a de mieux à faire alors pour donner le temps de sécher aux jambes de son pantalon, c'est de demander à descendre à la piscine, et d'y prendre un bain, si ce n'est pas l'heure des malades.
     La piscine, c'est le bain commun. Un escalier qui vous met presqu'au niveau du gave y conduit. Le réservoir dans lequel se déverse l'eau des sources est vaste; on y descend par des gradins de marbre où vingt malades, au moins, peuvent s'asseoir. Au plus profond de la piscine, l'eau a bien de trois à quatre pieds. On voit qu'on y peut nager lorsqu'on est peu nombreux ; et ce n'est pas là un exercice sans charme, car le bain est incessamment réchauffé par la vapeur même de l'eau des sources ; cette vapeur entretient une température excellente.
     A l'extérieur, l'établissement des Eaux-Chaudes, après le magnifique palais thermal qu'on termine en ce moment à Bagnères de Luchon, est ce qu'on peut voir en ce genre de plus beau dans les Pyrénées. On l'aperçoit avant même d'entrer dans le village, tu et les yeux en restent frappés. Ce n'est pas que son architecture soit bien recherchée ; c'est le style fabrique le plus pur, mais les proportions sont grandes, et cela suffit à ce style qui n'acquiert quelque chose de monumental que par l'échelle sur laquelle il étend ses surfaces plates. Or, ici, le bâtiment est carré, il a 32 mètres de côté, il a deux étages percés de nombreuses fenêtres ; il est construit sur la rive droite du gave et sa masse défie les fureurs du torrent. C'est assez imposant. Le plus bel éloge au reste, qu'on en puisse faire, c'est de dire que les hautes montagnes qui l'enserrent ne l'écrasent pas trop ; entre leurs gigantesques murailles, il parait encore grand.e y
     Cette construction est flanquée de trois bâtiments demi-circulaires qui lui prêtent une sorte d'originalité et qui, sans nul doute, entrent pour beaucoup dans la bonne impression que donne l'ensemble du monument. Ces annexes, élevées seulement à la hauteur du premier étage, contiennent les réservoirs, les cabinets de bain, les buvettes, la piscine et les douches que nous avons essayé de décrire.
     L'emplacement que pourrait occuper un quatrième bâtiment demi-circulaire sur la façade du Midi, est réservé et sert de terrasse plantée à l'établissement. De larges portes cintrées se présentent sur cette terrasse et laissent apercevoir d'abord le vestibule spacieux occupé dans la longueur par de petites boutiques, puis au fond, les arcades couvertes d'une cour rafraîchie par un jet d'eau qui retombe dans une coupe de marbre. Les étages supérieurs, dans cette cour, présentent une galerie sur laquelle s'ouvrent les portes des appartements disposés pour les malades.
     Tel est l'intérieur de ce palais thermal qu'on doit croire parfaitement distribué pour sa destination, et qui fait, à juste titre, l'orgueil des architectes du département.
     A ce propos, cependant, je ne puis passer sous silence un petit oubli de ces Messieurs. C'est peu charitable sans doute, et nous convenons que les considérations qui nous portent à prendre ce rôle de l'esclave chargé de rappeler à César triomphateur qu'il n'est qu'un homme, demandent au moins un mot d'explication. Le voici :
     Nous avons un oncle dans la famille ; les monuments sont sa passion. Il est revenu d'Italie avec le désir d'aller s'agenouiller devant l'Acropole et le Parthénon. L'antiquité ne le rend pas exclusif, et le roman, le gothique, le style mauresque, voire le style renaissance, se partagent également son admiration. Tout ce qui est beau, temple, cathédrale, cirque, palais ou château, maison ou bicoque de bois sculpté, le ravit et l'enchante. Nous laissons à penser ce qu'il a dû éprouver vis-à-vis des édifices constitutionnels des architectes éclos après juillet 1830. Ce fut d'abord de la fureur, puis de la désolation et enfin du découragement. A chaque nouvelle hérésie en pierre qui s'élevait dans la capitale, il détournait ses yeux avec amertume, et les bras lui tombaient. Un jour l'invalide, gardien d'une bâtisse, lui tendit sa chaise, croyant qu'il allait se trouver mal.
     Mon ami, me dit-il alors, l'art s'en va. Les architectes modernes le tuent, et tant qu'on n'en aura pas pendu un pour l'exemple, c'en sera fait de l'architecture en France.
     A première vue le remède paraît sévère. Je voulus me récrier et plaider pour des moyens plus doux.
     Tu es jeune, mon neveu, dit-il, mais songe qu'à mon âge, ce n'est qu'après de mûres réflexions qu'on parle sérieusement de pendre un homme, fût-il architecte. Tu me diras qu'à défaut de génie pour les grandes conceptions, ils ont la science de nos besoins, et qu'à nulle époque on n'a su mieux qu'eux tirer parti des médiocres terrains où nous sommes condamnés à faire élever nos demeures. Eh ! mon ami, je l'ai cru aussi, et j'ai voulu me faire bâtir une maison. Quand la maçonnerie fut terminée, mon architecte me vint prendre pour admirer son chef-d’œuvre. On visite le rez-de-chaussée ; c'était joli, j'en conviens. Mais lorsqu'il s'agit de monter au premier, on me montra une échelle au dehors. Le malheureux avait oublié la cage de l'escalier ! Cher neveu, ajouta mon oncle, puisque tu fais métier de gratter du papier, rappelle-toi mon histoire, et toutes les fois que l'occasion s'en présentera, dénonce les architectes au monde civilisé. Ce faisant, tu réjouiras ton oncle, et tu mériteras bien des arts.
     Imprudemment j'ai promis. Mais pouvais-je faire autrement ?
     Or donc, il faut que je le dise, les architectes de l'établissement des Eaux-Chaudes, un palais que personne plus que nous n'admire, ont oublié, non pas l'escalier ; il y en a plusieurs, un entre autres, l'escalier d'honneur, qui est magistral, mais ils n'ont pas songé, en construisant un établissement thermal, ô les hommes légers ! que dans un cabinet, toujours ruisselant de vapeur, après un bain accompagné de douches, on ne pouvait se rhabiller, et à plus forte raison pendre des vêtements secs ; et ils ont oublié, dans leur plan, un second cabinet de repos et de toilette, attenant au premier. On y remédie comme on peut, et assez bien, il faut l'avouer, avec des paravents dressés dans les couloirs, mais l'oubli n'en est pas moins réel et coupable.
     Voilà ce que j'avais à dénoncer au monde ; il m'en a conté pour le faire. Mais mon oncle sera content. Peut-être même, cette expiation lui semblera-t-elle suffisante, et si jamais il est nommé grand juge des architectes, j'aurai sauvé une tête ! Cette pensée me console, et me rend plus léger pour quitter les Eaux-Chaudes.
     On sort des Eaux-Chaudes, comme on y est entré, par un col étroit. Ces issues naturelles dans la direction du Nord au Sud donnent passage à des courants qui renouvellent l'atmosphère ; l'air sans cela séjournerait, au grand détriment des malades, dans le petit cirque où le village est assis. C'est là l'avantage de ces courants, qui ne laissent pas non plus que d'avoir leur inconvénient pour ceux qui négligent les précautions nécessaires.
     Le mal, au reste, est commun à presque toutes les villes d'eaux situées dans les montagnes. Cela faisait dire à un homme d'esprit à qui l'on demandait la vertu curative des eaux : que les eaux des Pyrénées sont merveilleusement propres à guérir les affections que leur séjour y fait contracter.
     Mais il ne faut pas le croire ; les eaux et les médecins sont là pour prouver qu'elles guérissent parfaitement les maux qu'on y apporte. Là dessus allons-nous en à Gabas.

   Sources

  • Henri NICOLLE, Courses dans dans les pyrénées, la montagne et les eaux, D.Giraud, Libraire Éditeur, 1854
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